- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
- INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
XII
[SIMON LE MAGICIEN. L'EUNUQUE DE LA REINE D'ETHIOPIE. ACTES, VIII.] - Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 268-279
- BR 2-3
- 1 CONFIRMATION
1 EVEQUE
1 HYPOCRISIE
1 MAUVAIS PRETRE
1 PERSECUTIONS
1 PRETRE
1 SIMONIE
1 SPIRITISME
2 CANDACE
2 CYPRIEN, SAINT
2 GREGOIRE VII, SAINT
2 HERODE AGRIPPA I
2 ISAIE, PROPHETE
2 JACQUES LE MINEUR, SAINT
2 JEAN, SAINT
2 JEROME, SAINT
2 JUDAS
2 LAZARE
2 LEON IX, SAINT
2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
2 MARTHE, SAINTE
2 MOISE
2 PAUL, SAINT
2 PHILIPPE, DIACRE
2 PIERRE DAMIEN, SAINT
2 PIERRE, SAINT
2 SIMON LE MAGICIEN
2 VALENTIN, GNOSTIQUE
3 CARTHAGENE
3 CESAREE
3 EGYPTE
3 ESPAGNE
3 ETHIOPIE
3 GAZA
3 JERUSALEM
3 MARSEILLE
3 ROME
3 SAINTE-BAUME
3 SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
3 SAMARIE
3 TARASCON - Collégiens de Nîmes
- 16 mars 1868
- Nîmes
Mes chers Enfants,
Le sujet que j’aborde aujourd’hui est une sorte de parallèle entre la manière dont un homme reçoit la parole de Dieu et la manière dont un autre homme reçoit cette même parole.
Il y avait eu, avons-nous dit, une première persécution dirigée contre les chrétiens, et un auteur contemporain de saint Jérôme puisqu’il lui dédie un ouvrage, affirme qu’un très grand nombre de chrétiens s’enfuit en Espagne, ce qui nécessita le voyage de saint Jacques dans cette contrée pour y établir des évêques, après quoi il revint à Jérusalem où Hérode le fit mourir. C’est encore à cette époque que l’on rapporte l’arrivée de saint Lazare à Marseille, de sainte Marthe à Tarascon, de sainte Madeleine à la Sainte-Baume et des trois Marie au bourg appelé depuis les Saintes-Maries. Quant à saint Jacques, il aurait, paraît-il, débarqué à Carthagène. On voit du premier coup l’avantage des persécutions qui répandent ainsi sur tous les points du globe des prédicateurs de l’Evangile. Tous furent dispersés, dit le texte, à l’exception des apôtres. Les paroles qui suivent nous montrent clairement, quoi qu’en disent les protestants, le commencement du culte des martyrs: Curaverunt autem Stephanum viri timorati, et fecerunt planctum magnum super eum. Quant à saint Paul, il continuait à persécuter les chrétiens avec fureur.
Or, Philippe, le second des sept diacres, celui qui avait été élu immédiatement après saint Etienne, descendit à Samarie et prêchait le Christ aux habitants. Il chassait les esprits impurs, guérissait les paralytiques, et les boiteux. Il y avait là, disent les Actes, un homme appelé Simon, qui avait été magicien; il séduisait le peuple de Samarie et se disait quelque chose de grand: l’expression est assez étrange en grec, mais voici le texte latin, dicens se esse aliquem magnum. Philippe donc baptisait tous ceux qui croyaient, hommes et femmes. Simon lui-même crut et fut baptisé, et depuis lors ne quittait plus Philippe.
Les apôtres, ayant appris que la Samarie avait reçu la parole de Dieu, envoyèrent Pierre et Jean pour leur donner le Saint-Esprit, ce qu’ils faisaient en leur imposant les mains.
Je m’arrête en cet endroit du texte, car ce passage suffit pour nous faire voir ce que j’appellerai la foi politique, la foi de convenance. Et d’abord on voit la différence entre les diacres qui baptisent, les prêtres et les évêques qui imposent les mains. Saint Cyprien constatait déjà le droit des évêques de confirmer et sain Jérôme dit encore la chose plus explicitement. Ce fut donc en quelque sorte la première tournée pastorale de saint Pierre et de saint Jean, car, dans ces tournées, les évêques administrent d’ordinaire le sacrement de confirmation et disposent toutes choses comme firent probablement saint Pierre et saint Jean en Samarie.
Mais passons à Simon le Magicien. Jusqu’en ces derniers temps on avait cru que ce Simon n’était absolument que magicien, mais c’était un homme très instruit. La découverte récente des Philosophumena, ce livre qui a suscité de grandes discussions, mais qui a amené de grands éclaircissements sur ce personnage, nous montre qu’il avait étudié la religion des Perses, la philosophie des Indiens, la théurgie des prêtres égyptiens et il avait combiné un système d’après lequel il était à la fois le père qui avait parlé à Moïse et aux patriarches, le Fils qui s’était incarné dans le sein de la Vierge Marie et le Saint-Esprit qui était descendu plusieurs fois sous différentes formes. Le gnosticisme n’a pas été inventé par Valentin, mais il faut le faire remonter jusqu’à Simon le Magicien. On trouve dans ses écrits certaines considérations philosophiques assez curieuses. Comment joignait-il cela à ses pratiques plus ou moins magiques? Je n’ai point à l’examiner, et cela m’entraînerait trop loin.
J’ai vu tant de personnes d’esprit et de qualité s’occuper des tables tournantes et autres pratiques maintenant condamnées par l’Eglise, que je ne suis point surpris que ces pratiques puissent se rencontrer avec une certaine philosophie. C’est toujours la prétention de monter dans le monde supérieur, de pénétrer les secrets de la nature, et c’est une chose défendue; ainsi, évoquer les morts, c’est abominable et spécialement condamné par Dieu dans l’Ancien Testament.
Quels que fussent les prodiges opérés par Simon à l’aide de sa magie, saint Pierre en faisait de tellement plus merveilleux que ceux de Simon le Magicien étaient, passez-moi l’expression, enfoncés. La même lutte s’était déjà vue du temps de Moïse, alors que les magiciens du pharaon voulurent lutter avec l’homme de Dieu. Il y eut un moment où, Moïse continuant ses prodiges, les magiciens d’Egypte furent contraints de s’arrêter et ne purent s’empêcher de reconnaître que le doigt de Dieu était-là, digitus Dei est hic.
Cependant, Simon avait fait semblant de croire. Je ne saurais assez vous dire, à ce sujet, combien il est triste de voir cette dévotion de convenance, ce retour à Dieu, ces pratiques toutes de convention, ces messes officielles, comme j’ai eu l’occasion d’en dire plus d’une en qualité de grand vicaire. Tenez, je préférerais voir tous ceux qui ne vont à la messe que par force montrer par leur tenue qu’ils y vont la corde au cou. Vous me direz qu’il vaut mieux, même quand on n’a pas la foi, avoir du moins une bonne tenue; je vous répondrai que c’est un peu plus d’hypocrisie, et voilà tout. Simon le Magicien se fait donc baptiser; hélas! j’ai connu un Juif qui s’était fait baptiser trois ou quatre fois, et il y a des gens qui vont d’un diocèse à l’autre pour recevoir dans chaque diocèse un nouveau baptême.
Mais voici ce qui fait encore plus frissonner. Les apôtres donnent la confirmation que ne pouvait donner Philippe n’étant que diacre. Lorsque Simon eut vu le Saint-Esprit descendre sur ceux à qui les apôtres avaient imposé les mains, il leur offrit de l’argent pour obtenir le même pouvoir. Voilà bien, mes enfants, une des plus effroyables plaies auxquelles l’Eglise soit condamnée. Ah! on m’accuse de vouloir faire des jeunes filles des religieuses, des jeunes gens des prêtres. S’il n’y avait pas là un sentiment surnaturel, je ne crains pas de dire que ce serait la chose la plus horrible, la plus abominable qui se puisse voir. Rien n’est beau comme une vierge chrétienne, rien n’est beau comme un apôtre, mais à une condition, c’est qu’on apportera à une vocation si admirable et si divine des mains pures et le plus complet désintéressement.
Mais ce qui se comprend difficilement, c’est que Simon ait dans un pareil moment offert de l’argent pour imposer les mains. Quoi! les chrétiens étaient sous le coup de la haine des Juifs, ils étaient obligés de se cacher, de se dissimuler pour conserver leur vie, et c’est à ce même moment qu’un homme veut se faire chrétien, et, à prix d’argent, devenir évêque puisqu’il voulait imposer les mains! Voilà certes de ces constatations qui déroutent la pensée humaine. N’était-il pas logique que Simon attendit un peu avant de devenir évêque?
