OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE|MEDITATIONS POUR LE CAREME

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE|MEDITATIONS POUR LE CAREME
  • SAMEDI DE LA DEUXIEME SEMAINE DE CAREME
    [SUR L'EVANGILE DE LA FERIE: Luc. XV. 11-32]
  • Méditations sur la Perfection Religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1925I, p. 238-242.
  • CO 6-7
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 CAREME
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONTRITION
    1 DECADENCE
    1 DESOBEISSANCE
    1 MANQUEMENTS A LA REGLE
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 TIEDEUR
    2 LUC, SAINT
  • 1875
La lettre

La parabole de l’enfant prodigue est, à coup sûr, une des plus touchantes que Notre-Seigneur ait présentées aux Juifs. Seulement, bien des personnes se figurent qu’elle n’est applicable qu’à ceux qui se sont livrés à de grands désordres. C’est une erreur. Je puis, si je suis quelquefois inconstant au service de Dieu, y voir de très utiles instructions.

I. Un père avait deux enfants. Le plus jeune demande sa part d’héritage, et, l’ayant reçue, s’en va la dépenser au loin.

N’est-ce pas mon image après des jours de ferveur? J’avais passé mon noviciat dans les plus merveilleuses dispositions; les premiers temps de ma profession avaient été tout célestes. Il semblait que je n’avais qu’à user des dons de Dieu dont j’étais comblé. Mais non, la tiédeur s’est emparée de moi. J’ai succombé à des entraînements, à la paresse, au murmure, à l’ennui, au dégoût. J’ai senti en moi la révolte contre le joug de la règle, et j’ai perdu mon esprit de ferveur. J’ai fait des chutes, j’ai cherché la vie commode, et j’ai eu mes plaisirs mauvais. Ce n’était peut-être pas ceux des libertins; c’était pourtant des jouissances qui ne sauraient aller avec l’esprit religieux. Si tel est mon état, n’ai-je pas repoussé Dieu, ne me suis-je pas volontairement éloigné de lui? Et si Dieu me donnant ce à quoi j’avais droit (à quoi ai-je droit?), m’a laissé dans le dénuement spirituel le plus complet, n’ai-je pas ce que je mérite? Hélas! peut-être depuis bien longtemps je vis dans la violation de la règle, dans l’esprit d’indépendance, dans des dispositions tout humaines, et je prétends me maintenir au rang des fils aimés du Père de famille!

II. Et quand il a tout consommé, une grande famine se déclare, et comme il ne lui reste plus rien, il va se louer à l’un des habitants du pays où il avait fui. Celui-ci l’envoie dans une de ses fermes garder des pourceaux.

N’est-ce pas l’état de l’âme religieuse, de la mienne peut-être qui, faite pour les choses d’en haut, s’est abaissée aux pensées de la terre et a perdu la possibilité de vivre d’un commerce supérieur? La liberté lui est enlevée, elle en est réduite à se soumettre à un joug étranger. Elle n’a pas voulu de Dieu pour maître, les créatures deviennent ses tyrans. Douloureuse expérience qu’elle a faite, et qui, chaque jour, devient plus rude pour elle. Peu à peu, les idées les plus vulgaires, les sentiments les plus humains, les mobiles les plus grossiers, s’emparent d’elle. Elle vit, elle aussi, au milieu des pourceaux: Et misit eum in villam suam ut pasceret porcos. Etat affreux, quand même on ne soit pas plongé dans les derniers désordres; mais que de souffrances dans cette solitude et dans cette nouvelle manière de vivre! Enfin, il en était réduit à souhaiter se nourrir de la même nourriture que les vils animaux dont il avait la garde, et cette nourriture même lui était refusée. »Et cupiebat implere ventrem suum de siliquis quos porci manducabant et nemo illi dabat: Et il désirait remplir son ventre des gousses que les pourceaux mangeaient, mais personne ne lui en donnait. » Quelle misère et quel châtiment!

III. La souffrance le fait rentrer en lui-même. Il compare son état présent non pas avec son ancien état, mais avec celui des domestiques de son père.

O religieux appelé à monter si haut et tombé si bas, ne peux-tu pas dire aussi: « Quanti mercenarii in domo patris mei panibus abundant, ego autem hic fame pereo: Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont du pain en abondance, et moi je meurs ici de faim. » La faim le fait rentrer en lui-même. A quelles infirmités morales ne faut-il pas descendre quelquefois pour être en-état de se relever. Mon Dieu, faites-moi juger de l’état présent de mon âme. Où en suis-je? et n’ai-je pas à former de sérieuses résolutions?

Le prodigue prend un parti généreux: « Surgam et ibo ad patrem meum: Je me lèverai et j’irai vers mon père. »

Ah! c’est là l’effort, c’est là que le courage est nécessaire. Que de religieux sont arrêtés parce qu’ils n’osent pas! Le prodigue se propose de confesser son péché: « Iam non sum dignus vocari filius tuus: Je ne suis plus digne désormais d’être appelé votre fils. » Il le reconnaît, il a perdu ses droits à revenir à cette intimité filiale dont il s’est écarté. Pourtant, il veut espérer encore, et s’il n’est pas traité comme fils, il sera satisfait si on l’accepte comme mercenaire: « Fac me sicut unum de mercenariis tuis: Traitez-moi comme l’un de vos mercenaires. « 

IV. Il se lève, abandonne son troupeau. Mais son père, qui l’aperçoit de loin, court vers lui, se penche sur son cou et pleure de joie. Le prodigue fait l’aveu de ses fautes. Le père, dans sa joie, ne songe pas à le pardonner, tant le pardon est dans son coeur. Il fait apporter un vêtement nouveau, fait tuer le veau gras, préparer un festin, et se livre au bonheur d’avoir retrouvé son fils.

Est-ce là mon état? Ai-je, comme le prodigue, dit sincèrement à Dieu: « Pater peccavi in coelum et coram touche? Père, j’ai péché contre le ciel et contre vous? » Ai-je bien avoué que je ne mérite plus d’être appelé son fils? Ah! si dans l’humiliation d’un passé plein de fautes j’ai le courage de me mettre sérieusement à changer de vie, à reprendre mon ancienne ferveur, Dieu saura bien avoir pitié de moi et me traiter avec cette tendresse ineffable que Jésus-Christ me montre dans la parabole du prodigue.

Notes et post-scriptum