OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • SENS HUMAIN ET SENS CHRETIEN
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 262-268.
  • CO 72
Informations détaillées
  • 1 ACTE DE PERFECTION
    1 AUGUSTIN
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 EMPIRE DE SATAN
    1 ESPRIT FAUX
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE DIEU
    1 IDEES DU MONDE
    1 IGNORANCE
    1 INSENSIBILITE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PEUR
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 SAGESSE HUMAINE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRIPLE CONCUPISCENCE
    1 VOIE UNITIVE
    2 ADAM
  • 1875
La lettre

Caro concupiscit adversus spiritum spiritus autem adversus carnem; haec enim sibi adversantur(1).

Nous portons en nous le principe d’une double lutte, et nous sommes bien souvent entraînés comme par deux courants opposés. L’Apôtre les appelle la chair et l’esprit; non que l’esprit n’ait aussi ses entraînements mauvais, mais il semble lutter davantage contre le mal, soutenu qu’il est par la grâce de Dieu.

Rien de plus important que d’examiner celui de ces deux courants auquel nous nous laissons aller:

1° Qu’est-ce donc que le sens humain?

2° Qu’est-ce que le sens chrétien?

De cette méditation jailliront pour nous de grandes lumières.

I. Sens humain.

Qu’est-ce que le sens humain? L’ensemble des jugements, des impressions, des idées à l’aide desquels nous jugeons les choses, en dehors de la foi. Or, la source de ces idées, de ces impressions, de ces jugements, remonte, dans l’ordre de la chair, à deux causes: l’ignorance et la concupiscence.

Je trouve plusieurs sortes d’ignorance:

1° Ignorance de faiblesse. -Oui, l’ignorance est un défaut de mon esprit. En combien de circonstances n’est-ce pas un défaut de ma volonté? J’ai peur de voir; J’ignore, mais je n’ai pas la force de chercher à connaître; je sais que mon devoir exige que j’arrive à certaines lumières: ces lumières me font peur. Je ferme les yeux et je m’endors; puis je m’écrie: « Ah! si j’avais su! » Mais il fallait savoir.

2° Ignorance de grossièreté. -Le mot semble dur; il l’est, en effet, à cause de sa vérité. Il y a une ignorance très grossière, dans laquelle certaines natures se réfugient. On croit être à l’abri de la voix de la conscience. C’est Adam, se cachant, derrière des buissons, contre la présence de Dieu. Quoi de plus déplorable que les idées que cette grossièreté suggère! Et pourtant, si vous écoutez les hommes livrés à leurs passions, que de jugements basés sur cette grossièreté ignorante n’entendrez-vous pas! Moi-même ne me suis-je pas complu à en formuler de semblables, parce qu’il m’ennuyait de me tenir dans un ordre supérieur?

3° Ignorance d’esclavage. -Triste situation que celle-là! On porte en quelque sorte le bandeau de son péché. Qui facit peccatum servus est peccati(2). Le pécheur est esclave, et, de même que le maître a le droit d’empêcher l’esclave de s’instruire, de même le péché forme autour de l’âme une certaine ignorance qui, dissipée, laisserait le moyen de recouvrer la liberté. Le pécheur habite une prison ténébreuse, et c’est pourquoi il ne voit pas par oû il peut s’échapper et s’affranchir.

4° Ignorance de préjugés. -C’est l’ignorance des gens du monde, mais que de religieux en sont réduits à ce point! On s’arme d’une foule d’idées fausses: ainsi l’on diminue l’importance des Voeux, l’obligation de l’Office, les saintes chaînes de la Règle; on se fait des préjugés à soi, et puis on dit: « Je ne savais pas! » Mais vous pouviez savoir, et votre ignorance n’est qu’un péché de plus.

En second lieu, le sens humain prend sa source dans la concupiscence. Ai-je besoin de le prouver? Je n’ai qu’à descendre au fond de mon âme.

Hélas! quel est le mobile de mes jugements et de mes déterminations? Ne sont-ce pas mes désirs, rues craintes, mes appétits, mes intérêts, mes passions?

Je jette sur tout ce triste ensemble de misères je ne sais quel manteau de sagesse humaine. Les prétextes ne font pas défaut; l’hypocrisie et le mensonge aidant, je me constitue dans un état où je me crois à l’abri de toute reproche; je vis selon la prudence de la chair; que peut-on demander?

Mais, dit-on, la religion exige des choses insensées?

Pourquoi vous êtes-vous fait religieux?

Dans tous les cas, il faut bien se le rappeler: Sapientia serpentis decepti sumus; Dei stultitia liberamur(3), dit saint-Augustin. Il n’en faut pas davantage. Satan est entré dans le paradis pour y porter le sens diabolique, il peut bien entrer dans un couvent pour y porter le sens humain. Combien de fois ne l’ai-je pas écouté?

II. Sens chrétien.

Sous un certain rapport, il ne faudrait pas dire le sens chrétien; l’expression est impropre. Toutefois, nous voyons Notre-Seigneur donner comme un sens nouveau à ses apôtres: Aperuit eis sensum ut intelligerent Scripturas(4); et ailleurs: Filius Dei venit et dedit nobis sensum ut cognoscamus verum Deum et simus in vero Filio eius(5).

Sens admirable, qui nous fait connaître Dieu et en Dieu toutes choses, et qui fixe notre état dans son vrai Fils, dans la sagesse et la sainteté de Jésus-Christ! Que pouvons-nous souhaiter de plus?

Ce sens supérieur nous transporte dans un monde nouveau où tout est transfiguré. Connaître le vrai Dieu, et, de cette connaissance, déduire ce qu’il est pour nous et ce que nous devons être pour lui, quel ennoblissement de notre nature! C’est par l’esprit, par l’intelligence que nous communiquons avec Dieu, pur esprit. Voilà la chair délaissée et l’esprit s’élevant au-dessus de toutes les faiblesses pour se rapprocher de Dieu et se fixer en Jésus-Christ! Quels jugements vrais, quelles idées supérieures n’aura pas celui à qui le Fils, en venant, aura donné le sens nouveau! Filius Dei venit et dedit nobis sensum. Plonger dans l’étude des attributs de Dieu, autant que la méditation guidée par la foi et l’enseignement de l’Eglise le permettent, se nourrir de cette substance divine. donner à l’âme cet aliment infini! Dedit nobis sensum ut cognoscamus verum Deum.

Mais il ne s’agit pas seulement de contempler; le sens chrétien, ici-bas, est surtout pratique: Intellectus bonus omnibus facientibus eum(6) et saint Thomas ajoute que la foi est ordonnée par son opération même: Fides per operationem ordinatur.

Au fond, que fait le sens chrétien? Il nous purifie. Qu’est-ce que l’impureté? C’est, dit saint Thomas, le mélange d’un être avec ce qui est inférieur; mais, si je m’élève à un être supérieur, je me purifie(7). Plus je m’unis aux notions de Dieu, à la connaissance de Dieu, plus je deviens pur: et plus je deviens pur, plus je m’établis en union avec le vrai Fils de Dieu: Ut simus in vero Filio eius.

Mon Dieu, donnez-moi le sens nouveau, le sens chrétien; donnez-moi de vous connaître; donnez-moi de vivre désormais en Jésus-Christ, et, le sens humain détruit en moi, je pourrai jouir de votre vérité et arriver à votre sainteté.

Notes et post-scriptum
1. "La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair: en effet, ils luttent l'un contre l'autre." (Gal. V, 17.)
2. "Celui qui pèche est l'esclave de son péché." (Ioan. VIII, 34.)
3. "La prudence du serpent nous a trompés; la folie de Dieu nous délivre."
4. "Il leur donna le sens des Ecritures, afin qu'ils les comprissent." (Luc. XXIV, 45.)
5. "Le Fils de Dieu est venu, et il nous a donné l'intelligence [une sorte de sens des choses surnaturelles], afin que nous connaissions le vrai Dieu, et que nous soyons en son vrai Fils." (I Ioan. V, 20.)
6. "La véritable intelligence est en ceux qui agissent selon la crainte du Seigneur." (Ps. CX, 10.)
7. *Mens humana inquinatur ex hoc quod inferioribus rebus conjungitur, sicut quaelibet res ex immixtione pejoris sordescit, ut argentum ex immixtione plumbi*. IIa-IIae, q. LXXXI, art. 8.)