ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.105
  • ARTICLES
  • LA VIE DES SAINTS.
  • La Croix, I, mai 1880, p. 20-25.
  • TD 9, P. 105; CO 178.
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 BON EXEMPLE
    1 BONTE
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DEVOTION AUX SAINTS
    1 DOUCEUR DE JESUS-CHRIST
    1 EGLISE CELESTE
    1 EGLISE MILITANTE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FOI
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LECTURE DE LA VIE DES SAINTS
    1 LIBRE PENSEE
    1 MARTYRS
    1 MAUVAISES LECTURES
    1 MIRACLE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 RATIONALISME
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SAINTS
    1 SATAN
    1 SCEPTICISME
    1 TRADITION
    2 BENOIT, SAINT
    2 CHARLES BORROMEE, SAINT
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 FRANCOIS XAVIER, SAINT
    2 LOUIS BERTRAND, SAINT
    2 MOISE
    2 ROSE DE LIMA, SAINTE
    2 THERESE, MADEMOISELLE
    2 TURIBE-ALPHONSE, SAINT
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
  • mai 1880.
  • Paris
La lettre

Que les Saints soient aujourd’hui une gêne considérable pour bon nombre d’esprits, qui le niera? Ils gênent les amis du plaisir avec leur morale sévère; ils gênent les ennemis de l’Eglise, dont ils sont un si bel ornement; ils gênent surtout les libres penseurs, qui ne veulent pas entendre parler du monde surnaturel. Quelles immenses légions se dressent contre les Saints!

Cependant il faut en prendre son parti, les Saints sont un fait, et ils sont en même temps une trop grande gloire pour l’humanité déchue, une trop grande force pour l’Eglise, une trop irréfutable manifestation du surnaturel, pour que les chrétiens doivent jamais consentir à les abandonner aux haines des méchants incapables de les imiter.

J’estime qu’il faut plus que jamais les mettre en honneur, et que la vie des Saints est un des plus grands et des plus paisibles enseignements que l’on puisse offrier à une masse de lecteurs impuissants, ou trop portés aux ébranlements funestes qui résultent de certains ouvrages.

I. Quand, par la lecture de la vie des Saints, on suspendrait les flots de mauvaises lectures qui sont à chaque instant versés sur les imaginations pour les exciter de la façon la plus malsaine, ne serait-ce pas déjà un très grand bien? Que de malheureuses lectrices rendues incapables d’aucune lecture sérieuse, parce que les romans les ont épuisées! On a demandé des surexcitations à une littérature de plus en plus sensualiste, comme l’homme à qui le vin ne suffit plus a besoin pour s’enivrer des plus fortes liqueurs. Qu’arrive-t-il? ce qui arrive aux sauvages du nouveau monde quand ils se sont abrutis avec l’eau de feu. L’oeil éteint, les membres affaissés, l’intelligence engourdie, ils ne sont plus capables ou que des fureurs les plus effrayantes ou que d’une atonie qui les pousse à la stupidité; triste image de la dégradation de ces êtres au coeur corrumpu, à l’intelligence presque hébétement nouveau et une corruption nouvelle. Fumez donc de l’opium, vous en aurez plus tôt fini!

Il faut réagir contre cet affaissement des âmes, causé par des lectures trop souvent immondes; après ces égarements de l’imagination, après ces heures de paresseuses rêverie, il ne reste que l’ennui des plus simples devoirs, l’incapacité d’aucun effort généreux, l’impossibilité de toute lutte devant les dangers et les combats les plus importants de la vie.

II. La connaissance des Saints transporte dans un monde nouveau, le monde de la bonté. « Mon Dieu, s’écriait saint Vincent de Paul, que vous devez être bon, puisque M. de Genève l’est tant! » A bien peu d’exceptions près, ce reflet de la bonté divine illumine presque toutes les physionomies des Saints; il sortait de Jésus-Christ pendant sa vie mortelle une attrayante vertu: nul homme, disait-on, ne parla jamais comme cet homme.

A une distance très grande, sans doute, il en est de même des Saints. Le Fils de l’homme fut crucifié, et ce fut par la croix, symbole suprême de sa bonté qu’il attira tout à lui. Les martyrs étaient bien souvent les victimes de la rage populaire, et pourtant du haut des bûchers, du milieu de l’arène des amphithéâtres, sous le glaive des bourreaux, que de chrétiens n’attiraient-ils pas? On en a vu par centaines demander le supplice, au spectacle d’un martyr expirant. Dieu donnait à ses témoins la puissance de se faire aimer et imiter, en les rendant très bons pour ces hommes accoutumés à la dureté de leurs maîtres, à la haine de leurs semblables et à l’égoïsme incapable de croire au dévouement.

C’est la bonté qui conquiert les âmes, c’est la bonté qui les excite au bien après les avoir arrachées au mal. Voyez ces Saints qui étaient bons, même envers les animaux, et qui commandaient aux êtres dépourvus de raison par une fascination qui n’avait d’autre secret que la puissance surnaturelle de leur bonté.

Je parle des effets de la bonté, mais où en faut-il chercher le principe, sinon dans le sentiment d’humilité qu’éprouvent les Saints en pensant à leurs péchés et qui les rend miséricordieux pour les autres, mais aussi dans le sentiment de la bonté patiente avec laquelle Jésus-Christ les a traités! Leur coeur, quand même il n’eût pas été rendu bon par de premières faveurs du ciel, le serait devenu par reconnaissance pour la mansuétude du Sauveur è leur égard.

III. Cette bonté tombant sur des âmes capables de la comprendre les amollit et les assouplit pour le bien. De même que les saints sont reconnaissants des bienfaits de Notre-Seigneur, de même il s’établit comme un courant de reconnaissance de la part des chrétiens envers leurs frères couronnés dont ils éprouvent les bienfaits, et de là aussi le culte des Saints auquel l’Eglise donne son caractère particulier.

Les Saints aiment les chrétiens encore sur la terre, et les chrétiens aiment les Saints déjà arrivés au ciel. Quel est donc ce commerce ineffable entre les exilés d’ici-bas et les habitants de la patrie? si les Saints n’exauçaient pas, sinon toujours, du moins souvent, leur invocation persisterait-elle depuis le berceau de l’Eglise? Le désespoir et le découragement se seraient emparés de leurs clients, on les aurait délaissés comme des protecteurs inutiles. Pour que la prière persévère, il faut qu’elle cueille quelques fruits de ses instances et qu’on en éprouve l’utile crédit. Le scepticisme ironique a beau formuler son opposition sous forme de plaisanteries ou d’objections spécieuses, la foi reste toujours, et quand elle s’ébranle, on peut dire que le mal va devenir grand sur la terre.

Mais si elle me semble fléchir chez quelques âmes obscurcies par les vapeurs du doute, on peut constater sans hésitation un réveil, un effort pour renouer cette chaîne mystérieuse entre le ciel et la terre; les Anges et les Saints descendent encore pour recueillir nos prières, ils remontent pour les porter vers le trône de Dieu; l’incrédulité fait ses ravages, mais la foi semble recommencer avec des allures plus franches ses affirmations et ses conquêtes. Il y a plus de blasphèmes dans le camp de Satan, il y a plus de supplications dans celui de Jésus- Christ; le puits de l’abîme est peut-être plus large ouvert, mais le ciel l’est aussi et les serviteurs de Dieu savent qu’il a donné à son Fils pouvoir sur toute la terre.

IV. Ce commerce entre l’Eglise qui triomphe et l’Eglise qui combat, apprend peu à peu aux membres de celle-ci à s’élever du côté où les générations présentes fixent en général beaucoup trop peu leurs regards. Je ne sais à quoi il faut attribuer chez tant de chrétiens l’oubli de surnaturel; ou plutôt il faut y voir l’effet de la réforme protestante, qui, sous prétexte de maintenir les droits de Dieu, a voulu supprimer ceux que Jésus-Christ avait accordés à ses plus parfaits serviteurs, et aussi le fruit du rationalisme, fils de cette triste réforme qui à son tour a jugé que Dieu se mêlait beaucoup trop des affaires humaines, jusqu’à ce qu’on en soit venu à déclarer que, ne s’en mêlant pas du tout, il ne devait plus être compté pour quoi que ce soit dans le gouvernement du monde.

De là à nier Dieu et à en expulser la pensée de partout, il n’y a qu’un pas.

C’est contre ces extrémités impies qu’il importe de protester, et l’un des moyens les plus efficaces est de montrer combien Dieu est admirable dans ses Saints, dans l’assistance qu’il leur a prêtée pour leur perfection ici-bas, dans les merveilles qu’il a accomplies par eux pour prouver sa puissance et sa bonté, dans la gloire dont il les comble et dont il envoie comme les rayons jusqu’à la terre quand il accorde des miracles à leur intercession. Ainsi, en face des lois de la nature, apparaissent les lois de l’ordre surnaturel, et celles-ci forcent de temps en temps les premiers à subir des déviations pour montrer que Dieu est le maître suprême, même des lois qu’il a promulguées.

Or il y a dans cette proclamation des miracles la manifestation d’un pouvoir tel qu’il fait rugir l’enfer. Lorsque Moïse changea sa verge en serpent, les magiciens de Pharaon en firent autant avec les leurs; seulement le serpent de Moïse dévora les autres. D’autres prodiges furent accomplis des deux côtés, jusqu’à un moment où les magiciens furent obligés de lui dire: Le doigt de Dieu est ici, Digitus Dei est hic. C’est ce que nous voyons encore. Si la science moderne ne fait pas de miracles, ou bien elle les nie, ce qui est plus commode, ou elle prétend les expliquer par des effets physiques, pathologiques, que sais-je encore! A quoi n’a-t-elle pas recours! la doctrine du miracle semble à jamais évincée, et tout à coup elle reparaît sous les formes les plus multiples, et tandis que certains savants poursuivent leurs négations, les foules et des savants, d’aussi bon aloi que les négateurs de Dieu, poursuivent, preuves en main, leurs affirmations victorieuses.

La lecture de la Vie des Saints montre la longue tradition des faits surnaturels et soutient la foi des temps présents, comme le récit incontestable des miracles modernes prouve d’une manière triomphante que ce qui est aujourd’hui a pu être dans les premiers temps de l’Eglise.

A l’origine les miracles étaient une preuve de la foi, aujourd’hui ils en sont une confirmation. Ils ne sont pas cela seulement, ils nous montrent à côté de ces extraordinaires secours accordés aux corps, ce que Dieu fait dans le monde invisible pour les âmes, les forces qu’il leur procure pour guérir leurs maladies morales, pour les ressusciter même si le péché leur a donné la mort. A vrai dire, les miracles ne sont que la partie inférieure de l’ordre surnaturel, et l’on peut dire aussi de cet ordre ce que saint Paul dit du monde de la nature: Invisibilia ipsius, a creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur.

Un grand intérêt que l’incrédulité moderne rencontre à ne pas vouloir accepter les Saints, c’est que les Saints, par ce qu’ils montrent de surhumain dans leurs actes, prouvent que la société dans laquelle ils ont vécu et dont ils se sont déclarés les enfants, est une vraie société entre Dieu et les hommes. Mais si cette société est vraie, ses enseignements le sont aussi et ses lois sont bonnes. Or vous voyez aussitôt les conséquences: si les dogmes catholiques sont démontrés par les preuves qui leur conviennent, si les lois qui en découlent sont légitimes, il faut revenir à la vieille foi; est-ce possible? Et l’orgueil moderne peut-il se prêter à une pareille humiliation? Ecartez, écartez ces preuves importunes d’un dogme odieux, ne laissez pas rétablir les lois de cette Eglise dont on se croyait affranchi; ah! rejetez dans les nuages de la légende tous ces faits prodigieux, embarrassants pour la raison moderne, et laissez-nous estimer que le joug si gênant des prescriptions de l’Eglise et de sa morale intolérable est à jamais rompu pour l’humanité maîtresse de sa liberté.

On pourrait peut-être répondre que si les faits sont vrais, si les saints ont, à l’exemple de Jésus-Christ, continué à faire des miracles à travers la longue suite des siècles, comme ils en avaient fait avant l’apparition du Sauveur du monde, ce ne sont ni les négations des savants modernes ni leurs analyses chimiques qui pulvériseront ces masses de témoignages, dont le bruit retentit sans cesse aux oreilles des uns pour les irriter, des autres pour les fortifier, les éclairer, les consoler. Car, remarquez-le bien, on a parlé de légendes: on peut sans aucune difficulté renvoyer bien des faits non prouvés au monde légendaire; qu’en conclure? que la foi a dépassé certaines limites? Ce serait un grand mal, si des montagnes de miracles irréfutables n’étaient pas là pour montrer la raison d’être de la légende elle- même. La légende aurait les plus graves inconvénients, si elle était autre chose qu’un rayonnement exagéré de la lumière projetée sur la foi par les miracles. Par ce côté, abandonnez la légende, les miracles resteront toujours, et cela nous suffit.

Mais on peut nier que la légende soit autre chose qu’un acte de foi au miracle. Dieu a fait des miracles incontestés; pourquoi la piété, sans fouiller dans les preuves juridiques, scientifiques, ne supposerait-elle pas que Dieu a pu en faire par la main des Saints un plus grand nombre de la même nature? Si Dieu a pu faire les uns, pourquoi n’eût-il pas pu faire les autres? Ah! si vous ne voulez voir dans le miracle que l’argument divin de la vérité de nos dogmes, vous avez mille fois raison, soyez impitoyable dans l’examen des miracles. Mais les miracles des Saints ne sont pas seulement une preuve pour la foi, c’est, je l’ai déjà dit, une joie pour l’amour reconnaissant des bienfaits extraordinaires de Dieu. Pourrez-vous jamais établir la série complète des miracles opérés depuis que Notre-Seigneur a semé les saints sur la terre? Evidemment non. Ne vous troublez donc pas à ce point si, dans un élan de gratitude, la légende ajoute quelque chose pour suppléer à tout ce que l’on ne connaît pas des trésors célestes versés en miracles sur la terre. La sécheresse janséniste peut vouloir les plus scrupuleuses discussions, je ne n’y oppose pas s’il s’agit de controverse; mais si, comme Notre-Seigneur l’a dit, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, afin que quiconque croit en lui soit sauvé;, pourquoi ne pas dire: Dieu a tant aimé le monde qu’après son Fils ils a donné les Saints et leurs miracles pour continuer son oeuvre!

Tous les miracles de Jésus-Christ sont loin d’avoir été racontés dans l’Evangile, de même tous les miracles des Saints ne sont pas énumérés dans leur vie. Que sur les limites du vrai et de l’imagination il y en ait quelques-uns de douteux dans l’histoire des serviteurs de Dieu, qu’importe? il en restera toujours assez de certains pour appuyer notre foi, et quant aux autres, nous dirons avec saint Jean: Pour nous, nous avons cru à l’amour de Dieu pour les hommes; et l’amour dans ces matières n’épluche pas le plus ou le moins en face d’un Dieu qui peut tout.

Voilà l’esprit dans lequel il faut lire ces récits. L’Eglise ne s’applique pas, lorsqu’il s’agit de placer un saint sur des autels, à constater avant tout les miracles, mais l’hédroïcité des vertus, les miracles suivent; car on est moralement certain d’en trouver, quand un chrétien a pratiqué pendant sa vie des vertus élevées jusqu’à l’héroïsme.

VI. En effet, l’un des plus beaux triomphes de l’Eglise est de montrer l’idéal du grand, du beau, du juste, dans les merveilleuses figures de ceux de ses enfants qu’elle propose à l’admiration des peuples et à leur invocation. C’est là un secret que cette épouse du Christ a seule possédé. Où avez-vous rencontré hors de l’Eglise la mémoire d’hommes disparus depuis des siècles et que l’on aime encore d’une pieuse et tendre affection? Leur souvenir se poursuit et se conserve à travers les générations comme un parfum impérissable. On les invoque, on les prie au ciel où ils sont arrivés et d’où ils nous envoient les grâces obtenues de Dieu pour nous, ils nous forcent à lever la tête et à attirer en nous l’espérance. Leur secours se fait sentir selon les dispositions de cette providence surnaturelle qui veille sur les chrétiens, comme l’autre providence veille sur les hommes et sur l’univers.

Or il est impossible de pénétrer dans ce monde supérieur sans se sentir saisi de je ne sais quelle impression de joie, d’enthousiasme, de respect, à la vue de ce que Dieu a fait de la fange humaine, souillée par le péché, mais repétrie pour une nouvelle création avec le sang de son Fils. Ce Fils est l’homme parfait, il a plu à son Père de faire habiter dans cet objet de toutes ses complaisances la plénitude de toutes les perfections, omnem plenitudinem, et quand Jésus-Christ les a toutes résumées à un degré inimitable en sa personne divine, on dirait qu’il les prend dans son coeur et les jette en les dispersant sur la pauvreté des hommes, de telle sorte que chacun en reçoive une parcelle qui suffira pour en faire un saint, et chaque saint ayant reçu une parcelle différente, tous seront parfaits, mais reproduiront à des degrés et sous des aspects divers la perfection du modèle commun, et, selon l’expression de Bossuet, de cet homme universel qui est Jésus-Christ.

Etudiez tant qu’il vous plaira, vous serez forcé de constater ce prodige: pas un saint qui ressemble entièrement à un autre, et tous pourtant ressemblent à Jésus-Christ. Ils ont tous quelque chose du chef divin de cette famille inconnue jusqu’alors: tous en reproduisant les traits humbles, forts, pleins de douceur, d’amour, d’ardeur, de désintéressement, exprimant le don de soi- même dans le sacrifice, le défi sans fierté jeté à la douleur et à la mort, tous portent un reflet de la perfection idéale du type unique.

Voilà un apôtre. Quoi de plus obscur et de plus inculte! il ouvre la bouche et l’on sent que la parole de Dieu a passé sur ses lèvres. Après eux viendront les missionnaires; par eux se continuera la génération des martyrs. Leurs pieds sont beaux sur la montagne comme ceux des anges quand ils évangélisent la paix et le bien suprême, le salut. Ne dites pas qu’il n’y a plus d’apôtres. Voyez-vous sur les bancs d’une école ecclésiastique ce jeune homme timide, embarrassé, peu remarqué de ses camarades; pourtant quelque chose lui brûle le coeur, la soif des âmes, le feu du sèle. Il ira enseigner un jour à la suite d’un évêque, à qui le successeur de Pierre aura donné quelque diocèse à fonder, sans bruit, sans jactance, et à quelque temps de là les habitants de son village apprendront que les sauvages, les mandarins de la Chine ou de la Corée ont pris son sang, en échange de la foi qu’il leur apportait.

On dit qu’en 1878 seulement la France a silencieusement donné vingt-neuf de ces martyrs à l’Eglise. Eux du moins, ils ne prenaient pas, il se donnaient.

Que dire des grands évêques, des moines, des vierges, dont l’immense cortège se déroule à travers les générations parties du Calvaire pour proclamer la bonté et la beauté idéale de Jésus-Christ? Je crois bien qu’on peut donner à la société chrétienne ce témoignage que nulle autre société n’a eu, comme elle, le privilège des Saints. Pourquoi leur culte s’en va-t-il en tant de pays? La réponse est facile. Les hérétique n’ont pas de saints et ne veulent pas permettre aux catholiques d’en avoir. Laissons ceux qui ne sont pas de notre race dénigrer nos modèles, puisqu’ils ne sauraient en offrir qui atteignent la sublimité des nôtres; pour nous, souvenons-nous que nous sommes les fils des Saints, honorons nos pères, aimons-les, et que l’ardeur de les imiter nous donne le courage de devenir ce qu’ils ont été.

VII. Ce serait une tentation bien dangereuse que de se laisser aller à la pensée que les Saints diminuent, que le sang qui les fait germer depuis la croix s’est appauvri, et qu’il est bien inutile de travailler à en préparer de nouvelles générations. Sans doute il est de tristes époques où le saint semble manquer, defecit sanctus, époque où il faut crier vers le ciel avec plus d’énergie. Ainsi faisait le Psalmiste. Mais que Dieu se réserve toujours de vaillants serviteurs qui ne consentent jamais à fléchir les genoux devant Baal, cela se voyait sous l’ancienne loi, cela se voit et se verra toujours sous la loi nouvelle.

Maintenant qu’il y ait en des époques privilégiées, je l’avouerai sans peine. Voyez aux premiers siècles l’époque des martyrs, puis celle des saints docteurs, celle de S. Benoît, de S. François, de S. Dominique. La réforme protestante produisit la plus heureuse réaction; Quand les membres corrompus de l’Eglise s’en furent séparés, quelle magnifique floraison n’eut pas lieu! que de fruits de sainteté ne se manifestèrent pas dans l’ancien et le nouveau monde, depuis S. Charles à Milan jusqu’à S. Thuribe au Pérou, depuis Ste Rose de Lima jusqu’à Ste Thérèse, depuis S. François de Sales et S. Vincent de Paul jusqu’à S. François Xavier et S. Louis Bertrand! Le lecteur entendra prononcer peut-être pour la première fois quelques-uns de ces noms. Pourtant ceux qui les portèrent furent de vrais héros, et l’Eglise semble elle-même embarrassée à poser de nouvelles couronnes sur tant de têtes qui les méritent;, c’est que les saints ne travaillent pas pour l’histoire, ils se contentent de semer ou de moissonner pour le ciel; qu’importe qu’à leur dernier soupir leur mémoire doive jeter quelque bruit à la terre, pourvu que leurs noms soient inscrits par l’ange du jugement sur le livre de vie!

Si chaque époque a eu des saints avec leurs types particuliers, conformes aux temps à traverser, aux erreurs à combattre, aux besoins à soulager, à l’idéal à réaliser, je ne crains pas de dire que l’Eglise, bien éprouvée sans doute, se prépare à enfanter de nouveaux saints. Ce sera après la révolution comme après la réforme. La réforme n’est pas entièrement morte, mais nos saints survivront à son dernier soupir. La révolution elle aussi aura son déclin; faites place aux saints qui se préparent, qui peut- être sont déjà nés. L’Eglise, toujours la même, passe par des phases diverses. On la persécute aujourd’hui, demain elle enfantera, soyez-en assurés.

Mais un effort commun peut préparer ce nouvel état de choses: c’est l’effort pour imiter les Saints. Or pour les imiter il faut les connaître; telle est la raison de la publication de nos Vies de Saints. Puissent-elles inspirer quelques bons désirs de suivre le chemin parcouru par ces admirables devanciers. Dieu veuille bénir nos essais. D’autres, après ces esquisses très imparfaites, fouilleront dans les mines inépuisables de nos annales. Puisse un plus grand amour des Saints produire une plus grande ardeur pour la sainteté, et l’espoir qu’atteindre un si haut sommet, Dieu aidant, n’est pas impossible aux chrétiens!

Emmanuel D'ALZON des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum