OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    V
    [LE DISCOURS DE SAINT PIERRE. ACTES, II, 14-39.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 183-192.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 AUGUSTIN
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 EGLISE
    1 GRECS
    1 JUIFS
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 MAGISTERE
    1 MARTYRS
    1 PENTECOTE
    1 RIRE
    1 VERTU DE FORCE
    1 ZOUAVES PONTIFICAUX
    2 ARISTOTE
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 PLATON
    2 RABELAIS, FRANCOIS
    2 TITUS, EMPEREUR
    3 CANADA
    3 JERUSALEM
    3 PARIS
    3 ROME
  • Collégiens de Nîmes
  • 6 mars 1868.
  • Nîmes
La lettre

Le Saint-Esprit une fois descendu sur les apôtres, l’Eglise est fondée.

Comme on l’a fait observer, dès qu’il y eut un homme, cet homme a dû entrer aussitôt en société avec Dieu, et l’Eglise n’est autre chose que la société de Dieu avec l’homme. Mais dans la nouvelle loi, l’Eglise est la société de Dieu avec les hommes par Jésus-Christ et par les lois que Jésus-Christ est venu apporter au monde. Ces lois sont exposées dans le Nouveau Testament, et nous allons étudier quelques-unes de ces lois.

La première est l’enseignement dont Jésus-Christ a confié la charge à ses apôtres. Nous avons dit avant-hier que la multitude des gens de diverses nations qui se trouvaient à Jérusalem le jour de la Pentecôte furent très étonnés en entendant les apôtres leur parler à chacun selon leur langue. De là une rumeur, quidnam vult hoc esse? Ils ne pouvaient s’expliquer ce prodige et se demandaient: Que signifie cela? Et cependant, ne fallait-il pas qu’il en fût ainsi, puisque Jésus-Christ avait ordonné à ses apôtres de prêcher l’Evangile à toute créature, omni creaturae? Il était donc indispensable que les apôtres se fissent comprendre de toute créature intelligente. Or, cela s’est vérifié à la lettre et il importe de remarquer qu’à chaque pas on trouve un miracle qui souligne en quelque sorte les paroles du Nouveau Testament. Et l’étonnement qui nous saisit aujourd’hui en présence d’un tel prodige était le même chez ceux qui en furent témoins. Stupebant autem omnes et mirabantur ad invicem dicentes: quidnam vult hoc esse?

Mais il y avait dans cette multitude autre chose que de l’étonnement, écoutez le texte sacré: « Alii autem irridentes dicebant: Quia musto pleni sunt isti; d’autres se moquaient en disant: Ces hommes sont pleins de vin nouveau. » Remarquez bien ce fait, mes chers enfants, que dès le temps des apôtres, dès les premiers jours de l’Eglise, la raillerie s’est élevée contre la religion. De tout temps celle-ci a rencontré des railleurs, parce qu’il faut que toujours là où il y a des choses sérieuses et vraiment grandes, il y ait des moqueurs. Il faut en prendre son parti, il ne faudrait pas en avoir trop peur.

Il y a là un fait très remarquable. Qui se serait douté que dans cette multitude qui devait fournir des martyrs en si grand nombre, des chrétiens destinés à périr sur le bûcher ou sous la dent des bêtes, ou à avoir le corps scié (quel plus cruel supplice pouvait-on imaginer que de scier le corps avec une scie de bois!), qui se serait douté, dis-je, qu’il y avait là des railleurs? Quelle est la puissance de ce rire? On ne l’a que trop éprouvé dans ces derniers temps. Un mal atroce a été fait par ce qu’on appelait le rire voltairien; le rire des incrédules avait été précédé par le rire de Rabelais, encore plus cynique parce qu’il venait d’un curé.

Comme je vous l’ai dit, il ne faudrait pas cependant s’exagérer la puissance de ce rire, ni trembler à l’aspect d’un railleur. Non, mais il faut imiter saint Pierre.

Saint Pierre se lève avec les onze et à haute voix répond aux railleurs: « Ces gens ne sont point ivres, comme vous le pensez, attendu qu’il n’est que neuf heures du matin. » Remarquez encore ici que la première prédication a commencé par une réponse à une raillerie. Tout en répondant à ceux qui avaient ri, saint Pierre s’adresse à tous: « Juifs, et vous tous qui habitez Jérusalem, Viri Judaei, et qui habitatis Jerusalem universi. » Ainsi Saint Pierre prend cette occasion pour commencer son enseignement, et cet enseignement a quatre principaux caractères: 1° substantiel, 2° habile et prudent, 3° courageux, 4° divin. Nous allons examiner chacun de ces caractères.

I. Substantiel. -Saint Augustin a dit: « Mundanis scriptoribus est cura de verbis, nobis de rebus, les écrivains du monde ne s’occupent que des mots, et nous, nous cherchons les choses avant tout. » Quoi de plus substantiel que l’enseignement chrétien? Le but de votre vie, vous dit-il, est de connaître, aimer et servir Dieu, et par ce moyen obtenir la vie éternelle; solution à laquelle la philosophie païenne était incapable d’arriver. Et en même temps qu’il vous apprend le but de votre vie, cet enseignement vous apprend aussi votre origine, et si vous devez vivre pour Dieu, vous savez du moins que vous avez été créé par Dieu. Vous apprenez aussi que vous êtes composé d’un corps et d’une âme, question qui n’a été tranchée que par le christianisme. Aristote, le divin Platon lui-même malgré ses idées innées, n’étaient pas bien sûrs que l’âme ne fût pas quelque peu matérielle.

Enfin vous apprenez à connaître la nature de Dieu, les trois personnes en Dieu, les sacrements, l’Incarnation, la Rédemption, la grâce, etc., toutes ces choses qui sont traitées dans le Petit Catéchisme, ce résumé de la plus haute des sciences. L’enseignement des apôtres est donc avant tout quelque chose de substantiel, il nourrit l’âme des plus hautes vérités qu’elle soit appelée à connaître.

II. Habileté et prudence. -Cet enseignement de saint Pierre n’est pas seulement substantiel, il est encore habile et prudent.

Saint Jean Chrysostome fait observer que les Juifs n’auraient pas supporté qu’on vînt dès la première prédication leur déclarer sans aucun ménagement que Jésus-Christ était Dieu. Aussi saint Pierre ne commence-t-il point par là; il prouvera d’abord aux Juifs la mission divine de celui qu’ils ont crucifié, et quand on aura admis que Jésus-Christ était un envoyé divin, on avalera beaucoup plus facilement (permettez-moi la familiarité de l’expression) ce qui en est la conséquence; on reconnaîtra qu’il était Dieu. Ainsi saint Jean Chrysostome établit de la manière la plus évidente l’habileté éloquente des apôtres, et cela n’est point en contradiction avec les paroles de saint Paul: « non in persuasibilibus humanae sapientiae verbis, ma prédication ne consiste pas dans les discours persuasifs de la sagesse humaine. » (I Cor. II, 4.) Toutefois, ainsi que le fait observer saint Chrysostome, la parole de Dieu demande, pour être annoncée, une certaine préparation: ce serait lui manquer de respect que de parler aux fidèles sans avoir médité les vérités qu’on leur prêche et la manière de les annoncer.

Mais, comme vous n’êtes pas encore des prédicateurs, je veux envisager la chose d’une manière plus générale, et je prétends que tout jeune homme étant exposé à rendre compte de sa foi, il est pour lui d’une absolue nécessité d’acquérir cette habileté et cette prudence dont saint Pierre fit preuve en s’adressant aux Juifs.

A tout moment, le chrétien est obligé dans le monde de parler de sa foi, il faut donc qu’il sache s’y prendre.

Ainsi il est évident que pour arriver aux âmes, il faut avoir recours à certains moyens, si l’on ne veut tout détruire par une brusquerie ou par des concessions hors de propos.

Quand on objectait à saint Chrysostome les paroles de saint Paul que j’ai citées tout à l’heure, il répondait: « Ayez l’inspiration de saint Paul, et alors vous pourrez annoncer la parole de Dieu sans préparation. »

Or, je crois qu’on peut bien s’en remettre au sentiment d’un évêque, d’un docteur et d’un saint tel que saint Jean Chrysostome qui mérita par son éloquence le nom de Bouche d’or.

III. Le courage. -Enfin, un troisième caractère de l’enseignement de saint Pierre, c’est le courage.

Regardez quel était l’état du monde à ce moment de la fondation de l’Eglise chrétienne. Que se passait-il à Jérusalem? Cette ville était déchirée par des factions et par des haines épouvantables; ses habitants, pour me servir d’une expression familière, se mangeaient entre eux. Et même, sans les divisions des partis, Jérusalem aurait peut-être résisté jusqu’à la fin de l’Empire et n’aurait pas succombé sous Titus. Il semble que le caractère de la haine était imprimé sur le front de ce peuple déicide. Il était bien évident, à moins d’un triple miracle, que les apôtres allaient avoir à souffrir de ceux qui avaient crucifié leur Maître; et s’il est vrai, comme nous l’avons dit, que l’évangélisation avait été préparée par les Juifs témoins du miracle des langues le jour de la Pentecôte, il n’en est pas moins vrai que ces mêmes Juifs devaient être aussi les plus ardents persécuteurs des apôtres, les suivant et les épiant sans relâche dans leurs prédications, et les abreuvant d’humiliations et de tourments. Telles étaient donc les dispositions de Jérusalem et des Juifs à l’égard des apôtres.

Et du côté des empereurs romains, que voyons-nous sinon une orgie universelle, une ignorance complète de ce qui ne touche pas à la terre? Voilà les gens que les apôtres allaient évangéliser; cette mission ne demandait-elle pas une grande dose de courage et un zèle sans bornes?

Il y avait encore les Grecs, et parmi eux surtout les apôtres devaient rencontrer cette raillerie dont les Juifs qui se croyaient un peu d’esprit avaient fait parade le jour de la première prédication des apôtres.

Mais, loin de se briser contre ces éléments et ces obstacles, les apôtres en triomphent. Les Juifs aussi bien que les Romains et les Grecs seront subjugués par les apôtres; tout ce qui ne voudra pas se rendre sera balayé comme l’empire romain, ou anéanti comme Jérusalem. Cet empire romain qui avait conquis la terre entière disparaîtra, mais cette unité de tous les peuples sous la domination d’un seul aura servi aux desseins de Dieu, elle favorisera l’expansion de la foi chrétienne. Et voilà pourquoi, jusqu’à un certain point, Dieu avait supporté et accepté cet état du monde.

Que d’obstacles rencontrèrent les apôtres! Ils les surmontèrent en se montrant courageux dès le premier jour de leur évangélisation. Ah! si les apôtres en avaient cru les dires de certaines gens de nos jours, ils auraient été doux, melliflueux, tolérants; ils auraient montré cette bienveillance fade qui s’accommode de tout et fait bon marché des croyances.

Comme saint Pierre est loin d’agir ainsi! Ecoutez-le quand il s’adresse aux Juifs, il n’y va pas par quatre chemins. Il ne craint pas de leur dire en propres termes qu’ils sont des assassins. « Celui-là même que vous avez tué, leur dit-il, c’est celui qui a été établi, par Dieu son Père, Seigneur de la terre. Vous l’avez crucifié, vous ne pouvez en disconvenir, il faut aussi que vous acceptiez qu’il est ressuscité. Cela vous paraît étrange sans doute, mais nous qui vous parlons, nous l’avons vu ressuscité. De même que beaucoup d’entre vous ont vu Lazare ressuscité, de même que vous avez vu au moment de la mort de Jésus-Christ plusieurs de ceux qui étaient morts depuis longtemps sortir de leurs tombeaux et se montrer dans Jérusalem, de même nous avons vu Jésus ressuscité. »

Ces paroles étaient à coup sûr très désagréables pour les Juifs qui avaient crucifié Notre-Seigneur, pour les pharisiens auxquels il n’avait cessé de reprocher leur hypocrisie, et pour les sadducéens qui soutenaient que quand on est mort tout est mort et niaient la résurrection. Saint Pierre, tout en y mettant une certaine grâce, une certaine forme nécessaire à l’exposition de la vérité, y met aussi le fond, c’est-à-dire une attestation énergique. C’est là le cachet de la prédication chrétienne.

Ici donc saint Pierre revendique encore la qualité de témoins, cujus nos omnes testes sumus. Telle doit être, en effet, la mission du chrétien, rendre toujours témoignage de la vérité de l’Eglise. Il ne faut pas craindre d’élever la voix pour prouver au monde que nous n’avons peur ni de ses railleries ni de ses menaces.

Je devrais encore vous parler du caractère divin de l’enseignement, je n’en dirai rien ce soir; et puisque je vous ai parlé du courage dans la manifestation de la vérité, je vais vous lire un article où vous apprendrez précisément un acte de courage qui vient d’être accompli en face des railleries des Parisiens.(1)

Vous n’êtes pas encore d’un âge à imiter cet exemple, mais souvenez-vous qu’en toute occasion vous devrez être les témoins de la vérité chrétienne, et que vous ne devez pas craindre de montrer votre foi en face des incrédules et des railleurs.

Notes et post-scriptum
(*Le P. d'Alzon lit un article de l'Univers où il est parlé de 146 Canadiens partant à la défense du Saint-Père, et traversant Paris, drapeau en tête. Il ajoute en terminant*:)