OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
  • UNION DE LA CHARITE ET DE L'OBEISSANCE
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 280-286.
  • CO 76
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 DESOBEISSANCE
    1 EFFORT
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE DIEU
    1 EUCHARISTIE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 SAINT-ESPRIT
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VOEUX DE RELIGION
    1 VOIE UNITIVE
  • 1875
La lettre

Deus charitas est(1). Dans cette méditation, je me propose d’envisager la charité dans son fruit le plus parfait, qui est l’obéissance. J’examinerai: 1° la charité en elle-même; 2° la charité produisant l’obéissance la plus parfaite en Jésus-Christ; 3° l’obéissance élevant le religieux à la perfection de la charité.

I. La charité en elle-même.

L’amour a son principe en Dieu même, qui est amour, qui se communique aux hommes, dont il n’a pas besoin, et qui veut bien nous aimer le premier d’une tendresse toute gratuite: Ipse prior dilexit nos(2). Quel abîme insondable que le coeur de Dieu! Il nous a aimés d’un amour éternel: In charitate perpetua dilexi te(3).

Mais cet amour, nous devons le lui rendre, et comme Dieu nous aimera toujours mille fois plus que nous ne sommes capables de l’aimer, ce nous est une obligation de l’aimer de tout notre coeur, de toutes nos forces et par-dessus toute chose. Voilà où le chrétien doit tendre sans cesse, doit tendre toujours de l’effort le plus absolu.

Cet amour, qu’on appelle charité, a pour but de nous unir à Dieu. Dieu veut bien nous attirer à lui dans sa miséricorde: Attraxi te, miserans (4).

Voici encore un nouveau prodige: Dieu veut agir comme s’il avait besoin de nous, de notre amour, de notre reconnaissance, et il s’unit à nous, opérant ainsi l’union des deux extrêmes, de l’être infini et de l’être tiré du néant!

Dieu n’a pas besoin de nous et il veut que nous l’aimions, non seulement parce que nous avons besoin de lui, mais parce qu’il est la bonté et la beauté par excellence; Dieu veut que nous soyons épris de ses perfections.

Cet amour, nous devons nous exercer à l’accroître sans cesse, non par nous-mêmes, qui en sommes incapables, mais par la grâce, par la communication du Saint-Esprit, qui est l’amour dans lequel Dieu s’aime infiniment. De telle sorte que, à proprement parler, il n’y a qu’une vertu parfaite: l’amour de Dieu; toutes les autres en découlent, et l’on peut dire qu’elles sont ses filles. Sans la charité, toutes les autres vertus ne sont rien, car elles n’ont plus leur mobile essentiel, qui est Dieu. Otez la charité, il n’y a plus d’acte méritoire. Rétablissez la charité, tout prend un caractère nouveau, une vie nouvelle dans l’ordre surnaturel.

II. La charité produit l’obéissance la plus parfaite en Notre-Seigneur.

Nous marchons de prodige en prodige. Dieu a voulu prouver à l’homme son amour. Qu’a-t-il fait? Il a donné son propre Fils. Sic enim Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret(5). En le donnant, il l’a livré, ne lui épargnant ni les ignominies, ni les souffrances, ni la mort. Qui etiam proprio Filio suo non pepercit(6).

Ce divin Fils a pris soin lui-même de s’anéantir autant qu’il dépendait de lui: Semetipsum exinanivit(7). Pourquoi se livrer ainsi? Parce que nous avions péché et que le monde devait être racheté par lui de ses péchés. Ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum(8).

Mais qu’est-ce que le péché? La désobéissance à la loi de Dieu. Eh bien! celui qui est la loi se fera obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix: Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis(9). Et c’est ainsi que celui qui est la loi vivante accomplira parfaitement la loi, car « la perfection de la loi, c’est l’amour: Plenitudo enim legis est dilectio« (10). La perfection de l’obéissance à la loi, c’est l’amour, et la preuve la plus convaincante de l’amour, c’est l’obéissance jusqu’à la mort de la croix.

Mais examinons attentivement. Les anges rebelles, ayant refusé d’obéir, ont été précipités au fond de l’enfer, où ils obéissent dans la haine. Est-ce là une obéissance vraie? A proprement parler, non, c’est plutôt la puissance divine écrasant les révoltés en qui se continuera jusqu’à la fin le principe de la révolte.

Sur la terre, l’homme esclave du péché n’obéit qu’à la force; il obéit dans la crainte, il obéit en esclave. Mais il a été racheté par l’obéissance de son Dieu, fait homme pour lui apprendre à obéir, et parce que Jésus-Christ a obéi avec un amour divin, l’homme doit apprendre, à l’exemple de son divin Maître, à pousser l’amour jusqu’aux dernières limites de l’obéissance, non plus seulement de l’obéissance commandée, mais de l’obéissance conseillée; et c’est ainsi que se fait l’union de la charité et de l’obéissance dans le coeur de l’homme qui tend à la perfection.

III. L’obéissance élève le religieux à la perfection de la charité.

Jésus-Christ obéissant m’apprend à obéir; or, c’est l’amour qui forme, si je puis parler ainsi, l’obéissance dans le coeur de notre divin Maître, et c’est son obéissance qui est la grande preuve de son amour.

Il en sera de même pour l’homme. L’obéissance sera en lui aussi grande que l’amour dont elle est la preuve. L’amour sera aussi grand que l’obéissance dont il est le principe. Si je n’aimais pas, je n’obéirais pas. A quelle dignité l’obéissance n’est-elle pas élevée par la considération de son origine? Le plus bel usage que je puisse faire de ma volonté, principe de mon amour, c’est de la courber sous la volonté divine, dont l’accomplissement me rendra de plus en plus semblable à Dieu et accroîtra par là même ma puissance de vouloir et d’aimer.

O admirables rapports entre ces deux vertus: l’amour qui divinise l’obéissance; l’obéissance qui, en me soumettant plus fortement à la loi et aux désirs de Dieu, augmente son attrait pour moi et, en me rendant plus semblable à lui, me rend plus capable de m’unir à lui par un amour toujours plus ardent.

L’homme obéit à celui qu’il aime. Jésus-Christ lui-même en est la preuve. Est-ce qu’il n’obéit pas tous les jours au prêtre, soit à la messe, soit à la communion? Il lui obéit jusqu’au sacrilège qu’il accepte de la part des pécheurs pour obéir avec plus d’amour aux âmes pures et saintes.

En face de cet amour obéissant d’un Dieu, l’homme veut à son tour reculer les limites de l’amour en reculant les limites de l’obéissance.

Telle est la raison du voeu d’obéissance, ce qui fait dire à saint Thomas que le religieux mourant le jour de sa profession solennelle irait au ciel sans passer par le purgatoire, parce qu’il accomplit un acte de charité parfaite aussi parfait que l’acte du martyre(11).

Où en suis-je par rapport à l’obéissance? La charité en est-elle pour moi le principe? Où en suis-je par rapport à la charité? L’obéissance en est-elle la preuve et le fruit?

O Jésus! je veux vous aimer pour entrer dans la perfection de l’obéissance religieuse. J’obéirai désormais de tout l’élan de ma volonté, fortifiée par votre grâce, afin de vous prouver la perfection de mon amour.

Notes et post-scriptum
1. "Dieu est charité." (Ioan. VI, 16.)
2. "C'est lui qui nous a aimés le premier." (Ioan. IV, 10.)
3. Jer. XXXI, 3.
4. "Je t'ai attiré par compassion." (Jer. XXXI, 3.)
5. "Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique." (Ioan. II, 16.)
6. Rom. VIII, 32.
7. Phil. II, 7.
8. Matth. I, 21.
9. Phil. II, 8.
10. Rom. XIII, 10,
11. IIa-IIae, q. CLXXXIX. *De religionis ingressu*, a. III, ad 3m*, où saint Thomas enseigne que l'entrée en religion par les voeux produit les mêmes effets que le baptême.