OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • OBSTACLES A LA VIE RELIGIEUSE
    REGARD EN ARRIERE
    SES CAUSES
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 40-45.
  • CO 19
Informations détaillées
  • 1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 AVARICE
    1 CORRUPTION
    1 DESOBEISSANCE DE RELIGIEUX
    1 INCONSTANCE
    1 LACHETE
    1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
    1 PECHE
    1 PERFECTION
    1 SUFFISANCE
    1 TRIPLE CONCUPISCENCE
    1 VIE RELIGIEUSE
  • 1875
La lettre

Nemo mittens manum suam ad aratrum et respiciens retro aptus est regno Dei(1).

N’en suis-je pas là depuis que je suis entré en religion? Postulant, novice ou profès, n’ai-je pas regardé en arrière? Quelles en sont les causes? Je m’arrêterai en ce moment à trois principales: 1° la corruption de ma nature; 2° la faiblesse de ma volonté; 3° le péché.

I. Corruption de ma nature.

J’étais né enfant de colère; le baptême m’avait fait enfant d’adoption. Mais quel foyer de péchés n’ai-je pas attisé en moi, depuis que je suis arrivé à l’âge de raison? Tous les jours, la triste concupiscence développant en moi comme un immense incendie, je ne puis dire quels désordres s accumulent dans mon coeur.

Que ne sont pas mes prétentions, mon orgueil, ma susceptibilité, mon désir de plaire, mon désir des succès humains? Tout cela jette sur mon âme je ne sais quelle boue affreuse. Quels mouvements impurs se forment en moi! Quelles révoltes dans mon imagination! Quelle facilité à accorder à mes sens tout ce qui n’est pas positivement coupable! Quelle curiosité ne m’emporte pas pour savoir le bien et surtout le mal! Que de temps perdu en propos inutiles pour arriver à connaître ce qu’il m’est inutile de savoir? De là, que de froissements et pour moi et pour les autres! Que de suppositions souvent calomnieuses, toujours contraires à la charité!

Que dirai-je de ma cupidité? Sous le voile du désintéressement, je veux avoir et avoir beaucoup, et cela est honteux. Ce que je veux avoir, qui pourrait le dire? La cupidité prend tant de formes! En fin, ou je suis avare et je veux avoir pour moi, ou je suis prodigue et je veux avoir pour les autres et étaler ainsi ma très sotte générosité.

Voilà une faible esquisse de ma corruption. Que serait-ce si j’étalais la triste série de mes jalousies, de mes antipathies et de mes haines? Quand je suis entré au couvent, j’avais renoncé à tout cela; mais depuis, quelle fatale réaction dans mon coeur! et quelle corruption n’est pas la mienne!

II. Faiblesse de ma volonté.

Mon Dieu! j’ai voulu tendre à la perfection, et c’était bien; mais ai-je persévéré? Pourquoi donc ai-je changé ainsi? Serais-je de ces inconstants, entre le ciel et l’enfer, à qui votre prophète disait: « Jusques à quand boiterez-vous des deux côtés? »(2) Serais-je de ces natures qui veulent toujours autre chose que ce qu’elles ont et qui n’ont de motif de changer que l’amour même du changement? Semblable au malade que toute position fatigue sur sa couche de douleur, dès que j’ai adopté un parti, je m’y trouve mal. Ma volonté est incapable de supporter l’ombre même de la persévérance. Je ne veux pas aujourd’hui, uniquement parce que je voulais hier. Je ne manque pas de prétextes pour changer ainsi. Dieu le permet pour ma honte et ma confusion.

Que puis-je réaliser avec cette fluctuation perpétuelle? Rien, rien. Cependant, j’entends l’Apôtre me dire: Unusquisque in qua vocatione vocatus est, in ea permaneat(3)(4). Dieu fixe a chacun différents postes dans le grand combat de la vie! Tout poste est bon, pourvu qu’il soit gardé avec persévérance. Mais semblable à la sentinelle qui s’éloignerait du lieu où elle a été placée, moi aussi, n’ai-je pas abandonné le poste qui m’avait été confié par la providence?

Avec cette faiblesse désolante, Seigneur, ai-je commencé l’oeuvre de mon salut? Ne me suis-je pas plutôt bien éloigné de vous? Posant l’édifice de ma sanctification sur le plus mouvant des sables, que de résolutions prises et violées! Que d’ordres reçus et non exécutés! Que de prétextes inventés soit pour manquer à la :Règle, soit pour désobéir à mes supérieurs! Les causes de murmure manqueront-elles jamais à ma volonté incertaine et incapable?

Jusques à quand, mon Dieu, voudrai-je et ne voudrai-je pas? Il serait pourtant bien l’heure de courber ma volonté brisée, meurtrie, indisciplinée, sous votre volonté éternelle, pour lui rendre la vigueur dont elle a besoin, si je veux être un vrai religieux.

III. Le péché.

Peccatum peccavit Ierusalem, propterea instabilis facta est, disait le prophète: Jérusalem a commis un grand péché; c’est pour cela qu’elle est devenue instable(5). Et moi donc? Quelle n’est pas mon instabilité? Aurais-je commis quelques-unes de ces fautes horribles après lesquelles, ô mon Dieu, vous endurcissez le coeur, comme vous endurcîtes celui de pharaon? Peut-être, Seigneur. Permettez-moi pourtant de ne pas m’arrêter à cette supposition, bien qu’elle puisse être fondée. Non, mon instabilité tient à la faiblesse même de ma volonté.

Ah! je le sais, que de religieux à qui leurs supérieurs peuvent dire, comme saint Paul à quelques chrétiens de son temps: Miror quod sic tam cito transferimini(6). J’admire avec qu’elle rapidité vous êtes passé d’un état à un autre. Mais non ce n’est point un péché énorme qui est cause de ce changement; ce n’est point un de ces immenses rochers qui, roulant du haut des montagnes, obstruent tout à coup le chemin; c’est cette multitude de fautes moins graves qui, comme les cailloux dont les routes sont quelquefois couvertes, meurtrissent le pied du voyageur et le font même trébucher. Alors, on se dépite. Autrefois, on ne s’arrêtait pas pour si peu, on passait outre; une faute commise était une occasion de pénitence et de nouvelle ferveur.

J’entends l’Apôtre dire encore: « Currebatis bene: quis vos impedivit veritati non obedire? Vous couriez bien; qui vous a empêchés d’obéir à la vérité? »(7) Ce qui empêche? C’est cette multitude de petits manquements qui, à force de se multiplier, enlacent l’âme, la gênent et finissent par la rendre incapable de se mouvoir, à plus forte raison d’avancer.

Voilà où j’en suis. Seigneur, que dois-je faire? A quoi dois-je m’appliquer? Ah! je le sais bien; à briser ces petits empêchements, à fortifier ma volonté, à me purifier de cette corruption naturelle qui m’entrave sans cesse. Vous me donnerez votre grâce, ô mon Dieu, vous qui êtes ma force et mon salut, et je n’aurai peur de rien. Dominus illuminatio mea et salus mea, quem timebo?(8)

Notes et post-scriptum
4. Le P. d'Alzon applique ici à la vocation religieuse un texte dont le sens littéral se rapporte plutôt à l'état, à la profession, à la condition extérieure des premiers chrétiens avant leur conversion.1. "Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas propre au royaume de Dieu." (Luc. IX, 62.)
2.*Usquequo claudicatis in duas partes*? (III Reg. XVIII, 21.)
3. "Que chacun demeure dans la vocation où il était quand il a été appelé." (I Cor. VII, 20.)
5. Thren. I, 8.
6. "Je m'étonne de vous voir changer si vite!" (Gal. I, 6.)
7. Gal. V, 7.
8. "Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui pourrais-je craindre?" (Ps. XVI, 26.)