OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    X
    [LES APOTRES DEVANT LES TRIBUNAUX]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 245-256.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 EGLISE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 JUIFS
    1 LOI DIVINE
    1 LOI HUMAINE
    1 PERSECUTIONS
    1 PREDICATION
    1 SACRIFICE DE LA MESSE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 ANANIE
    2 GAMALIEL
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 MICHEL, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 SALOMON
    2 SAPHIRE
    2 THEUDAS
    3 CONSTANTINOPLE
  • Collégiens de Nîmes
  • 13 Mars 1868
  • Nîmes
La lettre

Cette instruction ne sera pas longue, mes chers enfants, car je suis enrhumé, comme vous le voyez; j’aurais cependant des choses bien intéressantes à vous dire, je voudrais même faire de la politique, politique très ancienne, bien entendu.

Nous avons vu le châtiment d’Ananie et de Saphire; celle-ci fut enterrée à côté de son mari, et sepelierunt ad virum suum; et, ajoute le texte, il y eut une grande crainte dans toute l’Eglise et parmi ceux qui entendaient parler de ce miracle. Les apôtres opéraient des miracles et de nombreux prodiges parmi le peuple. « Et erant unanimiter omnes in porticu Salomonis. Ceterorum autem nemo audebat se coniungere illis; sed magnificabat eos populus, et ils se réunissaient tous dans le portique de Salomon; aucun des autres n’osait se joindre à eux, mais le peuple leur donnait de grandes louanges. »

On se demande, puisque personne n’osait se joindre à eux, quels étaient ceux qui se réunissaient dans le portique de Salomon. C’étaient, ou bien les apôtres seuls, ou tous ceux qui avaient embrassé la vie parfaite. D’ailleurs ces mots, sed magnificabat eos populus, montrent bien que les apôtres avaient quelques partisans. Magis autem augebatur credentium in Domino multitudo virorum ac mulierum. Evidemment, puisque le nombre des fidèles augmentait de plus en plus, tous ne se joignaient pas aux apôtres, parce qu’ils n’auraient pu tenir tous dans le portique de Salomon. De sorte, ajoute le texte, qu’on exposait les malades et qu’on les plaçait sur des lits et sur des paillasses, pour qu’à l’arrivée de Pierre, son ombre pût du moins les couvrir et les délivrer de leurs infirmités. (Grabatis traduit par paillasse, comme le fait la traduction que j’ai sous les yeux, me semble un peu risqué. Grabat, terme plus général, et plus conforme au texte, serait préférable.

Ainsi, mes chers enfants, s’accomplissait cette prédiction de Notre-Seigneur, que ses apôtres feraient de plus grands miracles qu’il n’en avait fait lui- même. En effet, nous ne voyons nulle part dans l’Evangile que Jésus-Christ ait guéri des malades au moyen de son ombre. Les villes voisines, ajoute le texte, accouraient en foule, apportant des malades et des gens tourmentés par des esprits impurs, et tous étaient guéris. On peut voir dans ces esprits impurs une nouvelle affirmation contre I’hérésie des sadducéens.

Or, continuent les Actes, le prince des prêtres se levant, lui et tous ceux de son parti furent remplis de jalousie. Voilà donc la jalousie qui se met parmi les membres de la tribu sacerdotale, et quand la gangrène se met dans la tribu sacerdotale, on peut dire qu’il y aura bientôt de grands désordres et des ruines affreuses. C’est ce que nous avons vu pour Constantinople et ce que nous voyons pour l’épiscopat russe. Ce sont des gens qui tiennent avant tout à leur place. Un missionnaire catholique, discutant un jour avec un évêque anglais, écrivit le nom de Jésus-Christ sur une feuille de papier, couvrit ce nom d’une pièce d’or et dit à l’évêque: « Voilà l’histoire de votre religion. »

Quant aux sadducéens, c’étaient des gens qui ne croyaient pas à l’immortalité de l’âme, c’étaient des politiques matérialistes.

Les sadducéens firent donc prendre les autres et les mirent dans la prison publique! Ce n’est plus seulement le corps de garde, mais on les met avec les brigands et les voleurs. Ah! vous n’avez pas voulu profiter du premier avertissement que nous vous avons donné,. et vous recommencez à prêcher au nom de Jésus-Christ; eh bien! nous allons vous traiter un peu plus sévèrement. Mais les apôtres sont incorrigibles, et comme ils recommenceront à parler aussitôt après leur sortie de prison, on les fera fouetter.

Cependant, on trouve toujours des gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Un ange du Seigneur vient pendant la nuit ouvrir les portes de la prison, et, faisant sortir les apôtres, il leur dit: « Ite, et stantes loquimini in templo plebi omnia verba vitae huius: Allez, et vous tenant dans le temple, annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie. » Remarquez ces paroles de l’ange, elles marquent une fois de plus la répudiation de la Synagogue. En second lieu, l’ange, par son intervention, veut établir que les apôtres ont été mis injustement en prison: ce qui est d’autant plus grave qu’il y avait dans cette arrestation quelque chose d’officiel puisqu’on les avait mis dans la prison publique. L’ange condamne aussi par là même les persécutions et, du même coup, la doctrine de ces gens qui prétendent qu’il n’y a de juste que ce qui est légal, en d’autres termes que la légalité fait le droit. L’ange, au contraire, témoigne qu’au-dessus de la loi des hommes il y a la loi immuable, éternelle, de Dieu.

L’emprisonnement des apôtres par les sadducéens marque donc le commencement des persécutions légales, contre lesquelles vient protester au nom de Dieu cet ange qui, selon plusieurs commentateurs, aurait été saint Michel. Ce dernier, est, en effet, l’ange plus particulièrement protecteur de l’Eglise, et il lui convenait plutôt qu’à tout autre de faire cette protestation.

Les apôtres ne se firent pas répéter deux fois les paroles de l’ange; ils entrèrent dès le point du jour dans le Temple et se mirent à enseigner. Or, ajoute le texte sacré, le prince des prêtres et tous ceux de son parti réunirent le Conseil, tous les sénateurs, et envoyèrent à la prison des gens chargés d’amener les apôtres. Mais ceux qu’ils avaient envoyés revinrent annoncer cette nouvelle: « Nous avons trouvé la porte fermée avec grand soin, les gardes se tenaient à la porte, et cependant, quand nous avons ouvert la prison, nous n’avons trouvé personne dedans. » Voilà certes de quoi vexer les ennemis des apôtres; ils avaient bien fermé la cage, et les oiseaux n’en sont pas moins partis. Aussi, étaient-ils à chercher comment ils pourraient se débarrasser des apôtres, quand on vint leur annoncer que ceux qu’ils avaient mis en prison enseignaient dans le Temple. Alors, pleins de fureur, les magistrats vont les prendre, sans leur faire de violence, car ils craignaient d’être lapidés par le peuple. Les apôtres auraient pu faire une émeute, mais ils se soumettent. L’Eglise est une grande école de respect, a dit M. Guizot, tout protestant qu’il est; l’Eglise obéit aux pouvoirs publics parce qu’elle respecte en eux le principe divin de l’autorité. Cela n’empêche pas les apôtres de remplir leur devoir; s’il faut désobéir pour prêcher la vérité, ils sauront désobéir.

Le prince des prêtres leur fit les questions suivante: « Ne vous avions-nous pas ordonné de ne pas enseigner en ce nom, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement, et vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme. » Remarquez, mes chers enfants, ces expressions: ce nom, cet homme; ils n’osent pas prononcer le nom de Jésus, ils l’ont tellement en horreur qu’ils ne veulent pas qu’il paraisse sur leurs lèvres. Ils détestent ce nom, ils sentent que c’est là leur véritable et éternel ennemi.

Pierre et les apôtres ne sont point intimidés et ils répondent: « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes: Obedire oportet Deo magis quam hominibus. » Par cette parole, je ne dirai pas que la conscience humaine est créée, mais qu’elle est libérée. Elle fait voir que quand il s’agit de choisir entre les lois divines et humaines, Il n’y a pas à balancer. C’est là le point capital. La foi, nous dit saint Paul, nous ordonne d’obéir aux puissances parce que toute puissance vient de Dieu. (Rom. XIII, 1-2.) Il faut donc naturellement obéir au pouvoir qui rend des lois bonnes et justes; quand il proclame des lois indifférentes, qui ne touchent en rien à la loi de Dieu, on est encore tenu de lui obéir. Mais quand le pouvoir viole la loi divine, on est tenu de lui désobéir. Ce principe a été posé dès le commencement du christianisme: l’Eglise n’avait que quelques jours d’existence, et en face de ce pouvoir prévaricateur et des prêtres juifs, elle déclarait qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.

Comme je le disais un jour, la théologie morale se résume en quelques principes; il en est de même pour le sujet qui nous occupe; et si l’on voulait bien retenir ce principe de la subordination des lois humaines à la loi divine, il y aurait une foule de questions historiques et politiques éclaircies par ce seul mot prononcé par les apôtres en face de juges iniques et pervers. C’est ce mot qui a produit tant de milliers de martyrs; pendant trois siècles ils ont ensanglanté les tribunaux et les prétoires.

Ainsi, tout en prêchant l’union de l’Eglise et de l’Etat, l’Eglise ne veut pas que l’Etat empiète sur ses droits. On ne peut dire une seule fois la messe sans protester qu’il y a eu des juges coquins, car, dès le commencement de la messe, le prêtre demande à Dieu le pardon de ses péchés au nom des mérites des saints dont les reliques sont ici, sous cette pierre sacrée, per merita sanctorum quorum reliquidae hic sunt; et il n’y a qu’un seul autel sur lequel le Pape seul a le droit de dire la messe, qui ne contienne pas de ces reliques. D’ailleurs, que fait-on en disant la messe? On adore un sang divin répandu par l’ordre d’un juge. Il y a donc des circonstances où il faut parler malgré le pouvoir. « Allez dans le Temple et prêchez-y hardiment, » dit l’ange aux apôtres; et s’ils n’eussent pas parlé, ils auraient été des prévaricateurs, ainsi que le disait saint Paul: « Vae mihi, si non evangelizavero. Malheur à moi, si je n’annonce pas l’Evangile. » (I Cor. IX, 16.) Il faut que les évêques, que les prêtres prêchent, et, pardonnez-moi la familiarité de l’expression, qu’ils aboient. Malheur à ceux qui sont muets; le peuple a besoin de cette parole pour vivre, omnia verba vitae huius. Voilà pourquoi le respect humain fait tant de victimes, non seulement parmi les prêtres et les évêques, mais encore parmi les chrétiens qui sont aussi obligés de parler.

Arrivons à la suite du discours de saint Pierre. Il jette encore une fois à la face des Juifs cette accusation de déicide que nous avons vue revenir sans cesse dans ses premières prédications. Vous concevez dès lors la fureur des Juifs qui pensaient à tuer les apôtres, et cogitabant interficere illos. Voilà une manière de procéder très pratique: faire disparaître les gens qui vous gênent.

Cependant, un pharisien fut plus sensé, Gamaliel, qui conseille aux Juifs de tenir à l’égard des apôtres la même conduite qu’on avait tenue envers Théodas ct ses partisans et d’autres imposteurs dont les projets étaient tombés d’eux-mêmes. Si ce projet vient des hommes, ajoute Gamaliel, il sera anéanti de lui-même; s’il vient de Dieu, vous ne pouvez le détruire, à moins que vous ne soyez assez forts pour résister à Dieu.

Cet argument de Gamaliel, jeté comme en passant dans les Actes des Apôtres, est digne de remarque; il est une des preuves les plus fortes, les plus palpables de la divinité de notre religion. Voilà dix-huit cents ans que l’Eglise catholique existe, elle n’a point péri. Peut-il y avoir quelque chose de plus beau que cette persévérance de l’Eglise de Dieu, subsistant sans interruption, malgré toutes les persécutions soulevées contre elle par les pouvoirs humains? Ce qui rend ce fait encore plus admirable, c’est que les pouvoirs humains n’ont pas cessé un seul moment de conspirer contre l’Eglise et d’attester par là son indestructible énergie et sa puissante vitalité.

Les autres Juifs, dit le texte sacré, se rangèrent à l’avis de Gamaliel. Toutefois, pour plus de précaution, ils ne voulurent pas renvoyer les apôtres sans leur avoir donné quelques coups, caesis, et leur avoir intimé une fois de plus l’ordre de ne point prêcher au nom de Jésus, denuntiaverunt ne omnino loquerentur in nomine Iesu. Quant aux apôtres, ils s’éloignèrent du Conseil pleins de joie, parce qu’ils avaient été jugés dignes de subir l’outrage pour le nom de Jésus, et illi quidem ibant gaudentes a conspectu concilii, quoniam digni habiti sunt pro nomine Iesu, contumeliam pati.

Quelle grandeur! C’est là, mes chers enfants, l’histoire entière de l’Eglise. C’est vraiment le cachet chrétien, apostolique, sacerdotal, religieux, d’aimer, de rechercher les opprobres et les humiliations. On est plus heureux de souffrir et d’être outragé pour le nom de Jésus-Christ, à mesure qu’on est plus chrétien, plus apôtre, plus prêtre, plus religieux. Et ici, il faut bien établir une distinction; ce bonheur, cette joie des apôtres, en face des persécutions, ce n’est pas l’amour propre de la victime politique qui se pose toujours d’une manière plus ou moins attendrissante. Le grand malheur de notre temps, c’est qu’il n’y a pas assez d’hommes qui sachent se dévouer complètement; quand Dieu nous enverra des gens qui aiment, comme les apôtres, souffrir pour la cause de la vérité, alors le monde se convertira. S’il ne se convertit point, c’est qu’il nous manque des hommes de cette trempe.

Les apôtres, une fois délivrés des mains des Juifs, n’en continuèrent pas moins de se dévouer aux devoirs de l’apostolat; ils étaient insupportables. Ils ne cessaient toute la journée, dit le texte, d’enseigner dans le Temple et autour des maisons, et de prêcher l’Evangile de Jésus-Christ, omni autem die non cessabant, in Templo et circa domos docentes, et evangelizantes Christum Iesum. Ces paroles prouvent qu’il y avait, à côté de l’enseignement public qui se faisait dans le Temple, in Templo, l’enseignement particulier qui se donnait dans les maisons, circa domos. Ainsi tout le monde peut être apôtre. Que dis-je? Il y a pour nous une obligation d’être apôtres, chacun dans la mesure de ses forces. Ainsi le comprenaient les apôtres et les premiers chrétiens qui ne regardaient point comme suffisante la prédication officielle, celle qui avait lieu dans le Temple; ils y joignaient la prédication particulière qui se faisait dans les maisons, circa domos, et à laquelle se livraient tous les chrétiens.

Souvenons-nous donc, mes chers enfants, qu’entre Dieu et les hommes, si puissants qu’ils soient, il ne faut jamais hésiter. Il ne faut pas craindre les persécutions, puisque nous avons vu Dieu protester contre elles, même par l’assistance d’un ange. Dieu sera toujours de notre côté quand nous souffrirons pour sa cause. Ces persécutions montrent que, selon la parole de saint Pierre, il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Beati qui persecutionem patiuntur propter iustitiam, c’est la huitième parole de la prédication publique de Notre-Seigneur. Ainsi l’Eglise ne doit cesser de combattre, et dans les coups que lui infligent ses persécuteurs, elle trouve son bonheur et sa joie.

La prédication publique doit être exercée par elle sans relâche; elle est confiée au Pape et aux évêques, et au sacerdoce envoyé par les évêques. Mais à nous tous, chrétiens, est confiée une prédication particulière, l’apostolat de cette même parole courant dans le secret. Tous sont tenus à cette sorte de prédication. De cette manière, renouvelant sans cesse le monde par l’Evangile, nous suivrons les grands et admirables exemples des apôtres et des martyrs en annonçant la parole de Dieu, et ce Dieu, que seul nous aurons craint ici-bas, sera là-haut notre récompense. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum