OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    VIII
    [ANANIE ET SAPHIRE. ACTES, V.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 221-231.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 CHATIMENT
    1 EGLISE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENFANTS
    1 FAMILLE
    1 FRANCHISE
    1 HYPOCRISIE
    1 LIBRE PENSEE
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 MENSONGE
    1 PERFECTION
    1 POUVOIR DES CLEFS
    1 SOCIETE
    1 SOUVERAIN PROFANE
    2 ANANIE
    2 BONIFACE VIII
    2 DURUY, VICTOR
    2 JOB, BIBLE
    2 JUDAS
    2 LOUIS XIV
    2 MACCABEES
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 SAPHIRE
    2 THEODOSE I
    2 VACHEROT, ETIENNE
    3 ALEXANDRIE, EGYPTE
    3 SAINT-PETERSBOURG
    3 THESSALONIQUE
  • Collégiens de Nîmes
  • 10 mars 1868
  • Nîmes
La lettre

Je laisse pour aujourd’hui l’important sujet des Ordres religieux et j’arrive à examiner deux questions au sujet d’Ananie et de Saphire, savoir: 1° L’Eglise a-t-elle le droit de punir? 2° Pourquoi saint Pierre a-t-il traité si sévèrement Ananie et Saphire?

Dans le chapitre précédent il est dit qu’un grand nombre des premiers chrétiens vendaient leurs biens et en apportaient le prix aux pieds des apôtres.(1) Il y a ici plusieurs questions à examiner: 1° Saint Pierre, qui, cette fois, se pose bien comme le chef des apôtres, avait-il le droit de frapper Ananie et Saphire, et les Papes, successeurs de saint Pierre, ont-ils le droit de punir ainsi les méchants? 2° Quelles sont les raisons pour lesquelles saint Pierre frappa Ananie et Saphire?

1° Saint Pierre avait-il le droit de frapper Ananie et Saphire?

Une société ne peut exister sans une loi; mais à cette loi, pour qu’elle ait force et vigueur, il faut ce qu’on appelle une sanction. Telles sont les conditions d’une société temporelle; mais l’Eglise, la société spirituelle par excellence, pourrait-elle subsister sans une loi et une sanction, sans avoir recours à certains châtiments? Et à qui appartient-il de décréter ces châtiments, sinon à ceux-là mêmes qui ont le pouvoir dans l’Eglise?

Mais, dira-t-on, dans une société spirituelle les peines doivent être spirituelles. Soit, mais l’homme n’a-t-il pas un corps et une âme? N’y a-t-il pas des péchés auxquels le corps participe comme l’âme? Je vous abandonne les péchés de pensée; mais les péchés de paroles, d’action, d’omission, ne rentrent-ils pas surtout dans ce que j’appellerai l’ordre corporel? Alors, d’après vous, l’Eglise n’aurait pas le droit de donner comme pénitence une prière vocale, parce qu’il faut remuer les lèvres, ni un chemin de croix puisqu’il faut se mettre à genoux, ce qui est une fatigue corporelle; elle n’aurait pas le droit de vous prescrire l’aumône parce qu’il faut tirer des sous de votre bourse; ni un jour de jeûne, ni un jour d’abstinence, peines essentiellement corporelles puisqu’elles affectent l’estomac! Ce serait absurde. L’Eglise a donc le droit d’infliger des peines corporelles.

Mais voici bien une autre question: L’Eglise a-t-elle le droit de donner des punitions aux gens quand ils ne veulent pas les recevoir?

Pourquoi l’Eglise, au temps des apôtres, n’avait-elle pas, je ne dis pas le droit, mais la faculté d’imposer à la société des châtiments? La réponse est facile: c’est qu’à cette époque, la société n’étant pas chrétienne, l’Eglise ne pouvait pas faire appel au bras séculier. Dans une famille chrétienne, lorsque les enfants se conduisaient mal, croyez-vous que les apôtres n’ordonnaient pas aux parents de les châtier? L’Esprit-Saint a d’ailleurs toujours conseillé les peines corporelles pour les enfants qui font le mal: « Stullitia colligata est in corde pueri et virga disciplinae fugabit eam. La folie est liée au coeur de l’enfant, et la verge de la discipline la fera fuir. » (Prov. XXII, 15.)

Ainsi, quand il se trouvait dans les familles chrétiennes des enfants qui agissaient contre leur devoir, l’Eglise armait contre eux le bras de leurs pères. Elle ne défend à ce sujet qu’une chose, c’est de frapper les enfants dans un moment de colère. Plus tard, quand la société fut devenue chrétienne, l’Eglise commandait aux rois de châtier leurs sujets pour les infractions aux lois religieuses.

Maintenant, sans doute, cela ne se pourrait pratiquer, surtout dans un pays comme le nôtre, où l’on nomme membre de l’Académie des sciences morales un homme qui professe ouvertement le panthéisme ou l’athéime, car c’est tout un, un homme(2) qui, dans son Histoire de l’école d’Alexandrie, déclare qu’il n’y a pas de Dieu, mais seulement l’Idéal, ce qui est le panthéisme, ou je n’y connais rien. Avec une société semblable, il est évident que l’Eglise ne peut plus faire appel au bras séculier.

Est-ce là un progrès? Les libres penseurs oseront peut-être l’affirmer, mais les véritables chrétiens soutiendront que c’est une décadence. Tout en acceptant forcément que la société ne soit plus chrétienne, Pie IX n’en vient pas moins de condamner ceux qui disent que la séparation de l’Eglise et de l’Etat serait chose utile. Seulement, puisque les gouvernements temporels ne veulent plus des châtiments de l’Eglise, c’est Dieu lui-même qui se chargera de les châtier par des révolutions épouvantables. Nous voyons déjà dans l’ancienne Loi le peuple juif, chaque fois qu’il se séparait de Dieu, devenir la proie de terribles châtiments.

Mais, demande-t-on encore, pourquoi ce châtiment d’Ananie et de Saphire ne s’est-il pas renouvelé? Pourquoi ne voit-on plus ces sortes de punitions? Pour la même raison qui faisait que Dieu, après avoir puni les premiers prévaricateurs de sa loi, s’arrêtait pour ne pas faire de ce qui était extraordinaire l’ordre ordinaire.

D’ailleurs, ce miracle n’est point contestable: aujourd’hui qu’on prétend tout expliquer par des causes naturelles, on pourrait avancer qu’Ananie, troublé par l’air menaçant et les paroles sévères de Pierre, fut pris d’un coup de sang, d’une attaque d’apoplexie. Mais alors, comment explique-t-on la mort de sa femme Saphire? Peut-on, sans absurdité, alléguer les mêmes causes? D’un autre côté, l’assistance du Saint-Esprit dans le châtiment de ces deux personnes justifie le droit de saint Pierre.

Il faut donc que tout passe par le joug de saint Pierre? diront les libres penseurs. J’en suis fâché pour ces ennemis de l’intolérance; mais Boniface VIII, un grand canoniste et un grand homme, qui serait mort de rage, s’il faut en croire M. Duruy, pour avoir été souffleté par le seigneur d’un village voisin, déclare que le Pape a le droit de porter toutes les lois qu’il veut, propter peccatum, en raison du péché. Dieu seul a le droit d’imposer des limites à son autorité.

Le Pape a donc le droit de châtier les pécheurs, non seulement pour leurs péchés en tant qu’individus, mais encore pour leurs péchés en raison de la position éminente qu’ils occupent dans la société. Quoi! vous êtes électeurs et vous ne faites pas des péchés d’électeurs, vous êtes magistrats et vous ne faites pas des péchés de magistrats, vous êtes empereurs et vous ne faites pas des péchés d’empereurs? Lorsque Théodose le Grand fit massacrer les gens de Thessalonique, ne commettait-il pas un abus de pouvoir que l’Eglise devait châtier? Ce prince, après avoir exterminé les principaux habitants d’une ville pour n’avoir pas assez respecté ses statues, pouvait-il rester impuni?

Ces péchés sont-ils réellement des péchés, oui ou non? Direz-vous, comme Louis XIV, que ce sont des péchés de roi et que l’Eglise ne doit pas seulement mêler de ce que vous faites comme roi? Ces péchés ne sont pas moins des péchés que ceux que vous commettez comme individus, et c’est comme empereur, préfet, commissaire que vous êtes obligé de venir demander à l’Eglise le pardon et le châtiment temporel. Si vous refusez d’implorer ce pardon et ce châtiment, vous ne pouvez recevoir l’absolution, et alors vous vous exposez au châtiment éternel. Libre à vous de préférer ce châtiment au châtiment temporel.

Ainsi l’Eglise a le droit d’infliger des peines corporelles et même la mort du coupable. Lorsque la société est chrétienne, le bras séculier vient en aide à l’Eglise, et si l’on nie à l’Eglise le droit d’appeler à son aide le bras séculier, on n’est plus catholique, puisque l’Eglise a condamné cette proposition.

2° Pourquoi saint Pierre a-t-il infligé à Ananie et Saphire un châtiment si terrible?

Vous savez, mes chers enfants, que je ne vous cache rien; aussi, comme je ne vous ai pas caché qu’il y avait de mauvais prêtres puisque Dieu a permis que dans le corps apostolique il y eût un Judas; je vais encore vous découvrir des choses douloureuses au sujet d’Ananie et de Saphire.

Qu’étaient donc Ananie et Saphire, sinon des fidèles qui voulaient entrer dans la voie de la perfection? Tous les fidèles, à cette époque, n’allaient point déposer leurs biens aux pieds des apôtres. Il y en avait un grand nombre qui préféraient garder leurs biens et seulement contentaient de faire l’aumône, ne seulement sentant pas assez de force pour aspirer à une plus haute perfection. Saint Paul était même obligé de leur recommander la modération dans leurs aumônes, ils étaient trop généreux; depuis, les choses ont bien changé. Mais Ananie et Saphire voulaient faire semblant de pratiquer la perfection tout en ne la pratiquant pas; ils voulaient, tout en conservant leur argent, jouir de la considération attachée au sacrifice de cet argent. Ils seulement rendaient coupables d’hypocrisie, vice qui est la ruine des communautés religieuses. Quel malheur pour une communauté quand il y pénètre quelques-uns de ces religieux ou religieuses qui ont voulu s’engager dans la voie de la perfection sans en remplir les conditions!

Nous ne voyons pas, il est vrai, aujourd’hui, aussi souvent qu’autrefois, de ces parents qui poussent leurs enfants par force dans les couvents. Les parents aujourd’hui font plutôt des difficultés quand leurs enfants veulent embrasser la vie religieuse; néanmoins, un des malheurs, une des plaies de l’Eglise, c’est encore ce motif intéressé qui a donné tant de mauvais prêtres à l’Eglise. Ainsi, dans Ananie et Saphire, saint Pierre frappe ces personnes qui entrent dans le sanctuaire et dans le couvent sans avoir bien sondé leur coeur et reconnu leurs dispositions. Il faut donc qu’il soit bien établi que quiconque veut arriver à la perfection doit le vouloir sincèrement. Je connais tel couvent, non pas en France heureusement, où il a fallu qu’un confesseur extraordinaire forçât certains novices à révéler des abus déplorables. J’ai connu même un Supérieur général qui, allant visiter ses diverses maisons, était obligé d’avoir constamment auprès de lui un Frère convers chargé de lui faire la cuisine.

Il faut sans cesse trembler soi-même d’avoir au fond de son coeur quelque parcelle d’hypocrisie, afin de la chasser par cette appréhension continuelle. Il faut seulement rappeler cette effrayante parole de M. de Maistre dans les Soirées de Saint-Pétersbourg: « Où donc est l’honnête homme? »

Le châtiment d’Ananie et de Saphire fut donc la première protestation de sincérité de l’Eglise contre l’hypocrisie et le mensonge de ceux qui disent aspirer à la perfection et n’y aspirent point. Mais, est-ce à dire que les couvents sont de mauvaises choses? Assurément non.

L’on peut encore observer que l’on mettait l’argent, non entre les mains des apôtres, mais à leurs pieds, signe, disent les commentataires, qu’on seulement prosternait déjà devant le Pape et que les protestants, par tous leurs cris contre les prostrations des catholiques devant le Souverain Pontife, prouvent qu’ils n’ont pas le sens commun.

Il faut donc que chacun s’adresse à soi-même cette terrible question: Est-ce que je suis sincère dans mes rapports avec Dieu? Combien de mensonges n’ai-je pas commis? Depuis que l’Esprit de vérité ou plutôt l’Esprit de sincérité est descendu sur les apôtres et par eux s’est répandu sur le monde, l’esprit de mensonge est entré en lutte avec lui. Qui peut seulement dire sincère en présence de Dieu? Est-ce que je suis sincère dans mes prières? Est-ce que je suis sincère quand je demande à Dieu que son règne arrive? quand je lui demande que son nom soit sanctifié, moi qui suis souvent cause des outrages faits à ce saint nom? Est-ce que je suis sincère quand je demande à Dieu que sa volonté soit faite, moi qui suis si attaché à mes caprices?

En passant un à un tous les sentiments, toutes les impressions qui traversent le coeur de l’homme, on y découvre facilement l’hypocrisie et le mensonge que le diable réussit à nous voiler. C’est un poison très dangereux. « Numquid considerasti servum meum Job, quod non sit ei similis in terra, homo simplex et rectus, ac timens Deum, et recedens a malo? As-tu remarqué, dit Dieu à Satan, mon serviteur Job qui n’a pas son pareil en simplicité et en droiture: il craint Dieu et fuit le mal? » (Job. I, 8.) Il semble qu’à cette époque il n’y eût guère que Job qui fût simple et droit. Telle n’était pas du moins sa femme qui l’engageait à maudire le nom de Dieu.

En face donc de toutes les protestations d’honnêteté et de probité de tous ces pétris d’honneurs sur leurs habits et pétris de boue dans leur coeur, si toutefois on peut dire qu’ils aient un coeur, soyez sincères et simples; et, comme les enfants de Macchabée, combattez courageusement et loyalement. En face de tous ces avilissements du coeur et du caractère. en face de toutes ces sataniques combinaisons des politiques, voyez cette figure majestueuse, pleine de simplicité et de droiture, en même temps que de grandeur, du successeur de saint Pierre. Sans doute on a vu, et j’ai eu ce bonheur, sur les lèvres du doux Pilate, le sourire de l’ironie en face des efforts impuissants et stériles de l’impiété. Mais son principal caractère, c’est la douceur, la patience et la droiture, et c’est là ce qui à la fin vaincra le monde.

Pour nous, mes chers enfants, pressons-nous du côté de la simplicité et de la sincérité; laissons les habiles, les menteurs, se rallier autour du père du mensonge. Nous savons quel châtiment leur est réservé, et nous savons aussi quelle sera la récompense des partisans de la vérité appelés à jouir sans cesse de la contemplation de Celui qui est l’éternelle, l’immuable vérité. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. *Voir les 12 premiers versets du chapitre V des Actes sur Ananie et Saphire*.
2. Vacherot.