OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • LA MORTIFICATION
    [LUTTE CONTRE LE REGNE DE LA CHAIR]
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 211-216.
  • CO 59
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMOUR DES AISES
    1 AUGUSTIN
    1 CHAIR
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COMMUNION DES SAINTS
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 LUTTE CONTRE LE CORPS
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAUVAIS CHRETIENS
    1 MORT DE L'AME
    1 MORTIFICATION
    1 MORTIFICATION CORPORELLE
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REGNE
    1 REVOLTE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TYRANNIE DES SENS
    2 JEAN, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 TONNA-BARTHET, OESA
  • 1875
La lettre

Poenitentiam agite(1). Lorsque l’on entend saint Paul parler de la lutte contre la chair et le sang, on croirait qu’il y a comme deux principes en présence. Rien de plus vrai en un sens, pourvu que, prenant l’enseignement chrétien, on veuille séjour rendre compte des abominables erreurs qu’en produit l’exagération. Oui, une certaine puissance a été laissée à la chair depuis le péché, et il faut l’abattre. J’examinerai aujourd’hui: 1° ce qu’est le règne de la chair; 2° ce qu’il faut faire pour le détruire; 3° par quel moyen je dois rétablir en moi l’ordre troublé par la tyrannie des sens.

I. Qu’est-ce que le règne de la chair?

Il y a en nous deux éléments: le corps et l’âme, Or, le corps est condamné à périr à cause du péché. Il n’en avait pas toujours été ainsi, mais l’homme ayant perdu par le péché la justice originelle, de même que l’esprit s’était révolté contre Dieu et fut condamné à en être séparé, de même le corps séjour révolta contre l’esprit et fut condamné à en être, séparé par la mort. La révolte des sens contre l’âme, voilà ce que l’on appelle le règne de la chair; et de même que l’esprit est l’ennemi de Dieu par le péché, de même la chair devient l’ennemie de l’esprit par la concupiscence et les passions révoltées qui en découlent. Depuis lors, la chair suit sa pente et aussi sa révolte; elle a sa sagesse qui est l’ennemie de Dieu. Sapientia carnis inimica est Deo; legi enim Dei non est subiecta: nec enim potest(2).

D’où le dégoût profond que Dieu ressent pour les hommes de la chair: Qui autem in carne sunt, Deo placere non possunt(3). Dégoût de Dieu pour les hommes placés dans cette vie. N’y suis-je pas, non que je me plonge dans les hontes dernières de la sensualité, mais n’ai-je pas bien souvent recherché ce que l’on appelle les jouissances permises de la chair? Ne me suis-je pas fait sur ce point les plus dangereuses illusions? Ah! quel état affreux que celui du religieux qui s’est mis dans l’impossibilité de plaire à Dieu: Qui in carne sunt, Deo placere non possunt.

Et quelle triste conséquence à tirer! Si je suis les impulsions de la chair, si j’écoute la voix de la chair, je me damne inévitablement; c’est l’Apôtre qui le déclare: Si enim secundum carnem vixeritis moriemini(4). Que faire donc? Combattre la chair et la vaincre. Comment? Le voici.

II. Destruction de l’empire de la chair.

Nous pouvons aimer quatre choses, dit saint Augustin: Dieu, nous-mêmes, le prochain, le corps. Si nous laissons les choses à leur place, tout restera dans l’ordre; mais si, bouleversant cet ordre, nous aimons le corps plus que l’esprit, un bouleversement affreux s’opère et alors les malheurs commencent.

Dans l’état présent, développez l’empire du corps, vous développez l’empire de la mort à laquelle le corps est condamné, et cette mort s’étend à l’âme selon sa nature. Développez l’empire de l’esprit, c’est-à-dire l’action de Dieu, vous développez en vous l’immortalité qui s’étendra au corps par une bonté toute gratuite de Dieu, mais qui entre dans son plan très miséricordieux à notre égard.

D’où je conclus à la nécessité de la lutte contre mon corps qui, sous ce rapport, est mon ennemi; d’où j’arrive à cette très rigoureuse conclusion: Veux-je que mon corps triomphe? la mort en est la suite. Veux-je donner la victoire à mon âme? la vie éternelle, par la grâce de Dieu, sera la destinée de mon corps lui-même. Mais, je ne dois pas l’oublier, cela m’est accordé par la grâce de Jésus-Christ. Or, j’entends saint Paul me dire: Qui autem sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis(5). D’où encore je conclus à la mortification corporelle, à la mortification des sens, à la mortification des passions, des appétits, en un mot de toute convoitise. Et ici, la lutte recommence. Nous ne voulons pas mourir à nous-mêmes, tant est doux, dit saint Augustin, le commerce du corps et de l’esprit: Tantam habet vim carnis et animae dulce consortium(6)! Où en suis-je à cet égard, et quelle est la lutte que j’ai entreprise? Quelles victoires ai-je remportées? Et si j’ai remporté la victoire, ai-je porté le remède nécessaire au mal fait par la tyrannie de la chair? C’est ce que j’ai enfin à examiner.

III. Par quels moyens dois-je rétablir l’ordre troublé par la tyrannie de la chair?

Jetons les yeux sur le divin Maître. Il vient au monde, dans le monde du péché, et malgré sa répugnance à rester au sein de l’humanité, « parce qu’elle est devenue chair, quia caro est« (7), « il se fait chair lui-même, Verbum caro factum est« (8). Mais pourquoi cette chair prise par le Verbe? Pour la châtier, pour la réduire en servitude, pour la clouer à la croix, pour l’y faire périr. Voilà la haine de Jésus-Christ pour la chair; voilà à quoi il la réduit dans son humanité sainte. Mais Jésus-Christ seul traitera-t-il ainsi sa chair? Gardons-nous de le croire. Voilà saint Paul qui châtie son corps et le réduit en servitude. Castigo corpus meum, et in servitutem redigo(9). Le corps est un esclave, la servitude est son partage, et il ne mérite que le châtiment: Castigo corpus meum et in servitutem redigo.

Saint Paul va plus loin quand il dit: Adimpleo ea quae desunt Passionum Christi in carne mea(10). Que manque-t-il donc à cette passion vivifiante? Rien sans doute, sinon l’imitation de notre part. Je me mettrai aux pieds de mon crucifix, je méditerai sur cette que j’ai à souffrir pour mes péchés.

Mais il y a plus, je suis religieux, j’ai à souffrir pour mes péchés sans doute, mais j’ai [aussi] à souffrir pour les péchés des ennemis de l’Eglise et pour les péchés des chrétiens; pour les péchés des ennemis de l’Eglise qui la persécutent au dehors, et pour les péchés des chrétiens qui la torturent au dedans. Cette grand mystère de l’expiation, qui vient se souder au mystère de la communion des saints, implique, par la charité, l’obligation pour moi de combattre la tyrannie de la chair, en moi, d’abord, ensuite chez les autres, par une mortification semblable à celle de Jésus-Christ. Quand commencerai-je? Quand marcherai-je sur les traces de mon Sauveur? Quand, par la destruction du règne de la chair, travaillerai-je à étendre le règne de Dieu en moi, dans l’Eglise, dans les pécheurs, et à accroître ainsi le royaume des saints?

Notes et post-scriptum
6. Texte introuvable. Le P. Tonna-Barthet, O. E. S. A., un spécialiste des écrits de saint Augustin, ne croit pas que cette texte soit sorti tel quel de la plume du saint docteur. L'expression *dulce consortium* à propos de la chair et l'esprit, ne lui paraît pas dans la manière de l'évêque d'Hippone. On lit cependant, dans le sermon *De utilitate ieiunii* quelque chose de semblable: *Est ergo quasi quoddam coniugium spiritus et carnis*.1. "Faites pénitence." (Matth. III, 2.)
2. "La sagesse de la chair est ennemie de Dieu, car elle n'est pas soumise à la loi de Dieu, et elle ne peut l'être." (Rom. VIII, 7.)
3. "Ceux qui marchent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu." (Rom. VIII, 8.)
4. " Si vous vivez selon la chair, vous mourrez." (Rom. VIII, 13.)
5. "Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises." (Gal. V, 24.)
7. Gen. VI, 3.
8. Ioan. I, 14.
9. I Cor. IX, 27.
10. "J'accomplis dans ma chair cette qui manque aux souffrances du Christ." (Col. I, 24.)