ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.139
  • ARTICLES
  • SAINT PIERRE ET SAINT PAUL.
  • La Croix, I, juillet 1880, p. 187-190.
  • TD 9, P. 139; CO 181.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 AUTEL
    1 AUTORITE PAPALE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 DROITS DE DIEU
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ESPRIT D'INITIATIVE
    1 GOUVERNEMENTS ADVERSAIRES
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 LEGISLATION
    1 LOI DIVINE
    1 MARTYRS
    1 MIRACLE
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 PAGANISME
    1 PAPE
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PERSECUTIONS
    1 PREDICATION
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 SAINTS
    1 VENERATION DE RELIQUES
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VOL
    2 CAZOT, JULES
    2 CHARLEMAGNE
    2 CLOVIS
    2 CONSTANS, JEAN-ANTOINE-ERNEST
    2 DANTON
    2 FERRY, JULES
    2 FREYCINET, CHARLES-LOUIS DE
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 SYLLA
    3 DAMAS
    3 FRANCE
    3 GENESARETH, LAC
    3 JERUSALEM
    3 ROME
    3 TARSE
  • juillet 1880.
  • Paris
La lettre

Lorsque Jésus-Christ envoya ses apôtres prêcher sa parole à travers le monde, il leur dit: Si me persecuti sunt, et vos persequentur, s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront; et la persécution subie par Jésus-Christ étant allée jusqu’au trépas, il était logique que celle préparée aux disciples fût terminée aussi par l’effusion de leur sang.

C’est bien ce que l’on vit, et, sauf le disciple bien-aimé survivant par miracle au plus affreux supplice, tous durent apporter le témoignage de la souffrance et de la mort à la résurrection du Sauveur et à la diffusion de l’Evangile à travers les nations. Cela dura autant que les apôtres et se renouvela par leurs successeurs. Cela dure encore et se prolongera jusqu’à la fin des temps.

On ne sait pas assez comment se sont formées les marches du trône pontifical, avec les pierres tombales de près de quarante premiers papes, qui prévoyaient à leur élection que leur sort serait celui de saint Pierre; leur témoignage, c’est-à-dire leur martyre, les dévouait à la mort violente, précédés des supplices inventés par les persécuteurs. Autour des papes, se rangèrent, à Rome seulement, des millions et des millions de martyrs; il en était de même partout.

Mais au dessus de ces innombrables légions de combattants d’une nouvelle espèce, apparaissent deux chefs principaux: Pierre et Paul qui travailleront plus que les autres envoyés divins et dont le supplice sera plus triomphal. A peine la parole de Pierre a-t-elle retenti à Jérusalem, que les princes des prêtres s’émeuvent et qu’on lui signifie d’avoir à se taire. Pierre ne tient aucun compte de la défense et il va prêcher, convertir, baptiser, communiquer le Saint-Esprit, guérir les malades au nom de Jésus-Christ, que vous avez crucifié, dit-il aux Juifs. On le rappelle devant le conseil de la nation, on lui demande raison de sa désobéissance: « Jugez vous-mêmes s’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. » Et voilà que commence la lutte désormais immortelle, entre la légalité et les droits de la conscience, entre la loi de Dieu et la révolte de l’homme. Elle avait déjà commencé plus tôt, mais à partir de la Pentecôte, elle s’accentue et se précise plus nettement. Or, si ce qui est supérieur doit l’emporter sur ce qui est inférieur, il est facile de prévoir l’extrême issue de cette guerre.

Après Pierre, ou plutôt à côté de lui, un jeune homme, ardent, sincère, prêt à tous les travaux pour le triomphe de la foi de ses pères, commence à persécuter l’Eglise naissante; puis, tout à coup, terrassé par une force divine, il se transforme et devient un si zélé propagateur de l’Evangile, qu’il sera appelé l’Apôtre des nations.

Voilà les princes des apôtres, Pierre à qui Jésus-Christ a confié les clefs des cieux pour les ouvrir et les fermer, Paul renversé sur le chemin de Damas, prêchant partout que Jésus est le vrai Messie.

Ils iront ainsi, parcourant le vieux monde, jusqu’à ce que se rencontrant dans la capitale de l’empire romain, ils rendent leur témoignage à Jésus-Christ par des supplices divers, et scellent leur foi avec leur sang par leur mort.

N’oublions pas qu’ils annonçaient des doctrines étranges, la résurrection des morts, un jugement final, la nécessité de ne pas voler comme les proconsuls, d’être chastes comme ne l’étaient pas les vieux Romains. Saint Pierre porta l’audace jusqu’à pousser à la virginité de jeunes chrétiennes nées dans le palais de Néron. C’était trop fort, il fallait châtier une si insolente témérité; elle le fut, mais la notion de la chasteté chrétienne, bien plus haute que celle des vestales, avait pris pied dans la capitale des Césars. Elle devait s’y affermir, et se propager, malgré les clameurs du paganisme ancien, comme du sensualisme nouveau, jusqu’aux extrémités de la terre. La vertu évangélique affranchit l’âme des ténèbres de l’erreur, et les sens de la tyrannie des passions.

J’ai toujours pensé que si l’Eglise, tout en reconnaissant à saint Pierre la supériorité hiérarchique, a voulu lui associer saint Paul, c’est qu’il y avait dans les annales ecclésiastiques une association d’un autre genre dont ces deux apôtres seront à travers les siècles l’impérissable symbole. Pierre, par ses successeurs, siège à Rome et y gouverne le monde baptisé; Paul, dont les cendres reposent hors de la ville éternelle, semble avoir envoyé son ardeur de propagande à la France. Qui plus que la France a pris au loin les intérêts de l’Eglise, depuis Clovis et Charlemagne? Qui a plus fait dans la suite, pour aider les missionnaires chargés de porter l’Evangile en tout lieu? Qui jusqu’à nos jours a pris avec plus d’amour la défense du Saint-Siège? D’où vient le denier de Saint-Pierre plus abondant? Saint Paul, de son temps, préparait des aumônes pour Jérusalem. Personne plus que lui peut-être, avec sa mission extraordinaire, n’imposa les mains à plus d’évêques dans les diverses régions que ses pas ont foulées.

Nous voyons les deux grands prêtres se placer une fois à des points de vue différents sur une question de détail, mais quelle union dès que le danger apparaît, et qu’il faut soutenir de concert et jusqu’au dernier souffle le poids de la persécution.

La dépouille de Pierre sera déposée dans la ville éternelle, aux jardins de Néron; ce sera la pierre sur laquelle Jésus- Christ bâtira son Eglise; les os de Paul seront honorés hors des murs, comme pour montrer que son apostolat ne reconnaît aucune enceinte, et que si Pierre doit rester à Rome pour y continuer le crucifiement de Jésus, Paul, par les missionnaires qui marcheront sur ses pas, doit être prêt à se faire immoler partout où il y aura du sang à verser pour répandre la foi.

C’est ce magnifique travail, double dans ses moyens, un dans son but, que nous prêche la vie des deux apôtres, l’autorité et l’initiative. Saluons l’autorité assise sur la chaire de Pierre, obéissons-lui avec amour. Imprégnons-nous de l’activité dévorante de Paul et rappelons-nous, que quand son apostolat apparut, les obstacles étaient bien autrement grands que de nos jours et que pourtant il les renversa, jusqu’au moment où la hache du lecteur en tranchant sa tête donna une puissance nouvelle à ses prédications et à ses écrits inspirés.

Pierre et Paul n’ont pas été les premiers martyrs. Etienne les avait précédés, et Paul, encore adolescent, avait participé à son supplice; mais le tombeau de Pierre fut en quelque sorte le premier autel où furent déposés les reliques des martyrs. A partir de ce jour, leur sépulture fut souvent placée sous l’autel, mais toujours fallut-il que quelques reliques des martyrs fussent déposées dans la table de pierre ou de marbre, sur laquelle on consacre le corps et le sang de Jésus-Christ.

Cette règle a une immense valeur, car chaque fois qu’un prêtre monte à l’autel et commence le sacrifice, il doit baiser l’endroit où reposent les reliques sacrées, comme pour témoigner que lui aussi est prêt à verser son sang comme les martyrs ont versé le leur pour la défense de la vérité et de la loi divine. Grand enseignement et grande protestation contre le mensonge de la loi humaine et de tout ordre légal, quand cet ordre et cette loi sont en opposition avec la loi de Dieu!

Nous revenons aux premiers temps de l’Eglise, nous avons devant nous des ennemis non moins furieux, non moins irréconciliables, seulement plus modérés en apparence, parce qu’ils sont plus habiles. Question d’hypocrisie; mais la persévérance haineuse y est toujours. Toutefois, si l’expérience a servi au camp adverse, nous aussi avons su en profiter, et nous avons fort bien vu ce que pouvaient l’union et le courage. L’union se fait, le courage s’affirme; ajoutez que l’on voit chaque jour où est le véritable talent.

Danton était un abominable coquin, mais sa grande voix avait quelque supériorité sur la grosse voix Cazot. Est-elle grosse? L’excellent M. de Freycinet n’est pas fort comme orateur, et ce ne sont ni M. Ferry, ni M. Constans qui remplaceront les grands ministres d’il y a neuf ans. Dans leur impuissance intellectuelle, ils ne peuvent s’en tirer que par la violence. Ce sera la répétition de Sylla multipliant les proscriptions, à mesure qu’il se sentait plus dévoré par les insectes sortis de son corps. Mais Sylla mourut de ses insectes, et les proscriptions ne l’en sauvèrent pas. De quoi pourront bien mourir nos ministres?

Quant à nous, peu importe. Les religieux vont être proscrits, on a trouvé des lois existantes pour les condamner à mort. Seront-elles appliquées? pourquoi pas? quand on entre dans la voie des persécutions, pourquoi s’arrêter? M. Cazot ne serait en cela qu’un plus fidèle imitateur de Danton, avec ou sans sa grande voix. Ah! Monsieur Cazot, quel type vous avez là, et que de sentiments d’envie doivent monter à votre coeur, quand vous songez à la grande voix de Danton, qui a fait égorger tant de victimes! Mais songez que, autant Danton vous dépasse avec sa grande voix, autant avec sa belle voix, car il l’avait très belle, Néron dépassa Danton. Quels incendies allumés, quelles victimes humaines immolées, sénateurs décapités pour confisquer leurs biens, matrones romaines profanées, chrétiens enduits de poix et brûlés vifs, massacrés en masse pour attiser l’orgie! L’Eglise a vu ces horreurs, en a subi la plus grande partie; elle n’en est pas morte et même sa vie s’y est retrempée. Songez-y, Monsieur Cazot, songez aussi que ni vous, ni les vôtres, quels que soient vos appétits, ne montez à la taille de Néron, ni même encore à celle de Danton.

Où est Néron, où est votre Danton? où serez-vous bientôt? Saint Pierre et saint Paul ont encore leurs fêtes, et si la révolution italienne renverse leurs temples si magnifiques, l’amour obstiné des chrétiens, après plus de dix-huit siècles, leur en construira de plus beaux. Vous le savez bien.

Pour nous, abandonnant et Néron et Danton à la justice de l’histoire, et M. Cazot, dont malgré ses décrets, l’histoire s’occupera peu, regardons nos grands modèles: Pierre le batelier de Génésareth, et Paul, le corroyeur de Tarse. C’est par la prédication de ces hommes que Jésus-Christ a bâti son Eglise, c’est avec leur sang qu’il l’a cimentée, c’est par leurs exemples qu’il la soutient. Il la protège par leur intercession. Eux ont vaincu les empereurs, les sénateurs voluptueux et concussionnaires, des sophistes plus forts que ceux du jour, le vieux paganisme, l’adversaire de tous les temps, sous des masques rajeunis. Exerçons-nous à vaincre à notre tour. Apprenons à confesser hardiment notre foi, par la grâce du Christ. Elle ne peut faire défaut aux croisés de la cause de Dieu.

E. d'ALZON.
Notes et post-scriptum