OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES. APPENDICE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES. APPENDICE
  • DU BONHEUR
    [Ia - IIae, q. II.]
  • Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 349-352.
  • BH 5
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 AUGUSTIN
    1 BIEN SUPREME
    1 BONHEUR
    1 CREATURES
    1 DESESPOIR
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 FORTUNE
    1 HONNEURS
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 LUXURE
    1 POUVOIR
    1 PROVIDENCE
    1 PUISSANCES DE L'AME
    1 SANTE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VANITE
    1 VERITE
    1 VIE HUMAINE
    2 JEROME, SAINT
  • 1875
La lettre

I. -Le bonheur ne peut consister dans les richesses. Car je les dissipe à mesure que je les emploie. Qu’est-ce qu’un bonheur qui se détruit à mesure que je m’en sers? Quelle contradiction! Si j’ai des richesses sans m’en servir, en quoi me donnent-elles le bonheur? Et si je les emploie, je ne les ai plus et le bonheur fuit avec elles. Dira-je que le bonheur consiste dans un emploi modéré des richesses? Mais cette modération même implique une impuissance de ma part.

Puis, je peux les perdre. Puis, je ne suis jamais sûr d’en avoir autant que je souhaite. Où est le bonheur, avec une source pareille donnée à ma félicité?

Enfin, il faudra les laisser un jour à d’autres. Quand, nu, je rentrerai dans le sein de la terre comme je suis sorti nu du sein de ma mère, devrai-je dire que je suis malheureux et privé du bonheur pour toujours? Quel avenir!

II. -Le bonheur consiste-t-il dans les honneurs? D’abord, il n’y en a pas pour tous les hommes, sauf affaire de comparaison. Quand tout le monde commande, qui obéit? Quand tout le monde a les mêmes honneurs, où est la distinction recherchée par les honneurs ici-bas? Les honneurs ne donneraient le bonheur qu’à bien peu de personnes, et encore que de déboires ne causent pas les faux honneurs!

III. -Disons de même de la gloire. Qu’est-ce que la gloire humaine? Quelle fumée! Quelle vanité! Quelle tromperie! Qui la mérite? Et ceux qui l’ont sont-ils sûrs de la posséder légitimement? Question pénible pour les « animaux de gloire », comme les appelle saint Jérôme.

IV. -Le bonheur ne peut consister dans le pouvoir. Il faudrait un pouvoir absolu. Mais qui n’est pas sujet à la dépendance? Alors, pourquoi regretter un pouvoir perdu, rechercher un pouvoir à venir, pouvoir qu’on peut me refuser si je le sollicite, trop souvent enlevé à ceux qui l’ont recherché? Que d’hommes sans pouvoir avec un pouvoir limité par mille barrières! avec un pouvoir disparu! Et le bonheur consistera dans un pouvoir de cette sorte?

V. -Que d’hommes trouvent le bonheur, ou croient le trouver, dans la conservation de leur corps! Mais qu’est-ce que mon corps? Allons plus loin, qu’est-ce que ma vie ici-bas? Je jette les yeux en moi et autour de moi: où est le bonheur? Ah! sans doute, j’ai l’instinct naturel de la vie, mais je n’en sens pas moins que la vie m’échappe, mes forces s’en vont, mes sens perdent leur vivacité, ma vue s’obscurcit, mon oreille entend avec plus de peine. Le bonheur est-il dans cette décadence de mon corps, signe précurseur du voisinage de la tombe?

VI. -Trouverai-je ce bonheur si cherché dans la volupté? Mais les joies de la volupté se rapportent à mes sens, et mes sens ne sont qu’une puissance s’exerçant sur un corps: virtus animae corpore utens(1). S’appliquant au corps par les sens mon âme s’abaisse, tandis qu’en s’élançant vers le monde intellectuel, elle s’élance comme vers l’infini. Et je laisserais ce qui est supérieur pour trouver le bonheur dans ce qui est en bas!

VII. -Les biens légitimes de l’âme ne sont pas davantage le bonheur. L’âme ne saurait être sa fin à elle-même, et les biens propres à l’âme ce sont ses facultés. Certes, cet ordre de biens est fort au-dessus de tout ce qui précède; mais n’importe, l’âme est un être fini, qui ne s’est pas fait lui-même, qui subsiste parce que la Providence le conserve, qui peut rentrer dans le néant, si Dieu le veut, et qui sent bien qu’il ne se suffit pas à lui-même. L’âme n’est pas à elle-même son bonheur; elle doit le chercher plus haut qu’elle-même, sous peine de tomber dans l’erreur, le désenchantement et, finalement, dans l’adoration d’elle- même our le désespoir.

VIII. -En un mot, rien de créé ne peut procurer le bonheur de l’homme, parce que tout ce qui est créé a une limite, et que les désirs de l’homme n’en ont pas. L’homme, doué de la double faculté de connaître et d’aimer, a un double but: à l’intelligence correspond la vérité universelle, à la volonté correspond le bien infini. L’universelle vérité, le bien infini, c’est tout un, c’est Dieu dans son infinie perfection, où l’intelligence et la volonté trouvent leur apaisement, leur terme. C’est donc dans le bien infini, qui est Dieu, que je trouverai mon bonheur. « Si la vie du corps est l’âme, la vie heureuse de l’âme est Dieu », dit saint Augustin(2).

O Dieu, vie heureuse de mon âme, bonheur infini, parce que vous êtes la vérité et le bien infini, venez remplir mon âme par la communication de votre être, autant que la créature peut recevoir la communication de son Créateur. Que je me repose en vous, que je ne trouve ici-bas de bonheur qu’en vous, afin que, pendant l’éternité, je sois enivré du torrent de vos joies(3). Ainsi soit-il!

Notes et post-scriptum
3. Allusion au verset 9 du psaume XXXV: "*Inebriabuntur ab ubertate domus tuae et torrente voluptatis tuae potabis eos.*. Il seront enivrés de l'abondance de votre maison, et vous les ferez boire au torrent de vos délices." -Cette méditation résume toute la question II, de la I-IIae, où saint Thomas cherche en huit articles: "*De his in quibus beatitudo hominis consistit*; quel est l'objet de la béatitude de l'homme." Après avoir écarté les richesses (art. 1), les honneurs (art. 2), la renommée ou la gloire (art. 3), la puissance (art. 4), les biens du corps (art. 5), la volupté (art. 6), tout bien inhérent à l'âme (art. 7), saint Thomas démontre qu'aucun bien créé ne peut apaiser la volonté de l'homme et que, par conséquent, Dieu seul, bien infini, peut faire son bonheur (art. 8).1. "Les sens sont des facultés que l'âme exerce au moyen du corps." (Ia-IIae, q. ii, a. 6.)
2.*Ut vita carnis anima est, ita beata vita hominis Deus est.* (De Civ. Dei I, XIX, c. xxvi.) -Cité par saint Thomas Ia- IIae, q. II, a. 8. Sed contra.