OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    VII
    [LE BOITEUX GUERI. ACTES, III ET IV.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 205-220.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 CONVERSIONS
    1 FORTUNE
    1 HUMILITE
    1 JUIFS
    1 MIRACLE
    1 PAPE
    1 PERSECUTIONS
    1 PREDICATION
    1 PRESSE
    1 PRUDENCE
    1 SACERDOCE
    1 TEMOIN
    1 UNITE DE L'EGLISE
    2 AARON
    2 ABRAHAM
    2 ANANIE
    2 ANNE, GRAND PRETRE
    2 CAIPHE
    2 CICERON
    2 DAVID, BIBLE
    2 FRAYSSINOUS, DENIS-ANTOINE
    2 ISAAC
    2 JACOB
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JEAN, GRAND PRETRE
    2 JEAN, SAINT
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LOYSON, HYACINTHE
    2 MELCHISEDECH
    2 MICHEL, SAINT
    2 MOISE
    2 PIERRE, SAINT
    2 PILATE
    2 RENAN, ERNEST
    2 SAPHIRE
    3 FRANCE
    3 JERUSALEM
  • Collégiens de Nîmes
  • 9 mars 1868.
  • Nîmes
La lettre

Nous avons vu samedi dernier, mes chers enfants, la fin du second chapitre et nous y avons découvert bien des institutions catholiques: la prédication, l’Eucharistie, la liturgie, les bonnes oeuvres, etc. L’Eglise a donc été dès le commencement ce qu’elle est aujourd’hui; alors soufflait en elle cet Esprit qui remplit toute la terre, Spiritus Domini replevit orbem terrarum, et en un autre endroit, si je ne me trompe, spirat ubi vult. Nous voilà donc établis déjà, et l’Eglise se montre telle qu’elle sera dans la suite.

Aujourd’hui, je me propose de méditer avec vous les chapitres III et IV, jusqu’au verset 32, de ce dernier chapitre dont la fin contient une question très grave, très importante.

Le chapitre III présente tout un drame plein de péripéties diverses, car un miracle vient d’avoir lieu. Les Juifs se groupent naturellement autour du thaumaturge et autour de celui qui a été l’objet du miracle. Vous devez bien penser qu’un homme qui venait d’opérer un si grand prodige devait exercer sur son auditoire une certaine influence; tous d’ailleurs en avaient été témoins, et saint Pierre, en parlant, tenait par la main celui qu’il venait de guérir. Aussi cette seconde prédication eut un immense succès et 5000 hommes se convertirent.

Mais il ne tarda pas à se faire une réaction; les princes des prêtres, les magistrats, les sadducéens ne pouvaient supporter l’audace de ces gens qui faisaient des miracles sans la permission des autorités constituées. Dès lors se manifestent les premiers symptômes d’opposition. Il n’y a pas encore, à vrai dire, de persécution; mais, pour me servir d’une expression familière, on met les apôtres, pour la soirée, au corps de garde.

Ceux qui les traitaient ainsi étaient en général de fort mauvais sujets et d’assez tristes personnages; les uns avaient condamné Jésus-Christ, les autres avaient consenti à sa condamnation. Nous retrouvons donc ici en présence les deux éléments de la lutte, et cette nouvelle rencontre de l’esprit du mal avec l’Esprit de Dieu donnera lieu à ces paroles solennelles des apôtres que nous commenterons tout à l’heure. Enfin, les apôtres se réunissent et célèbrent le premier Te Deum, le Saint-Esprit montre qu’il est content, et si je puis dire ainsi, le drame est terminé.

Saint Pierre et saint Jean montaient donc au temple; ils y rencontrèrent un homme boiteux dès le sein de sa mère et qui leur demanda l’aumône. Saint Pierre lui dit: « Regarde-nous. » Et le boiteux les regardait, s’attendant à recevoir quelque argent. Ce boiteux ne faisait pas toutefois comme ces aveugles et ces infirmes qui, sachant que les reliques d’un saint passaient près d’eux, allèrent se cacher pour ne pas être guéris afin de pouvoir continuer à exciter la pitié publique par l’étalage de leurs infirmités. Ce n’est pas ici le même cas, quoique le boiteux ne s’attende guère à un miracle. Saint Pierre lui dit: « Je n’ai pas d’argent… Argentum et aurum non est mihi, quod autem habeo, hoc tibi do. » Considérez la manière dont procède l’apôtre. Nous l’avons déjà dit en passant, et nous verrons bientôt comment les apôtres recevaient l’argent des fidèles, et cependant ils n’en ont point. Mais remarquez surtout ces paroles, « quod habeo, hoc tibi do, ce que j’ai, je te le donne ». Ceux qui donnent croient avoir beaucoup fait quand ils ont donné une pièce de monnaie; or, la véritable aumône consiste à se donner soi-même dans ce que l’on donne.

Sans doute la richesse naturelle par elle-même n’est pas mauvaise, ce serait être manichéen de le prétendre; elle n’est mauvaise que par l’usage qu’on en fait et Dieu réserve de terribles châtiments à ceux qui se servent mal de l’or et de l’argent. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet, mais ces considérations m’entraîneraient trop loin. On peut observer cependant que c’est ce mauvais emploi de l’or et de l’argent qui a motivé le premier châtiment infligé par les apôtres. Bien plus, on peut voir dans ce fait les commencements de l’inquisition, et le premier Pape serait le premier des inquisiteurs. N’est-ce pas, en effet, une véritable inquisition, puisque Ananie et Saphire voulaient tenir caché leur péché et que saint Pierre va le pénétrer dans toute son étendue?

Mais laissons là ce sujet, et examinons le discours que saint Pierre adresse à ceux qui, témoins du miracle, étaient encore tout effrayés: « O hommes israélites, leur dit-il, pourquoi vous étonnez-vous, pourquoi nous regardez-vous avec surprise, comme si c’était par notre vertu ou notre puissance que cet homme a recouvré l’usage de ses jambes? »

Avant d’aller plus loin, permettez-moi une observation: on ne saurait trop remarquer ce caractère apostolique par excellence de l’humilité. Saint Pierre ne se vantera jamais de rien: et tout ce qu’il fait de bien, il ne le met point sur son compte. Et soyez bien persuadés que si la parole de Dieu ne porte pas assez souvent ses fruits, c’est qu’elle manque de ce vêtement d’humilité dont saint Pierre savait couvrir toutes ses paroles et toutes ses actions.

Continuons le discours de l’apôtre. Comme je vous l’ai déjà dit, saint Jean Chrysostome admirait dans la première prédication l’habileté et la prudence de saint Pierre; mais ce dernier, maintenant qu’il vient de faire un miracle, est un peu plus hardi, et il va parler plus énergiquement à ces pauvres Juifs. Il leur déclare du premier coup que ce Jésus qu’il leur annonce, ils l’ont trahi et fait mourir. Ne rejetez pas le crime sur ce pauvre Pilate, leur dit-il, c’est vous qui êtes ses assassins. Vous comprenez combien cela devait être désagréable pour les Juifs; on s’émeut quand on s’entend dire des sottises, et je viens d’être témoin, soit dit en passant, de la fureur de certains journaux révolutionnaires auxquels on a prouvé qu’ils avaient reçu des sommes d’argent et des décorations des gouvernements étrangers. Rien ne saurait être plus humiliant pour la presse française, mais revenons au discours de saint Pierre.

Nous disions donc qu’il ne mettait pas des gants pour dire à ces gens leurs vérités les plus dures: « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, leur dit-il, le Dieu de nos pères a glorifié son Fils Jésus »; et remarquez d’abord dans ces mots l’alliance de la Loi ancienne et de la Loi nouvelle qui commence: Voilà déjà l’application de cette belle parole de saint Paul: « Finis legis Christus ad iustitiam omni credenti. La fin de la loi est le Christ, pour justifier tout croyant. » (Rom. X, 4.)

« Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a donc glorifié son Fils Jésus que vous avez livré, ajoute saint Pierre, et que vous avez renié devant Pilate qui voulait le délivrer. Et non seulement en demandant sa mort vous avez été des assassins, mais vous avez demandé la grâce d’un meurtrier que vous lui avez préféré; vous avez tué l’Auteur de la vie, auctorem vero vitae interfecistis. Mais celui que vous avez fait mourir, Dieu l’a ressuscité et nous l’avons vu, cuius nos testes sumus. »

Voyez comme saint Pierre revient toujours sur ce caractère de témoins qui est la base fondamentale de la prédication apostolique et de l’alliance nouvelle. Ainsi les docteurs, les scribes, les pharisiens, les sadducéens, le sacerdoce même, en demandant la mort de Jésus, ont accompli les desseins de Dieu qui voulait baser la Loi nouvelle sur l’effusion du sang de son Fils.

« Ce miracle que vous venez de voir est une autre preuve de la véracité et de l’authenticité de notre témoignage. Quant à vous, vous êtes les meurtriers de l’Innocent, du Juste et du Saint. Ce n’est pas moi, toutefois, c’est Jésus-Christ qui a guéri cet homme. Et maintenant je sais, mes frères, que c’est par ignorance que vous avez agi de la sorte, vous et vos princes. » Ainsi saint Pierre, après avoir dit vigoureusement leur fait aux Juifs, ajoute: « Je sais cependant que c’est par ignorance que vous avez fait mourir notre Sauveur. » Comment trouvez-vous cette excuse qui est absolument la même que celle à laquelle vous avez recours quand vous êtes pris en flagrant délit: « Je ne l’ai pas fait exprès? »

Mais, poursuit saint Pierre, Dieu a accompli ce qu’il avait prédit par la bouche de tous les prophètes, que son Christ souffrirait. Voyez encore ici l’alliance de l’Ancien et du Nouveau Testament. Dieu avait annoncé que Jésus- Christ souffrirait, mais il n’a point été l’auteur de sa mort, comme le prétendait Calvin; il l’a seulement tolérée.

« Faites donc pénitence, et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés. » Ces paroles et les suivantes de saint Pierre respirent le sentiment de la charité envers les Juifs dont il désirait si vivement la conversion. Il revient encore sur ce qu’il avait dit, que les prophètes avaient annoncé tout ce qui s’était accompli, et continue en citant les paroles de Moïse: « Dieu suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi; vous écouterez tout ce qu’il vous dira; et quiconque ne l’écoutera pas sera exterminé du milieu de mon peuple, exterminabitur de plebe. » Ainsi, d’après Moïse lui-même, il y aura un moment où Moïse n’aura plus rien à faire, il en viendra un autre à sa place qu’il faudra écouter, sous peine d’être exterminé.

Mais, se demandera-t-on, pourquoi Moïse n’annonce-t-il pas un prophète plus grand que lui, mais seulement un prophète comme lui? C’est qu’il suffisait parfaitement que Moïse annonçât la mission de Jésus-Christ; quand on aura accepté cette mission divine, il faudra admettre tout ce que dira cet envoyé divin, quand bien même il se dirait Dieu; car, d’après Moïse, qui ne l’écoutera pas devra périr, être exterminé. En effet, les Juifs qui n’auront pas écouté Notre-Seigneur seront exterminés d’une manière épouvantable dans la destruction de Jérusalem, et centaines de mille dans l’amphithéâtre pour l’amusement du peuple romain.

(Ch. IV.) Cependant, les apôtres allaient avoir à répondre de leur audace. Ils s’étaient permis de faire un miracle sans la permission des autorités constituées!

La persécution va donc commencer, mais il faut faire les choses avec patience, avec modération, avec calme, comme disait la classe de rhétorique voilà deux ans. On avait passé la nuit à juger Notre-Seigneur. Ces hommes ne valaient pas tant de fatigue et pouvaient bien attendre jusqu’au lendemain. On les met donc provisoirement au corps de garde, et posuerunt eos in custodiam in crastinum. Il y avait cependant de quoi s’effrayer au sujet des apôtres; dans une première prédication ils avaient déjà converti 3000 hommes, puis 5000; tout Jérusalem allait donc se faire chrétien!

Les princes des prêtres et le sacerdoce se réunirent et tinrent conseil, car la chose était grave. Il y avait là Anne, Caïphe, Jean et Alexandre. On se rappelle la scène imposante alors que Notre-Seigneur apparut devant Anne et Caïphe et que le grand-prêtre lui dit: « Je t’adjure, au nom du Dieu vivant, de nous dire si tu es vraiment le Fils de Dieu. » Ce n’était, en effet, ni à Caïphe ni à Anne qu’il avait été dit: « Iuravit Dominus et non poenitebit eum, tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech. Le Seigneur l’a juré, et il ne s’en repentira point: Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech. » (Ps. CIX, 4.) C’est à saint Pierre qu’il avait été dit: « Ego tibi dabo claves regni coelorum, je te donnerai les clés du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel »; et encore: « Pais mes agneaux, pais mes brebis. » Dans la nuit où Jésus-Christ fut insulté et couvert de crachats, frappé et souffleté, c’était moins le prêtre et le pontife qui était méconnu que le Dieu.

Voilà donc son Vicaire, saint Pierre, en présence du prince des prêtres, il n’arrache pas au pontife ses vêtements; mais il est là plein de la majesté dont l’a revêtu le Saint-Esprit quelques jours auparavant. C’est le chef de la hiérarchie terrestre, comme saint Michel de la hiérarchie céleste. C’est à lui que Jésus-Christ a confié le soin des âmes; il se présente donc plein de confiance en sa force et dans la preuve qu’il vient de donner de la divinité de sa mission. C’est là sans doute une scène magnifique, mais à laquelle ces misérables ne comprennent rien. Le sang de Jésus-Christ ne semblait avoir jailli à leurs yeux que pour les aveugler; mais nous, admirons le beau spectacle du chef des apôtres en présence de ses juges.

Quant à saint Pierre lui-même, il sentira bien toute sa force et il accablera bientôt Anne, Caïphe et les autres de toute la majesté dont l’a rempli l’Esprit-Saint: « Princes du peuple et vous, sénateurs, écoutez, je vous déclare à tous (notum sit omnibus vobis, qu’il soit connu de vous tous, dit plus énergiquement le texte latin), je vous déclare à tous et au peuple d’Israël que c’est au nom de Jésus-Christ que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité d’entre les morts, que ce boiteux guéri se tient en votre présence. » Voyez comme il revient sur ce reproche: Jésus que vous avez crucifié. Vous avez beau faire, nous avons vu que vous l’avez crucifié. votre crime ne saurait être caché. « Ce Jésus-Christ, c’est la pierre que les architectes ont rejetée et qui est devenue la pierre angulaire, caput anguli, et il n’y a pas de salut dans un autre que lui. Et vous ne pouvez être sauvés par un autre nom que par le sien. »

De là ces admirables paroles de saint Paul qui, si nous les comprenions bien, devraient nous faire tressaillir d’allégresse: « Iam non estis hospites, et advenae: sed estis cives sanctorum, et domestici Dei: superaedificati super fundamentum apostolorum et prophetarum, ipso summo angulari lapide Christo Iesu. Vous n’êtes plus des hôtes et des étrangers, mais des concitoyens des saints, et de la maison de Dieu; bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes, le Christ Jésus étant lui-même la pierre principale de l’angle. » (Eph. II, 19.)

Avec la pierre angulaire il y a aussi la pierre fondamentale, qui est saint Pierre lui-même. Il n’a, si je puis parler ainsi, qu’un amour-propre, celui de Jésus-Christ. En son coeur il n’y a place à aucune passion, ni à l’orgueil, ni à la vanité. Aussi, voyez avec quelle assurance il jette à la face des docteurs de la loi cette comparaison de la pierre angulaire dont s’était servi David et qu’avait répétée Jésus-Christ lui-même. Ainsi s’écroulait l’ancien Temple dont les assises avaient été ébranlées par le tremblement de terre qui avait eu lieu à la mort de Jésus. Les Juifs tremblent à la face de ce Temple qui s’ébranle et à la place duquel s’élève le Temple nouveau.

Dès lors commence le triomphe du sacerdoce chrétien qui se répandra par toute la terre au lieu de se borner à un seul peuple; l’ancien sacerdoce, au contraire, flétri dans son déicide, est près de périr. Saint Pierre sans doute semblera ne pas triompher, on le mettra en prison, on le flagellera, on demandera sa mort, mais en vain; Pierre triomphera comme son Maître, et il se soudera d’une manière plus forte par les flammes du Saint-Esprit à Jésus-Christ, la pierre angulaire par excellence. « C’est moi, peut-il dire aux docteurs de la loi, c’est moi, Pierre, qui ai le droit de porter ce nom, de venir vous apprendre la parole de Dieu à laquelle vous ne comprenez rien; l’intelligence des choses de Dieu m’a été donnée, et je puis vous éclairer si vous le voulez. »

Tous étaient très étonnés en voyant la constance des apôtres. Ils savaient que c’étaient des hommes sans lettres et ils ne pouvaient comprendre leur prétention à régenter le monde, étant si ignorants, si grossiers. Il faut donc faire taire ces hommes, les renvoyer à leurs filets et à leurs barques. Ils savaient aussi que c’étaient les disciples de Jésus, et c’était pour eux un autre scandale de voir les disciples de Celui qu’ils avaient crucifié prétendre leur faire la loi. Cependant, les apôtres étaient puissants, et ils avaient fait un miracle dont le peuple avait été témoin et qu’il eût été impossible de nier.

Vous voyez déjà le côté de Dieu qui se dessine et l’opposition qui continue. Les princes du peuple et les autres réunirent donc le Conseil et se mirent à délibérer entre eux, car c’était une chose très grave et il ne s’agissait pas pour eux, comme pour les aruspices ou les augures de Cicéron, de se regarder en riant, il fallait prendre des mesures sérieuses. Il n’y avait pas là, malheureusement, quelque avocat qui pût tourner la question, et Renan n’existait pas encore pour la résoudre en disant que le miracle n’avait point eu lieu.

Le miracle avait été public, il était impossible de le contester, mais on va prendre un autre moyen pour obliger les apôtres à se taire. Certes, je ne suis point partisan de la liberté de la presse, mais on aurait tort de croire que, de nos jours seulement, certaines gens veulent bâillonner la pensée; cette entreprise n’est pas d’aujourd’hui.

Mais nous voici arrivés à ces deux mots admirables prononcés par le chef des apôtres: « Jugez vous-mêmes, répond-il à ceux qui lui commandent le silence, jugez s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu. » C’est dans cette parole qu’est marquée, comme le dit Bossuet, la fin du pouvoir judaïque. Pour saint Pierre, le sacerdoce d’Aaron ne représente plus le vrai Dieu sur la terre, ces prêtres ne sont pas, à vrai dire, les fils des prophètes, et on ne leur doit plus obéissance.

Enfin, saint Pierre ajoute ce mot célèbre qui soulèvera toujours les haines de l’enfer et qui fera toujours la gloire du sacerdoce catholique, ce mot que les Papes ont répété de siècle en siècle: « Non enim possumus quae vidimus et audivimus non loqui, nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu. » Les Papes pourront bien faire des concessions selon leur prudence et leur sagesse; ils pourront paraître un moment vaincus; ils céderont quelquefois, comme la victime cède à son assassin, mais ils répéteront toujours: non possumus non loqui. On peut nous emprisonner, nous faire mourir, mais nous forcer au silence, jamais! Nous avons une mission, nous la remplirons, n’en déplaise aux pharisiens et aux sadducéens modernes. Nous avons vu Jésus-Christ faire des miracles, nous l’avons vu ressuscité, nous l’avons vu monter au ciel, nous ne pouvons pas ne pas accomplir notre mission.

Voilà la grandeur du sacerdoce chrétien que presse toujours l’obligation de parler quoi qu’il en coûte. Et lorsque le sacerdoce consent, par une pusillanimité coupable, à trahir son devoir, sa mission, alors on peut dire hardiment que les nations s’affaiblissent, que les révolutions et les catastrophes se préparent, et qu’on est prêt à courber la tête sous le talon d’un despote.

Mais ce qui embarrassait surtout les ennemis des apôtres, c’était ce peuple qui avait été témoin du miracle et ne cessait de le proclamer bien haut. Ainsi ce prodige avait rendu saint Pierre populaire, et cette popularité lui était un rempart contre les prêtres juifs. Ainsi, en France, les prédicateurs à la mode savent profiter de leur popularité. Un jour on est pour Mgr Frayssinous, plus tard on acclamera le P. Lacordaire, plus tard encore le P. Hyacinthe sera en vogue; tout cela n’est que passager, sans doute, mais il n’en est pas moins vrai que cette popularité est chose redoutable. Quand le ministre des Cultes voulut interdire au P. Lacordaire l’accès de la chaire, le P. Lacordaire, qui était alors à la mode, profita de cet avantage et fit bien. Il monta en chaire et toute la jeunesse de France vint l’écouter; toute cette jeunesse ne se convertit pas, mais enfin elle eut le moyen de le faire. Aussi le P. Lacordaire disait-il familièrement: « La liberté se prend et ne se demande pas. »

Je m’arrête, mes chers enfants, mais, avant de finir, je veux vous recommander cet esprit de Dieu qui anime l’Eglise dès le commencement. J’entends par esprit de Dieu cet esprit d’union et de charité qui donne tant de force aux fidèles contre l’esprit de Satan qui est essentiellement l’esprit de division et de ruine. Ralliez-vous toujours, mes chers enfants, à l’esprit de Dieu, afin de procurer le triomphe de l’Eglise votre mère ici-bas, et de triompher vous-mêmes dans le ciel. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum