ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.165
  • ARTICLES
  • MEMOIRES DU PRINCE DE METTERNICH.
  • La Croix, I, septembre 1880, p. 344-361.
Informations détaillées
  • 1 DIPLOMATIE
    1 POLITIQUE
    2 ALEXANDRE I, TSAR
    2 ALQUIER, CHARLES-JEAN-MARIE
    2 BASSANO, HUGUES-BERNARD DE
    2 BLUCHER, GEBHARD-LEBERECHT
    2 BOURBONS, DYNASTIE
    2 CAMBACERES, JEAN-JACQUES DE
    2 CATHERINE II
    2 CAULAINCOURT, ARMAND DE
    2 CHARLEMAGNE
    2 CHARLES IV, ROI D'ESPAGNE
    2 COBENZL, LUDWIG VON
    2 ENGHIEN, LOUIS DUC D'
    2 FOUCHE, JOSEPH
    2 FRANCOIS I, EMPEREUR D'AUTRICHE
    2 FREDERIC II, ROI DE PRUSSE
    2 HABSBOURG, DYNASTIE
    2 JOSEPHINE, IMPERATRICE
    2 LABORDE, DE
    2 LOMBARD
    2 LOUIS XVIII
    2 MARIE-LOUISE, IMPERATRICE
    2 METTERNICH, KLEMENS DE
    2 METTERNICH, PRINCESSE DE
    2 MOREAU, JEAN-VICTOR
    2 NAPOLEON Ier
    2 NARBONNE-LARA, LOUIS DE
    2 OTHON LE GRAND
    2 PERRET
    2 PIERRE III, TSAR
    2 PONIATOWSKI
    2 ROBESPIERRE, MAXIMILIEN DE
    2 SCHWARZENBERG, CHARLES-PHILIPPE DE
    2 STADION, JOHANN-PHILIPP DE
    2 TALLEYRAND
    2 TIPPO-SAIB
    2 TOLSTOI, PIERRE
    2 VINCENT, NICOLAS-CHARLES DE
    3 ALBANIE
    3 ALLEMAGNE
    3 ALLEMAGNE DU NORD
    3 ALPES
    3 AMIENS
    3 AMSTERDAM
    3 ANGLETERRE
    3 ANSPACH
    3 AUSTERLITZ
    3 AUTRICHE
    3 BALE
    3 BALTIQUE
    3 BASSE-SAXE
    3 BAUTZEN
    3 BAYREUTH
    3 BERLIN
    3 BOHEME
    3 BOULOGNE-SUR-MER
    3 BRANDEBOURG
    3 BRANDEIS
    3 BRUNSWICK
    3 CAMBRAI
    3 CAP DE BONNE ESPERANCE
    3 CONSTANTINOPLE
    3 DALMATIE
    3 DRESDE
    3 DRESDE, JARDINS MARCOLINI
    3 EGYPTE
    3 EMPIRE ALLEMAND
    3 ERFURT
    3 ESCAUT, RIVIERE
    3 ESPAGNE
    3 EUROPE
    3 EYLAU
    3 FRANCE
    3 FRIEDLAND, PRUSSE
    3 GALICIE
    3 GITSCHIN
    3 GRANDE-BRETAGNE
    3 GRATZ
    3 HOHENLINDEN
    3 HOLLANDE
    3 IENA
    3 INDES ORIENTALES
    3 INN, RIVIERE
    3 ITALIE
    3 LIGURIE
    3 LUNEVILLE
    3 LUTZEN
    3 MALTE
    3 MORAVIE
    3 MOSCOU
    3 MUNICH
    3 NORD
    3 ORIENT
    3 PARIS
    3 PAYS-BAS
    3 PIEMONT
    3 POLOGNE
    3 PORTUGAL
    3 PRAGUE
    3 PRESBOURG
    3 PROVINCES ILLYRIENNES
    3 PRUSSE
    3 PYRENEES
    3 RASTADT
    3 RATISBONNE
    3 ROTTERDAM
    3 ROYAUME UNI
    3 RUSSIE
    3 SAINT-CLOUD
    3 SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE
    3 SAINT-PETERSBOURG
    3 SAVOIE
    3 SAVONE
    3 SAXE
    3 SILESIE
    3 SUISSE
    3 THURINGE
    3 TOSCANE
    3 TURQUIE
    3 UKRAINE
    3 ULM
    3 VARSOVIE
    3 VENISE
    3 VIENNE, AUTRICHE
    3 VINCENNES, FRANCE
    3 WAGRAM
    3 WATERLOO
    3 WESER
  • septembre 1880.
  • Paris
La lettre

L’histoire d’un grand homme d’Etat, entré dans la vie publique malgré lui, parce qu’il s’y sent entouré des ruines d’un monde écroulé, et puis se mettant à résister jusqu’au bout aux catastrophes nouvelles qui s’accumulent et réussissant pour un temps, inspire un profond sentiment de tristesse et d’admiration.

Le prince de Metternich, dont nous étudions les Mémoires, a voulu laisser à la postérité le témoignage de sa conscience; lutter infatigable contre la Révolution et Napoléon Ier, vainqueur de ce dernier par sa sage prévoyance, son imperturbable persévérance à poursuivre son but, avec bien moins de génie militaire, avec une portée diplomatique supérieure surtout par la sincérité, il arrêta pour un temps la Révolution, et peut-être eût-il étouffé l’hydre, si les souverains, depuis Alexandre Ier et Louis XVIII jusqu’au roi de Prusse, ne l’eussent constamment entravé par des théories qui plaçaient le principe révolutionnaire sur le trône.

Né en 1773, dès l’âge de vingt-huit ans, il est envoyé comme pléni-potentiaire près la cour de la Saxe électorale; il rédige lui-même les instructions qui devront lui servir de ligne de conduite. Nous ne pouvons mieux faire que de tracer d’après lui, car c’est lui qui a réglé ces instructions, le tableau de l’Europe depuis 1790. (Tome II, page 2).

A. –La Situation politique actuelle de l’Europe considérée surtout par rapport à l’Autriche.

Les évênements des onze dernières années étaient sans contredit de nature à changer radicalement les conditions politiques de l’Europe.

La Révolution française, avec la forme républicaine qu’elle a imposée à une des monarchies les plus importantes; la ruine totale de l’indépendance de la Hollande; la réunion des Pays-Bas, de la rive gauche du Rhin, de la Savoie, d’une partie de la Suisse et de la Hollande à la France; d’autre part, le changement d’une constitution qui depuis des siècles faisait le bonheur de la Suisse; la création d’une nouvelle république démocratique formée de la plus grande partie de l’Italie supérieure; le nouveau sort de Venise; le changement de souveraineté en Toscane; le partage de la Pologne; l’agrandissement extraordinaire de la Prusse par l’annexion des margraviats et par ses acquisitions en Pologne; de plus, le monopole momentané de l’Angleterre par suite de la destruction des marines ennemies et de la conquête de la plupart des colonies françaises, de beaucoup de colonies espagnoles et de toutes les possessions hollandaises; les vastes conquêtes de la Grande-Bretagne aux Indes orientales et la ruine de la puissance de Tippo-Saïb, si menaçante pour son influence sur le pays; l’occupation de l’Egypte par les français; le cap de Bonne-Espérance et Malte, les deux points les plus importants pour le commerce du monde, au pouvoir des Anglais qui en possédaient déjà le monopole; enfin, les changements prochains qu’entraînera la paix de Lunéville: cette situation, qui est le résultat de la Révolution française et de la guerre générale qu’elle a provoquée, laisse loin derrière elle-même les bouleversements amenés par les trois grandes guerres du siècle dernier, par la guerre de la Succession d’Espagne qui assura la prépondérance à la France, par la guerre du Nord qui ouvrit à la Russie les portes de la politique européenne, et par la guerre engagée par la Prusse contre la Maison d’Autriche en 1740, qui eut pour conséquence la guerre de Sept ans.

Il serait impossible de chercher à débrouiller le chaos des éléments actuels et à réunir les bases d’un système politique européen ayant quelque chance de réussir. Les suites de ces formidables bouleversements, jointes à la lutte persistante entre les principes politiques, ajournent indéfiniment le repos général. Depuis 1790, chaque année a introduit dans le système européen des changements qui, douze mois plus tôt, paraissaient impossibles, et qui, douze mois plus tard, étaient presque oubliés. On n’a qu’à comparer l’état de la République françaises en novembre 1799 et en avril 1801; l’alliance étroite de la Russie avec les autres puissances en 1799 et l’ambassade russe à Paris, au mois de mars de la présente années? Et quelles fluctuations ne remarque-t-on pas dans la république anglaise pendant les onze dernières années? En 1792, l’Angleterre observe une neutralité rigoureuse; plus tard, elle est l’instrument le plus actif de la coalition; aujourd’hui, elle est le point de mire d’une coalition diamétralement opposée, à la tête de laquelle sont la France et la Russie, et dans laquel sont même laissé entraîner les puissances du Nord, restées constamment neutres jusqu’à ce jour. Ces quelques points choisis au milieu de tant de modifications prouvent, du reste, combien il serait hasardeux de déterminer à l’avance, même pour une période de dix années, les événements probables que recèle l’avenir.

La situation extérieure de notre monarchie a eu à subir des changements, auxquels l’Etat le plus puissant lui-même ne peut échapper quand tout se transforme autour de lui. Toutes nos anciennes alliances avec des puissances étrangères, même nos alliances les plus récentes, ont été rompues; il y a plus encore: un grand nombre des motifs qui nous les avaient fait contracter ont disparu. Une revue rapide des alliances que nous avions formées depuis longtemps expliquera ce fait.

En 1756, l’Autriche s’était unie à la France dans le but de protéger ses provinces lointaines dans les Pays-Bas et en Italie, de mettre un terme à l’animosité française qui menaçait sans cesse l’Empire, et de pouvoir disposer des forces de la maison de Habsbourg sur tous les points qui lui paraîtraient avantageux, sans avoir à redouter l’hostilité de la France.

Pour ce dernier pays, le principal avantage de cette alliance était celui-ci: elle garantissait la sécurité absolue de sa frontière, diminuait considérablement le chiffre des subsides qu’il était obligé de payer tous les ans à des Etats secondaires et à des Etats de l’Empire peu importants, et lui permettait de consacrer ces sommes, qui étaient généralement gaspillées, à améliorer et à agrandir sa marine.

A peine la Russie pouvait-elle prendre rang parmi les Etats civilisés de l’Europe, qu’entre cette Cour et la Maison d’Autriche s’établit un système d’amitié et d’alliance étroite. Jusqu’à l’avènement de Pierre III, les deux puissances se regardaient comme des alliées naturelles; et, en effet, tout semblait devoir les rapprocher; elles étaient voisines sans être en contact direct, elles pouvaient s’étendre sans avoir lieu de se jalouser, et même s’aider réciproquement à s’agrandir; enfin elles avaient une ennemie commune dans la Porte. A ces raisons vint s’ajouter dans la suite un voisinage dangereux, celui de la Prusse, qui touchait aussi aux deux empires; la présence de cette voisine nouvelle devait d’autant plus inquiéter les deux puissances amies, que les projets d’annexion qu’elle nourrissait contre la Pologne pouvaient avoir quelque chance de se réaliser.

Mais à peine Pierre III fut-il monté sur le trône, qu’il se jeta aveuglément dans les bras de la Prusse. L’alliance austro-russe renouvelée sous l’impératrice Catherine, était surtout basée sur la sympathie personnelle de cette souveraine pour l’Autriche, car les raisons indiquées plus haut, comme devant rapprocher naturellement les deux pays, tendaient à disparaître de jour en jour.

Depuis le règne de Frédéric II, la Prusse, que sa situation géographique appelait à devenir la rivale perpétuelle de l’Autriche, et qui ne cessait de s’étendre, avait l’ambition d’une puissance de premier ordre, malgré l’exiguité de ses ressources financières, malgré le chiffre modeste de sa population, qui était celle d’un Etat secondaire. Le but exclusif de sa politique, c’était l’agrandissement de son territoire et l’extension de son influence; elle voulait l’atteindre par tous les moyens possibles, en passant par-dessus le droit des gens et la morale universelle. L’alliance de 1791 mérite à peine d’être mentionnée. Rompue aussitôt que formée, elle montre que les contractants n’avaient guère de confiance dans sa solidité.

Les fréquentes alliances de l’Autriche avec l’Angleterre s’expliquent naturellement par les rapports politiques et géographiques des deux pays. Entre une puissance purement commerçante et une puissance exclusivement continentale, il ne pouvait exister aucun motif de jalousie: de plus, les Pays-Bas autrichiens offraient les points de contact les plus rapprochés et les plus commodes avec le continent, et notre force politique formait un puissant contre-poids à la rivalité de la France. Mais les avantages de l’union étaient, surtout dans les derniers temps, du côté de l’Angleterre; car pendant que nous faisions cause commune avec la France, nous n’avions pas besoin de la Grande-Bretagne, et, depuis que nous sommes en guerre avec elle, l’appui financier que nous avons trouvé chez les Anglais est insignifiant, à côté des efforts et des sacrifices extraordinaires que nous avons faits et dont le Royaume-Uni a tiré les avantages les plus considérables.

Notre entrée dans la triple alliance de 1798 entre l’Angleterre, la Russie et la Porte, ne nous servit que pour la part que nous prenions momentanément à la guerre.

Toutes ces réflexions prouvent combien notre situation d’autrefois, qui a déterminé la conclusion des alliances, diffère des conditions politiques dans lesquelles nous vivons actuellement.

D’après la dernière paix, les provinces lointaines que nous avions dans les Pays-Bas et en Italie, ces provinces dont les premières nous mettaient en contact direct avec la France, nous reliaient à la Hollande et séparaient ce pays du territoire français, ont été cédées à la France elle- même, ou bien destinées à former des républiques vassales.

Par suite de la cession des Pays-Bas aux Français et de l’ouverture de l’Escaut, la plus grande partie du commerce qui, voyant ce fleuve barré, s’était transporté à Amsterdam, à Rotterdam, et sur d’autres points, viendra probablement reprendre possession du centre commode qu’il avait quitté; et si la situation se prolongeait, la Hollande pourrait bien être exposée à devenir une province française.

N’étant plus en contact immédiat avec la France, séparés d’elle au point le plus important de nos Etats et le plus coûteux à défendre, nous devons à la non-possession des Pays-Bas plus d’un avantage indirect. La rivalité séculaire de la France et de l’Autriche en Italie trouve aujourd’hui un aliment d’une espèce toute contraire. La création d’une république considérable calquée sur le modèle français, qu’il faut considérer comme appartenant réellement à la France, ainsi que les autres républiques et les petits Etats italiens; en second lieu l’établissement de fortes lignes militaires qui menacent la frontière autrichienne; enfin, la destruction de tous les moyens de défense qui auraient pu inquiéter nos voisins; tout cela donne à la république française, dans toutes les affaires de l’Italie, une influence prépondérante que nous n’avons jamais eue.

D’autre part, la possession si importante des provinces vénitiennes nous vaut des avantages que la France ignorait aux plus beaux jours de son protectorat. En ce qui concerne ce rôle de protectrice, la situation future de l’Autriche en Italie pourrait offrir plus d’une analogie avec la situation passée de la France.

Le caractère inconstant de l’empereur de Russie, qui se blesse d’un rien et que souvent les plus grands sacrifices ne peuvent gagner, rend extrêmement difficile, pour nous comme pour d’autres puissances, une amitié sérieuse et durable avec cet empire. Disposant de ressources intérieures que ne connaissent point les autres Etats civilisés ou que la civilisation elle même a taries, pouvant impunément rompre toute alliance ou mettre fin à toute guerre en retirant son armée, inattaquable derrière ses frontières, la Russie, grâce à sa situation géographique et politique, est toujours à craindre, mais surtout sous un gouvernement qui n’a pas de principes arrêtés et qui n’agit que par passion, d’après la convenance du moment. Nos relations actuelles avec la Russie nous amènent à faire les réflexions suivantes sur la longue ligne de frontières qui nous est commune avec cet empire.

Pour nous, pour l’intérêt bien entendu des Etats limitrophes et pour le repos général de l’Europe, l’existence de la Pologne était d’une égale importance. Situé entre trois grands empires, ce pays empêchait les collisions inséparables d’un contact immédiat, et par cela même avait pour chacun de ses voisins une valeur bien marquée; mais cette valeur était certainement double pour la Prusse et pour nous. L’aveugle ambition du cabinet de Berlin et le bouleversement général, dont l’impératrice Catherine profita pour réaliser des projets caressés depuis longtemps, purent seuls amener le partage de la Pologne, cet acte si contraire à tous les principes d’une saine politique. Notre rôle fut et devait être uniquement conservateur. La force des choses, l’impossibilité d’empêcher les deux puissances de s’agrandir aux dépens de l’Etat convoité, et la nécessité qui en résultait finalement pour nous d’atténuer ce mal inévitable en cherchant des compensations, nous déterminèrent seules, après de longues hésitations, à nous joindre à la Prusse et à la Russie. L’avantage d’agrandir le chiffre de sa population et de reculer ses limites est contre-balancé pour la Prusse par un inconvénient réel: c’est que ces frontières lui sont communes avec la Russie et avec nous. Nous sommes dans les mêmes conditions. Malgré son immense étendue du côté de l’Orient, la Russie seule pouvait encore former le désir de se rapprocher du centre de la politique européenne; mais l’avenir seul dira si le partage de la Pologne était un moyen d’atteindre ce but.

La Prusse, invariablement fidèle à ses principes et à ses vues avant, pendant et après son alliance avec nous, a gagné dans les dix dernières années une prépondérance marquée. Soutenant son rôle, en s’affranchissant de toutes les lois de la morale politique, exploitant les malheurs des autres pays sans avoir égard à ses obligations ni à ses promesses, forte des nombreuses acquisitions qu’elle a faites ou qu’elle va faire encore, la Prusse se trouve placée depuis les dernières années au rang des puissances de premier ordre. Grâce à l’accession inconstitutionnelle des plus puissants Etats de l’Empire, l’influence de la Prusse dans les affaires de l’Allemagne a pris une importance telle que la puissance impériale elle-même s’en trouve affaiblie.

Cette revue de la situation politique prouve surabondamment combien nous sommes loin de voir rétablir l’équilibre européen, et avec lui, le repos général. Il faut que l’extension extraordinaire des possessions de la France subisse des modifications. L’Angleterre, qui est encore en guerre avec la France et qui le sera probablement avec toutes les puissances maritimes, a fait tant de conquêtes, que la paix ne pourra être conclue avec cet Etat qu’à la condition de lui imposer de grandes restitutions.

Bien arrondis, nous entrons dans des conditions nouvelles. Actuellement, notre devoir politique est de nouer des relations nouvelles, utiles, et dont le but devrait être surtout de refaire nos forces, de maintenir le repos à l’intérieur et d’arriver à une situation qui nous laisse libres, autant que le permettront des circonstances à prévoir maintenant, de choisir un rôle en harmonie avec l’étendue et la situation d’un Etat de premier ordre.

B. -LES RAPPORTS DE L’AUTRICHE AVEC LA SAXE.

La position géographique de l’électorat de Saxe lui défend absolument de prétendre à l’indépendance, en tant qu’un Etat de troisième rang pourrait être indépendant. Entravé entre deux monarchies puissantes, il semble destiné à n’être dirigé que par une impulsion étrangère.

La situation la plus fâcheuse pour la Saxe est sans contredit celle que lui crée une guerre entre l’Autriche et la Prusse. Quelle que soit son attitude dans ce cas, les chances défavorables sont toujours les plus nombreuses, et jamais elle ne peut espérer un avantage sérieux. Quand elle restait neutre, elle était toujours victime du sort qui attend les petits Etats: ceux-ci ne peuvent défendre leur neutralité que par des protestations, et sont exposés à être dévastés tantôt par le vainqueur, tantôt par le vaincu. C’est ainsi qu’elle s’est vue accablée de réquisitions ruineuses et ravagée par la Prusse. Se déclarait-elle pour l’un ou pour l’autre parti, elle courait des dangers qu’elle n’avait pas la force de combattre ni d’atténuer. Unie à la Prusse, ses habitants servaient uniquement à faire des soldats, et ses magasins de céréales ne s’ouvraient que pour approvisionner l’armée alliée.

La seule politique intelligente de la Saxe consistait et consiste encore à mettre tout en oeuvre pour maintenir des relations amicales entre ses deux puissants voisins, ou du moins à s’efforcer dans la limite de ses moyens, de prévenir toute guerre entre eux, afin de travailler, grâce à la paix, à augmenter la prospérité intérieure, à étendre son commerce et à guérir les blessures que lui ont faites la guerre de Sept ans et les règnes onéreux des deux rois de Pologne.

Désormais le choix de la Saxe, ayant à opter entre la Prusse et nous, ne saurait malheureusement plus être douteux. La prépondérance à laquelle la Prusse est arrivée et les acquisitions que cette puissance a faites dans les dix dernières années tout autour de la Saxe ou près de la frontière, mettent ce pays fort à l’étroit. Grâce à la possession d’Anspach et de Baireuth, la Prusse l’enveloppe au nord et au sud, et par celle des ci-devant provinces polonaises, elle le menace à l’est. Par suite, presque tout le commerce de la Saxe dépend du bon plaisir de la Prusse. A l’avenir, il sera bien difficile à cet Etat de défendre sa neutralité ou de se déclarer pour nous.

La conviction que la Saxe ne peut conserver son indépendance que grâce à la situation importante qu’elle a dans l’Empire d’Allemagne et à la garantie du lien qui la rattache à l’Empire n’aurait jamais dû agir plus fortement sur le cabinet de Dresde qu’à l’époque où la Prusse, démasquant ses batteries, fit avoir que l’existence même des Etats de l’Empire, et particulièrement de ceux qui se trouvaient dans son voisinage, était directement menacée. Jamais elle n’aurait dû s’écarter de la voie constitutionnelle pour suivre la ligne opposée qui caractérisait la marche de la cour de Prusse; mais l’aveuglement, dont semblaient frappé les Etats du Nord, poussa malheureusement aussi la cour de Saxe à jouer dans les derniers temps un rôle tout à fait contraire à son intérêt.

Parmi les plus grands et les plus puissants Etats de l’Empire, l’électorat de Saxe était autrefois un des plus influents dans les affaires générales. Comme chef du Corpus evangelicorum, l’Electeur était à la tête d’un parti qui, surtout sans les dernières années, était devenue fort nombreux. Mais l’influence toujours croissante de la Prusse sur la direction des affaires intérieures de l’Empire, (influence laissée à cette puissance par la faute même des principaux Etats), la hauteur despotique avec laquelle elle avait tout récemment affirmé la neutralité de l’Allemagne du Nord, en réunissant sous sa protection les états protestants les plus considérables; en outre, l’autorité des seize voix dont la maison de Brandebourg et celle de Brunswick disposaient à la Diète et qui, dans toutes les questions, assuraient la majorité à la fraction protestante, toutes ces causes réunies rendaient peu à peu illusoire le rôle du ministère saxon, qui devait être l’organe des protestants sous un prince électeur catholique.

L’accession de l’Electeur à la neutralité de la Prusse était une erreur qui ne peut être considérée que comme la conséquence d’une première faute. La ligue des princes, formée contre la constitution elle-même sous des dehors parfaitement constitutionnels, fondée par la Prusse (1785) en vue de faciliter l’exécution des projets d’asservissement qu’elle nourrissait depuis des années, renfermait le germe de tous les maux qui débordèrent sur toutes les parties de l’Empire.

Les principes sur lesquels s’appuyait cette ligue, organisée soi-disant dans le but de maintenir et de fortifier la constitution impériale, avaient été soigneusement dissimulés par le cabinet prussien sous un réseau de concessions qui flattaient l’intérêt particulier de chaque contractant; aussi allait-il un oeil exercé pour découvrir les atteintes dont la constitution était infailliblement menacée et pour pénétrer les desseins cachés de la Prusse, desseins qui s’affirmaient en toute occasion et qui ne tendaient à rien de moins qu’à donner à cette puissance la haute main dans la direction de toutes les affaires de l’Empire, et finalement à subordonner les destinées et l’existence d’une grande partie de l’Allemagne aux projets d’agrandissement de la Prusse, suivant que les circonstances lui permettaient de les réaliser.

En 1792, cette cour jeta le masque: la conduite qu’elle tint alors, et depuis en Franconie et dans toute la durée de la guerre soutenus par l’Empire, trahit son jeu; les stipulations du traité de Bâle et surtout l’article séparé de cette paix, qui n’est plus un secret pour personne, ne pouvaient plus laisser subsister l’ombre d’un doute sur l’hostilité de la Prusse, à l’égard de la constitution de l’Empire. Si les Etats avaient été moins aveuglés, s’ils avaient envisagé plus froidement l’avenir qui les attendait, ils auraient renoncé à toute espérance de trouver dans les Prussiens des protecteurs désintéressés mais grâce à sa politique astucieuse, le cabinet de Berlin sut compromettre avec lui tant d’Etats particuliers; il connaissait si bien le côté faible des principaux Etats protestants, qu’il put se permettre de se remettre en 1796, à la tête de la partie la plus considérable de l’Empire d’Allemagne, pour rompre en visière aux sérieux devoirs qui liaient entre eux les Etats de l’Empire, et pour prêcher une véritable scission dans le corps germanique.

Si nous avons parlé de la ligue des princes, c’est surtout parce qu’elle persiste encore, malgré les circonstances actuelles qui la justifient si peu, à garder une influence notable sur la politique des Cours.

Depuis le partage définitif de la Pologne, depuis que la Maison électorale a dû, par suite de ce fait, renoncer à la couronne héréditaire, la politique de la Saxe se borne aux affaires intérieures. Par suite de la position géographique de l’Electorat et de la situation qui, en était résultée pour lui, la cour de Dresde avait une attitude contrainte, elle tremblait sans cesse de donner au cabinet voisin quelque sujet de plainte. Sa conduite trahissait en tout un manque absolu d’indépendance.. Depuis que la Saxe avait accédé sans condition à la neutralité de la Prusse, l’influence du cabinet de Berlin sur elle était illimitée.

Aujourd’hui l’espérance de voir assuré le repos de l’Allemagne du Nord disparaît par l’entrée dans la coalition des puissances septentrionales. Mais quand même cette partie du corps germanique, calculant les avantages que lui vaudrait nécessairement le monopole du commerce du Nord sous pavillon neutre, réussirait à éviter de prendre une part active à la guerre, le repos intérieur des cercles de l’Empire qui se trouvent dans cette région n’en serait pas moins fort compromis par les vues de la Prusse sur le Hanovre et sur d’autres parties de la Basse-Saxes, vues que le cabinet de Berlin ne craint plus d’afficher aujourd’hui, au grand chagrin du prince électeur et de son ministère. L’inquiétude de la cour de Dresde ne peut être égalée que par le vif regret d’avoir favorisé par une coopération active la réalisation des projets d’asservissement de ce dangereux voisin.

C. -CONDUITE A TENIR PAR NOTRE MINISTRE PLENIPOTENTIAIRE A LA COUR DE LA SAXE ELECTORALE.

« Parmi les questions qui forment de véritables sujets de négociations entre nous et la Cour électorale, se place en première ligne la paix de Lunéville, conclue en notre nom et en celui de l’Empire; ce traité mérite toute notre attention.

« Le rapport parvenu à la Diète, et adressé aux électeurs ainsi qu’aux princes les plus considérables avant la signature de l’acte, présentait un tableau saisissant des circonstances douloureuses qui hâtèrent la conclusion de la paix au nom de l’Empire, avant même que ses différents membres eussent donné leur assentiment. Notre conduite patriotique et la réserve du droit d’intervention accordé par la constitution aux Etats en matière de paix commune, furent accueillis alors avec la plus vive reconnaissance par les Etats qui avaient été mis les premiers au courant de la situation, et depuis par la Diète tout entière.

« Les principes que nous avons mis en avant dans cette négociation prouvent une fois de plus, et cela d’une manière irréfutable, combien nous avons à coeur, même dans les circonstances défavorables, de maintenir dans la limite du possible la constitution de l’Empire et de protéger tous ses membres.

« Agissant comme chef de l’Empire, autorisé par l’exemple des traités signés en 1714 à Rastadt et à Bade, nous avons accepté provisoirement au nom de l’Empire les dures conditions que les événements militaires ont imposées aux vaincus; mais ces conditions ne sont pas plus onéreuses que les sacrifices consentis en 1798 et en 1799, au congrès de Rastadt, par la députation de l’Empire chargée de négocier la paix; même nous avions cherché à rendre ces derniers moins cruels, autant que les circonstances nous le permettaient.

« En se reportant au traité de Bâle, signé par la Prusse en 1794, en comparant la paix de Lunéville avec la paix particulière que chaque Etat de l’Empire, copiant la Prusse, a signée en dépit de la constitution, tout esprit impartial reconnaîtra que nous étions animés de sentiments bien différents, et que nous voulions éviter jusqu’à l’apparence d’un procédé inconstitutionnel.

« Toutefois, ce qui précède ne saurait s’appliquer aux malveillants, dont les intérêts seraient compromis par l’application sérieuse des principes que nous avons affirmés. Aussi la cour de Prusse, dont les actes inconstitutionnels ont dépassé toute mesure dans le cours des six dernières années, ne reculera-t-elle désormais devant aucun moyen pour réaliser ses projets, qui sont nettement indiqués dans les articles séparés de la paix de Bâle; elle mettra tout en oeuvre pour étendre à toute l’Allemagne le protectorat qu’elle a exercé depuis cette époque sur l’Allemagne du Nord. On verra la politique prussienne recourir à ses ruses habituelles, à ces ruses que l’on ne connaît que trop, pour nous rendre hostiles les principaux Etats de l’Empire, qui antérieurement déjà ont été dociles aux instigations du cabinet de Berlin, pour leur faire combattre nos bonnes intentions et leur faire parler un langage qui amènera le roi de Prusse à se présenter comme un médiateur appelé par tous les voeux, sans qu’il ait l’air de se mettre en avant. L’occasion d’employer ce procédé est fournie par les négociations que l’Empire doit poursuivre pour arriver à la paix générale, et dont il faudrait, par toutes ces raisons, charger une députation de l’Empire aussi peu nombreuse que possible.

« Le principal point de vue sous lequel il faut envisager toute négociation avec le cabinet de Dresde, est et reste celui- ci: c’est qu’il importe d’écarter autant que cela peut se faire, ou au moins de diminuer l’influence de la Prusse. A cette heure où l’existence de l’Empire tout entier est en jeu, il ne faut négliger aucune occasion de rendre le prince électeur et le ministère attentifs à cette grande vérité, que l’existence politique de la Saxe est inséparable de celle de l’Empire, et que celle-ci ne peut être sauvé au moment décisif que par le sacrifice de tous les intérêts particuliers et par l’union la plus étroite entre les membres de l’Empire et son chef.

« La situation de Dresde, et la présence du nombreux corps diplomatique qui se trouve dans cette ville, en font, même en temps ordinaire, un poste excellent pour observer les Cours étrangères et particulièrement la Cour de Prusse. Cela est vrai surtout à l’heure actuelle. Le cabinet de Berlin, qui, à Berlin même, met le plus grand soin à cacher sa marche politique à tout ministre étranger, et notamment à l’envoyé d’Autriche, y réussit plus difficilement dans une Cour qu’il tient à dominer par tous les moyens et sur laquelle il veut peser de tout le poids de sa supériorité. Le fait que notre ministre à Dresde a été souvent dans le cas de connaître les vues de la Prusse, principalement en ce qui touche les affaires de l’Empire, plus tôt et plus exactement que le ministre accrédité à Berlin lui-même, suffira pour engager notre envoyé à donner toute son attention à la politique de cette cour, et à la suivre dans ses voies les plus cachées.

« La situation tendue qui existe en ce moment entre nous et la Russie, a coupé court à toute communication directe avec Saint-Pétersbourg. Dresde est donc le point le plus rapproché où un de nos envoyés puisse se rencontrer avec des chargés d’affaires russes; indépendamment de cela, le grand nombre de sujets russes, appartenant pour la plupart aux premières familles qui se trouvent dans cette ville, facilite à notre représentant le moyen de se renseigner sur cet Empire, fermé presque entièrement au reste de l’Europe, et d’apprendre des nouvelles qui peuvent être d’une grande importance pour nous. Il importe toutefois de faire parmi ces nouvelles un choix convenable, attendu qu’elles proviennent pour la plupart de gens bien informés, il est vrai,mais en général mécontents, qui ne voient pas ou qui ne veulent pas voir les choses sous leur véritable jour.

« Dans une des Cours les plus importantes de l’Empire, la présence du chargé d’affaires français donnera lieu à plus d’une observation intéressante, et permettra de pénétrer les vues de la France relativement aux questions qui touchent au corps germanique. La surveillance de ce représentant peut donner d’autres résultats importants dans des questions qui intéressent l’intérieur de notre monarchie, notamment en ce qui concerne l’insouciance avec laquelle le gouvernement de la Saxe voit se propager cet esprit de vertige tout nouveau, qui fait de grands progrès dans la majeure partie des Etats protestants d’Allemagne. Le voisinage de l’Electorat et de nos Etats, joint à la présence continuelle d’un agent français à Dresde pendant les dernières années, a permis d’étudier nos institutions militaires et lui a facilité le moyen d’enrôler des amis et des partisans jusqu’au coeur de la monarchie. Quant aux moyens de parvenir à son but, le chargé d’affaires français était puissamment secondé par la complaisance des nombreux Polonais qui se trouvaient à Dresde: stimulés par la promesse que leur a faite le gouvernement français de reconstituer un Etat polonais, dans lequel les principaux rôles leur ont déjà été distribués d’avance, ils acceptent toutes sortes de missions et sont les espions les plus actifs. Le prince électeur, obéissant à l’influence de ses principes religieux et à son attachement sans bornes pour la nation polonaise, permet à tous les individus de cette nation, même aux plus décriés, d’entrer dans ses Etats et d’y séjourner.

« Toutefois, l’action révolutionnaire de l’agent français n’est pas limitée à cette partie de l’Empire; depuis qu’Alquier a quitté Munich, les nombreux clubs secrets qui sont répandus en Allemagne font partie de la sphère d’action de l’agent de Dresde.

« Il serait superflu de rappeler à notre représentant qu’il doit observer, avec un soin scrupuleux, tout ce qui pourrait se rapporter à ce point, qui intéresse de si près le repos de nos Etats.

Tel était l’état de l’Europe quand M. de Metternich entra dans la diplomatie.

Ses principes prenaient tous les jours, par son horreur de la Révolution française, un caractère plus accentué. Sa devise était: LA VRAIE FORCE, C’EST LE DROIT, et il ne s’est appliqué qu’à suivre les lois éternelles de la société. L’idée d’avoir eu un système, il la repousse avec énergie. Le droit, c’est sa seule boussole.

Aussi ne se fait-il aucune illusion sur la profondeur du mal en France, et il faut voir comme il se rit des prétentions des émigrés, dont il ne se fait pas faute de flageller l’incurable légèreté. Ils étaient d’autant plus coupables que leurs conseils, très mal fondés, amenèrent des catastrophes qu’avec plus de sérieux on eût pu éviter.

Un certain nombre d’années se passent pendant lesquelles Metternich se fortifie dans sa haine contre la Révolution. Mais préoccupé d’affaires de famille et de sa passion pour les sciences, il laisse la politique; lorsque l’empereur François Ier l’appelle à la vie diplomatique, le traité de Lunéville venait d’être conclu. L’Autriche y avait payé

Notes et post-scriptum