OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS AUX TERTIAIRES DE L’ASSOMPTION.|INSTRUCTIONS POUR LES REUNIONS DU TIERS-ORDRE (1879).

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS AUX TERTIAIRES DE L'ASSOMPTION.|INSTRUCTIONS POUR LES REUNIONS DU TIERS-ORDRE (1879).
  • LA FOULE.
  • Instructions aux Tertiaires de l'Assomption, 1878-1879. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1930, p. 124-128.
  • CO 135
Informations détaillées
  • 1 AUTORITE PAPALE
    1 CARDINAL
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 CONSPIRATION
    1 DEMOCRATIE
    1 ENFANTS DE DIEU
    1 ENVIE
    1 FLATTERIE
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 IGNORANCE
    1 INCONSTANCE
    1 JUIFS
    1 LIBERTE
    1 LUTTE CONTRE LE MAL
    1 MIRACLES DE JESUS-CHRIST
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 PAPE
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PEUPLE
    1 SALUT DES AMES
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VERITE
    1 VIOLENCE
    2 BARABBAS
    2 PIERRE, SAINT
    2 PILATE
    3 JERUSALEM, TEMPLE
  • Tertiaires de l'Assomption
  • 1879
  • Nîmes
La lettre

Assistons à un spectacle qu’il plaît à Jésus de nous donner, afin de nous rendre compte de ce que c’est que la foule, et, si vous le voulez, le suffrage universel.

Le pouvoir peut quelquefois être désigné par le peuple, comme le Pape par les cardinaux; mais qui a jamais prétendu que le pouvoir pontifical, lorsqu’un Souverain Pontife est mort, résidait dans le Sacré Collège? Il ne peut être ici question de la souveraineté du peuple condamnée par l’Eglise. Mais en dehors de ces théories funestes, sur lesquelles je n’ai pas à insister, voyez ce qui se passe pour le divin Sauveur, et concluez de là ce qui se passe toujours dans les mouvements populaires.

Jésus a ressuscité Lazare. Ce prodige a excité au plus haut point la curiosité et l’enthousiasme des Juifs. Jésus vient à Jérusalem, et il y est reçu en triomphe. Aussitôt émotion profonde chez les docteurs, les prêtres, les savants, les politiques, les ambitieux. Des conseils secrets sont tenus. On se forme en comités, on prend des dispositions, on dresse des plans. Jésus est saisi. Le peuple s’y fût opposé: Non in die festo, ne forte tumultus fierel in populo(1). Mais une fois leur prisonnier, Jésus n’est plus à craindre. Et le peuple, qui su fût opposé à ce qu’on le prît demande sa mort, et ce changement est fait en moins de deux ou trois jours.

Examinons ce fait, type de bien d’autres semblables; rendons- nous compte de l’inconstance du peuple, de son ignorance, de ses emportements, et disons ce qu’il y a à faire pour le ramener au bien.

I. -Inconstance du peuple.

En moins d’une semaine, nous en avons la preuve. A l’entrée de Jésus à Jérusalem, quel triomphe, quelles acclamations, quels hosannas! Naguère on avait voulu le faire roi, et lui n’avait eu qu’à leur parler de sa chair à manger et de son sang à boire pour les voir se retirer.

Maintenant une immense ovation lui est faite. Mais il prêche dans le temple de Jérusalem, il chasse les vendeurs du temple, il lance des anathèmes contre les pharisiens; il publie, non pas la vérité abstraite, mais la vérité concrète des grands désordres de la nation. Sa mort est résolue par les coupables. Le peuple est mis en branle. De son admiration, de son enthousiasme il passe à la défiance, à la haine, il va demander la mort de Jésus.

Et puis, fiez-vous à ce sable mouvant; bâtissez dessus l’édifice social, et voyez s’il ne croulera pas vite.

II. -Ignorance des classes populaires.

Il ne faut pas se faire illusion. Depuis le péché originel, le fond de l’homme, c’est l’ignorance. Jésus est venu lui porter la vérité, la vérité qui donne la liberté véritable: Veritas liberabit vos(2), la liberté des enfants de Dieu. Mais on ne devient pas enfants de Dieu sans s’élever au- dessus des choses de la terre, sans de grands efforts, sans des luttes acharnées contre le mal. C’est à cette condition qu’on devient libre par la vérité. Or, dans son ensemble, la foule ne veut pas faire d’efforts; elle aime ce qui la flatte, elle préfère le mensonge agréable à l’austère vérité; c’est pourquoi elle est prise avec quelques mots plus ou moins sonores, plus ou moins menteurs.

Le peuple ne sait pas, il ne tient pas à savoir; il rejette ordinairement les paroles que le Saint-Esprit lui fait entendre pour n’écouter que ce qui lui agrée: « Loquimini nobis placentia; dites-nous des choses agréables. »(3) Il n’examine pas si ce qu’on lui dit est vrai, mais si ce qu’on lui dit lui plaît. La vérité austère, accusatrice, le révolte. De là son acceptation facile de l’erreur, de là les abîmes où il se précipite tête baissée.

III. -Emportements et cruauté de la foule.

Qu’aucun souffle ne trouble l’air, la mer est calme. Que le vent mugisse, n’importe de quel point il vienne, la mer s’agite, les vagues grandissent, la tempête se déchaîne. La curiosité avait soulevé des flots d’admiration en faveur de Jésus, et Jérusalem lui décerne un magnifique triomphe; mais, attendez, La jalousie des pharisiens et des prêtres siffle à son tour, et voilà en trois ou quatre jours le peuple changé. Qu’est-ce à dire? Quand ses meneurs l’avaient laissé à lui-même, il s’était précipité autour de Jésus; quand les meneurs le ressaisissent, ils lui font demander la mort de Jésus. Pilate voudra délivrer le Sauveur. Inutilement. Le peuple sera le plus fort. Aux protestations en faveur de l’innocent, la rage oppose le terrible crucifige.

-Qui voulez-vous que je vous délivre, Jésus ou Barabbas?(4)

-Nous préférons Barabbas, le voleur, l’homicide.

-Que ferai-je de Jésus?

-Qu’on le crucifie!(5)

-Qu’on m’apporte un vase, que je me lave les mains du sang de cet homme.

-Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants!(6)

Et avant la fin du premier siècle, la sentence prononcée par la foule contre elle-même sera accomplie. N’importe, elle aura eu le sang de Jésus; il lui faut ce sang pour la désaltérer.

IV. -Que faire pour la foule?

Et pourtant cette foule est composée d’êtres humains créée à l’image de Dieu. Dans les derniers jours de sa vie, Jésus n’a jamais eu d’anathèmes contre elle; il n’en a eu que contre les meneurs. Lui a plaint cette foule, il ne lui adresse que des paroles de tendresse: Jerusalem, Jerusalem, quae occidis prophetas, quoties volui congregare filios tuos(7). Voyez son langage aux filles de Jérusalem: il les avertit, mais en les plaignant. Il aime ces hommes: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font. »(8) C’est de la foule qu’il disait cela, car pour les chefs, saint Thomas fait observer qu’ils savaient bien ce qu’ils faisaient(9).

Il faut plaindre la foule. Il faut prier pour elle comme le Sauveur sur la croix. Il faut l’éclairer et la convertir. Et ici, je ne crains pas de le dire, un devoir immense nous est imposé. Quoi donc? Convertir la foule. Elle est plus accessible que vous ne pensez. Elle a acclamé Jésus, elle l’a crucifié; mais voyez: cinquante jours se passent, Pierre et les apôtres, remplis du Saint-Esprit, sortent du Cénacle; ils prêchent. Aussitôt, trois mille hommes demandent le baptême, puis cinq mille. Et les Actes des Apôtres nous rapportent qu’un grand nombre de prêtres embrassa la doctrine du Christ.

Ne nous fions pas au peuple; mais puisque Jésus-Christ est mort pour tous, et par conséquent pour la foule, travaillons à son salut en la plaignant, en l’aimant, en priant pour elle, en l’éclairant. Dieu la convertira par le sang de son Fils, que peut-être elle aura répandu.

Notes et post-scriptum
1. "Que ce ne soit pas pendant la fête, de peur qu'il n'y ait du tumulte parmi le peuple." (Matth. XXVI, 5.)
2. Joan. VIII, 32.
3. Is. XXX, 10.
4. *Quem vultis dimittam vobis? Barabbam an Jesum*? (Matth. XXV 1, 17.)
5. *Quid igitur faciam de Jesus? -Crucifigatur*. (Ibid., 22, 23.)
6. *Sanguis ejus super nos et super filios nostros*. (Ibid., 25.)
7. "Jérusalem, qui tues les prophètes..., combien de fois ai- je voulu rassembler tes fils!... " (Matth. XXIII, 37.)
8. *Pater, dimitte illis; non enim sciunt quid faciunt*. (Luc. XXIII, 34.)
9. *Sum. theol., pars. III, q. 47 art. 5.