OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • L'INTERET PERSONNEL
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 114-118.
  • CO 35
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CIEL
    1 DEGOUTS
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 FOI
    1 IDEES DU MONDE
    1 MANQUE DE FOI
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOLONTE PROPRE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    3 THABOR
  • 1875
La lettre

Omnes enim quae sunt quaerunt(1). Ce mal régnait déjà du temps de saint Paul, et le divin Sauveur le caractérisait lui-même, quand il disait: Nemo servus potest duobus dominis servire(2). Il faut que j’en prenne mon parti. Si je ne me donne pas catégoriquement à Dieu dans la vie religieuse que je mène, peut-être ne me donnerai-je pas au monde, mais je me donnerai à moi-même. Je n’ai pas, comme les prêtres séculiers, de famille dont il faille m’occuper, j’ai ma personne, mes intérêts propres, ma vie à moi. Or, l’intérêt propre: 1° éteint l’esprit de foi; -2° dégoûte du ciel; -3° étouffe l’esprit de prière; -4° est la mort de la charité.

I. L’intérêt propre éteint l’esprit de foi.

Je suis placé entre la terre et le ciel; la foi m’a conduit au cloître, mais du moment que je veux mettre les idées humaines dans le cloître, je puis bien m’adresser les paroles du maître du festin de l’Evangile: Quomodo huc intrasti(3)? Quelle affreuse contradiction, et pourquoi la supporté-je? Mais si l’esprit de foi s’éteint, que me restera-t-il du religieux? Religieux veut dire homme dévoué à la cause de Dieu, et je ne suis dévoué qu’à ma cause personnelle. C’est une vraie ruine de ma vocation, et, sans l’esprit de foi, que devient ma parole, qui n’est qu’un souffle terrestre? Que devient mon action, dont l’impulsion ne vient plus d’en haut?

II. L’intérêt personnel dégoûte du ciel.

Qu’y a-t-il de commun entre l’intérêt personnel et les pensées de la patrie? Le ciel est promis à ceux qui mettent leur espérance en Dieu, mais le ciel ne peut aller à ceux qui se perdent dans les combinaisons terrestres; écueil très grand, même dans la piété. Saint Pierre, à la vue du Sauveur transfiguré sur le Thabor, s’écrie: « Seigneur, il nous est bon d’être ici; construisons-y trois tentes. »(4) Puisque le ciel descend sur la terre, restons sur la terre, et jouissons-y du ciel. Raisonnement très simple, mais en même temps très dangereux, car s’il est bon de rester ici-bas, la pensée de la patrie s’en va.

N’ai-je jamais rien éprouvé de semblable? J’ai eu du succès dans mes prédications, des consolations dans mes oeuvres, des joies intimes dans certaines relations, mes calculs se sont réalisés, ma position est honorable, j’ai à peu près ce qu’on peut désirer en ce monde, pourquoi vouloir aller ailleurs? Il nous est bon d’être ici. Bonum est nos hic esse. Et le ciel? Mais à quoi bon? Ce sera le plus tard possible. Hélas! Seigneur, quelle dégradation! Ne serait-ce pas la mienne?.

III. L’intérêt propre étouffe l’esprit de prière.

Est-ce bien étonnant? Je ne demande rien qu’à moi, je ne cherche que moi, je ne veux faire triompher que moi. Mais il est évident que Dieu ne peut m’inspirer que du dégoût. Alors, comment le prierai-je? Et que lui demanderai-je? j’ai assez de pudeur pour ne pas le solliciter en faveur de mes aspirations les plus secrètes auxquelles je tiens le plus. Enfin, je pense à toute autre chose qu’à prier. Le religieux préoccupé des combinaisons terrestres a bien peu l’esprit à l’oraison.

IV. L’intérêt propre est la mort de la charité.

Comment aimerais-je mon prochain? Ai-je donc trop de temps pour m’aimer moi-même? Non, non, j’ai à m’occuper de moi, à penser à moi; que les autres fassent ce qu’ils voudront. C’est de moi que je m’occupe. Que le Trappiste, que (le) Chartreux, voués à la contemplation, laissent aux autres les oeuvres de charité et de zèle, cela se comprend; ils quittent Dieu pour Dieu. Mais moi, je quitte Dieu et le prochain pour moi-même. Donc, je suis sans charité; je resterai dans cet état tant que l’esprit personnel restera dans mon âme.

O Dieu, ôtez-moi cet esprit propre, cette préoccupation de mon intérêt, et faites que je songe avant tout à votre gloire et aux âmes que vous m’avez chargé de sanctifier.

Notes et post-scriptum
1. "Car tous cherchent leurs propres intérêts." (Phil. II, 21.)
2. "Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres." (Luc. XVI, 13.)
3. "Comment êtes-vous entré ici?") (Matth. XXII, 12.)
4. *Respondens autem Petrus dixit ad Iesum: Domine bonum est nos hic esse: si vis, faciamus hic tria tabernacula*. (Matth. XVII, 4.)