OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    II
    [DE LA RESURRECTION A L'ASCENSION]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 147-158.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 ASCENSION
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 MARTYRS
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 SAINT-ESPRIT
    2 CALIGULA
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 MOISE
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 RENAN, ERNEST
    2 ROHRBACHER, RENE-FRANCOIS
    2 SAINTE-BEUVE, CHARLES-AUGUSTIN
    2 SIMON LE MAGICIEN
    2 TIBERE
    3 ISRAEL
    3 JUDEE
    3 SAMARIE
    3 SINAI
    3 THABOR
  • Collégiens de Nîmes
  • 2 mars 1868
  • Nîmes
La lettre

Mes chers Enfants,

Je vais prendre ce soir pour sujet de mon instruction les dix premiers versets des Actes des Apôtres. Nous y verrons Jésus-Christ ressuscité, Jésus- Christ se manifestant à ses apôtres, Jésus-Christ montant aux cieux.

Or, en quelque moment que nous considérions Notre-Seigneur, nous le voyons toujours seul comme il l’avait prédit, venit hora… ut me solum relinquatis (Joan. XVI, 32). Il est seul dans les épreuves, « percutiam pastorem et dispergentur oves gregis » (Matth. XXVI, 31). Il est seul dans la mort, il n’y a guère que sa Mère et saint Jean, le disciple bien-aimé, qui restent au pied de la croix. Il est seul dans le tombeau. Il veut toujours être seul. seul il a voulu donner l’exemple de la lutte, du combat contre les puissances infernales dont il venait délivrer le monde. Il a constamment montré qu’il n’avait besoin de personne, qu’il agissait en toute occasion par sa propre puissance, et de même qu’il est mort parce qu’il l’a voulu, « oblatus est quia ipse voluit » (Is. LIII, 7), de même il a repris son âme parce qu’il l’a voulu.

Ainsi donc il ressuscite, il apparaît pendant quarante jours, per dies quadraginta apparens eis. (Act. I, 3.) Dans toutes ces circonstances, il n’a été aidé par personne, et, en agissant seul, il a déjà montré la divinité de sa mission. Seul il veut lutter contre Satan et il remporte la victoire. Au moment où il ressuscite, il montre qu’il a une mission divine, qu’il est vraiment Dieu. Quel homme, en effet, serait capable d’accomplir un pareil prodige? Quel homme pourrait, après avoir rendu le dernier soupir et après être descendu dans le tombeau, reprendre sa vie et reparaître tel qu’il était? Voilà vraiment dans ce mystère la base de notre foi, et si Mgr Gerbet a dit que le pouvoir temporel des Papes était un fait qui reposait sur un dogme, on peut dire aussi que le dogme catholique repose tout entier sur un seul fait, le fait de la Résurrection.

Jésus est ressuscité, et nous croyons en lui, nous croyons à sa divinité. « Voilà un Juif pendu, dit l’abbé Rohrbacher, et le monde est converti. » C’est là, en effet, tout le mystère: il faut que Jésus-Christ soit ressuscité, autrement nous sommes, nous chrétiens, plus misérables que tous les hommes, comme dit saint Paul, « miserabiliores sumus omnibus hominibus » (I Cor. XV, 19). Ainsi donc Jésus-Christ a prouvé sa mission divine par sa Résurrection, et le rationalisme a beau faire, il faut qu’il en vienne là: Jésus-Christ a prédit qu’il ressusciterait, et il est ressuscité. Or, se ressusciter soi-même, reprendre soi-même sa vie après l’avoir quittée, c’est un fait au-dessus de la puissance humaine, c’est un fait divin, donc Jésus-Christ est Dieu.

Cependant, Jésus-Christ ne ressuscite pas pour lui seul; de même qu’il est mort pour notre justification, il ressuscite aussi pour notre justification. D’ailleurs il ne convenait pas que Jésus-Christ restât toujours sur la terre; il avait fini l’oeuvre pour laquelle il était venu, comme il le dit lui-même à son Père: « Opus consummavi quod dedisti mihi » (Joan. XVII, 4.) Son corps a été déposé dans la terre; il s’y transfigure, s’y transforme et se prépare à la gloire dont Dieu le Père va le revêtir.

Mais ce corps transformé va-t-il donc abandonner tout à fait la terre? Non, il y vivra par le sacrifice eucharistique, renouvelant sans cesse son immolation dans ce sacrifice non sanglant; il y vivra aussi par le Saint-Esprit, qu’il enverra suivant sa promesse; il y vivra par son esprit, sa majesté, sa sainteté qui se perpétuera dans son Eglise; il y vivra par les grâces qu’il accordera à chacun des fidèles, en particulier dans la communion. Admirons ici ce fait: Un Dieu qui veut s’unir à toute la création intelligente et avec chaque fidèle en particulier par la communion! Aussi Dieu ne permet-il pas à ce corps qui doit sanctifier les créatures intelligentes de voir la corruption; « Nec dabis sanctum tuum videre corruptionem. » (Act. XIII, 35.)

-Aussi c’est vraiment qu’il ressuscite; quand il apparaît à ses apôtres, il leur prouve, par tous les moyens possibles, cette réalité de sa Résurrection. Il se soumet à tout, il mange du poisson rôti devant eux; afin de lever jusqu’au moindre doute, il leur dit: « Voyez mes mains et mes pieds, touchez- moi, un fantôme n’a ni os ni chair. Palpate et videte quia spiritus carnem et ossa non habet. » (Luc. XXIV, 39.) Et encore un Renan’ viendra nous dire dans son insolente folie que c’est l’ardente passion de Marie-Magdeleine pour Jésus qui a fait le dogme de la Résurrection! C’est là un de ces blasphèmes tels que l’enfer seul peut les vomir.

Jésus-Christ apparaît donc à ses apôtres et leur confirme la vérité de sa Résurrection afin qu’ils soient ses témoins par toute la terre. Eritis mihi testes in Ierusalem, in omni Iudaea et Samaria et usque ad ultimum terrae. Il se manifeste donc à ceux qu’il a choisis par le Saint-Esprit: quos elegit per Spiritum Sanctum, c’est-à-dire aux douze et à un bien plus grand nombre, puisque saint Paul nous parle d’un groupe de plus de 500 témoins: « Deinde visus est plus quam quingentis fratibus simul. » (Cor. XV, 6.) Notre-Seigneur se montre à eux de plusieurs manières, leur donne des preuves multiples de sa Résurrection, in multis argumentis apparens eis. Il se manifeste pendant quarante jours, per quadraginta dies; voyez quel merveilleux rapport: pendant quarante jours, sur le mont Sinaï, un homme, Moïse, peut approcher de la divinité; et pendant quarante jours, un Dieu ressuscité se manifeste à l’humanité!

Et que fait Jésus-Christ pendant ces quarante jours? Quels entretiens a-t-il avec ses disciples? Il leur parle du royaume de Dieu, il achève de constituer ce royaume qu’il était venu apporter sur la terre. Quelle n’est donc pas l’erreur de ces hommes qui viennent nous dire que Jésus-Christ n’a pas suffisamment organisé son Eglise! S’il y a un royaume de Dieu au ciel, il faut qu’il y en ait un sur la terre. Ecoutez les apôtres; ils demandent à Jésus-Christ si c’est maintenant qu’il va rétablir le royaume d’Israël: Domine, si in tempore hoc restitues regnum Israel? Mais dans leurs idées charnelles et terrestres, ils ne pouvaient encore se figurer le Messie sous ses traits véritables. Ils s’attendaient toujours à le voir paraître plein de gloire, d’une majesté terrestre et qui viendrait, à la manière des conquérants, rétablir ce royaume d’Israël.

Ainsi pensaient encore les apôtres avant d’avoir reçu le Saint-Esprit. Aussi, écoutez la réponse de Jésus-Christ qu’il leur avait déjà dite avant sa Passion: « Non potestis portare modo. (Ioan. XVI, 22.) Vous n’êtes point encore capables de porter les secrets, les mystères de la puissance divine. » Et maintenant il leur dit: « Non est vestrum nosse tempora vel momenta quae Pater posuit in sua potestate. Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que mon Père a fixés dans sa puissance. » Il s’agit bien maintenant du royaume d’Israël et d’un Messie terrestre qui viendrait avec des armes humaines rétablir le royaume de vos pères! Vous verrez, vous éprouverez bien autre chose, car vous allez recevoir la puissance du Saint-Esprit qui descendra en vos âmes: Sed accipietis virtutem supervenientis Spiritus Sancti in vos. Par ces paroles Jésus-Christ soude en quelque sorte la mission de ses apôtres à la sienne, il les établit ses successeurs, les continuateurs de son oeuvre, et il leur prédit qu’ils seront ses témoins par toute la terre: Eritis mihi testes in Ierusalem et in omni Iudaea et Samaria et usque ad ultimum terrae. Oui, vous vous emparerez par l’Evangile de toute la terre, et à mesure que la hardiesse des navigateurs aura découvert de nouveaux mondes, vous irez avec eux, et la croix à la main vous annoncerez Jésus crucifié. Car s’il faut qu’il y ait partout des magistrats, des rois et des princes, il faut aussi qu’il y ait des évêques, des missionnaires et des apôtres.

Ainsi ce Messie n’est point le Messie terrestre que se figurent les Juifs et les apôtres eux-mêmes; c’est un Messie tout autre qui va prendre possession de sa gloire dans le ciel. C’est le Fils de Dieu dont le corps transformé, transfiguré, va jouir dans le ciel de la gloire que lui prépare son Père.

Si ses apôtres n’ont pas vu la Résurrection, au moment même où elle s’est opérée, ils vont voir quelque chose de bien plus extraordinaire. Ils vont voir le divin Sauveur s’élever par sa propre puissance dans le ciel; une nuée va le dérober à leurs yeux et des anges viendront leur annoncer le dernier avènement du Fils de l’homme. Ainsi l’Ascension de Notre-Seigneur est la confirmation de sa Résurrection. Quel est l’homme qui pourrait ainsi monter au ciel par sa propre puissance? Simon le Magicien osa bien essayer, mais il vint se briser les jambes devant le trône de l’empereur Néron, juste punition de son orgueil et de son imposture.

Mais qu’est-ce que ce mystère par lequel Jésus-Christ s’élève ainsi dans le ciel, et que signifient ces deux hommes vêtus de blanc qui viennent dire aux apôtres: « O hommes Galiléens, que regardez-vous ainsi dans le ciel? Ce Jésus que vous venez de voir monter au ciel en descendra un jour de la même manière: Viri Galilaei, quid statis aspicientes in coelum? Hic Iesus qui assumptus est a vobis in coelum, sic veniet, quemadmodum vidistis eum euntem in coelum. » Ce mystère est le gage de notre résurrection: nous espérons en Jésus-Christ non seulement dans ce monde, mais encore dans l’autre. Il y est entré notre précurseur, le premier-né de toute créature, « primogenitus totius creaturae » (Col. I, 15), les prémices de ceux qui dorment, « primitiae dormientium (I Cor. XV, 20), comme parle saint Paul.

Vous ne vous doutez peut-être pas, mes chers enfants, tellement vous êtes imbibés en quelque sorte des idées chrétiennes, vous ne vous doutez pas, dis-je, quelle immense révolution le fait de l’Ascension a opérée dans le monde. Et cependant, que pensaient, au sujet de la mort, les païens avant l’Ascension? Quelles idées avaient-ils sur les âmes et sur le néant de l’homme? Que signifiait ce petit squelette d’argent dans les festins, sinon que tout aboutit à la mort et au tombeau? Ainsi ce qui respirait dans la philosophie d’alors, comme dans la philosophie des païens modernes, c’est le sentiment du néant. Mais Jésus-Christ est monté aux cieux; et, de même que par sa Résurrection il avait établi notre foi d’une manière inébranlable, par l’Ascension, l’espérance commence à renaître dans les coeurs.

Les apôtres et leurs successeurs seront de vrais témoins comme l’a prédit Jésus-Christ, c’està-dire, en nous servant du mot grec, ce seront des martyrs. Ils affronteront les souffrances avec une grande joie, ils ne craindront ni la fureur de leurs persécuteurs ni les tourments imaginés par l’enfer. Et d’où leur viendront cette force et cette sérénité devant leurs bourreaux, sinon de l’espérance immortelle que Notre-Seigneur a léguée au genre humain par son Ascension divine?

Seuls les chrétiens oseront braver un Tibère (car Notre-Seigneur est mort sous ce prince), un Néron, un Caligula; et ces empereurs avec toute leur puissance seront vaincus par les chrétiens; car ceux-ci ne craignent pas de résister pour la foi jusqu’à la mort et ils vont à la mort avec bonheur. Ils feront preuve dans leur vie d’une perfection inconnue jusqu’alors, et, dans les tourments, d’une énergie que peuvent seules expliquer les récompenses promises à leur fidélité, car ainsi que le dit encore saint Paul: « Non sunt condignae passiones huius temporis ad futuram gloriam quae revelabitur in nobis. » (Rom. VIII, 18.) Que peuvent faire à ces intrépides combattants toutes les attaques du monde? Nous ne sommes pas du monde, « nous n’avons pas ici de cité permanente: Non habemus hic manentem civitatem. » (Hebr. XIII, 14.) Dès lors, que pouvons-nous craindre? Notre espoir n’est-il pas fondé en Celui qui est le premier-né de toute créature? Que vienne maintenant l’heure de la mort, l’heure du tombeau, peu nous importe. Au delà de la mort, au delà du tombeau, il y a la vie, il y a la paix, il y a la gloire, il y a le bonheur!

Quelle opposition entre les deux doctrines! Aussi a-t-on peine à comprendre l’indifférence de ce philosophe -je ne veux point ici perdre mon temps à vous démontrer la sottise et la stupidité de certains philosophes, on a dis-je, peine à comprendre l’indifférence de ce misérable Sainte-Beuve qui ne craint pas de dire qu’il faut envisager le néant avec un visage gai et tranquille. En plein christianisme, oser prétendre que tout se termine à la mort, et qu’il faut jouir de la vie le plus possible! Comprend-on pareille abomination? Ainsi la vie du chrétien devrait être une orgie perpétuelle! Il devrait se plonger et se vautrer dans les jouissances charnelles! Mangeons, buvons, disent ces philosophes, car nous mourrons peut-être demain. N’est-ce pas là se rendre semblables aux pourceaux et perdre tout sentiment de sa dignité d’homme? Pourquoi y a-t-il tant d’hommes aujourd’hui qui s’amusent, sinon parce qu’ils ont perdu la foi? Ils répéteront, mais en lui donnant un sens tout à fait opposé, la parole du Thabor: « Il nous est bon d’être ici »; passons-y agréablement notre vie, nous ne sommes faits que pour la terre, cherchons-y la joie et le plaisir.

Mais nous, mes chers enfants, nous sommes chrétiens et nous devons avoir un but plus élevé que celui de nous assimiler à des animaux sans intelligence. Jésus-Christ est notre espérance; par son Ascension, il nous promet que nous aussi nous avons une autre patrie. De là l’obligation pour nous de remplir tous les devoirs qui nous sont imposés, de vivre dans l’innocence et la mortification des sens afin que, lorsque nous ressusciterons, nous puissions nous présenter avec confiance devant Celui qui, après avoir bien voulu être notre espérance, sera notre juge.

Abstenons-nous donc des plaisirs et des folles joies de ce monde, méprisons tout ce qui pourrait retarder ou détruire notre bonheur éternel, et, par cette protestation semblable à celle des apôtres en face de la persécution et de la mort, nous mériterons de ressusciter comme Jésus-Christ pour une gloire sans fin et d’habiter pendant toute l’éternité le séjour des élus où il nous a précédés par son Ascension glorieuse. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum