ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.71
  • ARTICLES
  • LA CRISE.
  • La Croix, I, mai 1880, p. 1-7.
  • TD 9, P. 71; CO 175.
Informations détaillées
  • 1 AUMONE
    1 BOURGEOISIE ADVERSAIRE
    1 COMMUNARDS
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DEFENSE DES DROITS DE DIEU
    1 ENFOUISSEMENT
    1 ENNEMIS DE LA RELIGION
    1 EVEQUE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 GOUVERNEMENT
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 INSTITUTIONS POLITIQUES
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LEGISLATION
    1 LIBRE PENSEE
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 MARIAGE
    1 MODERES
    1 MORTIFICATION
    1 OPPORTUNISTES
    1 PERSECUTIONS
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME
    1 PROVIDENCE
    1 RADICAUX ADVERSAIRES
    1 REPUBLICAINS ADVERSAIRES
    1 REPUBLIQUE UNIVERSELLE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SAINT-SIEGE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 BARTHELEMY SAINT-HILAIRE, JULES
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 CAZOT, THEODORE
    2 CLEMENCEAU, GEORGES
    2 DECHAMPS, VICTOR
    2 FERRY, JULES
    2 FREYCINET, CHARLES-LOUIS DE
    2 GAMBETTA, LEON
    2 GUIBERT, JOSEPH-HIPPOLYTE
    2 HARTMANN
    2 HOEDEL
    2 JEROME, SAINT
    2 LAMY, ETIENNE
    2 LEON XIII
    2 LEPERE, CHARLES
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 MARET, HENRI
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 NOBILING
    2 PIE IX
    2 THIERS, ADOLPHE
    3 FRANCE
    3 LOURDES
    3 ROME
    3 SOLESMES
  • mai 1880.
  • Paris
La lettre

I. Dieu sera-t-il enseigné, connu, aimé, servi, adoré?

Dieu sera-t-il oublié, blasphémé, désobéi, nié?

Tels sont les termes de la crise.

Que quelques journaux plus ou moins protestants, comme Le Temps, nous disent: La religion n’est pour rien dans la lutte; on leur répond: Qu’en savez-vous? votre religion peut n’y trouver qu’y faire; mais qu’est-ce que votre religion?

Pour la religion vraie, c’est autre chose. La religion vraie est une institution réelle, affranchie du vague, de l’incertain, du nuageux, du vaporeux; elle sait ce qu’elle veut, où elle tend; ses ennemis le savent aussi, et c’est pourquoi ils la traitent avec une grande haine, mais aussi avec un grand sérieux; ils espèrent la vaincre, mais ils s’en font gloire, parce qu’ils savent que c’est une puissance de premier ordre, et que vaincre la religion, l’Eglise catholique (car il n’y a que cette religion qu’on redoute), c’est triompher de ce qu’il y a de plus vaste sur la terre.

Les adversaires se placent aux deux extrémités du champ clos, mais ils savent parfaitement sur quel terrain ils se placent les uns et les autres et de quoi il s’agit entre eux.

La défense de Dieu et de sa cause, la haine de Dieu et de son empire; est-ce clair?

Quand en 1871, M. Thiers parla d’un fou furieux, il ne se doutait pas que le fou deviendrait enragé qu’à partir de Romans il mordrait tant de gens que la France se peuplerait de fous, de furieux et d’enragés, lesquels mordraient à leur tour leurs voisins, que nous aurions la plus épouvantable contagion de rage Gambetta, en attendant celle de M. Clémenceau.

Une troisième surgira, mais cette fois ce sera la fin de la France, car la France peut finir. On l’a amoindrie, on l’isole, on lui crée des ennemis, on lui ment impunément, on la fait la grande protectrice des assassins de rois ou d’empereurs, excepté de l’empereur d’Allemagne, car si Hoedel et Nobiling avaient fui sur le sol français, on les eût rendus un peu plus vite qu’Hartmann, sans quoi l’on eût entendu parler M. de Bismark, et quoi qu’on l’aime beaucoup à l’exemple de M. Barthélemy-Saint-Hilaire, on le redoute peut-être plus encore, et surtout on lui obéit à genoux.

Bref, pour le moment nous sommes seulement à la première étape de l’invasion irréligieuse. C’est bien assez. Mais ne peut-on pas venir à bout de l’ennemi?

Je remarque d’abord qu’il se croit si sûr du succès, que peut- être cette persuasion nous sauvera-t-elle, si nous savons profiter de la confiance que notre infériorité inspire à l’ennemi.

En tout cas, nous portons en nous un principe divin de résurrection et de triomphe; si nous savons être de vrais chrétiens et de réels soldats de Jésus-Christ.

Sur qui pouvons-nous compter en dehors de Dieu? sur personne.

On pourrait compter sur l’anarchie des adversaires, s’il était loisible de se croiser les bras et d’assister à des luttes intestines suspendues seulement par le besoin de se ruer sur l’ennemi commun: l’Eglise.

Malgré soi, il faut agir; que faire?

Avant tout, éviter toute imprudence, j’ajoute obéir.

Quoi qu’on ait dit des dispositions de Léon XIII quand il monta sur le trône pontifical, aujourd’hui la force des choses le conduit à suivre la ligne de Pie IX. Un ministre franc- maçon avait osé dire que le pape blâmait les évêques belges; la dernière lettre pontificale au cardinal Déchamps prouve que le ministre avait menti comme un franc-maçon sait le faire, voilà tout.

En France, on a nié les protestations du Saint-Siège à propos des fameux décrets, mais malgré des dénégations toujours faciles quand le cas est mauvais, les organes les plus autorisés du monde ecclésiastique affirment que les protestations de Rome ont été remises à cet excellent M. de Freycinet, fort empêtré entre sa retraite à Solesmes et ses accointances avec M. Ferry. Aussi pourquoi allait-il à Solesmes, procurait-il de l’eau de Lourdes à ses amis, et tout à coup virait-il de bord et partait-il en guerre contre les religieux, qu’en sa qualité de protestant il doit connaître seulement à travers les préjugés huguenots?

Voyez le plan de campagne chrétien; il peut être utile de l’indiquer. Après la première émotion causée par la publication de ces décrets illégaux, impolitiques, maladroits, voilà la grande voix des évêques qui se fait entendre. Tous se plaindront, la nécessité de leur ministère les y oblige. Quelques-uns mettent moins d’énergie que d’autres, cela se comprend: il est difficile d’arriver à la majesté, à la logique, aux grandes douleurs épiscopales de l’archevêque de Paris, mais on est pontife et la conscience oblige, quoi qu’il doive arriver, de parler en pontife. Sommes-nous mal renseignés quand nous croyons savoir qu’après ces plaintes secrètes, si la voix des évêques n’est pas écoutée, Léon XIII rugira comme le lion de Juda et avertira le monde catholique que le gouvernement français s’est fait persécuteur (1).

On a beau dire, les discours de tribune, les décrets de quelques ministres sans foi et venimeux sont peu, en face de ces coups de tonnerre qui partent du Vatican et retentissent d’un bout de l’univers à l’autre pour avertir que l’Eglise est en péril et que les enfants de Dieu doivent se prosterner et redire le cri de nos litanies:

Ut inimicos sanctae Ecclesiae humiliare digneris,

Te rogamus, audi nos.

Dieu peut être patient, mais il est juste et finit toujours par exaucer cet élan de la foi, comme il exauça les accents de ses apôtres au milieu des flots soulevés.

II. Après l’effort de l’épiscopat et de son chef viendra la controverse légale. Sera-t-elle aussi énergique qu’au moment de stupeur causée par les actes du 29 mars? le premier mouvement d’indignation avait été admirable, même parmi les républicains, mais personne ne sait se raviser comme quelques amis de la république. Donc, il y aura peut- être un peu plus de torpeur chez certains; après tout ce ne sera pas un grand mal, l’habitude de sacrifier la justice à l’intérêt date de loin dans les régions de cette sorte. Que voulez-vous! on perdra quelque défenseurs qui ne trouveront pas un avantage suffisant à être pour vous; mais quelle valeur n’ont pas les gens qu’on sait servir une cause sans espérance de profit! et même parmi les républicains on en trouve.

Si les autorités républicaines ont une force, les autorités catholiques ont bien la leur, puisque, elles surtout, sont dans un vrai plus absolu et parlent avec plus de certitude au nom des lois éternelles. Laissons le sophiste vaniteux du jour qui ne veût reconnaître que la loi humaine. Ce qu’un homme peut faire seul, un autre peut le défaire, le même souvent fait et défait selon son caprice, mais ce n’est jamais que la pensée d’un cerveau humain, rien de plus, et ces cerveaux-là sont capables de contenir tant de folies et de sophismes! mieux vaut s’appuyer sur Dieu.

Attendons que la science des jurisconsultes se prononce. On sent qu’elle se recueille. Le courage pourra manquer à quelques-uns, mais il restera assez de conscience, et chez ceux qui parleront et chez ceux qui écouteront, pour connaître clairement où est la justice et où est l’iniquité. Or, nous savons d’avance qu’en cette occasion la justice n’a pas présidé au conseil des ministres, elle était dans nos rangs.

Quand les consultations juridiques auront été étendues, ce sera le moment d’examiner ce que les catholiques ont à faire pour défendre ce que nous ne craignons pas d’appeler l’armée régulière de l’Eglise. On a dit que les ordres religieux n’étaient pas de l’essence de l’institution hiérarchique. Je ferai observer que cette expression ne peut pas être d’un laïque. Hélas! il y a des Judas partout, aussi reportassent-ils le prix de leur trahison, ils sont marqués au front d’un mépris indélébile.

Mais les Judas n’empêcheront pas les disciples du Christ de s’unir, de faire cause commune avec calme, force et surtout persévérance; nous verrons à qui le dernier mot restera.

N’est-ce pas que l’oeil attentif des croyants aperçoit le mouvement se prononcer? la marée monte, l’espérance se fortifie, le besoin d’agir s’accentue. Il faut surtout une direction au courant, mais, je l’ai dit, les évêques ont parlé et Léon XIII parlera encore.

Que dans l’armée incrédule il y ait de grands succès de fureur, rien de plus assuré; mais que sera cette fureur? Elle poussera à la persécution violente? Je n’ose dire tant mieux, car plusieurs auront peur ou seront emportés; mais au fond la persécution a ses avantages à certains jours, aussi ne suis-je pas disposé à m’effrayer autre mesure. Prenez garde, vous allez vous acharner contre l’Eglise, vous chasserez les religieux, vous supprimerez le budget. Etes- vous bien certains que l’heure de la réaction ne reviendra pas d’autant plus triomphante que vos mesures auront été plus odieuses? Si des élections arrivent, le peuple chrétien de France n’aura-t-il pas tôt ou tard son jour de victoire? et quand il aura bien constaté que vous avez insulté à ses affections les plus chères, violé tous ses droits, pensez-vous qu’il ne se retournera pas vers ceux qu’il sait capables de défendre par devoir ces droits et ces affections? Ce jour-là, je vous le déclare, votre république aura, par votre faute, fait son temps.

III. Mais je n’ai pas assez dit qu’aux yeux des jurisconsultes les lois existantes pourraient fort bien ne pas exister du tout. Et alors? Attendez quelques jours et vous verrez ce que pensent les hommes compétents. Après l’épiscopat viendra le barreau. Les esprits s’éclairent, les républicains honnêtes poussent le cri d’alarme, ils voient le nouvel édifice si plein de leurs espérances se lézarder par la faute d’hommes se disant républicains comme eux, mais par de tout autres motifs. Ils s’inquiètent, ils ont horreur de la tyrannie, et ils aperçoivent la tyrannie se montrer en carmagnole. Les marseillais mugissent, qui les comprimera?

Aussi la question de la légalité Cazot et Lepère va-t-elle s’effacer sous un coup de violence. Il n’est pas moins nécessaire de prouver que le gouvernement, poussé à l’illégal, va bientôt se précipiter dans l’iniquité. Quoi de plus rationnel? N’importe, j’estime que le fait de la violation du droit le plus fondamental au nom de lois très- équivoques est chose nécessaire, indispensable. Il faut avertir les esprits qui ne connaissent que les articles du code; mais, une fois cette besogne faite, il est urgent de bien savoir ce que veulent les hommes de mal.

Eh bien! ils veulent l’anarchie complète. L’obtiendront-ils? pourquoi pas? Ne leur a-t-on pas assez accordé? Vient l’heure où leur refuser quelque chose serait une folle prétention, car ce qu’on ne leur céderait pas, ils le prendraient.

Les couches nouvelles ont été formées à la théorie que tout moyen est bon pourvu qu’il réussisse, et si parmi leurs moyens ils ont mis la destruction de la France, tenez pour certain que la France sera détruite, et: Vive la République universelle! Quel plus magnifique avenir que la terre sans maître, coiffée d’un bonnet rouge!

Nous allons là, avec toutes les négations de la morale; voilà où aboutira la Révolution, si elle triomphe.

Saint Jérôme fait observer qu’au fond de toutes les hérésies on rencontre des femmes. Serait-ce indiscret de demander quelles femmes excitent les chefs de la Révolution, et pourquoi elles les poussent contre les religieux? M. de Maistre affirmait qu’il pourrait prédire bien des choses, avec la liste annuelle des ordinations; je crois qu’on pourrait en expliquer beaucoup en découvrant dans les crises actuelles le rôle des femmes que les hommes politiques sont embarrassés à mettre dans un salon, et je comprends pourquoi les papes ont mis une si grande importance à faire respecter le mariage légitime par les rois, quand les rois tenaient compte des avis des papes.

Me voilà un peu loin des consultations des avocats disposés à prêter main forte aux religieux menacés; mais ne suis-je pas resté dans mon sujet, en indiquant pourquoi ces consultations seraient peut-être sans effet? J’ai à montrer ce qui resterait à faire si les réponses des prudents, responsa prudentum, n’étaient pas écoutées.

IV. Avant tout ne soyons pas dupes. On nous désigne certains membres du gouvernement comme fort embarrassés, parce qu’ils ne voudraient pas trop vexer les religieux, et que pourtant ils sont contraints de les vexer légèrement, pour ne pas trop déplaire aux citoyens du radicalisme. Beaucoup ou peu, que nous importe! Ces tyrans mielleux voudraient bien ne pas trop nous serrer le cou; mais pourtant ils nous le serreront, si doucement, si doucement, avec un cordon de soie, que nous nous trouverons asphyxiés sans que nous ne nous en soyons aperçus. En serons-nous moins étranglés, si nous les laissons faire? Sauf qu’il nous faudrait peut-être avant l’opération, les remercier du charme de leur procédé. Autant vaut que le public sache que nous sommes exécutés sans forme de procès. Car pour les procès ils n’en veulent pas, et ce qu’ils redoutent le plus, c’est que nous les obligions à nous en faire.

Malheur à nous, si nous tombions dans un piège si mal préparé et où l’on se débarrasserait des religieux pris au traquenard par leur béate confiance! Non, non, mieux vaut savoir dire à ceux qui veulent en finir avec ces moines détestés: Vous êtes les exécuteurs des hautes oeuvres de la Révolution. On aura été écrasé par la violence, mais le monde apprendra que le droit était du côté des victimes.

On ne se fait pas une idée suffisante des diverses espèces d’ennemis unis contre l’Eglise. Les uns sont hypocritement modérés et parlent au nom du besoin de ne pas surrexiter le sentiment national contre la religion. L’Eglise, dans l’incendie allumé contre elle, ne doit-elle pas consentir à faire la part du feu? Sa prétention à rester toujours tout d’une pièce est par trop intolérable. Voyons, arrangeons- nous: Vous céderez, nous céderont et la paix se fera. Eh bien, non. Il est un terme après lequel l’Eglise dit par ses pontifes: Non possumus*. Persécutez, si cela vous plaît, mais nous aurons le droit de nous dire persécutés.

D’autres rêvent de la violence. Peut-être vaut-elle mieux. Quand nous aurons subi le joug de tels ou tels députés désignés pour être ministres, si certains amis de l’opportunisme sont emportés du coup, le beau malheur! n’est-ce pas leur chef qui a dit: Le cléricalisme voilà l’ennemi? Et vous voulez que nous nous affligions si les séides et le chef sont mis à la porte? Allons donc! Mais vous aurez pire! s’écrient les épouvantés. S’il faut que la crise devienne encore plus aiguë, eh bien, nous en aurons plus tôt fini. On nous traitera comme des otages. Quoi qu’en aient dit les amis des amnistiés, on sait qui est honnête et qui ne l’est pas. Et si les amnistiés sont revenus, il faudra bien que ceux qui ne demanderont jamais l’amnistie reviennent à leur tour. Encore une fois, ayons du courage et ne soyons pas dupes.

Je suppose une persécution déclarés, combien pourra-t-elle durer? Sauf quelques énergumènes, croyez-vous que le tempérament actuel de la France supporte l’effusion systématique du sang? Qu’il y ait quelques excès, c’est probable, j’ai commencé par dire que nous étions en présence de fous furieux et même enragés. Tout est possible de leur part. Mais comme les enragés peuvent se jeter sur tout le monde, tout le monde est intéressé à les mettre en lieu sûr. On sera surpris après les premières morsures de voir la quantité de gens qui s’arrangeront pour n’être pas mordus à leur tour.

Ils auraient applaudi (ces bons conservateurs), s’il ne s’était agi que de quelques Jésuites ou de quelques ignoratins; mais eux? quoi! on oserait les atteindre? Ah! pour cela ils ne le souffriront pas. Voyez bientôt tous ces bourgeois prendre leur fusil pour mettre à l’ordre eux-mêmes tous ces fauves dangereux dont la police n’a pas su les préserver.

Que les religieux ne se fassent pas non plus illusion de ce côté. Certaines couches bourgeoises sont incorrigibles, incrédules et passionnées pour le bien-être matériel; tout ce qui touche aux intérêts supérieurs est inaccessible à leur intelligence, odieux même à leurs appétits. Il leur sera impossible à tout jamais d’être les défenseurs de ceux qui prêchent la continence et la restitution du bien mal acquis. Quand on examine l’origine de leur fortune et la manière dont ils l’emploient, on fait de curieuses découvertes et l’on trouve le mot de bien des énigmes. Nous ne rencontrerons jamais par là que des alliés très éphémères, et qui, s’ils combattent certains ennemis communs, seront très ennuyés de faire les affaires de ceux dont la seule vue est une condamnation pour leur conscience prête à s’évanouir, si elle ne l’est déjà.

Quoi qu’il arrive, que les religieux ne comptent que sur les vrais catholiques. Qu’ils fassent valoir leurs droits, qu’ils s’en instruisent, qu’ils ne permettent rien de ce qui aurait une apparence illégale, mais qu’ils sachent recourir à toutes les armes que la légalité leur fournit. Elles sont nombreuses encore, et quand, pour un temps, la force primerait le droit, le droit tôt ou tard saura bien avoir raison de la force.

Mettons les choses au pire. Voilà tous les religieux chassés de leurs couvents; plusieurs sont prêtres, et toutes les fois qu’un évêque les appelle à prêcher, quatre agents de police surveillent leurs sermons et dressent des rapports à l’usage de M. le Préfet. Et puis? qu’un religieux soit traduit devant les tribunaux; il apprendra à parler une autre fois sans se compromettre. Mais s’il ne parle pas, il peut écrire, il peut agir. Les francs-maçons, par hasard, seraient-ils seuls capables de former une organisation habile? et si ces religieux si dignes de l’exécration des radicaux, affranchis d’une foule de devoirs, veulent organiser quelque association parfaitement légale, mais imprégnée des sentiments de la souffrance que vous leur imposez, de quoi aurez-vous à vous plaindre?

Vous saviez où ils logeaient, ce qu’ils faisaient, où ils allaient. Quand vous les aurez dispersés, votre surveillance sera-t-elle plus facile contre ces trouble-repos de l’opportunisme? Vous ferez des lois contre eux, mais si la conscience leur crie que ces lois sont injustes, les croirez-vous obligés de leur obéir?

Ces hommes dissous par vous, s’ils vous accusent d’être leurs ennemis parce que vous êtes trop dissolus, pensez-vous qu’ils ne trouveront pas un public pour les croire?

La France, dans son ensemble, n’a pas encore perdu les vieilles traditions pour qu’elle consente à voir dans un mariage civil autre chose qu’un accouplement, et dans un enterrement civil, que les restes d’un chien qui a vécu en chien.

Supprimez, si vous le voulez, du coeur de ces religieux proscrits le sentiment de devoirs surnaturels auxquels vous ne comprenez rien, il leur restera, et cela vous le comprenez, le sentiment des représailles, et comme aucun lien de famille ne les gêne, puisqu’ils les ont sacrifiés, ils peuvent vivre de très peu. De plus, comme, pour la plupart, quoi que vous en disiez, ils ont l’intelligence plus cultivée que la vôtre, croyez-vous qu’ils ne soient pas capables de vous créer de rudes embarras, de vous susciter de difficiles oppositions? Certains de nous journaux ont peine à vivre, parce que la question financière les gêne, un court noviciat permettra à une foule de religieux d’écrire sans être trop rétribués, et voilà toute une presse se dressant contre la vôtre et s’inspirant de la verve des persécutés. Vous ne leur auriez pas permis de prêcher, ils écriront, et un peu mieux que vous.

On a beau dire, si la persécution a pu rendre intéressants à certaines gens les déportés de Nouméa, pensez-vous que le sens français ne trouvera pas mille et mille fois plus intéressants ces hommes honnêtes, austères, laissant les places aux ambitieux, faisant en si grand nombre le voeu de repousser toute dignité, tout honneur humain, se dépensant pour les pauvres, pour les souffrants, pour l’enfance, avec une parcimonie de traitement qu’explique seul leur voeu de pauvreté? -Je vous le dis, ils attireront l’intérêt, et comme vous ne les persécutez qu’à cause de la religion qu’ils défendent et que vous haïssez, l’intérêt qu’ils exciteront, chaque jour plus sympathique, remontera jusqu’à la religion, dont ils sont les fils et les soldats dévoués. Vous aurez atteint tout le contraire de votre but.

Supposons encore que les moyens légaux échappent aux catholiques défenseurs des congrégations religieuses. Que restera-t-il? Qu’après tout, ces congrégations proscrites ne sont qu’un prétexte pour attaquer la religion elle-même, dont elles sont, quoi qu’on dise, la plus magnifique floraison. Derrière les ordres religieux, c’est l’Eglise que vous entendez frapper. Nous le savions, et vos journaux nous le disaient assez depuis quelque temps pour que nous en soyons convaincus.

Donc il s’agit de l’Eglise et de son essence même, il s’agit de tous ceux qui sur le sol français n’ont pas renié leur baptême.

Voyez-vous jusqu’où va la crise? Espérez-vous poser un bandeau sur les yeux des catholiques? Mais c’est vous-mêmes qui l’arrachez à ceux qui pourraient l’avoir conservé encore. Il n’y a plus que deux situations: ne plus croire et passer dans vos rangs; croire et se conduire en vrais chrétiens.

Eh bien, sachez-le, malgré tous les transfuges que nous vous abandonnons sans peine, parce qu’après tout ce sont des renégats, nous conservons assez de vrais croyants pour avoir une armée formidable, prête à combattre avec les armes qui lui sont propres.

Quelles sont ces armes? dit bien vite quelque sans-culotte, épouvanté à la pensée que des chrétiens peuvent avoir des armes, et qui se sent déjà atteint par quelque balle de revolver.

Rassure-toi, citoyen sans-culotte. Nos armes ne sont ni le pétrole, ni le fusil de la Roquette, ni le canon de la Commune; nos armes, tu ne les connais pas, tu t’en moqueras quand on te les aura nommées: nos armes sont la prière, le jeune et l’aumône. Penses-tu pouvoir empêcher les chrétiens de se mettre à genoux dans leur chambre, si tu leur défends, comme en 93, d’aller à l’église? penses-tu pouvoir t’opposer à ce qu’ils mangent et boivent moins, pour donner un peu plus à ceux qui n’ont rien à manger et à boire? Voilà, par exemple, de quoi te surprendre, cher pilier de cabaret, car toi et les tiens vous n’avez pas tous comme votre chef un trompette à vos fourneaux. Ces religieux étaient sobres par l’effet de leur règle. Bon sans-culotte, tu vas les forcer à l’être encore plus par l’effet des persécutions dont tu seras le manoeuvre peut-être inconscient. Eh bien, vois-tu, quoi qu’en dissent les journaux qui t’empoisonnent l’esprit et le coeur, beaucoup de gens les aiment, se priveront pour eux, et ce sera une oeuvre méritoire; on aura jeûné pour les faire vivre, en leur donnant l’aumône; mais cette aumône, qui comptera aux yeux de Dieu, n’inspirera pas, je te le déclare, un grand amour pour ta république.

Je laisse mon sans-culotte et même les gens qui, avec des culottes, ne valent pas mieux que lui.

Je me tourne vers les croyants et je leur dis: La guerre aux Religieux n’est qu’une manoeuvre pour cacher le but de l’attaque; la guerre vraie est dirigée contre l’Eglise entière. Démasquons le piège et disons aux anticléricaux: Vous êtes des impies, vous pourrez avoir, un temps, la violence à votre côté. Du nôtre, nous aurons Dieu, que nous forcerons à se lever à force de prières, de pénitences et d’aumônes.

Riez tant qu’il vous plaira, libres-penseurs, opportunistes et radicaux; on est fort quand on a Dieu pour soi, et l’on obtient son appui en employant les moyens indiqués par lui- même.

Ils sont à la disposition de tous les chrétiens, et nous savons que cette agitation très loyale s’organise. Nous voulons contribuer à l’accroître par tous nos efforts. Nous verrons qui, parmi les ennemis de Jésus-Christ, pourra l’empêcher, et quand elle sera devenue universelle en France, nous pourrons demander quelles circulaires ministérielles, quels décrets, quelle loi de proscription empêcheront la crise d’aboutir un jour ou l’autre au triomphe de l’Eglise de Dieu.

Un mot encore. La Révolution semble vouloir recommencer Babel et sa confusion. N’apercevez-vous pas les embarras opportunistes? Voici les socialistes voulant sans doute la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et en même temps réclamant la liberté d’association même pour les Jésuites. Que dites-vous de M. Henry Maret, posant en protecteur des fils de saint Ignace pour faire pièce à M. Gambetta? Cela tiendra-t-il? peut-être. Dieu a si souvent envoyé le salut du côté d’où on l’attendait le moins.

De son côté, M. de Freycinet conjure les évêques, ou, si vous préférez, des évêques de lui envoyer des congrégations qui aient confiance en lui. Ceci est absolument certain; fiez-vous-y. Ah! M. de Freycinet, vous avez fait des menaces, nous sommes près de les voir se réaliser à notre détriment, mais vous aurez à porter la honte des exécutions dont vous vous serez chargé, si on vous en laisse le temps, et alors vous vous rappelerez le mot de M. de Montalembert: « Il y a quelqu’un au-dessous du bourreau, c’est son valet. »

E. d'Alzon, des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum
1. Le dernier discours de L'éon XIII aux pèlerins français prouve que l'auteur de l'article était dans le vrai.