OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    III
    [RETRAITE DES APOTRES AU CENACLE. ELECTION DE MATHIAS, ACTES I, 13-26.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 159-170.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 BON PRETRE
    1 ENERGIE
    1 EVEQUE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 MARIE
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 PRETRE
    1 REINE DES APOTRES
    1 TEMOIN
    1 TRAHISON
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE DE PRIERE
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JOSEPH BARSABBAS
    2 JUDAS
    2 MATHIAS, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    3 ALES
    3 COLLEGE DE NIMES
    3 CONSTANTINOPLE
    3 JERUSALEM
    3 JERUSALEM, CENACLE
  • Collégiens de Nîmes
  • 3 mars 1868
  • Nîmes
La lettre

Nous avons, mes chers enfants, à méditer aujourd’hui sur la retraite des apôtres dans le Cénacle, où ils restèrent dix jours. Ce Cénacle où s’étaient accomplies de si grandes choses, où avait été instituée l’Eucharistie, où l’Eglise fut en quelque sorte constituée, était un sanctuaire bien précieux sans doute, et cependant Dieu n’a pas permis qu’il fût conservé ni que nous sachions exactement où il se trouve(1). Bientôt même le Saint-Esprit allait y descendre sur les apôtres et les remplir de zèle et d’ardeur pour convertir le monde.

Or, dans le Cénacle, il se passa trois événements importants après l’Ascension: 1° la prière des apôtres qui se préparent à recevoir le Saint-Esprit; 2° le discours de saint Pierre parlant de la mort de Judas; 3° le choix de Mathias pour remplacer l’apôtre prévaricateur.

I. La prière: « Hi omnes erant perseverantes unanimiter in oratione cum mulieribus. Ils étaient là tous persévérant dans la prière avec les saintes femmes. » (Act. I, 14.) De même que le divin Sauveur s’était préparé par la prière à choisir ses apôtres, de même ceux-ci se préparent par la prière à recevoir le Saint-Esprit et aux grandes choses qu’ils doivent accomplir après l’avoir reçu.

Mais ils ne prient pas seuls, ils sont là avec les saintes femmes, et, ajoute le texte, « avec Marie la Mère de Jésus, et Maria Matre Jesu« . C’est la dernière fois que les saintes Lettres nous parleront de la Mère de Dieu; et pourquoi cela? C’est que, à partir de ce moment, son rôle finit et commence en quelque sorte. Sa vie publique est terminée, sa vie intérieure et cachée va commencer. Elle va intercéder pour les hommes et déjà l’Eglise lui dit: « Marie, Mère de Dieu, priez pour nous »; et ainsi, pendant que son divin Fils s’élèvera dans les cieux, elle restera sur la terre pour prier. Quel rôle magnifique! et que les âmes appelées a la prière sont heureuses! La prière, voilà bien la seule, la vraie puissance des chrétiens.

Nos ennemis sont plus nombreux, plus puissants, plus savants même, si vous le voulez; ils ont à leur disposition un arsenal complet; et cependant, malgré leur nombre, malgré leur force, malgré leur science, ils seront vaincus si les chrétiens savent se servir de cette arme formidable, la prière. Ils sont là donc, priant tous, et les saintes femmes prient en union avec les apôtres; quant à Pierre, en sa qualité de chef de l’Eglise, il semble qu’il ait une mission officielle de prier.

Douze apôtres et quelques femmes, ce n’est là qu’un petit groupe sans doute, mais c’est le premier exemple, sous la nouvelle loi, du culte public, de la prière en commun. Assurément le culte public existait déjà. L’ancien temple, où il se déployait, était bien plus grand que le cénacle, bien plus splendide, puisque 18,000 ouvriers y avaient travaillé; le sang des taureaux et des génisses y avait coulé en abondance; mais c’est ici la prière renouvelée, réchauffée en quelque sorte par le sang de Jésus-Christ. Et ces hommes qui prient, ce sont les apôtres, ce sont les hérauts de Dieu, et ils se préparent par la prière à convertir le monde. Ah! croyez-le, une des raisons pour lesquelles les chrétiens sont si faibles, c’est qu’ils ne prient pas. Que ne feraient-ils pas avec la prière? Ils pourraient prendre le monde dans leurs mains puissantes et le remuer selon leur volonté.

Voulez-vous être forts? Faites comme les apôtres et vous convertirez les peuples. Mais, pour cela, il faut s’enfoncer dans la prière; il faut en quelque sorte aller chercher jusque dans le ciel, par la prière, la puissance de Dieu: Et erant perseverantes in oratione. Qui va descendre sur les apôtres? Le Saint-Esprit; or, pour l’attirer dans nos âmes, la prière est nécessaire. Mais il ne faut pas faire de la prière quelque chose d’isolé et d’étroit comme le trou d’une aiguille, il faut prier avant tout comme les apôtres ont su prier.

II. Mais au milieu de leur prière ils eurent à s’occuper du remplacement de l’apôtre prévaricateur. (Act. I, 16-26.) Pierre se lève et se met à parler de la mort de Judas. Et je ne crains pas de dire qu’en agissant ainsi il fit un acte d’humilité. Ne pouvait-on pas, en effet, lui reprocher à lui-même, au sujet de la prévarication de Judas, le reniement que lui avait arraché la peur d’une servante? Mais peu importe à Pierre; on peut bien lui prodiguer les insultes et les outrages, il est tellement sûr de la mission qui lui est confiée! Il n’a pas oublié les paroles de Jésus: « Simon, Simon, Satan vous a demandés pour vous cribler comme du froment; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point, et quand tu seras affermi, confirme tes frères. Simon, Simon, ecce Satanas expetivit vos ut cribaret sicut triticum. Ego autem rogavi pro te ut non deficiat fides tua; et tu aliquando conversus, confirma fratres tuos. » (Luc. XXII, 32.)

Pierre, dis-je, se souvient si bien de cette parole, qu’il n’hésite point à parler de ce qui pourrait lui être défavorable. Jésus-Christ ne lui avait pas dit: « J’ai prié pour ton impeccabilité, mais pour ton infaillibilité. »

Et ici, mes enfants, il est un fait digne de remarque, c’est que Jésus-Christ ne craint pas d’employer ceux qui l’abandonnent quelquefois. Saint Pierre, après avoir fait preuve d’une si grande faiblesse, après avoir été jusqu’à renier son divin Maître, n’en reste pas moins le chef des apôtres. C’est que Pierre expie son crime par les larmes d’une amère douleur, par un sincère repentir; tandis que Judas, après son péché, tomba dans le désespoir, et au lieu de demander son pardon, il va jeter l’argent qu’il avait reçu, et s’étant pendu, son corps se déchire, crepuit medius, comme dit saint Pierre, et il devient un objet d’horreur pour toutes les générations.

Trois objections se présentent au sujet de Judas. Je me souviens que, prêchant à Alais, il y a vingt-quatre ans, je dis quelque chose qui scandalisa fort certaines gens. Et cependant, ce que j’avançai alors, saint Jean Chrysostome n’avait pas craint de le dire en pleine chaire de Constantinople: c’est qu’il y aura plus de prêtres damnés qu’il n’y en aura de sauvés. Mais quelle conclusion pourrait-on tirer de là contre la religion catholique? Aucune absolument. Est-ce que Judas a empêché le monde de se convertir? Non, certes. Il en est de même des mauvais prêtres, car il y en a. Et quoi d’étonnant? L’homme n’est-il pas toujours l’homme? C’est-à-dire un être essentiellement faible et peccable. Notre-Seigneur avait bien choisi Judas parmi ses apôtres, et cependant, pourrait-on être plus indigne que Judas d’un pareil choix? Corruptio optimi pessima, et Judas ne serait pas un si grand misérable s’il n’avait été élevé par Jésus lui-même à l’insigne honneur du sacerdoce.

Ainsi je vous accorde ces trois choses: 1° qu’il y a eu un mauvais prêtre dès le commencement; 2° que les mauvais prêtres sont un scandale pour les fidèles et les imbéciles; 3° que les crimes sont plus grands chez un prêtre que chez un simple laïque. Mais quand je vous aurai accordé tout cela, il faudra bien m’accorder autre chose, c’est qu’une religion qui subsiste même avec de mauvais prêtres est nécessairement divine. Il faut bien remarquer quelle est la situation d’un mauvais prêtre qui a la foi: il est obligé de prêcher à tout instant des choses nécessaires à son peuple et qui sont sa condamnation. Dans quelle autre religion trouve-t-on pareil prodige? Vous rendez-vous compte de l’affreuse situation de ce mauvais prêtre qui ne peut prononcer une parole qui ne le condamne? Il ne faut donc pas se laisser arrêter à cette objection: pourquoi des mauvais prêtres? Plus il y en aura, plus le miracle de l’Eglise se perpétuant sans aucune diminution ou altération de la vérité sera grand, et plus ressortira la divinité de l’Eglise.

III. Saint Pierre, parlant de Judas, dit, en lui appliquant le passage d’un psaume: « Fiat commoratio eorum deserta, et non sit qui inhabitet in ea, et episcopatum ejus accipiat alter. (Ps. LXVIII, 26.) Que sa demeure devienne déserte, que personne n’y habite, et qu’un autre reçoive son épiscopat. » Il proposa donc de combler le vide fait par la mort du traître dans les rangs des apôtres et de choisir un douzième témoin parmi ceux qui ont suivi Jésus-Christ dans sa prédication en Galilée, et depuis sa mort jusqu’à son ascension.

Et permettez-moi d’insister sur ce caractère de témoins dont j’ai parlé hier; les apôtres sont des témoins, c’est Jésus-Christ lui-même qui leur donne ce titre. Il faut qu’il y ait encore des témoins, et des témoins fixés, choisis d’avance par Dieu: « non omni populo, sed testibus praeordinatis a Deo. » (Act. X, 41.)

Il est absolument important de savoir que la religion catholique n’est pas un système de philosophie que l’on peut discuter ou combattre à son gré; c’est une croyance qui repose sur des faits incontestables et qu’il faut accepter. Si l’on n’admet pas ces faits, si l’on n’admet pas le témoignage des apôtres qui ont répandu leur sang comme preuve de leur sincérité, il faut rejeter toute vérité historique et envoyer promener tous les professeurs d’histoire. Voulez-vous que je vous prouve que je suis un témoin véritable? disent les apôtres, je vais faire des miracles; et, suivant la promesse de Notre-Seigneur lui-même, ils en feront de plus grands, de plus surprenants que ceux de leur divin Maître.

Il ne s’agit pas sur ces questions de comprendre, il s’agit de croire; peu importe que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas, pourvu que vous croyiez. En tout cas, vous ne pouvez pas refuser raisonnablement votre assentiment à des témoignages qui garantissent la mission de celui et de ceux qui viennent vous parler au nom de Dieu. Les apôtres n’ont-ils pas fait assez pour vous prouver la vérité de leur mission et l’importance de leur témoignage? Qu’importe dès lors que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas? Qu’est-ce que comprendre? C’est saisir, prendre avec, embrasser; vous ne pouvez pas tout embrasser avec votre main; de certains objets vous ne pouvez prendre qu’une partie à la fois.

Et passons aux choses immatérielles. Si les dévotes peuvent se prendre aux cheveux, les savants s’y prennent aussi quelquefois, ce qui m’a été prouvé plus d’une fois quand j’ai voulu lire les rapports de l’Académie des sciences. Mais encore, ce qui constitue la science, ce sont des choses finies, bornées. Et vous auriez la prétention de comprendre Dieu qui est essentiellement infini! Et ici les savants ont tort de vouloir trop comprendre. Mais pour ces choses qui sont des mystères et qu’on ne peut comprendre, des preuves de fait suffisent, et ce sont celles que nous ont données Jésus-Christ et les apôtres. Ces derniers ont eu le courage nécessaire pour braver les persécutions et rendre témoignage jusqu’à l’effusion de leur sang.

Ainsi il faut à la religion chrétienne des témoins, et saint Pierre propose aux apôtres de remplacer le traître Judas par un autre témoin. Saint Pierre avait le droit de faire ce choix de sa propre autorité, et c’est par un acte de condescendance qu’il consulte ses collègues dans l’apostolat; ce qui prouve que les Papes peuvent, quand bon leur semble, faire dans le même sens certaines concessions. On en proposa deux à l’élection: Joseph nommé Barsabas, surnommé le Juste, et Mathias. Et statuerunt duos: Joseph qui vocabatur Barsabas, qui cognominatus est Justus, et Mathiam. Il semblerait que celui qui était surnommé le Juste dût être choisi; et pourtant ce fut Mathias qui fut élu par le sort, ou plutôt par Dieu lui-même auquel les apôtres firent cette prière. Tu, Domine, qui corda nosti omnium, ostende quem elegeris ex his duobus unum. Ce qui prouve une fois de plus la nécessité de la prière pour que l’Eglise ait de bons évêques et de bons prêtres; et quand les églises ont de mauvais prêtres, cela tient souvent à ce qu’elles ont trop négligé la prière. Mathias élu prit rang parmi les apôtres; et annumeratus est cum undecim apostolis.

Les apôtres ne devaient rester que quelques jours dans le cénacle, et ce temps ils l’avaient employé à la prière et à la méditation. De quelque côté qu’ils tournassent les yeux, ils voyaient les idoles du monde païen qu’ils devaient renverser et détruire; ils voyaient cette philosophie sceptique qui énervait les âmes; ils voyaient le despotisme le plus brutal remplir et faire trembler la terre; ils voyaient ce qui avait perdu Judas, cet amour intense de l’or; ils voyaient enfin le monde entier plongé dans les ténèbres de l’incrédulité et dans les boues de la corruption des moeurs. Ils voyaient tout cela, et ils savaient qu’il leur avait été dit: Eritis mihi testes, vous allez me rendre témoignage dans toute la terre, vous allez renverser toutes les erreurs, détruire l’empire de Satan. On vous persécutera, on vous traînera en prison, on vous jettera aux bêtes de l’amphithéâtre, on vous fera monter sur les bûchers, et vous périrez pour me rendre témoignage. Voilà, certes, un avenir bien effrayant pour la nature humaine, et cependant les apôtres ne reculeront point; au fond de leur âme, ils éprouveront une joie immense de souffrir quelque chose pour leur Dieu, et c’est ainsi qu’ils seront vainqueurs du monde.

Et nous aussi, mes chers enfants, si nous voulons être réellement chrétiens, il faut imiter le courage des apôtres. Nous devons nous dire chacun: Et moi aussi j’ai le Saint-Esprit et je suis par conséquent appelé à une vie apostolique, je dois donc me pénétrer surtout de l’esprit apostolique, c’est-à-dire de l’esprit de dévouement et de sacrifice. Il y avait dans le Cénacle les saintes femmes et d’autres fidèles que les apôtres. Le collège sera pour moi un cénacle où je me préparerai à la mission que je dois remplir dans le monde.

Mais pour cela il faut faire un effort sur soi-même, il faut s’élever au- dessus du bien-être matériel, et ne pas ressembler à ces élèves bourgeois si nombreux aujourd’hui; il faut avoir de l’énergie comme les apôtres, il faut avoir du courage ainsi que la vertu d’en haut; quoadusque induamini virtute et alto. Dieu doit vivre dans votre coeur, il doit être votre esprit, votre intelligence, et pour cela il faut l’attirer en vous par la prière.

Les apôtres et les disciples n’étaient pas plus nombreux dans le Cénacle que ne l’est cet auditoire, et cependant ils ont pu vaincre et conquérir le monde. Ainsi donc, formez-vous à l’esprit apostolique dans le collège; qu’il soit, je le répète, votre cénacle; et au sortir du collège vous rencontrerez d’autres cénacles, ces églises réparties partout dans le monde, dans les villes comme dans les plus obscurs villages, et où Dieu réside toujours aussi puissant et prêt à vous communiquer sa puissance, afin de vous donner un jour part à sa gloire. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. On sait bien où se *trouvait* le cénacle, et le P. d'Alzon ne l'ignorait pas puisqu'il avait entrepris en 1864 de l'acheter pour l'offrir au Saint-Père. Après avoir prêché le Carême à Constantinople en 1863, il voulait même se rendre à Jérusalem, en partie pour cette affaire, projet qu'il ne put réaliser. Mais la salle où Notre-Seigneur institua l'Eucharistie a disparu et les constructions faites ensuite en ce lieu n'en rappellent que le souvenir. C'est sans doute ce que veut dire ici le P. d'Alzon.