ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.157
  • ARTICLES
  • LA SITUATION.
  • La Croix, I, septembre 1880, p. 337-340.
  • TD 9, P. 157; CO 184.
Informations détaillées
  • 1 ANTICLERICALISME
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BOURGEOISIE ADVERSAIRE
    1 CATHOLIQUES SANS FOI
    1 CITOYEN
    1 CLERGE SECULIER
    1 CLERICAUX
    1 COMBATS DE L'EGLISE
    1 CONCUPISCENCE DE LA CHAIR
    1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 CONSERVATEURS ADVERSAIRES
    1 CONSPIRATION MACONNIQUE
    1 CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE
    1 DECADENCE
    1 DESPOTISME
    1 DIPLOMATIE
    1 DOGME
    1 EGLISE NATIONALE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JANSENISME
    1 LEGISLATION
    1 LIBRE PENSEE
    1 MARTYRS
    1 MENEURS
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 MORALE
    1 OPPORTUNISME
    1 PAPE
    1 PAPE GUIDE
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLE
    1 POLITIQUE
    1 PRETRE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 SCHISME
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOCIETES SECRETES
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VIEUX CATHOLIQUES
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 ETIENNE, SAINT
    2 FRERE-ORBAN, HUBERT-WALTER
    2 GAMBETTA, LEON
    2 GREVY, JULES
    2 JACQUES, SAINT
    2 LEON XIII
    2 METTERNICH, KLEMENS DE
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 TALLEYRAND
    3 BELGIQUE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 ROME
  • septembre 1880.
  • Paris
La lettre

Si l’on eût dit, il y a sept ans, que la France tomberait au point où elle est descendue, qui eût pu le croire? Pourtant nous en sommes à un point tel que plusieurs se demandent si l’abîme ne s’ouvre pas pour engloutir la société. Nous glissons sur la pente, et ce qui est plus terrible, c’est que les béats du conservantisme acceptent d’aller au fond, pourvu que ce soit sans secousses. Comme Louis XV ils disent: Après moi, le déluge. Il vint en effet, et ce fut un déluge de sang, même royal; cette fois, nous aurons des flaques de sang bourgeois et opportuniste; je ne parle pas de l’autre, de celui des martyrs, car il y en aura, soyez-en persuadés.

Les appétits montent; on veut, non pas de la gloire, -qu’est la gloire chez un peuple avachi? -mais on veut des places, de l’or, des plaisirs. Telles sont les grandes attractions du moment. Voilà ce que dispute l’Intransigeance, qui n’a pas encore, à l’Opportunisme qui prétend n’avoir pas assez. Regardez par derrière, et voyez le peuple suivant l’exemple de tels chefs et montant à l’assaut de toutes les exigences les plus insensées; il ne sait plus si elles sont criminelles. Les chefs ont faim, lui aussi a faim; ces chefs ont tout foulé aux pieds pour atteindre leur but, lui aussi foulera tout aux pieds, et ce sera l’aplatissement universel dans la fange et l’ignominie. Alors viendra le Dictateur.

Le dictateur attend le moment opportun. Il n’est pas loin. Les âmes sont assez avilies, les bourgeois assez terrifiés, les conservateurs assez ahuris et pulvérisés par la décomposition des idées. Ce dictateur sera un être assez indigne de son rôle, mais fait tout exprès pour proposer son pied vulgaire sur un peuple voué à tous les esclavages. Que Dieu nous donne quelques jours d’existence, et nous verrons cette honte planer sur la France révolutionnaire. Elle l’aura bien mérité.

Les sociétés secrètes triomphent. Peut-être est-ce le signe de leur dissolution naturelle, comme on l’a vu d’autres fois; mais au paravent elles auront fait bien des ruines. Sur quoi repose en Italie le triomphe d’Humbert? En Belgique, l’Eglise est profondément insultée. En France, les aumôniers militaires sont supprimés, les aumôniers universitaires ne tarderont pas à l’être et, dans notre conviction profonde, ce sera un utile résultat. Ces messieurs, en général, ne faisaient aucun bien, mais causaient de très grands maux par l’illusion jetée aux parents.

Vous demandez ce que deviendront les religieux? Avant la fin de l’année vous verrez combien il en restera. La perfection de la vie chrétienne n’est plus de notre temps. Cette force morale, grande entre les mains du Pape et des Evêques, peut- elle être tolérée par ceux qui disent: Le cléricalisme, voilà l’ennemi? Eh! non, mille fois non. Les Religieux seront dissous.

Que quelques hommes à traditions jansénistes disent: Tant mieux, le clergé séculier n’en sera que plus fort, -le croyez-vous de bonne foi?

Mais voyez tous les projets qui s’élaborent. On a parlé d’abord de séparation de l’Eglise et de l’Etat; à merveille! mais on s’est ravisé: un clergé avili ferait bien mieux l’affaire; ayons un clergé national, et que la peur de perdre leur traitement décide ces bons curés de village à s’appuyer sur nous, et ils seront pour nous de très précieux auxiliaires.

Eh, bien! c’est ici qu’il faut s’arrêter. On a eu la messe de la fédération au Champ de Mars même, elle fut dite par Talleyrand; on a eu la constitution civile du clergé, combien ce sacrilège échafaudage a-t-il duré? Que reste-t- il de vieux catholiques en Suisse et en Allemagne? Que M. de Bismarck pousse M. Gambetta à l’imiter; M. de Bismarck sait qu’il s’est fait assez de mal par les lois de mai pour souhaiter que M. Gambetta s’en fasse autant et par contre- coup à la France, s’il doit y être dictateur.

Mais M. de Bismarck ne dira pas à M. Gambetta le bien qu’il a fait à l’Eglise très involontairement, il est vrai. Quatorze millions de catholiques y étaient à peu près assoupis, ils se sont réveillés sous la pression des persécuteurs, ils ne forment qu’un seul homme, leur énergie grandit, soyez sûrs de leur inévitable triomphe.

Une destinée pareille attend la France; on y persécutera l’Eglise, quoi qu’en ai dit M. Grévy à l’évêque de Bayeux; c’est même commencé, malgré la satisfaction expansive de certain curé normand. Bien aveugle qui ne voit pas et l’oppression et les sentiments qu’elle suscite. Or, c’est toujours le même combat entre les gens près à sacrifier leur conscience et ceux qui ne la sacrifieront jamais et lui sacrifieront tout. Que M. de Bismark et ses séides disent tant qu’ils voudront: la force prime le droit, l’honnêteté publique dira avec M. de Metternich: Le droit triomphe à la fin de la force.

Dans l’atmosphère on sent quelque fois des bouleversements profonds excités par la violence des vents, et pourtant une impression indéfinissable fait prévoir que la direction va bientôt changer. Et les pressentiments ne trompent pas, c’est l’orage redouté malgré un ciel brillant, c’est le calme prochain malgré l’agitation des flots.

Les catholiques en sont à ce point, et ils n’ont qu’à profiter des avantages que la persécution commence à leur ménager.

Vous supprimez autant qu’il dépend de vous tous les secours religieux, et M. Grévy déclare rondement que la religion ne court aucun risque. La religion de M. Grévy, peut-être! Mais qu’est-ce donc que la religion de M. Grévy? Qui peut le dire? lui-même, presque à coup sûr, ne le pourrait pas.

Nous n’avons plus à compter sur personne, excepté sur Dieu et sur nous. C’est ce dont avant tout il faut bien être convaincu, afin de nous faire une idée exacte et de nos devoirs et des moyens à prendre pour combattre l’ennemi avec avantage.

Je laisse la question des Religieux, quelque importante qu’elle soit. Elle n’est pas tout, et les catholiques ont d’autres devoirs à accomplir.

Remarquez, je l’ai déjà dit, l’unité de la marche des sociétés secrètes. Elles ne connaissent pas leur chef suprême, et elles ne doivent pas le connaître, mais le mot d’ordre est donné par lui, et tous, quelles que soient leurs répugnances, savent obéir. Pourquoi chez les catholiques ne trouve-t-on pas une obéissance semblable?

Les temps modifient nécessairement les conditions de combat. A l’époque des martyrs, il fallait surtout des hommes énergiques luttant par la patience contre les bourreaux. Sous les hérésies, les définitions des Papes et des conciles suffisaient. Au temps des croisades, l’Europe se précipita en Orient, sous la conduite de ses chefs, grâce à une organisation féodale. Aujourd’hui, la société entière est en pleine désorganisation, il faut la reconstituer; et comme il est impossible d’avoir une société durable si un élément religieux ne lui sert de base, il faut en revenir aux grands principes chrétiens appliqués aux temps présents grâce à une direction sûre. Quelle plus sûre direction que celle de Rome? Aussi voyez comme elle applaudit à tout effort des catholiques pour défendre les droits légitimes et prendre position sur tout terrain qui leur appartient au nom des lois. La vérité catholique et la morale catholique étant attaquées partout, il importe que partout elles soient défendues.

Toutes les grandes questions de la vie publique se donnent rendez-vous dans un pareil champ clos, et les catholiques acquièrent tous les jours une intelligence plus grande de la tactique dans le combat. Forcés de sortir du repos et de marcher à l’ennemi, nous en sommes au moment où les armes sont fourbies; ils vont en faire usage, et comme l’esprit de générosité et d’action commence à les pénétrer, on verra ce qu’on peut en attendre.

Il importe de le répéter: pour nous il ne s’agit pas de politique, il s’agit de notre foi et de son épanouissement, nous voulons le triomphe de Dieu, de Jésus-Christ, de l’Eglise. C’est pour cette cause que nous luttons. Le reste pourra venir après; mais en face de nos ennemis, nous ne prétendons qu’à un but: défendre et faire triompher le royaume de Dieu.

Ceci n’empêche pas le maintien de nos droits. On dit à satiété que le clergé ne fait pas de politique. Comment donc: Est-ce que par hasard il n’est pas citoyen? Qui vous a autorisés à en faire un ilote? Un prêtre, parce qu’il est prêtre, en paye-t-il moins l’impôt, n’est-il pas électeur et n’est-il plus français? Qu’après cela, par un motif supérieur, il renonce à quelque chose de ce qui lui appartient de la façon la plus inaliénable, libre à lui; mais n’allez pas abuser de ses sacrifices volontaires pour en faire un ilote. Cette manière de procéder est commode vraiment. Prêtre, lui dit-on, nous t’enlevons tes droits de l’ancien régime; citoyen, souviens-toi que tu es prêtre et qu’il t’est défendue d’agir an citoyen. Eh bien! cette position les catholiques ne l’acceptent pas pour leur guide, ils veulent pour eux toutes les libertés dont jouissent les autres Français et ils sauront combattre pour les conserver.

Ce n’est pas précisément le calcul des francs-maçons, et peut- être éprouveront-ils quelque surprise à voir un esprit nouveau se réveiller.

On nous persécute, et nos annales sont là pour prouver que la persécution nous a toujours été d’un grand profit. Depuis les pierres de saint Etienne et la dispersion des apôtres qui s’ensuivit on a pu constater que les missionnaires avaient bien souvent été victimes de la persécution. « Quand on vous persécutera dans un lieu, fuyez dans un autre, » disait le Sauveur. On poursuivit les catholiques en Angleterre, ils s’enfuirent au Nouveau Monde, et l’on sait les progrès qu’ils y font. Ou bien ce sont les Religieux traqués comme des bêtes fauves; ils iront chez les sauvages qui les traiteront mieux que les vigilisés, ou bien chez les Turcs, qui ne rougiront pas d’en accepter l’instruction dont en France l’Université veut se réserver le monopole.

A votre aise: est-ce que par hasard les premiers chrétiens ne menaient pas la vie parfaite? Avaient-ils des couvents? Ils avaient bien le cénacle où l’on allait chercher saint Jacques pour lui trancher la tête, saint Pierre, heureusement délivré par un ange; mais ils ne purent rester là bien longtemps, les apôtres partirent pour toutes les extrémités du monde, et l’Evangile fut prêché. Il en sera de même et vous allez voir une reprise d’armes. A quoi vous sert de dire que vous ne voulez pas persécuter la religion? vous savez bien que vous mentez, et le rôle de menteur fut toujours peu honorable.

Léon XIII qui avait, dit-on espéré en finir par ses avances à la diplomatie des difficultés dont Pie IX lui avait laissé la succession, voit aujourd’hui ce dont certains diplomates sont capables. M. de Bismarck le lui prouve par les prétendue modifications de mai, M. Frère-Orban le prouve avec ses perfidies et ses grossièretés à propos de la loi des écoles. Qu’en conclure sinon que la conspiration maçonnique, se croyant la plus forte, jette le masque et se précipite dans la violence! Mais c’est là où la voix pontificale aura le droit de protester, et elle a dans la dernière allocution consistoriale protesté haut et ferme. Ce que nous connaissons des documents prouve que la Papauté est toujours la même, douce et ferme, pleine de condescendance envers les hommes, inflexible quant aux principes. Pie IX avait été un grand initiateur, Léon XIII affermira les commencements de l’ère nouvelle. Je ne sais si à soixante-dix-sept ans Léon XIII eût convoqué le concile du Vatican; soyez en convaincus, il ne permettra pas qu’un iota en soit retranché, plus que personne il travaillera à réaliser la constitution Pastor aeternus. Rien de ce qui est proclamé de l’infaillibilité ne périclitera entre ses mains, et tous les jours, au milieu des obstacles soulevés par les sociétés qui se dissolvent, par les pouvoirs apparus comme de rapides météores pour vite disparaître dans la nuit, l’unité de l’Eglise, plus énergique, plus vivifiante, plus féconde, se fortifiera, et toutes les intelligences sincères en béniront l’influence.

Que certains esprits rêvent d’un schisme, quoi d’étonnant? toutes les folies doivent passer par la tête des libres penseurs: mais dans le temps présent celle-là, à coup sûr, est une des plus fortes que ces messieurs puissent accepter. Comment, lorsque tous les avantages humains sont supprimés à l’Eglise, quand le pouvoir insulte, bafoue ses ministres, parle de supprimer l’indemnité à laquelle ils ont le droit le plus rigoureux, quand les voix de la presse révolutionnaire ont licence de blasphémer du matin au soir, on supposera les catholiques assez dépourvus de tout sentiment de dignité religieuse pour subir le joug d’une Eglise nationale et les turpitudes d’un schisme!

Que des hommes pour qui la foi est un objet de haîne cherchent à la détruire, cela se comprend, et ils font bien d’aviser, mais voici ce qui les attend: Le changement des rapports de l’Eglise et de l’Etat est, quoi qu’on dise, affaire religieuse. Défendez aux cléricaux de se mêler d’affaires cléricales! Vous ne le pourrez jamais; et alors comprenez- vous que le cléricalisme, silencieux jusqu’ici, va parler, va agir? et, à moins que vous ne l’ayez étouffé du premier coup, il vous suscitera des embarras au milieu desquels si vous succombez, vous n’aurez que ce que vous aurez voulu.

Prenons un exemple: A force de vexations contre les Religieux, la conscience de Léon XIII l’oblige à parler; ses protestations, vous aurez beau faire, retentiront d’un bout du monde à l’autre; et vous prétendrez que le guide suprême de la conscience chrétienne n’a pas le droit de tracer aux catholiques leurs devoirs? Et si les catholiques sont instruits de ces devoirs très graves, vous prétendrez qu’ils ne sont pas tenus de les accomplir! Voilà tout un horizon immense qui s’ouvre devant la Révolution. Qu’apercevez-vous au bout? Le triomphe de l’Eglise, toute l’histoire se dresse pour en témoigner.

Or pendant que vous formerez vos complots, les catholiques reformeront la France, comme ils la firent aux premiers siècles, et le terme final sera, quelle que soit la durée de la guerre et la violence des combats, l’affranchissement de la France et le triomphe de l’Eglise.

E. d'Alzon, des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum