OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES. APPENDICE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES. APPENDICE
  • DE LA FIN DE L'HOMME
    [Ia - IIae, q. I.]
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 345-348.
  • BH 5
Informations détaillées
  • 1 ACTES HUMAINS
    1 BIEN SUPREME
    1 BONTE MORALE
    1 BUT DE LA VIE
    1 CONNAISSANCE MORALE
    1 CONSCIENCE PSYCHOLOGIQUE
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 LEGERETE
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LOI DIVINE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RESPONSABILITE
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 ARISTOTE
  • 1875
La lettre

Notum fac mihi,Domine, finem meum (1)(2).

Je veux vous adorer, ô mon Dieu, avec le désir vrai de connaître la grande question de ma destinée. Je suis votre créature, vous ne m’avez pas jeté dans ce monde au hasard, vous m’avez donné un but. Il manquerait, in effet, quelque chose à votre infinie sagesse, si l’univers entier n’était pas créé dans un but que vous vous êtes proposé, et qui ne saurait être autre que vous-même, selon ce que dit le Saint-Esprit: Universa propter semetip sum operatus est Dominus(3). Mais l’univers, en atteignant le but que vous lui avez assigné, n’en a pas la conscience, tandis que, doué d’une intelligence et d’une volonté, je sais ce que je veux et, par là, je suis votre image. Or, ici se présentent [trois] questions: 1° Ai-je un but? 2° Quel est ce but? 3° Quelle valeur puis-je donner à ce but?

I. Ai-je un but dans ma vie?

Cette première question est à peu près tranchée pour moi par ce qui [se] présente [à ma réflexion]. J’ai une intelligence qui connaît, j’ai une volonté qui se détermine: par conséquent, je sais ce que je fais, et ce que je fais, je le fais parce que je le veux. Sans quoi, j’accomplirais des actes déraisonnables. J’accomplirais des actes qui ne seraient pas humains, car il n’y a d’actes humains que ceux qui ont une fin, sinon raisonnable, du moins raisonnée. Dans tout ce que je fais en tant qu’homme, c’est-à-dire avec ma raison et ma volonté, je suis responsable de mes actes, puisque je les fais librement et avec un but déterminé.

O mon Dieu, que d’actes que j’ai accomplis sans réflexion! Que de circonstances où, par la manière machinale dont j’ai agi, je me suis mis au-dessous de la brute qui n’a pas l’intelligence! Ah! faites-moi sentir qu’étant un être raisonnable, je dois agir pour un but, et ce but faites-le-moi connaître, afin que j’y tende avec tout l’effort de la volonté et de l’intelligence que vous avez mises en moi.

II. Quel est le but de ma vie?

Je ne veux pas aborder en ce moment le fond de cette question. Mais je sais bien, ô mon Dieu, que si vous m’avez créé, avec une volonté capable de pencher à droite ou à gauche, vous m’avez donné une loi pour diriger cette volonté et que, selon que mes actions sont conformes ou contraires à cette loi, elles sont bonnes ou mauvaises. Je sais cela, ô mon Dieu, et de là résulte pour moi l’obligation de connaître cette loi et d’y conformer tous mes actes, car elle fait le partage de toute ma vie en bien ou en mal. Mais est-ce que je cherche à l’étudier, car il est très évident que selon ce que je connaîtra, j’agirai.

Je ne saurais trop insister sur cette vérité: la différence entre les bêtes et moi, c’est que je pense et que je veux, ce qui constitue en moi le libre arbitre, que les théologiens appellent: facultas voluntatis et rationis(4). L’homme qui agit dans un but connaît l’objet de la volonté. Or, l’objet de la volonté, c’est le bien: bonum est quod omnia appetunt(5). L’univers poursuit son bien sans s’en douter, l’animal le poursuit avec un certain instinct, l’homme le poursuit avec sa volonté et son intelligence. Seulement, il est sujet à s’égarer, pour des motifs que j’examinerai plus tard.

O mon Dieu, faites que je ne m’égare pas sur une question aussi importante; faites-moi connaître, Seigneur, mon véritable bien, qui est le but de ma vie: Notum fac mihi, Domine, finem meum.

III. Quelle valeur puis-je donner au but de ma vie?

Si c’est le but, la fin de mes actions, qui rend mes actes bons ou mauvais, il est évident que, plus je chercherai un but parfait, plus mes actes auront de valeur. D’où trois conclusions à tirer.

La première, que je dois toujours agir dans le but le plus élevé, et je donnerai une valeur morale d’autant plus grande à ma vie que je me rapprocherai davantage du but le plus parfait.

La seconde, que c’est la perfection de mon intention qui rendra ma vie plus digne d’un homme, -je ne dis pas encore d’un chrétien. -En dehors des intentions particulières applicables aux actes divers, il y a une intention générale dont je dois faire le mobile de toute ma vie, et plus cette intention sera énergique, plus la perfection de mes actions en recevra une heureuse influence.

La troisième est que, mes actes étant bons ou mauvais selon leur fin, et la fin légitime de ces actes étant le bien: plus ce bien sera parfait, plus mes actes, qui le prendront pour but, seront parfaits eux-mêmes.

Mais quel plus grand bien que Dieu? Ai-je à m’arrêter à prouver qu’en face d’un pareil but, tous les buts créés ne sont que mensonge et déception? Le but, donc, auquel doivent tendre tous mes actes, c’est Dieu.

C’est donc vers vous, ô mon Dieu, que toutes mes intentions doivent se diriger, vers vous seul, et pas ailleurs. Je vous chercherai donc dans toutes mes actions, ô terme suprême de ma vie; je vous offrirai tout ce dont est capable mon intelligence et ma volonté, et vous accepterez mon offrande avec miséricorde, parce que vous êtes le principe et le terme de tout bien (6).

Notes et post-scriptum
2. Il s'agit dans ce texte, non du but de la vie, mais de sa brièveté; le Psalmiste demande à Dieu de lui faire connaître le peu de jours qui lui restent à vivre. C'est par une extension accommodatice qu'on donne au mot *fin* le sens du but de la vie tel que l'entend ici le P. d'Alzon.
6. Les trois questions qui forment les trois points de cette méditation sont l'aboutissement pratique des huit articles qui composent la première question de la Ia-IIae et dans lesquels saint Thomas étudie la fin dernière, but définitif de toute l'existence de l'homme. C'est fondamental, car du but à atteindre résultera la notion des devoirs à remplir, ou de la marche à suivre pour y arriver. Aussi saint Thomas établit que l'homme agit nécessairement pour une fin (art. 1), que c'est le propre de la créature raisonnable (art. 2), dont chaque acte est spécifié par la fin (art. 3); que, dans la succession des fins subordonnées poursuivies par l'homme, il faut nécessairement admettre une fin dernière (art. 4), et une seule (art. 5); que tout le mouvement de la volonté aboutit à cette fin-là (art. 6), qui est la même pour tous les hommes (art. 7); mais non pour toutes les créatures, du moins quant à la manière de l'acquérir et de la posséder (art. 8). Le côté pratique de cette doctrine éminemment philosophique se résume dans les trois questions où le P. d'Alzon concentre l'enseignement de saint Thomas: Ai-je un but? Quel est ce but? Quelle valeur puis-je donner à ce but? En écartant les considérations purement philosophiques et par trop spéculatives, il a su en tirer une oraison très élevée, non moins pieuse que doctrinale.1. "Seigneur, faites-moi connaître ma fin." (Ps. XXXVIII, 5.)
3. Le Seigneur a tout fait pour lui-même. (Prov. XVI, 4.)
4. Le libre arbitre est appelé "une faculté de la volonté et de la raison". (Ia-IIae, q. 1, a. 1.)
5. "Le bien est ce vers quoi se portent tous les êtres." (Aristole, cité par saint Thomas, Ia-IIae, q. VIII, a. i.)