OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • LA CONVERSION
    [MOTIFS ET CONDITIONS.]
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 55-60.
  • CO 22
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DIVIN
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DEFAUTS
    1 FRANCHISE
    1 ILLUSIONS
    1 INDIFFERENCE
    1 INSENSIBILITE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MORT
    1 RESPECT HUMAIN
    1 SCANDALE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIGILANCE
  • 1875
La lettre

Surgam et ibo ad Patrem meum(1). Je considère ce prodigue réduit au plus affreux état, à qui le sentiment de son abjection donne en fin le désir de se tourner vers son père. Image de l’âme qui, considérant les défauts qui l’entourent comme un troupeau d’animaux immondes, cherche une salutaire liberté. Elle se dit: Surgam.

Je veux examiner: 1° Quels sont les motifs de ma conversion; 2° quelles en seront les conditions.

I. Motifs de la conversion.

1° La mort qui approche. Que de tristes souvenirs se présentent à la pensée! La mort se fait sentir. Que de personnes connues disparaissent sans cesse! A chaque instant, des parents, des amis s’en vont. Mais est-ce que nous ne sentons pas en nous-mêmes une réponse de mort? Combien de temps Dieu me laissera-t-il ici-bas? Que de morts à droite et à gauche! et je n’y pense pas Je ne suis pas, sans doute, de ceux qui disent: Je me réconcilierai au dernier moment. J’ai la prétention de mourir bien préparé. Il n’en est pas moins vrai que je me laisse aller à la plus déplorable imprévoyance.

2° Je compte sur Dieu, qui me déclare que le Fils de l’homme viendra comme un voleur, et que, par conséquent je dois me tenir prêt à tout moment. Ah! que de personnes de piété sont surprises! Si je m’expose à traîner dans l’indifférence, pourquoi Dieu me traiterait-il avec plus de bienveillance que tant d’autres! D’autant plus que ce sera le moment de se juste vengeance. Qu’aurai-je à lui répondre quand il viendra me dire: Je t’ai assez longtemps attendu, tu n’as pas voulu de moi, chacun son tour.

3° En vérité, la vie que je mène est un scandale. Entendons-nous..Je ne fais pas de ces fautes énormes qui forcent les anges du ciel à se voiler la face, mais à chaque instant la masse de mes défauts scandalise des âmes qui s’étonnent qu’approchant des sacrements je conserve cet esprit médisant, irritable, impatient, auquel je me laisse emporter. Que de vanités, que d’amour-propre, que de jalousies, que de pieuses détractions, qui scandalisent de ma part ceux qui en sont les témoins et qui sont plus scandalisés encore par les mauvaises raisons par où je cherche à les justifier. Si je veux me mettre à servir Jésus-Christ, tout cela doit disparaître.

4° Mais, ce qui doit me décider le plus à me convertir, c’est Jésus-Christ, qui m’attend depuis si longtemps. Il m’attend du haut du ciel, où il est à la droite de son père. Il m’attend au fond du tabernacle, où nuit et jour il réside pour moi. Il m’attend au haut de la croix sur laquelle il a répandu son sang pour me sauver. Il m’attend au fond de mon coeur, où il vient me prodiguer ses plus tendres miséricordes.

Ah! que je dois prendre pour moi cette parole: Redite, praevaricatores, ad cor(2). C’est là, c’est là, que me repliant en moi-même, j’examinerai si réellement j’irai à mon père. Ah! qu’il importe que ma volonté, à qui la force est offerte, se décide enfin, et qu’avec le désir du pardon, je dise à Dieu: Surgam et ibo ad Patrem meum. Mon Dieu, donnez-m’en la force, je me lèverai et je me prosternerai à vos pieds.

II. Conditions de la conversion.

1° La première condition est de rompre avec mon passé, non pas sur tous les points, sans doute, mais sur le point par où je me sens séparé de Dieu. Deux écueils sont à éviter:

D’abord, l’illusion. Que de personnes qui mettent leur conversion là où Dieu ne la met pas, et qui ne la mettent pas là où Dieu, au contraire, la met! Où en suis-je à cet égard, et qui me tirera de cet inconvénient, sinon la demande d’un conseil sérieux, avec la sincère résolution de le suivre. Il ne faut pas beaucoup de temps pour cela. On demande quel est le point délicat sur lequel il faut porter son attention, faire son sacrifice, et la réponse faite, on va à l’immolation Aurai-je bien ce courage, et, si je l’ai, combien je dois demander à Dieu de l’avoir toujours!

[Ensuite, le respect humain.] Il faut que je prenne la résolution de détruire en moi le respect humain. Que de choses où le respect humain m’arrête!. Je pratiquerais un acte de vertu; mais que diront les personnes qui en seront témoins? Elles me blâmeront, trouvant que je suis exagéré. Elles se moqueront de moi; une raillerie me fera peur. C’est toujours l’histoire de saint Pierre en face d’une servante. Eh bien! il faut que je prenne courage, et qu’en étudiant ce que Dieu me demande, je ne me laisse arrêter par aucune considération humaine. Hélas! Hélas! mon passé ne me doit-il pas faire redouter la tyrannie du respect humain?

2° Si jamais il a été nécessaire de ne pas tarder sous une foule de prétextes, c’est le moment présent. Dieu me le donne, me le donnera-t-il demain? Dieu me veut, je le sens; mais est-il obligé de me vouloir dans huit jours, dans une heure? Comme l’éclair qui brille à l’Orient et qui tout à coup s’éteint dans l’Occident extrême, ainsi le Fils de l’homme. Après quoi, l’endurcissement. Que de personnes qui eussent pu se convertir et qui ne seront que de vulgaires chrétiens(3). On a mille prétextes. Enfin, on a laissé passer le temps, et le salut a été compromis.

3° Enfin, la sincérité sur les points où la conversion doit porter, quand même Dieu me demanderait un sacrifice pénible. Dois-je ignorer que Jésus-Christ a dit: « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même », non pas [seulement] au monde, mais à lui. « Qu’il prenne sa croix », instrument très dur de supplice, « et qu’il me suive. »(4) Condition extrêmement difficile à remplir. Voilà ce qui m’est demandé. Veux-je aller jusque-là?

Ah! je vois le père de famille aller au devant de son fils repentant. Les détails de la parabole sont pleins d’intérêt pour moi. J’y vois l’immense bonté de Dieu. Quand y verrai-je la nécessité d’une absolue conversion? J’irai aux pieds du Sauveur, au tabernacle; je lui dirai: Peccavi in coelum et coram te, iam non sum dignus vocari filius tuus(5). Le Sauveur me relèvera dans son amour, et je commencerai cette vie sincèrement nouvelle qu’il me demande depuis si longtemps et que je ne puis plus tarder à lui offrir.

Notes et post-scriptum
3. Le P. d'Alzon avait d'abord écrit de "vulgaires dévotes", entraîné sans doute à l'expression féminine par le mot "personnes" qui commande cette phrase. La correction est de sa main; il a effacé le mot *dévotes* et l'a remplacé par le mot "chrétiens". Mais n'est-ce pas se convertir que de vivre en chrétien? Dans le monde, peut-être, mais non dans la vie religieuse. La méprisante épithète de "vulgaire", accolée au mot chrétien, explique suffisamment la pensée de l'auteur. Comme il parle à des religieux, il peut leur dire qu'ils ne seront pas vraiment convertis s'ils restent de simples chrétiens, ce qui est très vrai.1. "Je me lèverai et j'irai à mon père." (Luc. XV, 18.)
2. "Rentrez en vous-mêmes, prévaricateurs." (Is. XLVI, 8.)
4. *Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat crucem suam, et sequatur me*. (Matth. XVI, 24.)
5. "Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis plus digne d'être appelé votre fils." (Luc. XV, 21.)