OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    VI
    [L'EGLISE PRIMITIVE. SES INSTITUTIONS. ACTES, II, 41-47.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 193-204.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
    1 APOTRES
    1 AUMONE
    1 BIENS
    1 COMMUNAUTE RELIGIEUSE
    1 COMMUNISME
    1 CONVERSIONS
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 EUCHARISTIE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LITURGIE
    1 PAUVRE
    1 PREDICATION
    1 RECONNAISSANCE
    1 UNITE DE L'EGLISE
    2 ANANIE
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BOSSUET
    2 CYRILLE DE JERUSALEM, SAINT
    2 JACQUES LE MAJEUR, SAINT
    2 LUC, SAINT
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 SAPHIRE
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 JERUSALEM
  • Collégiens de Nîmes
  • 7 mars 1868.
  • Nîmes
La lettre

Je me suis aperçu, mes chers enfants, qu’il faudrait aller un peu plus vite désormais et voir dans certaines instructions un chapitre entier et même deux chapitres. Mais, aujourd’hui, il m’est impossible d’aller plus vite, et je suis obligé de m’arrêter avec vous sur cette fin du second chapitre, car j’y vois les institutions catholiques qui subsistent encore établies dès le commencement de l’Eglise.

Il faut dire d’abord que la première prédication avait produit ses fruits et trois mille personnes s’étaient converties. Et quelle était la vie de ces nouveaux convertis? Ecoutez les Actes des Apôtres. « Erant autem perseverantes in doctrina apostolorum, et communicatione fractionis panis et orationibus. Et tous persévéraient dans la doctrine des apôtres, dans la communion de la fraction du pain et dans la prière. »

Or, je retrouve là les germes de trois, et même, si vous le voulez, de quatre institutions catholiques.

Erant autem perseverantes in doctrina. Ainsi saint Pierre a fait un premier sermon, mais les besoins des fidèles demandant un enseignement continuel, on constitua ces instructions familières qui sont devenues les catéchismes d’aujourd’hui ou les catéchèses des premiers temps. Ainsi, nous avons de saint Cyrille de Jérusalem vingt-trois catéchèses qui établissent la présence réelle dans l’Eucharistie; aussi les protestants ont-ils voulu combattre l’authenticité de ces écrits qui réfutaient leurs erreurs d’une manière positive.

Mais, du temps des apôtres, l’enseignement ne se faisait point par écrit, et au lendemain de la Pentecôte on n’avait pas encore les Evangiles, ni les Actes des Apôtres. C’était donc de vive voix que les apôtres enseignaient, et celui d’entre eux qui devait le plus écrire, puisqu’il a laissé jusqu’à quatorze épîtres, saint Paul, n’était pas encore converti. Chose étonnante! celui qui devait donner le plus de matériaux à l’Eglise sera d’abord persécuteur. Ainsi donc, l’écrivain sacré, voulant faire un résumé des premières institutions catholiques, met comme base la doctrine, le dogme, in doctrina. La base de l’Eglise, ce n’est donc pas la piété, ni la dévotion, ni les sentiments affectueux, mais la doctrine.

La seconde institution, c’est la communion par la fraction du pain, du moins c’est ainsi que je traduis le texte grec, (mots grecs)

que je traduis par la communion, ou, si vous le voulez, la communauté, mais non la communication. Voilà donc l’Eucharistie nettement établie; car l’Eucharistie est-elle autre chose que cette communion par la fraction du pain?

Ainsi l’Eucharistie arrive en second lieu après la doctrine, et le premier rang est évidemment dû à celle-ci, puisqu’il a été dit: Quomodo invocabunt in quem non crediderunt?

Et il ne faudrait pas répliquer que cette communion par la fraction du pain n’était autre chose que les agapes. Saint Luc a bien soin de nous préciser plus bas l’institution des agapes, quand, parlant de l’union des premiers chrétiens, il ajoute: Et frangentes circa domos panem, sumebant cibum cum exultatione et simplicita te cordis. Mais la fraction du pain n’était autre chose que l’Eucharistie; la fraction du pain est d’ailleurs un indice de ce sacrement des chrétiens et vous savez qu’entre le Pater et le Pax Domini le prêtre rompt la sainte Hostie. Et voyez comment cette union fraternelle des chrétiens est bien marquée dans la messe après la fraction du pain. Aussitôt le prêtre dit: Pax Domini sit semper vobiscum, et puis : Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis, et à la troisième fois, dona nobis pacem. Tel est donc le cachet de l’Eucharistie de venir aussitôt après la doctrine, et remarquez que je n’envisage pas ce sacrement au point de vue de la dévotion.

Certes, s’il est quelque chose qui mérite d’exciter l’amour et l’élan de notre coeur, c’est le Saint Sacrement, mais je laisse ce point de côté et j’examine seulement quelle place l’Eucharistie tient dans l’Eglise.

Il semble donc que la doctrine soit la tête, et l’Eucharistie le coeur, car c’est là que réside la plénitude de l’amour en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sans doute c’est l’amour qui a créé le monde, et c’est l’amour de Dieu pour les hommes qui nous a valu l’Incarnation; mais le Fils, le Verbe, l’Intelligence, a précédé dans sa venue sur la terre le Saint-Esprit qui représente l’amour et cela se reproduit dans la formation de l’Eglise. La doctrine qui représente la tête, l’intelligence, précède l’Eucharistie, cette source inépuisable d’amour.

Ce qui fait du reste la force des apôtres et de l’Eglise en dehors de l’unité de doctrine, c’est précisément cette communion par la fraction du pain, comme je traduisais d’après le texte grec, beaucoup plus énergique que la traduction latine. Voilà le principe de l’union de l’Eglise, de sa vie et de sa force, qu’elle puise dans cet élément de cohésion et de chaleur divine qui est l’Eucharistie. Voilà du moins ce que j’ai vu dans ce texte, ou plutôt voilà tout ce que l’Eglise y a vu contre les protestants qui ne veulent pas se rendre à l’évidence des choses. Quant à nous, catholiques, nous reconnaissons, dans cette fraction du pain, la communion, l’unité, la formation d’un seul corps par l’Eucharistie.

Le texte ajoute et orationibus, et ce mot marque une autre institution catholique, les prières publiques, en d’autres termes le culte public établi et dirigé. Quant à la question de savoir si les ornements sacrés étaient en usage à cette époque, peu nous importe; ce qui est certain, c’est que la messe est indiquée dans cette fraction du pain. Nous ferons cependant observer qu’on a prétendu que saint Jacques dans les cérémonies posait sur sa tête une plaque d’or qui ressemblait à une mitre. D’après cette tradition, les ornements sacrés auraient été en usage dès les temps apostoliques. Mais ce qu’il importe d’observer, c’est que, dès le premier jour, nous voyons établis la doctrine ou l’enseignement public, la liturgie et la messe.

Les apôtres allaient toujours dans le temple pour y prêcher la nouvelle doctrine. Bossuet fait remarquer que le changement ne fut pas d’abord très brusque: les apôtres se contentaient d’annoncer l’Evangile, et les choses s’accomplissaient doucement, et un très grand nombre embrassaient la nouvelle religion. Plus tard, quand 1,100,000 Juifs périrent à la destruction de Jérusalem, Dieu agit alors avec une grande vigueur; il voulait donner un caractère spécial à la séparation de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les apôtres font le changement sans bruit, sans tumulte, et remplacent peu a peu les prescriptions de la loi mosaïque par celles de la loi nouvelle. Comme Moïse avait dit que quand le Messie viendrait, il faudrait l’écouter, bien des Juifs acceptaient les changements; ainsi se préparait la complète transformation.

Je pourrais encore vous montrer dans ce mot orationibus le commencement de la vie mystique; mais cela m’entraînerait trop loin et dans des considérations trop élevées pour votre âge, je préfère m’arrêter là et continuer l’explication du texte sacré.

Fiebat autem omni animae timor. Multa quoque prodigia et signa per Apostolos in Ierusalem fiebant, et metus erat magnus in universis. La crainte s’emparait de toute âme, et d’où venait cette grande terreur? Des nombreux miracles que les apôtres opéraient dans Jérusalem. Si donc il y avait cette stupeur, c’est que tout le monde parlait de ces miracles, c’est que personne ne pouvait les nier, parce qu ils se faisaient en public. Les apôtres ne se cachaient pas, et appelaient tout le monde à leurs prédications. Si 3 000 hommes se convertirent au premier sermon de saint Pierre, c’est la preuve qu’il y avait cette fois pour l’écouter une foule assez considérable. D’un autre côté, tous ces gens sur qui la bonne nouvelle a fait une si grande impression vont, comme nous l’avons dit, annoncer dans toutes les parties du monde ce que les apôtres prêchent. Aussi y avait-il une grande crainte pour ceux qui n’étaient pas encore convertis à voir s’opérer tant de prodiges.

Voici maintenant quelle était la vie de ces premiers chrétiens: « Omnes etiam, qui credebant, erant pariter: et habebant omnia communia. Tous ceux qui croyaient étaient ensemble et avaient tout en commun. » Vous croyiez, mes chers enfants, que le communisme était né de nos jours; eh bien! dans un voyage j’ai rencontré quelqu’un qui me soutenait qu’on pouvait le trouver établi dès le temps des apôtres et par les apôtres eux-mêmes. Cela vous étonne sans doute. Je vais vous donner le texte grec qui me semble encore plus énergique que le latin: PANES DE OI PISTEUONTES ESAN EDI TO AUTO, KAI EIKHON APANTA KOINA. Entendez-vous, EPI TO AUTO, tous les croyants étaient sur la même ligne, n’est-ce pas l’égalité et l’unité? Qu’est-ce donc qu’avoir tout en commun? N’est-ce pas une sorte de communisme nettement formulé?

Sans doute, mais il se présente une petite difficulté, c’est que les apôtres ne forçaient pas chaque fidèle à mettre ses biens en commun. Saint Pierre le fit bien voir à l’égard d’Ananie et de Saphire, quand il dit au premier, se servant d’une expression hébraïque: « Nonne manens tibi manebat, et venundatum in tua erat potestate? (Act. V, 4.) Ton argent te restant ne te restait-il pas, et n’en étais-tu pas le maître? » Ce que je vais châtier en toi, ce n’est autre chose que ta mauvaise foi, car, pour ton bien, tu étais libre de le garder tout entier. Et en même temps vous voyez l’origine des Ordres religieux: la liberté entière de donner ou de ne pas donner. Le communisme des apôtres, c’est en quelque sorte le communisme dans la liberté. Que ceux qui veulent donner leurs biens les donnent; que ceux qui veulent les garder les gardent; on est absolument libre.

Ainsi les apôtres dès le commencement établissent cette égalité ou, si vous préférez traduire ainsi le mot grec, cette unité chrétienne. Dès lors vous sentez parfaitement toute la différence qu’il y a avec ces gens qui veulent au nom de l’ordre légal imposer la communauté des biens, et forcer par tous les moyens chaque citoyen à mettre en commun tout ce qu’il a. Chez les apôtres, rien de semblable; ils laissent chacun libre de suivre les inspirations de sa charité. Voilà de quoi saper par la base tous les systèmes des communistes modernes. Pourquoi séparez-vous, faut-il leur demander, ce que les apôtres ont constamment uni, savoir, la communauté et la liberté? Vous imposez la communauté des biens, les apôtres n’ont jamais agi de la sorte. Unissez donc ces deux éléments, et à la communauté que vous prescrivez joignez la liberté que vous avez éloignée jusqu’ici.

Mais à côté de cette question de communisme s’en place une autre, question terrible, et sur laquelle je ne me charge pas de rassurer plus tard vos consciences: c’est la question du superflu. Ce qui est certain, c’est que dans les premiers temps, dans ces temps de ferveur, on donnait beaucoup plus, mille fois plus que les riches d’aujourd’hui. Voilà certes une question capable de faire réfléchir les chrétiens de nos jours. Mais ce qu’il faut remarquer surtout dans ce chapitre, c’est l’empressement des fidèles à se secourir les uns les autres. Là, nous trouvons l’idée des Conférences de Saint-Vincent de Paul, et le P. Emmanuel n’a pas à s’enorgueillir d’être le fils de celui qui a établi ces Conférences en France, car bien avant M. Bailly, et du temps des apôtres, les Conférences avaient commencé sous un autre nom sans doute, mais dans le même but et dans le même esprit.

Que faites-vous, en effet, mes chers enfants, quand vous vous réunissez le dimanche? Vous mettez en commun ce que vous possédez pour subvenir aux besoins des pauvres. N’est-ce point ce que faisaient les premiers chrétiens? Possessiones et substantias vendebant, et dividebant illa omnibus, prout cuique opus erat. En d’autres termes, le principe de toutes ces inspirations, ce qui les anime, c’est l’esprit de charité. Que l’on s’appelle membre de la Société de Saint-Vincent de Paul, Dame de la Miséricorde, c’est exactement la même chose. Tout cela se rattache au même principe, découle du même esprit, s’inspire de la même affection.

Bien souvent il se rencontre des pauvres qui ne sont pas reconnaissants, qui trouvent toujours qu’on ne leur donne pas assez; ainsi j’ai connu une dame qui avait été injuriée par une femme pauvre à qui elle avait donné des robes et des jupons pour elle et une veste pour son mari. Cette femme était furieuse de ce qu’on ne lui donnait pas en même temps des pantalons. Soyez persuadés, mes chers enfants, que les premiers chrétiens eurent à souffrir bien des choses de ce genre, mais ils ne perdaient point courage, car ils n’attendaient pas des hommes leur récompense.

Telle était la vie des premiers fidèles, et, ajoute le texte, ils étaient constamment dans le temple, pleins du même esprit et rompant le pain autour de leurs demeures, et prenaient leur repas avec allégresse et simplicité de coeur, quotidie quoque perdurantes unanimiter in templo et frangentes circa domos panem, sumebant cibum cum exultatione et simplicitate cordis. Comme on dit familièrement: tout nouveau, tout beau, cette allégresse ne devait pas durer longtemps, la persécution allait venir, et ce peuple qui rend des actions de grâces aux apôtres, et habentes gratiam ad omnem plebem, ce peuple allait bientôt leur jeter des pierres et demander leur mort à grands cris.

Cependant, Dieu accomplissait. son oeuvre en faisant croître chaque jour ses élus dans cet esprit d’unité que nous avons vu se révéler trois ou quatre fois dans ce même chapitre: Dominus autem augebat qui salvi fierent quotidie in idipsum. Cet esprit d’unité est en effet un des résultats, un des caractères fondamentaux de l’Eglise et la base de la prédication. Ainsi nous avons vu cinq ou six institutions catholiques établies dans l’Eglise dès le temps des apôtres: l’enseignement public et familier des vérités de la foi, l’Eucharistie, la messe, les prières publiques, les biens de tous mis en commun et la participation de tous à ces mêmes biens.

Peut-être aurai-je paru dans cette instruction sec et aride à quelques-uns, mais pour ceux qui savent réfléchir, cette instruction leur aura dévoilé une partie des choses magnifiques que par la réflexion on peut découvrir dans les trésors si abondants du Nouveau Testament et des Actes des Apôtres. Peut-être éprouveront-ils le désir de consulter souvent les Saintes Lettres et de les mieux pénétrer.

Nous venons donc de voir l’établissement de l’Eglise, nous l’avons vue sortir du Cénacle avec la vie du Saint-Esprit; elle est encore bien petite et bien humble, mais laissez à ce germe, qui doit être plus tard le chêne, le temps de se développer, donnez-lui dix-huit siècles, et il deviendra un arbre immense.

Aimez donc, mes chers enfants, cette Eglise établie pour la santé et pour le remède des nations. Priez et combattez pour elle et soyez fiers et heureux de voir Dieu faire grandir et développer l’Eglise votre mère, en dépit des railleurs et des incrédules de tous les temps. Aimez vos frères, secourez-les, et vous ranimerez ainsi dans ce siècle de scepticisme et d’incrédulité l’esprit de la primitive Eglise et de ses fondateurs. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum