ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.208
  • ARTICLES
  • LA PERSECUTION.
  • La Croix, I, octobre 1880, p. 417-420.
  • TD 9, P. 208; CO 183.
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 ANTECHRIST
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DEFENSE DES DROITS DE DIEU
    1 DROITS DE L'HOMME
    1 ENFER ADVERSAIRE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FILS DE VOLTAIRE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 GOUVERNEMENT
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 INSTITUTIONS POLITIQUES
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LACHETE
    1 LAICISME
    1 LEGISLATION
    1 LIBRE PENSEE
    1 LOI DIVINE
    1 MARTYRS
    1 MAUVAIS CHRETIENS
    1 MODERES
    1 PAPE
    1 PERSECUTIONS
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 POUVOIR
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SAINTS
    1 SATAN
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOCIETES SECRETES
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 SOUVERAINETE POLITIQUE
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TOLERANCE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VIE DE PRIERE
    2 ALEMBERT, D'
    2 ETIENNE, SAINT
    2 FREDERIC II, ROI DE PRUSSE
    2 FREYCINET, CHARLES-LOUIS DE
    2 HERODE AGRIPPA I
    2 JULIEN L'APOSTAT
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 PILATE
    2 VOLTAIRE
    3 FRANCE
    3 ROME
  • octobre 1880.
  • Paris
La lettre

I. Quand ces lignes paraîtront, la seconde partie des décrets sera en voie d’exécution. Les Jésuites ont commencé à subir le massacre moral; pourquoi seraient-ils seuls? Si illustres qu’on se soit appliqué à les rendre par la haine dont ils ont été le glorieux objet, il y avait des religieux avant eux, et si, ce qu’a Dieu ne plaise! ils étaient supprimés par l’Eglise une fois de plus, il y aurait des religieux encore. Les sociétés secrètes ne veulent de religieux d’aucune espèce. Après les uns, les autres. Voltaire et Frédéric II se le répétaient sans cesse dans leur correspondance. D’Alembert et les encyclopédistes voulaient la ruine de toute société chrétienne, rêvaient de supprimer les ordres religieux qui en sont le rempart. Or les fils de Voltaire occupent le pouvoir. Pour le dire en passant, nous voyons ce qu’est leur menteuse et hypocrite tolérance, et à quel point il faut se fier à cette mansuétude dont on nous a fait un si pompeux étalage. Pour moi, il m’est avis qu’il est utile pour bon nombre de catholiques de voir où nous ont menés certains modérés, en prêchant les perpétuelles concessions. Dieu veuille que nous nous en souvenions, et que si jamais la force nous est rendue, nous sachions en user envers ceux qui, lorsqu’ils l’ont ne savent s’en servir que pour la plus tyrannique oppression de leurs adversaires!

Oui! elle viendra la persécution, d’abord pour l’humiliation, et la condamnation des mauvais chrétiens dont la lâcheté ne sait pas défendre leur mère, l’Eglise de Jésus-Christ; il est utile qu’ils subissent cet opprobre, alors même qu’ils ne sentiraient pas combien il est ignominieux de passer pour des poltrons. Elle viendra comme une satisfaction funeste accordée aux méchants. Là ils trouveront le piège qui les saisira. Vainqueurs, ils diront: Nous avons bien fait, tout nous réussit, continuons; et c’est précisément la vengeance providentielle qui les prendra dans leurs filets. L’histoire est pleine de faits semblables; mais quand l’histoire a-t-elle éclairé les aveugles volontaires.

La persécution viendra à cause des libres penseurs; il en fut ainsi de tout temps. Malgré toute la jactance de la science nouvelle, on voit bien que ses arguments valent peu, et qu’ils sont vite balayés par une logique saine. Eux aussi en appellent à l’ultima ratio, comme les sophistes de Rome envers les martyrs: ils ont la force matérielle. Il est impossible qu’il n’en soit pas ainsi. J’en dis autant des hommes sans moeurs. Aussi, pourquoi l’Evangile est-il si intolérant, si rude pour la nature humaine? Supprimons la cause du remords en supprimant la loi divine, en faisant disparaître ceux qui la prêchent et nous condamnent.

N’oublions pas l’action incontestable du diable. On a beau vouloir la nier, afin de nier l’ordre surnaturel; que ceux qui ne croient pas se moquent tant qu’ils voudront; si ce n’est leur droit, c’est leur licence; ne nous le dissimulons pas, le diable existe. A moins de nier l’Evangile, il faut reconnaître qu’il a poursuivi Notre-Seigneur à sa naissance par Hérode, directement au désert, à sa passion par les prêtres, les juifs et Pilate. Cet immortel ennemi de Dieu poursuit son oeuvre de révolté, il inspire ses suppots: nous en donnerons un jour peut-être des preuves matérielles. Il agissait ainsi, -l’histoire le dit,- par Julien l’Apostat. La race des traîtres a toujours eu un faible pour le diable, et s’est prêtée à ses caprices. Or, depuis quatre-vingts ans, la cause de l’Eglise semblait se relever; elle réparait les ruines faites par la première révolution. Pareille rénovation ne pouvait s’accomplir sans obstacles nouveaux. Oui, il faut une recrudescence de persécution, et c’est le diable qui la met directement en branle.

II. Mais Dieu se sert de tout pour son grand but, surtout des impies pour faire des saints. Qui a lapidé saint Etienne? crucifié saint Pierre? tranché la tête à saint Paul? Les juifs et Néron, dignes alliés dans la guerre contre le Christ.

Il en sera toujours de même; mais par quels moyens les chrétiens seront-ils vainqueurs? L’Apôtre nous le dit: par la souffrance acceptée, per patientiam, par la prière. Car en face des ennemis de l’ordre surnaturel, qui est la base de tout ordre, il faut avoir d’abord recours aux armes surnaturelles.

La grande illusion d’un très grand nombre de catholiques est de ne pas se rendre compte de la nature de la guerre qui leur est faite.

Ce que se propose avant tout la révolution, c’est la destruction de toute idée religieuse. Qu’est-ce que le laïcisme, sinon la suppression de Dieu et surtout de Notre- Seigneur Jésus-Christ? Suppression absolue. On veut expulser le divin Maître, c’est un importun dont il faut se débarrasser à tout prix, et voilà que commencent les démolitions successives de son oeuvre. Donc encore une fois, suppression des religieux pour détruire ce que l’Eglise appelle les conseils, pour effacer de l’Evangile ce qu’il renferme de plus parfait. On n’en veut pas à la religion, disent quelques hommes hypocrites ou ignorants; à leur choix. Mais quoi! le plan n’est-il pas dévoilé par les imprudents? Ne parle-t-on pas de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, de la suppression du budget des cultes? Réduire les prêtres à manquer de pain, ce n’est pas persécuter la religion, n’est-ce pas? Que sera donc la persécution telle que vous la rêvez?

Allons au fond. Pourquoi toutes ces mesures odieuses, quand on a voulu que les congrégations vinssent demander l’autorisation? Un journal révolutionnaire l’a dit. C’est que les religieux ne veulent pas reconnaître le dogme de la souveraineté nationale. Entendons-nous; saint Thomas reconnaît parfaitement que le pouvoir vient de la multitude, c’est son expression, mais cette multitude l’a reçu de Dieu, et monarchie, aristocratie, démocratie, peu importe, c’est toujours le pouvoir divin: Omnis potestas a Deo, dit saint Paul.

Ce n’est pas là le compte de la révolution: pour elle, le pouvoir vient du peuple, et rien que du peuple. La souveraineté populaire en face de la souveraineté divine, l’homme contre Dieu: telle est la lutte, et pour que l’homme puisse triompher plus aisément, on chassera Dieu de partout. On disait bien, il y a quelque temps: nous ne nous occupons pas de Dieu. Etant les plus forts, les révolutionnaires lèvent le masque, et disent: Dieu n’est qu’un mot. Aussi est-il absolument indispensable d’affirmer plus que jamais les droits de Dieu et de son Fils contre les prétendus droits de l’homme. Le champ de bataille est là. Toutes les questions qui ne se rapportent pas à celle-là sont de trop peu de valeur; ce sont de vaines disputes. Avant tout, il faut savoir sur quoi repose la société: sur Dieu ou sur l’homme. Telle est la vraie question sociale.

III. Et l’on comprendra de suite pourquoi les congrégations n’ont pas voulu se faire reconnaître, et, dans l’état actuel des choses, peuvent bien, avec l’autorisation du Souverain Pontife, déclarer que leur but n’a rien de politique, mais ne doivent pas aller au-delà.

Quand l’Etat était chrétien, qu’il accordait certains privilèges aux communautés, l’Etat pouvait examiner si les institutions de l’Eglise n’abuseraient pas de ces concessions. Il y avait des relations bienveillantes de part et d’autre, et l’Etat demandait certaines conditions que le Saint-Siège accordait sans peine. Aujourd’hui, il y a changement absolu. L’Etat qui dit par son premier magistrat: On n’en veut pas à la religion, doit entendre par ce mot un sentiment vague, sans aucune précision, s’appliquant à toute impression sensible envers un Dieu quelconque, depuis la Sainte-Trinité jusqu’au panthéisme le plus matérialiste. On peut faire de la religion avec tout cela, pourvu que la doctrine de Jésus-Christ, définie comme l’Eglise l’enseigne, soit laissée de côté, à cause des entraves qu’elle apporterait à la notion de la souveraineté exclusivement populaire.

