OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|DEUXIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|DEUXIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR L'EDUCATION CHRETIENNE
    X
    LA PURETE
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 129-138.
  • BT 12-13
Informations détaillées
  • 1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AUGUSTIN
    1 BONHEUR
    1 CORRUPTION
    1 FOI
    1 HUMILITE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 PAIX DE L'AME
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 TRAVAIL
    1 VANITE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VISION BEATIFIQUE
    2 BOURDALOUE, LOUIS
    2 PAUL, SAINT
    3 FRANCE
  • Collégiens de Nîmes
  • 1876-1877
  • Nîmes
La lettre

Beati mundo corde quoniam ipsi, Deum videbunt(1).

Un sentiment universel que l’on remarque aujourd’hui chez les hommes, c’est le dégoût de Dieu et des choses de Dieu. Pourquoi? Parce qu’on ne comprend plus rien aux choses d’en haut. La chair a corrompu sa voie, et s’élever jusqu’à Dieu semble un effort impossible.

Pourtant Dieu nous attire à lui: Venite ad me omnes…(2)

Pourquoi ne pas écouter cette invitation?

La réponse est bien simple: nous sommes incapables de voir Dieu, et cette incapacité n’a, pour plusieurs, d’autre cause que les ténèbres accumulées sur leur intelligence par l’impureté.

Rassurez-vous, je ne vous parlerai pas aujourd’hui de ce vice affreux, j’en ai dit assez pendant la retraite, et je prendrai mon sujet par un autre côté. Je vous parlerai de la vertu qui nous fait ressembler aux anges et je vous montrerai comment le chrétien qui veut la posséder doit en étudier le privilège et remplir les conditions nécessaires pour l’acquérir.

I. Privilèges de la pureté.

Le psalmiste, saluant les âmes pures, disait: « Beati immaculati in via qui ambulant in lege Domini, Heureux ceux qui n’ont aucune souillure à travers leur route et marchent dans la loi de Dieu(3). » Rendez-vous compte de cet état. La vie est une marche vers Dieu et nous devons avancer avec bonheur, prélude du bonheur éternel: Beati immaculati in via.

Nous allons, nous avançons et nous aurons un avant-goût du bonheur à une condition, c’est que nous serons purs: Beati immaculati.

Ce n’est pas le bonheur définitif, c’est le bonheur de celui qui retourne à la patrie. Il est exilé et n’a pas revu le toit paternel; mais il est heureux, il sait qu’il le reverra bientôt. Et pourquoi est-il heureux? Parce qu’il est pur: Beati immaculati in via. Ce bonheur n’est pas pour les méchants; pour ceux qui ne comprennent rien à cette marche dans les voies de Dieu: non enim qui operantur iniquitatem, in viis ejus ambulaverunt(4).

Voilà donc un premier privilège de l’âme pure: la joie. Et pourquoi cette âme a-t-elle la joie? Parce qu’elle a la paix. Pourquoi a-t-elle la paix? Parce qu’elle est dans la « tranquillité de l’ordre, Pax est tranquillitas ordinis(5″), dit saint Augustin.

Quoi qu’en disent ceux qui se livrent à leurs passions, ils ne sauraient avoir la paix; car, comme fait observer Bourdaloue, ou ils ont conservé la foi ou ils l’ont perdue: s’ils l’ont conservée, de quels troubles, de quelles agitations, de quelles craintes, le remords n’est-il pas la source pour eux! Ou la foi s’est retirée, et quoi qu’ils disent, ils sont troublés sur l’incertitude de l’avenir, à moins qu’ils n’aient, à force de turpitudes, perdu l’intelligence du bien et du mal; mais alors quelle dégradation!

Au contraire, la pureté porte avec elle je ne sais quelles jouissances, chastes comme elle, que les sens ne pourront jamais atteindre. C’est une impression tombée du ciel qui s’adresse à ce que les anciens appelaient le mens divnior; c’est là où la beauté du caractère s’agrandit. Vous avez certainement entendu parler de l’idéal, c’est là qu’il se trouve. L’âme sous l’action de la pureté contemple plus aisément les splendeurs de la lumière supérieure: elle voit ce qu’il est permis d’en contempler ici-bas; et ce modèle, ce type qu’il lui est donné d’approcher, elle en réalise quelque chose en elle-même.

Que se passe-t-il dans l’âme? Elle ne peut pas contempler la beauté divine et pourtant la pureté soulève pour elle une partie du voile de la foi: elle a vu, elle a aimé et elle s’est fortifiée. Là encore se trouve le principe de la distinction, de la beauté, de l’énergie du caractère chrétien.

L’âme qui a contemplé Dieu par la pureté ne peut s’empêcher de l’aimer et de tout sacrifier pour en obtenir la possession complète. Or, cette aspiration est une force immense. Dieu est contemplé, Dieu est aimé; on est disposé à tout faire pour acquérir la possession de Dieu. Et Dieu, qui veut être acquis ou, si vous aimez mieux, conquis, donne la force pour cette étrange conquête de la créature sur le Créateur.

Telle est l’explication de ce cri du psalmiste: Diligam te Domine, fortitudo mea; Dominus firmamentum meum et refugium, meum et liberator meus(6).

Suivez attentivement. L’âme par l’amour s’avance vers Dieu et y trouve la force. Voilà du même coup son appui contre toutes les attaques, son refuge contre tous les ennemis, le principe de sa liberté contre le péché qui veut encore la faire esclave.

Ne dites pas que vous ne pouvez pas; depuis trente siècles, vous êtes prévenus que vous pouvez, dans la force de Dieu, trouver le secours, l’abri, la délivrance; ayez-y donc recours.

Oh! qu’il est bon d’avoir ce commerce de protection, de refuge, d’affranchissement avec Dieu!

Tel est votre privilège, jeunes âmes qui avez conservé votre pureté. Tel sera le vôtre à vous qui, vaincus si souvent, ne trouvez au fond de votre être contre votre ennemi qu’une déplorable faiblesse. La force, elle est en Dieu; l’appui, il est en Dieu; le refuge contre l’ennemi, il est en Dieu; la délivrance, même si vous avez été fait esclave, elle est en Dieu. Ayez donc le courage d’aller à lui dans une grande pureté, ou conservée ou reconquise. Allez en espérance et en joie vers la délivrance, si vous êtes captifs; vers la joie et la paix si la chasteté vous a maintenu libre. Allez, Dieu vous attend pour vous donner la lumière, la joie, la paix, la beauté, la force.

Que voulez-vous de plus ici-bas? Dans la patrie, vous verrez en proportion de la pureté de votre coeur. Soyez pur pour contempler beaucoup, triompher beaucoup, être heureux autant que peut l’être la créature puisant des voluptés éternelles dans le sein de son Créateur, de son Père, de son Roi qui veut s’appeler son Ami.

II. Conditions de la pureté.

Mais pour en arriver là il faut des efforts constants, et le royaume du ciel exige des violences sur la nature corrompue, mais subjuguée. Voulez-vous être pur? Il faut d’abord avoir un sincère désir de plaire à Dieu; ce désir, vous ne l’avez pas quand vous retombez sans cesse, vous de qui le prophète disait: Vae qui trahitis iniquitatem in funiculis vanitatis et quasi vinculum plaustri peccatum(7).

Les liens de la vanité! Rien de vain comme les liens d’un voluptueux; et, pourtant, il est enchaîné, et il se complaît dans ses chaînes; il s’en vante, il s’en fait gloire. S’il n’y trouvait pas une sorte de vanité, est-ce qu’il en parlerait? est-ce que les conversations sordides seraient une pâture à son amour-propre dégradé?

Ah! malheur à l’esclave qui se félicite de porter des fers! Voe qui trahitis iniquitatem in funiculis vanitatis. Réduits à l’état de brute, vous portez le péché comme le joug d’un char, et quasi vinculum plaustri peccatum. Voyez ce couple d’animaux attelés à un même joug, c’est le symbole de votre ignominie, et vous vous en vantez! Par où voulez-vous que Dieu vous saisisse!

O âme baptisée, voulez-vous reprendre la robe de votre première innocence? Commencez donc par chercher Dieu. La vue en est obscurcie pour vous, par vos souillures; purifiez votre coeur, Dieu vous apparaîtra, vous verrez combien il est beau, vous désirerez le posséder. La pureté vous attirera vers lui, et ce désir chaste, saint, divin vous aidera à remporter des victoires.

Mais vos chutes mêmes doivent vous rendre défiant et humble.

Le jeune roi du peuple de Dieu, Salomon, qui en fit plus tard la honteuse expérience, proclamait au commencement de son règne que personne n’est chaste sans une grâce de Dieu. Voilà la défiance de soi, voilà la véritable humilité. Saint Augustin l’a dit depuis longtemps: il est juste que la chair se révolte contre l’esprit lorsque l’esprit se révolte contre Dieu.

Voulez-vous être chaste? Soyez humble, soyez défiant. Ne comptez en aucune façon sur vous-même, comptez sur Dieu et sur Dieu seul.

Ah! que de chutes la présomption n’a-t-elle pas fait faire? Suivez l’histoire d’une foule de jeunes gens; plusieurs ont perdu la foi, parce qu’ils avaient perdu la pureté. Mais combien ont perdu la pureté parce que l’humilité et la défiance d’eux-mêmes étaient absentes!

J’ajoute la prière. Il y a ici un enchaînement étrange; on ne peut être chaste sans la grâce de Dieu, et cette grâce, il faut la demander. Mais ne trouvez-vous pas, vous qui avez le malheur de subir le joug des mauvaises habitudes, que la prière vous est presque toujours insupportable? Expliquez-moi ce mystère.

Ah! le voici. La pureté révèle Dieu dans sa beauté et ses charmes; l’impureté l’entoure de ténèbres rebutantes. On ne voit plus Dieu, on ne veut plus le voir, car c’est un juge; on sent qu’il n’a qu’à punir, on le redoute, on le fuit, on n’en veut plus. Pourtant, si lui seul est notre force et le principe de notre liberté, c’est à lui qu’il faut avoir recours. Ah! courage, allez jusqu’au bout, invoquez-le, il vous délivrera, il vous fortifiera. Oui, priez, surmontez le dégoût de la prière. Dieu vous exaucera.

Autre condition de la pureté: la pénitence. Il y en a de diverses sortes; il y a surtout le travail; cette pénitence vous est facile. Le jeune homme impur travaille peu, ses forces intellectuelles se dissipent, et, s’il veut travailler. son corps fléchit souvent, son organisme est atteint. Je pourrais dire sur ce chapitre de tristes choses. Luttez par le travail, par un travail constant qui vous enlèvera aux funestes préoccupations.

Mais qui comprend aujourd’hui ce travail purifiant? Qui, dans le travail, cherche la force contre les habitudes coupables et le triomphe des honteuses passions? On travaille pour gagner de l’argent, et quand on en a on s’arrête. Mais le travail pour élever l’âme, pour la développer, fortifier l’intelligence, on n’en a nul souci. Mais le travail pour se vaincre, qui y songe?

Que dirais-je de la pénitence telle que la faisaient les premiers chrétiens, telle que, dans le monde, on la pratiquait encore au dernier siècle? Qui y songe? La mollesse domine tout et saint Paul a dit que les gens mous, pas plus que les adultères, ne possèdent le royaume des cieux. Quel triste avenir prépare à la France et à l’Eglise une génération de jeunes ramollis!

Croyez-moi, rêvez pour vous de meilleures destinées; donnez à votre vie, de tous les buts, le plus grand qui est Dieu; donnez-vous à lui dans les dispositions de pureté qui vous permettront de le contempler autant qu’il est permis de le faire ici-bas. Dites-lui: Cor mundum crea in me Deus et spiritum rectum innova in visceribus meis(8). Dieu viendra vers vous, y fera la création nouvelle d’un coeur purifié, et, dans le regret de vos souillures passées, vous apprendrez à être humble; dans le désir de posséder Dieu, vous combattrez avec les armes de la prière et de la pénitence; vous vous élèverez au-dessus de la terre et vous prendrez votre essor vers le ciel.

Notes et post-scriptum
1. "Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu." (Matth., V, 8.)
2. "Venez à moi, vous tous qui... " (Matth. XI, 28.)
3. Ps. CXVIII, 1.
4. "Car ceux qui commettent l'iniquité ne marchent pas dans ses voies." (Ibid. 3.)
5. *De Civitate Dei*, I. XIX, xiii.
6. "Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma force. Le Seigneur est mon ferme appui, mon refuge et mon libérateur." (Ps. XVII, 23.)
7. "Malheur à vous qui traînez l'iniquité avec les cordes du mensonge, et le péché avec les traits d'un chariot." (Is. V, 18.)
8. "O Dieu, créez en moi un coeur pur et renouvelez un esprit droit dans mon sein." (Ps. L, 12.)