OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|PREMIERE SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|PREMIERE SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LA SAINTE VIERGE
    VI
    MARIE ET LA PAUVRETE
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 28-33.
  • CO 96
Informations détaillées
  • 1 AVARICE
    1 DECADENCE
    1 DEVOIR
    1 EGOISME
    1 ESPERANCE
    1 FORTUNE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PAUVRETE DE MARIE
    1 PERFECTION
    1 VERTU DE FORCE
    2 JEAN, SAINT
    3 ROME
  • Collégiens de Nîmes
  • 1876
  • Nîmes
La lettre

Voilà là créature la plus aimée de Dieu constamment vouée pendant une vie longue à la pauvreté. Les renseignements officiels pris par les maîtres de Rome sur les parents de la Sainte Vierge prouvent qu’ils vivaient dans un état voisin de l’indigence. Marie fut l’épouse d’un charpentier, elle mit au monde le Fils de Dieu dans une étable, elle dut être confiée à saint Jean par son Fils du haut de la croix. Et tel est l’état où Celui qui n’a pas voulu avoir où reposer sa tête a condamné sa Mère. Examinons l’enseignement qui en ressort pour nous.

Lorsque le Saint-Esprit a dit qu’il n’y a rien de plus scélérat qu’un avare,(1), a-t-il voulu parler de l’avare proprement dit ou plutôt de l’homme qui aime avant tout les richesses? Dans tous les cas, Notre-Seigneur s’explique de son côté quand il dit: « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. Non potestis servire Deo et Mammonae(2). »

Examinons les effets des richesses dans les âmes possédées de cupidité et les effets de la pauvreté dans les âmes désireuses de la perfection.

I. Effets des richesses dans l’âme de ceux qui les aiment.

1° Les préoccupations. En peut-il être autrement? Ubi thesaurus tuus ibi et cor tuum erit(3). Du moment que l’homme est possédé de l’amour de l’or, il ne songe qu’à l’or, c’est vers l’or que se dirigent ses préoccupations; qu’il perde, qu’il gagne, c’est toujours vers les idées matérielles qu’il tourne sa pensée. Non pas qu’il n’y ait des préoccupations très légitimes auxquelles on doive se livrer; mais à la condition que l’on sera toujours maître de soi et que l’amour de l’or ne sera pas un tyran despotique.

2° L’égoïsme. Sans doute on peut être heureux en affaires et songer à accroître sa fortune d’une certaine façon, mais à la condition que l’on ne rapportera pas tout à soi. Malheureusement, on sait ce que deviennent la plupart des hommes animés de la fureur de posséder, ils ne pensent qu’à eux, ils ne travaillent que pour eux, leur fortune fait en quelque sorte partie de leur être et tout ce qui touche les touche. Ne leur demandez aucun élan, tout chez eux est calcul et calcul lamentable, car où se placera la charité dans cette fureur d’avoir davantage? Tout ce que la charité donne, l’homme d’argent le considère comme volé à ses légitimes désirs. Et, en effet, jetez les yeux autour de vous, et voyez si vous n’avez pas affaire aux plus étranges prétentions au nom de l’amour des richesses.

3° L’affaissement des caractères. L’homme de richesse fait de sa vie un négoce, il est prêt à tout vendre, même son âme, pourvu qu’il la vende à profit. En politique, on sait ce que sont les hommes vendus, et jusqu’où cela s’étendra-t-il? Qui peut le dire? Que devient le caractère là où n’est pas le respect du droit, et que devient le droit en face de l’intérêt? Voilà pourtant une des grandes causes de l’affaissement général de la société, on n’y voit guère que des gens à vendre prêts à s’offrir à des gens qui ont de quoi les acheter. Et l’on trouve cela honorable!

Mais que devient la conscience qui trafique de tout, même d’elle? Et s’il n’y a plus de conscience, l’homme a disparu pour faire place à une machine à calcul.

4° Perte des idées divines. Encore une fois, pour l’homme cupide, Dieu disparaît peu à peu; on ne nie pas Dieu, on trouve ennuyeux de s’en occuper. Dieu est importun, il prend du temps bon à donner à autre chose. Dieu demande pour lui un jour sur sept; allons donc, on ne lui donnera rien, on travaillera, on fera travailler le dimanche, on s’usera, on usera les hommes, n’importe, la loi de Dieu sera violée.

Pensera-t-on à l’éternité? Pas davantage. On a les yeux tournés vers la terre. L’éternité donnerait des remords si on y pensait, et l’on n’a aucun goût pour le ciel où personne n’a pu encore emporter ses trésors.

II. Effets de la pauvreté sur l’âme éprise du désir de la perfection.

Si vis perfectus esse, vade, vende quae habes et da pauperibus… et veni, sequere me(4).

1° Antipathie absolue entre l’amour des richesses et la perfection. Jésus-Christ a-t-il posé ou non la pauvreté comme condition de perfection? Elle n’est pas l’unique condition de la perfection, mais elle en est une condition essentielle. Ne tenir à rien: quelle facilité pour agir et pour agir parfaitement! On a la plénitude de l’action, mais si l’on veut arriver à tout ce que Dieu demande, il faut se dépouiller de ce que l’on a. Or, on y tient, on s’attriste comme le jeune homme à qui Jésus-Christ parlait, et abiit tristis(5).

2° Le mépris de ce qui passe. De quoi sont occupés tant d’hommes? A fixer leurs désirs ici-bas. L’homme qui n’a pas l’amour des richesses comprend mieux que tout autre que « nous n’avons pas ici de cité permanente et que nous devons chercher celle de l’avenir: Non habemus hic manentem civitatem sed futuram inquirimus(6). »

3° Le courage dans le devoir. Je parlais tout à l’heure des gens qu’on achète parce qu’ils se vendent, mais pour se vendre il faut stipuler un prix, et ce prix c’est toujours le devoir sacrifié. Celui qui achète veut la conscience du vendu, celui qui se vend vend son devoir. Ne vous faites pas illusion, c’est là où aboutissent les gouvernements sans principes. Sur les palais de certains gouvernants on peut écrire: Ici se vendent et s’achètent les consciences par des hommes achetés et vendus. Et si un homme courageux réclame pour les droits de la conscience, on dit qu’il est un insensé.

4° La paix. Eh! oui, la source du trouble c’est la cupidité: on veut avoir, on tremble si l’on est menacé de perdre. L’homme qui ne veut rien que Dieu est paisible et joyeux. C’est cette paix que Jésus-Christ laissait à ses apôtres et que le monde ne connaît pas.

5° Enfin, l’espérance. Au fond, rien de légitime comme le désir de posséder. Il est si légitime que Dieu en a fait la seconde des vertus; la première est la foi qui apprend à connaître ce qu’on doit désirer, la seconde est l’espérance qui ordonne de désirer la possession de Dieu. Voilà la grandeur du chrétien dans la grandeur des biens que Dieu lui promet.

Notes et post-scriptum
1. *Avaro autem nihil est scelestius*. (Eccl. X, 9.)
2. Matth. VI, 24. -Luc. XVI, 13.
3. "Là où est ton trésor, là sera aussi ton coeur." (Matth. VI, II. - Luc. XII, 34.)
4. "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres..., puis viens, et suis-moi." (Matth. XIX, 21.)
5. "Il s'en alla tout triste." (Ibid.)
6. Hebr. XIII, 14.