L’Etat se posant sur ce terrain ne sera jamais reconnu par l’Eglise. Les congrégations religieuses ne lui demanderont que le droit commun, pas autre chose. Leur refus attirera-t-il la persécution? Les congrégations la subiront avec patience et fermeté, parce qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Cette parole prononcée par les apôtres persécutés va se répétant d’âge en âge. Rien de plus faible qu’un martyr chrétien devant ses bourreaux, et pourtant ces martyrs ont vaincu, et leur victoire se renouvelle sans cesse.

Ainsi il est bien avéré que les décrets et leurs conséquences sont une des phases les plus importantes de la guerre de l’homme contre Dieu. Aussi, au point où en sont les choses, on acceptera les scellés sur les portes, l’expulsion des maisons religieuses, la prison, tous les moyens violents, mais on ne cédera pas, parce qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

Rome ne cédera pas davantage. Quelques catholiques ont cru devoir gémir de ce que la déclaration avait été autorisée, parce qu’ils en prévoyaient l’inutilité. Pourtant qu’est-ce qu’il faut conclure? Que Rome a fait tout ce qu’elle pouvait pour arrêter le conflit. Les concessions n’ont pas suffi; eh bien! ceux qui les avaient proposées les premiers en subiront la honte. On verra à quoi sert la bonne volonté la plus extrême envers certains personnages. On verra plus. Tous les cabinets européens apprendront quel fond il faut faire sur un système basé sur la permanence dans les variations. Qu’est-ce donc qu’une politique qui consiste à traverser toutes les contradictions, sauf à changer d’instruments selon les calculs d’un pouvoir occulte et irresponsable? Et cela ne saurait durer.

IV. Nous allons à la lutte extrême, et les catholiques y puiseront plusieurs avantages.

M. le ministre de l’intérieur trouvant insuffisant ce dont M. le président du conseil s’était contenté, signifie qu’il repousse la déclaration annotée par M. de Freycinet lui- même. Fort bien! Mais les religieux, après avoir donné au souverain Pontife la plus solennelle preuve d’obéissance en signant, selon son désir et malgré des répugnances très fondées, une pièce pleine d’équivoques, reprennent leur liberté en reprenant la pièce qu’on leur jette avec dédain au visage. Les voilà replacés sur le terrain du droit commun, et, sur ce terrain, ils seront d’autant plus forts, qu’on aura repoussé ce qu’il a fallu appeler une initiative de leur part.

Nous n’avons plus qu’a être les victimes de l’arbitraire, et cette position est assez belle. On a beau parler de légalité, nous savons ce que pense la majorité des jurisconsultes de France, nous savons ce que vaut dans la balance la démission de deux cents magistrats. -C’est déjà oublié, dit-on. -En êtes-vous bien sûrs? Et après tout, le second décret, appliqué après le premier, augmentera le cachet de persécution imprimé sur le front de certains puissants du jour. Oui, on saura que nous sommes persécutés. On semble ignorer l’énergie qu’apporte aux âmes chrétiennes une recrudescence de persécution.

Mais de tous les avantages, le plus grand est celui de procurer les luttes intestines par lesquelles la France maçonnique est condamnée a se détruire elle-même. Ne les voyez-vous pas déjà aux prises, ministres contre ministres, président de la Chambre contre Président de la République? Ne comprenez-vous pas que l’heure critique approche? J’écris ces lignes le 20 septembre, sous l’impression des dislocations des deux derniers jours. Avant que La Croix ne paraisse, qui peut dire de quelles crises nouvelles nous serons les témoins.

Les congrégations seront proscrites, expulsées, mais cette proie dévorée, que mettrez-vous sous les dents affamés des révolutionnaires, des communards, de tous les hommes d’anarchie? Vous persécuterez encore l’Eglise; on peut le prévoir à coup sûr. Et puis? -Et puis je ne vois que vous, et vous l’aurez bien mérité, car vous vous serez engraissés, tandis que vous nous condamniez à l’indigence. -Les anarchistes trouveront tout intérêt à suivre l’inexorable logique qui les poussera à se repaître des gros repus.

Mais si nous nous replions sur nous-mêmes, et si nous nous demandons quel sera le terme de tous les ébranlements accomplis ou préparés, nous n’en voyons que deux possibles: ou bien, selon quelques esprits sages, la tyrannie universelle, qui se prépare par la suppression des petites nationalités, l’établissement par des guerres terribles d’empires de plus en plus vastes, qui se fondront a leur tour dans l’empire de l’Antéchrist, et ce sera la fin prochaine; ou bien, comme à d’autres époques, l’Eglise, attaquée par d’habiles et irréconciliables ennemis, les vaincra quand on croira tout perdu, et la persécution, après l’avoir purifiée, lui préparera de nouveaux triomphes, en attendant le moment connu de Dieu seul pour la suprême lutte et le triomphe final.

E. d'Alzon, des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum