OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|PREMIERE SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|PREMIERE SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LA SAINTE VIERGE
    III
    LA PRIERE DE MARIE
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 13-18.
  • CO 92
Informations détaillées
  • 1 AUGUSTIN
    1 JUSTICE
    1 PIETE
    1 PURETE DE MARIE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VERTU DE RELIGION
    1 VIE DE PRIERE
  • Collégiens de Nîmes
  • 1876
  • Nîmes
La lettre

Je veux aujourd’hui examiner la prière dans un sens plus général qu’on ne la considère ordinairement, en groupant ensemble trois vertus filles de la justice, pour considérer Marie à ce triple point de vue.

Je dis que la justice est une vertu par laquelle nous rendons à Dieu ce qui lui appartient, et qu’entre autres dettes contractées par le fait de la création et de la rédemption, envers lui, nous lui devons: la religion, la dévotion et la prière.

Voyons ce qu’ont été ces trois vertus en Marie et faisons-en ensuite l’application à nos devoirs personnels.

I. La religion.

La religion considérée comme vertu est le culte que nous devons à Dieu. Culte vient de colere, cultiver; notre âme doit à Dieu une certaine culture.

Vous rendez-vous compte de ce devoir?

Voyons, ne parle-t-on pas du culte des parents? Eh bien! il consiste dans l’ensemble des soins d’un fils envers son père et sa mère. Nous devons à Dieu un culte, mais Dieu n’en a pas besoin pour lui. Il le réclame pour nous, et ce culte est une preuve que nous apportons à Dieu, par certains actes, le désir de l’honorer, soit extérieurement, soit intérieurement.

Quel ne fut pas le culte de Marie, [dans] sa présentation, sa Purification, ses visites au Temple, sa présence au Calvaire?

A l’intérieur, sentiment de dépendance, d’obéissance, d’adoration.

Quel ne doit pas être notre culte et quel n’est pas notre crime quand nous ne rendons pas à Dieu le culte auquel il a droit?

La religion, par les rapports de culte quelle établit avec Dieu, nous unit à lui; religat, dit saint Augustin(1). Ah! que Marie devait rendre parfaites ces chaînes! Avec quelle ferveur elle devait dire: Funes ceciderunt mihi in praeclaris(2), ou bien: Quid retribuam Domino(3)?

II. La dévotion.

Mot tombé dans une sorte de dédain sous le coup des railleries de l’impiété, de la sottise de quelques dévotes, de l’hypocrisie de quelques autres; mais quoi de plus beau que ce sentiment en lui-même?

La dévotion, dit saint Thomas(4), est la volonté très prompte de s’abandonner à tout ce qui regarde le service de Dieu. Vous aimez le dévouement envers les hommes, pourquoi ne voulez-vous pas de la dévotion envers Dieu? Ces deux sentiments ont le même principe.

Marie se dévoue à la présentation, à l’Incarnation, à la croix. Vantez tant que vous voudrez votre dévouement. Je vais vous dire ce qu’il y a au fond de votre âme. Vous vous dévouez aux hommes parce qu’il y a un profit d’amour-propre, de vaine gloire, de sensualité peut-être. Vous ne vous dévouez pas à Dieu parce que vous êtes trop au-dessous de ces rapports si élevés, parce que vous avez le mal commun des temps présents, parce que vous êtes des égoïstes. L’amour du bien-être et l’amour du plaisir ôtent le dévouement envers les hommes et la dévotion envers Dieu.

Pourtant le dévouement est un sentiment si beau, pourtant la vraie dévotion est une vertu si divine. L’homme n’est quelque chose que par le dévouement envers ses semblables et envers Dieu.

Ah! quand saurez-vous vous dévouer?

III. La prière.

Mais la dévotion est une flamme qui a besoin d’être entretenue. Elle s’entretient par la méditation et la contemplation, dit saint Thomas d’après cette parole du psalmiste: et in meditatione mea exerdescet ignis(5), comme aussi elle se développe en produisant deux merveilleux effets dans l’âme, la joie et la tristesse: la joie d’être au service de Dieu, la tristesse d’être si indigne de le servir.

Mais cette dévotion telle que je vous la propose, unie à la religion considérée comme culte rendu à Dieu, est le vestibule de ce temple intérieur où s’accomplit le mystère de la prière, et que nous avons chacun au dedans de nous.

Arrêtons-nous à contempler la prière de Marie. Etablissons que la prière, bien qu’elle soit une demande, prend sa source non dans notre puissance de désirer, mais dans notre puissance de penser. La prière est avant tout un acte intellectuel, et un grand philosophe(6) a dit, et saint Thomas le répète, que prière (oraison) vient de « oris ratio, la bouche de la raison » qui demande à Dieu(7).

A quelle fonction plus haute, en effet, la raison peut-elle être élevée qu’à la dignité de s’entretenir avec Dieu?

Mais quelle pureté, quelle sainteté n’est pas nécessaire!

Oui, sans doute, la pureté de Marie lui facilitait la prière, mais si la prière ici-bas est le prélude de nos conversations avec Dieu dans le ciel, pourquoi ne prendrions-nous pas la résolution d’offrir à Dieu une âme pure, afin d’avoir avec lui par la prière les plus intimes rapports? La prière, comme le sacrifice, adore, se repent, demande, remercie. Oh! l’admirable commerce! Adoration de Marie, repentir de Marie, non pour elle, mais pour les pécheurs en faveur de qui elle intercède, elle demande, elle remercie! Quelles prières admirables! quelles extases, attirant le Fils de Dieu en elle!

Et nous, ne pouvons-nous pas l’attirer par l’adoration, le repentir, la demande, l’action de grâces? Ah! pourquoi ne sommes-nous pas des hommes de prière!

Mais, dites-vous, je suis en état de péché mortel. Je ne serai pas exaucé. Entendons-nous. Si vous êtes en état de péché mortel, la justice de Dieu ne vous doit rien, mais vous pouvez encore, dit saint Thomas compter sur la miséricorde de Dieu à une condition, c’est que vous prierez pour vous, pour votre salut, avec piété et persévérance(8).

Ah! n’osez pas prier pour les autres, il ne s’agit que de vous seul. Vous prierez pour votre salut, vous prierez avec la piété respectueuse et humble qui demande pardon, vous ne vous découragerez pas et vous serez exaucé, surtout si vous mettez votre prière sous la protection de Marie. Ora pro nobis peccatoribus(9).

N’est-elle pas la « Mère de la miséricorde divine, Mater misericordiae« (10)?

Notes et post-scriptum
1. "*Religat nos religio uni omnipotenti Deo*: la religion relie l'homme au seul Dieu tout puissant." (S. Aug. *De vera Relig.* versus fin.) - Dans le *De Civ. Dei*, saint Augustin avait proposé comme étymologie le mot *reeligere*, réélire, mais il s'est rétracté (*Retract.* I, 13) pour s'arrêter au mot *religare*, relier.
5. "Un fou s'est embrasé [au dedans de moi] pendant ma méditation." (Ps. XXXVIII" Saint Thomas commente ce verset du psaume II (? ici symbole incompréhensible) Iae, q. LXXXII, a. 3. Dans l'article 4 il explique comment la dévotion produit primordialement la joie et secondairement la tristesse.
7. IIa-IIae, q. LXXXIII, a. 1. La traduction littérale de *oris ratio* est: *la raison de la bouche*, et non: *la bouche de la raison*. La traduction du P. d'Alzon procède, sans doute d'une simple inadvertance, mais comme, en définitive, elle revient au même, nous l'avons laissée. La raison est le principe de la parole et, par conséquent, la prière vocale peut être dite indifféremment *la raison de la bouche* ou *la bouche de la raison*; elle est toujours le discours adressé à Dieu pour le supplier en notre faveur: telle *l'oraison* dominicale ou le *Pater*, type de prière vocale. L'*oraison* mentale désigne la prière que n'accompagne aucune parole.2. "Le cordeau est tombé pour moi en des lieux magnifiques." (Ps. XV, 6.)
3. "Que rendrai-je au Seigneur?" (Ps. CXV, 12.)
4. IIa-IIae, q. LXXXII, a. 1.
6. Cassiodore, dans son commentaire du verset 13 du psaume XXXVIII: *Exaudi orationem meam, Domine, et deprecationem meam*: Exaucez mon oraison, Seigneur et ma prière.
8. Ibid. a. 16.
9. "Priez pour nous, pécheurs." (Salutation angélique.)
10. Invocation du *Salve Regina*.