- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
- INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
IV
[LA PENTECOTE. ACTES, II, 1-13.] - Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 171-182.
- BR 2-3
- 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
1 APOTRES
1 EMPIRE DE SATAN
1 ENFER
1 FEMMES
1 IDEES DU MONDE
1 LANGUE
1 MENSONGE
1 PECHES
1 PENTECOTE
1 RETRAITE SPIRITUELLE
1 SAINT-ESPRIT
1 SATAN
1 VERITE
1 VERTUS
1 VIE DE RECUEILLEMENT
2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
2 MANES
2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
2 MATTHIEU, SAINT
2 PAUL, SAINT
2 PIERRE, SAINT
2 RENAN, ERNEST
2 THERESE, SAINTE
2 ZOROASTRE
3 JERUSALEM
3 VALBONNE - Collégiens de Nîmes
- 4 mars 1868
- Nîmes
Je veux vous parler aujourd’hui, mes chers enfants, de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres.
Mais, auparavant, permettez-moi de vous faire observer qu’il y a deux ennemis du Saint-Esprit: l’esprit de l’enfer ou de Satan, et l’esprit du monde.
L’esprit de l’enfer a été nommé par Jésus-Christ homicide dès le commencement, « ille homicida erat ab initio » (Joan. VIII, 44). Or, avant Jésus-Christ et avant la descente du Saint-Esprit, l’esprit de Satan s’était emparé du monde et le tenait assujetti sous son joug tyrannique. Aussi Jésus-Christ appelle-t-il encore Satan « princeps huius mundi, le prince de ce monde ». Quel est le but que poursuit sans cesse l’esprit de Satan, cet esprit de meurtre, homicidas C’est la damnation éternelle des hommes. Tel est le but de son travail: c’est un travail de meurtre, de mort.
Le travail du Saint-Esprit, au contraire, est un travail de vie, de résurrection, de gloire. Qui ne sait quelle a été la transformation opérée par le Saint-Esprit? Il n’est pas nécessaire d’être profondément versé dans la connaissance de l’antiquité pour comprendre qu’il y a eu toute une vie nouvelle apportée par le Saint-Esprit. Il suffit, pour s’en faire une idée, d’avoir de l’antiquité cette connaissance que nous imposent les travaux du baccalauréat.
Vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de Zoroastre, et, au IIIe siècle, de Manès et de ses deux principes, l’un bon, l’autre mauvais. Il est bien évident que dans le monde il y a un être personnel qui, par sa faute, est devenu mauvais après avoir été créé bon; et c’est là Satan, l’esprit de l’enfer.
Le principe établi par le démon, ce qu’il veut imposer à nos âmes, c’est le mensonge. De même que notre corps se nourrit de pain, de même notre âme se nourrit de vérité; il lui faut des idées vraies, il lui faut cette nourriture lumineuse qui vient de Dieu, et qui seule peut la rassasier. Or, à la place de ces idées vraies, le diable s’applique à mettre en notre âme des idées confuses, des idées fausses. Mais, avant la descente du Saint-Esprit, le règne du mensonge était encore plus complet, la vérité était bannie de la terre avec le culte du vrai Dieu. On en vint à adorer des vaches, des taureaux et même des oignons, et vous avez sans doute entendu citer bien des fois par vos professeurs cette parole d’un satirique latin:
O sanctae gentes quibus haec nascentur in hortis Numina!
Tel est donc le perpétuel travail de Satan, mettre le mensonge à la place de la vérité.
L’esprit de Satan remplit le monde et le monde est le résidu de toutes les passions mauvaises. Mais aux péchés, fruits des passions et des vices, le Saint-Esprit vient opposer les vertus. Et tel a été et tel sera toujours le travail du Saint-Esprit: mettre les vertus où il y avait les vices, combattre cette corruption où le monde allait s’enfonçant et dans laquelle la nature humaine déchue serait tombée de son propre poids, quand même Satan n’eût pas travaillé sans cesse à l’y précipiter.
Ainsi, action insufflant la vie contre la mort, la vertu et la force contre le péché, et engendrant la sainteté contre la corruption, voilà la véritable action du Saint-Esprit sur les âmes. Quiconque a un peu interrogé le fond de son âme reconnaîtra franchement qu’une certaine faiblesse nous arrête quand nous voulons faire le bien; nous sommes des hommes de péché et notre nature nous sollicite au mal. Mais il y a aussi dans le cours de la vie, et vous l’avez souvent éprouvé, mes chers enfants, il y a des moments de recueillement, où l’on sent le besoin de devenir meilleur, où l’on est plus disposé à lutter contre toutes les défaillances de la nature; et c’est là l’action du Saint-Esprit. C’est encore lui qui agit sur vos âmes quand, après une communion, vous sentez un redoublement de ferveur, ou bien lorsque vous vous sentez touchés par un sermon, une instruction. C’est le Saint-Esprit qui parle à vos coeurs et les pousse vers Dieu, leur Maître et leur Créateur.
Nous avons laissé les apôtres se préparant dans le Cénacle par la prière à la grande mission qu’ils devaient accomplir et qui devait renouveler le monde. Ils étaient encore dans le Cénacle le jour de la Pentecôte au matin, et cum complerentur dies pentecostes, erant omnes pariter in eodem loco. C’est le cinquantième jour après la Résurrection et le dixième après l’Ascension; c’était aussi le jour de la Pentecôte des Juifs qui arrivait cinquante jours après leur Pâque, avec cette différence que, chez eux, ces fêtes se célébraient le samedi et non le dimanche.
Ils étaient donc encore dans le Cénacle, et voilà que tout à coup il se fait un bruit formidable comme celui d’un vent violent, et factus est repente de coelo sonus, tanquam advenientis spiritus vehementis.
M. Renan prétend que c’était un de ces orages terribles, comme il y en a de si fréquents en Orient; de là, dit-il, ce vent dont parle le texte sacré; selon lui, les apôtres qui attendaient le Saint-Esprit, voyant les éclairs et le tonnerre, crurent que le Saint-Esprit descendait sur eux en langues de feu. N’est-ce pas bien simple, mes chers enfants? Ainsi, quand vous voyez des éclairs, n’êtes-vous point persuadés que ce sont des langues? M. Renan prétend qu’il le croit, quant à moi je ne le crois pas encore et je ne vous forcerai point à le croire. D’ailleurs, il n’est pas dit qu’il y eut un vent violent, mais qu’on entendit le bruit comme d’un vent violent; remarquez bien ce mot: comme, tanquam. Vous pourriez en ce moment entendre un grand bruit que vous prendriez pour le bruit du vent, sans qu’il n’en fût rien.
Et ce bruit remplit toute la maison où ils se tenaient, et replevit totam domum ubi erant sedentes. Qu’arriva-t-il ensuite? Ils virent des langues de feu descendre, et le Saint-Esprit se reposer sur chacun d’entre eux, et apparuerunt illis dispertitae linguae tanquam ignis, seditque supra singulos eorum. Remarquez la manière dont s’exprime le texte sacré: ce ne sont point les langues qui se reposent sur les apôtres, mais le Saint-Esprit; il n’y a pas: dispertitae linguae sederunt, mais: sedit. Ainsi le Saint-Esprit s’assit, se reposa sur le coeur de chacun des apôtres, seditque supra singulos eorum.
Vous comprenez dès à présent la nécessité du calme, de la solitude, du recueillement pour recevoir le Saint-Esprit. Vous vous rappelez sans doute cette classe de rhétorique qui avait pris l’habitude de nous corner aux oreilles: « Du calme! du calme! » Je ne veux point rechercher ce qu’avaient de spirituel ces paroles dites avec un tout autre sens et dans la bouche de tels élèves; mais je veux vous faire comprendre que pour recevoir dignement le Saint-Esprit, et faire fructifier ses dons en nos âmes, il faut avant tout le recueillement. Ce n’est pas dans le trouble, dans l’agitation, que votre âme pourra jouir de la société de Dieu et de ses ineffables douceurs, car Dieu n’est point dans l’agitation, « non in commotione Dominus » (III Reg. XIX, 11).
Ce calme résidait dans l’âme des apôtres et était figuré par l’état de calme de leurs corps, et erant sedentes; aussi le Saint-Esprit vient-il se reposer sur le coeur de chacun d’eux, sedit supra singulos. Il faut donc, pour s’entretenir avec Dieu, pour s’élever jusqu’au ciel, n’être point arrêté par le trouble des affaires; aussi sainte Thérèse fait-elle observer qu’elle n’a eu de grandes communications célestes que lorsqu’elle était dans un grand calme, dans la solitude la plus complète, dans le recueillement le plus absolu.
Je faisais remarquer un jour à un grand théologien que les femmes étaient ordinairement plus sujettes aux visions que les hommes: « C’est, me répondit-il, que les hommes se livrent davantage à la vie des affaires, à la vie active, au lieu que les femmes se donnent plus souvent à la vie contemplative. » Saint François d’Assise, qui, tout homme qu’il était, est un des saints qui ont eu le plus de révélations, prêchait, comme sainte Thérèse, la nécessité du recueillement pour s’entretenir avec Dieu.
De là, vous voyez la nécessité de la retraite; je me demande si nous ne ferions pas bien de reprendre nos retraites à Valbonne, ou bien de prier les jeunes gens qui vont avoir fini leurs études de faire une petite retraite au Vigan, avant de se mêler aux agitations et au tumulte du monde(1).
Vous me direz: « Mon Père, je préfère m’amuser. » Je vous répondrai: « Mon garçon, vous êtes un nigaud, si vous ne sentez pas le besoin de vous fortifier par des grâces spéciales et de vous retremper dans l’amour de Dieu pour combattre contre le diable et ses meurtres, contre le monde et ses mensonges. » Pour cela, il faut être recueilli, il faut être en possession de soi-même, alors seulement on recevra la plénitude du Saint-Esprit qui fut accordée aux apôtres. Et cette plénitude du Saint-Esprit leur fut accordée non seulement en vue de la transformation qu’ils allaient opérer par toute la terre, mais pour leur propre sanctification. De même, celui qui doit se dévouer à une sorte d’apostolat dans le monde, celui-là, en recevant le Saint-Esprit, reçoit une communication particulière qui crée en lui cette sainteté qu’il veut répandre dans les autres.
Quel malheur pour nous que nous n’ayons pas une plus grande dévotion au Saint-Esprit! Nous ferions des merveilles.
Considérons quels furent, en effet, les résultats produits par le Saint-Esprit, sur les apôtres: « et coeperunt loqui variis linguis, et ils se mirent à parler diverses langues ». Il est si vrai que le Saint-Esprit agit d’une façon extraordinaire sur certaines âmes, que j’ai trouvé ce tact du langage chrétien chez des personnes entièrement dépourvues d’instruction. J’ai rencontré de pauvres paysans, profondément ignorants, de pauvres filles vivant dans les montagnes, chez lesquels était visible cette opération du Saint-Esprit. Sans doute ces personnes ne se mettaient point à parler toute espèce de langues, anglais, italien, turc, etc., mais la présence du Saint-Esprit dans leur coeur produisait sur leur intelligence des effets vraiment miraculeux. On ne peut pas dire tout ce qu’il y a de beau, de divin dans cette opération du Saint-Esprit sur une âme qui n’a pas encore perdu la robe de son innocence. Et vous, les plus petits, qui avez peut-être conservé cette innocence, vous êtes bien souvent, sans le savoir, les échos du Saint-Esprit qui se fait entendre au dedans de vous.
Les effets de la présence du Saint-Esprit se firent donc sentir immédiatement dans les apôtres, et comme la Pentecôte avait attiré à Jérusalem une grande foule de Juifs, il y avait là une multitude de personnes de toutes les nations qui entendirent chacune sa langue quand ces hommes inspirés annoncèrent les merveilles de Dieu.(2)
Lorsque les Juifs se dispersèrent dans tout l’univers, ils racontèrent ce qu’ils avaient vu et entendu à Jérusalem le jour de la Pentecôte; préparation naturelle, me direz-vous, aux conquêtes des apôtres; dites plutôt préparation surnaturelle. Plus tard, en effet, quand les apôtres s’en allèrent dans ces pays, ils trouvèrent des gens informés de ces merveilles; ils savaient qu’à Jérusalem on avait entendu les disciples parler toute espèce de langues. Dans la suite ce don des langues disparaîtra; il fut cependant très utile à ces premiers missionnaires, puisqu’ils n’eurent pas besoin avant de prêcher l’Evangile d’avoir recours à un maître de langues. Du reste, si ce don disparut, Dieu y suppléa. Aussi saint Paul déclarait-il qu’il aimait mieux le don de prophétie que le don des langues. En tout cas, cette affluence de Juifs à Jérusalem le jour de la Pentecôte était à coup sûr une préparation évangélique merveilleuse à la prédication des apôtres.
Un autre effet du Saint-Esprit, c’est l’effet particulier, propre à chacun des apôtres, qui aboutissait à leur justification personnelle, et repleti sunt omnes Spiritu Sancto. Tous les apôtres, en effet, ont été des saints, car, outre les grâces nécessaires que l’effusion du Saint-Esprit communique au Pape pour la direction de l’Eglise en général, et aux évêques pour la direction des Eglises particulières, il y a la sainteté de chacun pour laquelle le Saint-Esprit communique des grâces spéciales.
Vous donc, mes chers enfants, vous surtout qui avez reçu ces jours derniers le Saint-Esprit, vous avez reçu une purification nouvelle dans les flammes du Saint-Esprit, car vous en aviez reçu une première dans le baptême en devenant enfants de Dieu et de son Eglise. Si donc vous avez la foi, si vous croyez au Père qui a promis le Saint-Esprit, promissum Patris, si vous croyez au Fils qui l’a envoyé de la part de son Père, si vous croyez à Dieu le Saint-Esprit et à ses opérations merveilleuses sur les âmes bien disposées, le Saint-Esprit vous accordera les mêmes grâces qu’aux apôtres. Vous devez croire que le Saint-Esprit fera de vous des saints, si vous le voulez, de la même manière que vous croyez que par son opération le Fils de Dieu s’est fait homme dans les chastes entrailles de la Sainte Vierge -en un mot, vous devez croire à la Pentecôte et aux effets du Saint-Esprit comme vous croyez à l’Incarnation.
Ecoutez ce même Saint-Esprit qui vous dit: « Ainsi que j’ai appelé les pécheurs à la pénitence, ainsi que j’ai arraché saint Matthieu à son comptoir, saint Paul à ses persécutions, saint Pierre à ses reniements, de même je t’appelle, toi, à marcher sur leurs traces, à pratiquer comme eux la sainteté. » Madeleine la pécheresse s’est purifiée dans les flammes de l’amour; c’est quand elle a commencé à aimer qu’elle à reçu son pardon. Il faut donc que vous vous disiez, mes chers enfants: « Je veux me respecter, moi, le temple du Saint-Esprit; il faut que je corresponde autant que possible à la sainteté de la troisième personne de la Sainte Trinité qui est venue s’asseoir et se reposer sur mon coeur comme sur celui des apôtres. »
Ecoutez donc, mes chers enfants, cette troisième personne de la Sainte Trinité, qui s’adresse à une petite personne qui n’est autre que chacun de vous et vous dit: « Veux-tu que je fasse de toi un saint, laisse-toi gouverner par moi, laisse-moi agir dans ton coeur. »
Il faut choisir: ou le diable, l’esprit de l’enfer, ou l’Esprit de Dieu; voilà le choix proposé à tous les hommes par le Saint-Esprit. Malheur à eux s’ils ne s’attachent pas au Saint-Esprit, s’ils veulent se repaître de l’esprit du monde, de ses erreurs et de ses mensonges. Ah! bien plutôt, mes chers enfants, cherchez à vivre de Dieu et de l’Esprit de Dieu; cherchez à vivre dans cette plénitude de la vie du ciel, soyez remplis de cette nourriture divine, qui est la vérité éternelle, c’est-à-dire Dieu lui-même. Tel doit être votre but ici-bas, but sublime qui n’a rien de terrestre, qui est mille fois au-dessus des fanges de la terre, et soyez persuadés que tous vos efforts pour l’atteindre auront leur récompense dans le ciel. Ainsi soit-il.
2. (*Ici le P. d'Alzon donne lecture d'une traduction de ce passage dans les Actes des Apôtres, voir versets 5-13*.)