OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • ABUS DES GRACES
    MISERABLE ETAT DE L'AME QUI ABUSE DES GRACES (1).
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 27-33.
  • CO 17
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 AUSTERITE
    1 CONFESSION DU RELIGIEUX
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DEFAUTS
    1 EFFORT
    1 ENFER
    1 FOI
    1 GRACE
    1 HABITUDES DE PECHE
    1 INSENSIBILITE
    1 ORAISON
    1 VERTUS
  • 1875
La lettre

Et fiunt novissima hominis illius peiora prioribus(2). Pourquoi? parce qu’il a abusé de la grâce. La vie du chrétien n’est-elle pas souvent un long abus des grâces? Or, voici le résultat.

1° Dégoût de la part de Dieu;

2° Insensibilité de la part du religieux;

3° Impossibilité morale de se convertir.

I. Dégoût de la part de Dieu.

Quoi d’étonnant à cela? Depuis combien de temps n’attend-il pas? « Pone ollam; pone, inquam. Prends une chaudière; prends, te dis-je. Congere frusta. Remplis-la de morceaux de viande et de graisse les plus exquis »(3)(4). Qu’importe? Le Seigneur cherche à secouer cette âme; la rouille s’y est trop attachée.

Jérusalem coupable fit verser des larmes au Seigneur, mais Jérusalem ne se convertit pas. Dieu lui envoya des prophètes; elle les tua. Il vint lui-même; elle le mit à mort. Vainement Jésus lui disait: Quia si cognovisses et tu, et quidem in hac die tua, quae ad pacem tibi(5). Mais, puisque Jérusalem ne veut pas écouter Jésus-Christ, voilà ce que dit le Seigneur: « Tes ennemis viendront, ils te jetteront à terre. Et ad terram prosternent te. Ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre. Ei non relinquent in te lapidem super lapidem. » Pourquoi? « Parce que tu n’as pas connu le temps de la visite du Seigneur. Eo quod non cognoveris tempus visitationis tuae. »(6) Et depuis, Jérusalem est la preuve lamentable de la haine que le Seigneur conçoit pour ceux qui ont abusé de ses dons.

En suis-je là? Et le Seigneur commencerait-il, en effet, à me prendre en dégoût? Quelles sont mes résolutions tenues? Quels sont mes défauts arrachés? Quelles sont mes vertus acquises? Quelle est la pratique de ma Règle? Quelle est la ferveur de mes méditations, de mon office, de mes lectures, de mes communions, de mon action de grâces? Combien de temps me suis-je maintenu dans la présence de Dieu? Combien de fois n’ai-je pas redouté qu’il ne me parlât trop fort? Combien de fois, comme Jonas, n’ai-je pas cherché à me soustraire à ses ordres? Et, en face de pareilles dispositions, je veux que Dieu ne se dégoûte pas de moi!

O Seigneur! pardon de mon inconscience. Ah! je vous le promets, désormais je vous écouterai, et si votre voix se fait entendre, je n’endurcirai pas mon coeur.

II. Insensibilité de l’âme.

J’ai, dans une autre circonstance, parlé de l’insensibilité du coeur et de sa dureté. Hélas! n’est-ce pas l’histoire de bien des religieux que j’ai connus, et surtout n’est-ce pas la mienne? Question terrible! Il y a eu un moment où j’entendais la voix de Dieu, et elle me poussait. Le Maître du festin me disait: « Mon ami, montez plus haut. Amice, ascende superius. »(7) Mais,, parce que cela m’était dur, je préférais faire comme si je n’avais pas entendu; et maintenant il se trouve que, n’ayant pas voulu monter, je suis descendu. Entraîné par la faiblesse de ma nature, par une privation de grâce due à l’abus que j’en ai fait, je descends la pente et je reste sous le coup de l’a plus lamentable paralysie morale qui m’empêche de reprendre ma place d’autrefois. On me parle; je ne me révolte pas, seulement je ne sens rien. Où cela aboutira-t-il pour mon âme? Où aboutit la paralysie pour le corps. A force d’insensibilité, je ne me sentirai même pas mourir. L’éloignement de Dieu se fera pour ainsi dire sans que je m’en aperçoive. Je ne sens plus sa présence, je ne sentirai pas son absence.

Engourdissement, léthargie, précurseurs de la fin; mais quelle fin pour moi, si elle arrive parce que je n’ai pas apprécié les grâces accordées, et parce que j’ai préféré vivre d’une vie indifférente, lorsque j’étais appelé à vivre d’une vie de ferveur!

Seigneur, resterai-je longtemps dans un état pareil et ne ferai-je aucun effort pour en sortir? Votre grâce, ô mon Dieu, votre grâce! Et veniat super me misericordia tua*(8). Qu’elle vienne victorieuse, qu’elle fasse couler une vie nouvelle dans mes veines et me donne l’espoir que vous ne me repousserez pas, malgré le dégoût que je vous ai si justement inspiré.

III. Impossibilité morale de se convertir.

En effet, si je ne prends pas un parti vigoureux, ou si Dieu ne fait pas un miracle, comment me convertirai-je dans cet état d’abus des grâces?

Quel aiguillon m’excitera?

La pensée de mon salut? Mais mon insensibilité m’y a rendu indifférent.

Les avances de Jésus-Christ? Mais, dégoûté de moi, il ne m’en fait plus.

La peur des jugements de Dieu? Mais si ma foi est paralysée en moi, tout est engourdi et la terreur de mon avenir ne peut plus m’effrayer.

Mes confessions? Mais l’insensibilité me détourne de les faire, et si je les fais, je les fais sans contrition.

L’austérité? j,e n’en veux plus. La méditation? je n’en fais plus. Les bons exemples? Je les tourne en raillerie.

On viendra me parler de mon salut, je ne comprends plus ce langage.

Que me reste-t-il donc à attendre, sinon un miracle?

Eh bien! mon Dieu, je vous le demande aujourd’hui. Au nom des paralytiques que vous avez relevés de leur lit pendant votre vie mortelle, chassez ma paralysie. Je remarque que, tandis que vous disiez souvent aux autres malades: « Votre foi vous a sauvé »(9), aux paralytiques vous avez dit: « Vos péchés vous sont remis »(10), ou bien: « Allez et ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire. »(11)

Dominez, mon Dieu, le dégoût que mon état vous inspire; rendez la sensibilité à mon âme, et je vous promets, mon Dieu, d’écouter votre voix, de faire tous les efforts dont je serai capable et de me convertir.

Notes et post-scriptum
1. Cette troisième méditation sur l'abus des grâces examine, comme la précédente, les conséquences de cet abus, mais avec des considérations différentes.
4. Pour bien saisir la portée de ce passage d'Ezéchiel dans l'application qu'en fait le P. d'Alzon à l'abus des grâces quelques explications paraissent nécessaires. Il s'agit ici d'une parabole par laquelle le prophète annonce aux Juifs la ruine de Jérusalem, qu'un premier châtiment n'avait pas convertie. Une partie du peuple avait déjà été emmenée en captivité avec le roi Joakim. Sédécias, qui lui avait succédé depuis neuf ans, s'étant révolté contre Nabuchodonosor, celui-ci avait marché contre Jérusalem, et, pour représenter les maux qui allaient fondre sur la ville coupable, Ezéchiel emploie la parabole d'une chaudière rouillée où l'on entasse les viandes, symbole du sort réservé aux habitants de Jérusalem. L'à propos de cette parabole ne se comprend pas bien si l'on ne se reporte aux plaisanteries qu'avaient faites les incrédules au sujet d'une vision plus ancienne du prophète Jérémie, qui avait dit trente-cinq ans auparavant: "*Ollam succensam ego video et faciem eius a facie aquilonis*. Je vois une chaudière bouillante qui vient du côté de l'aquilon." Jer. I, 13.) C'était l'annonce de Nabuchodonosor et de son armée remplie de fureur. Les Juifs s'étaient moqués de cette prophétie, l'avaient même travestie en appliquant à la ville de Jérusalem ce que Jérémie avait dit de Nabuchodonosor, et Ezéchiel les avait entendus ricaner en montrant la Ville Sainte: "*Haec est lebes, nos autem carnes*. Voici la chaudière et nous sommes la chair qu'on jettera dedans" (XI, 3), voulant signifier que, malgré toutes les menaces, rien n'arrivait.
Aussi Ezéchiel déclare aux Juifs que Jérusalem est cette chaudière beaucoup plus qu'ils ne croient, et que tous les habitants y passeront, eux qui ont abusé de tous les avertissements, de tous les appels, de toutes les grâces. "Mets la marmite sur le feu, mets-la, dis-je..., entasses-y les morceaux... Malheur à la cité de sang, dont je ferai moi-même un grand bûcher... Toutes les chairs seront consumées..., les os seront réduits à rien... Le temps est venu, je vais agir. Je ne laisserai plus les fautes impunies, je n'épargnerai plus, je ne m'apaiserai plus, mais selon tes voies et selon tes inventions, je te jugerai, dit le Seigneur." (XXIV, 3-15, passim.) C'est avec ces accents terribles que la colère du Seigneur annonce les châtiments à Jérusalem endurcie. Au sens spirituel, ces foudroyantes paroles s'adressent à l'âme qui a longuement abusé de la grâce. C'est pourquoi le P. d'Alzon rappelle ici cette parabole d'Ezéchiel, qu'il indique plutôt qu'il ne développe.2. "Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier." (Luc. XI, 26.)
3. Ezech. XXIV, 3, 4.
5. "Ah! si tu reconnaissais, toi aussi, au moins en ce jour qui t'est encore donné, ce qui peut te procurer la paix." (Luc. XIX, 42.)
6. Luc. XIX, 44.
7. Luc. XIV, 10.
8. "Que votre miséricorde vienne sur moi." (Ps. CXVIII, 41.)
9. *Fides tua te salvum facit*. (Matth. IX, 22. Marc. V, 34; X, 52. -Luc. VII, 50; VIII, 48; XVII, 19; XVIII, 42.)
10. *Remittuntur tibi peccatal tua*. (Matth. IX, 2.)
11. *Iam noli peccata ne deterius tibi aliquid contingat*. (Ioan. V, 14.)