Quelle chose épouvantable, quelle chose terrible, de voir ce qui peut arriver à l’Eglise par suite du ministère de prêtres, d’évêques indignes!
Da mihi hanc potestatem, fais-moi évêque et moi aussi je ferai mes petites affaires. Mais, me direz-vous, mes chers enfants, pourquoi nous dites-vous ces choses-là? Je vous les dis parce qu’il faut que vous soyez prévenus, et que si certains projets se réalisent, vous puissiez discerner quels sont les ministres sataniques. Et c’est en pleine persécution que Simon le Magicien commence, et cette plaie qu’il introduit dans l’Eglise lui fera plus de mal que toutes les persécutions. Ah! mes enfants, l’Eglise a besoin de dévouement, elle demande des hommes désintéressés.
A cette ignoble figure de Simon, comparez cette magnifique figure de saint Pierre dans sa royale majesté: « Pecunia tua tecum sit in perditionem: Que ton argent périsse avec toi! » Rien de si détestable qu’un ambitieux dans l’Eglise, et lorsqu’on étudie attentivement la manière dont l’Eglise est servie, ou, pour mieux dire, trahie par certains hommes, on voit bien pourquoi Simon le Magicien est regardé comme le premier hérétique ou, si vous le voulez, comme le premier schismatique.
Si donc vous aimez l’Eglise, mes chers enfants, une des prières les plus ferventes que vous puissiez faire pour elle, c’est que, si elle doit encore passer par les outrages, les persécutions, les bûchers ou les échafauds, elle se maintienne du moins à l’abri des trafics honteux qui, procédant de Judas par Simon le Magicien, sont pour elle une cause de décadence et de ruine. Ce qui, dans certains pays, empêche les populations de revenir à la foi, c’est la vénalité des prêtres; et si, dans d’autres pays, la foi s’affaiblit tous les jours davantage, cela vient encore de ce que la cupidité s’est glissée dans le sacerdoce. Toutes les fois qu’une question d’argent se présente, il faut répéter avec saint Pierre: Pecunia tua tecum sit in perditionem. Il faut que tout prêtre, tout ecclésiastique se dise: Pour un vil intérêt, je ne ferai jamais à Jésus-Christ l’affront de courber sa cause sous ces questions d’argent. Il faut bien se garder de cette vénalité, de cette avarice qui a de tout temps fait tant de mal à l’Eglise.
Voyez au moyen âge: quelle a été pour les Papes et pour l’Eglise la plus grande tristesse, sinon la simonie à laquelle résistèrent si vigoureusement saint Pierre Damien, saint Grégoire VII, le bienheureux Léon IX, ainsi que quelques autres? A cette époque, on croyait pouvoir acheter des bénéfices avec des écus, et si saint Grégoire VII s’est élevé si haut, c’est qu’il a combattu énergiquement contre les rois et les empereurs simoniaques. L’Eglise a besoin d’argent, c’est incontestable, et nous savons que Jésus-Christ confiait la garde de son argent à Judas, ce qui l’exposait à une effroyable tentation. Mais c’est la manière de traiter ces choses-là qui importe, elle peut être une cause de bien ou un abominable trafic.
Remarquez la fin de la réponse de saint Pierre à Simon le Magicien: Poenitentiam itaque age ab hac nequitia tua; et roga Deum, si forte remittatur tibi haec cogitatio cordis tui. Saint Pierre est tellement pénétré d’horreur pour ce crime, qu’il semble mettre en doute le pardon de Simon le Magicien; priez Dieu qu’il vous pardonne s’il est possible, cette mauvaise pensée de votre coeur. Il n’y a, certes, aucun péché irrémissible, mais s’il y en avait ce serait celui de traiter les affaires de l’Eglise avec de l’argent. Simon répond: « Priez, vous autres, pour moi le Seigneur, afin que rien de ce que vous avez dit ne m’arrive. » Vous le croyez converti, pas du tout.
L’histoire ecclésiastique nous le montre quelque temps après répandant ses erreurs à Césarée où saint Pierre le réfuta, et à Rome où il se livra à des pratiques de magie jusqu’au moment où il voulut s’élever dans le ciel. Saint Pierre se mit alors en prières et obtint la confusion de Simon: on conserve encore à Rome la pierre où le chef des apôtres s’était alors mis à genoux. Comment donc s’expliquer les paroles de Simon: « Vous autres, priez pour moi. » Ne dirait-on pas qu’il va se repentir? C’est que cette espèce de gens a toujours joint l’hypocrisie à la perversité, et Simon semble dire: « Vous m’avez fait des observations très justes, je veux en profiter, aidez-moi à me corriger », mais sa conduite prouva le contraire. Chose terrible! cela se passait dès les commencements du christianisme, peu de temps après la mort du Sauveur.
Les apôtres retournèrent ensuite à Jérusalem. L’ange du Seigneur dit à Philippe : « Lève-toi, et va du côté du Midi, sur le chemin qui conduit de Jérusalem à Gaza: cette contrée est déserte, haec est deserta« .
Philippe fit ce que le Seigneur lui avait ordonné et ce fut alors qu’il rencontra cet eunuque de la reine d’Ethiopie, Candace. On a prétendu que c’était un nom commun à toutes les reines d’Ethiopie, comme le nom de pharaon pour les rois d’Egypte; mais je n’ai pas à entrer dans ces questions. Quant à cet homme, était-il réellement Ethiopien? Certains commentateurs disent que c’était plutôt un Juif, de ceux qui, au moment de la dispersion, étaient allés s’établir en Ethiopie, et qu’il avait été fait intendant de la reine Candace. Quand Philippe le rencontra, il le trouva occupé à lire le prophète Isaïe, et lui demanda s’il comprenait ce qu’il lisait. L’eunuque répondit: « Comment le pourrai-je, si personne ne me l’explique! » Ceci prouve d’abord contre les protestants que l’interprétation de l’Ecriture, laissée à chaque fidèle, est chose inadmissible, et cet homme reconnaît parfaitement la nécessité où il est qu’on lui explique l’Ecriture.
En même temps, remarquez la droiture et la simplicité de cet homme, et retenez bien cette vérité qu’un jeune homme qui a le coeur droit est sûr d’être sauvé; mais quand on n’a pas cette droiture, on est sujet à d’incroyables faiblesses, à des lâchetés déplorables. Quand saint Philippe eut expliqué à l’eunuque le paysage d’Isaïe et raconté la venue de Jésus-Christ, cet homme désira recevoir le baptême et, comme ils passaient en coeur moment devant une source, ils descendirent tous deux dans l’eau et saint Philippe le baptisa. Cette source, saint Jérôme la place, je crois, à la vingtième pierre,, c’est-à-dire à vingt milles romains de Jérusalem.
Ainsi la sincérité de cet homme reçoit sa récompense sur-le-champ, et Dieu fait en sa faveur un prodige, il transporte auprès de lui Philippe et lui procure ainsi les moyens de recevoir les lumières de la foi.
En face donc des mensonges, de l’ambition satanique, de la duplicité de Sinon le Magicien, nous voyons ici un homme qui cherche Dieu dans la droiture de son coeur et il en est aussitôt récompensé.
Je vous exhorte donc, mes enfants, en finissant, à fuir avec horreur ces abominables calculs des gens qui prennent la religion pour un marché, et à imiter la bonne foi de cet eunuque qui recherchait la vérité de tout son coeur. Il savait que les apôtres avaient fait entendre leur prédication et il était plein de bonne volonté. La semence de la vérité état dans son coeur, il suffisait que quelqu’un l’aidât à la faire germer. Cet homme, arrive bientôt en Ethiopie, racontera coeur qu’il a vu, les trésors de grâce qui lui ont été communiqués par le baptême. Un jour viendra où les apôtres iront porter la foi eh Ethiopie et ils trouveront coeur pays déjà préparé par les soins de cet homme. Ainsi Dieu assiste son Eglise par les moyens les plus inattendus.
C’est donc, mes chers enfants, un modèle que je vous propose dans le coeur de cet homme qui reçoit la vérité dès qu’elle se présente. Vous aussi, écoutez coeur que la grâce vous demande et vous aurez un trésor mille fois plus précieux que tous ceux de la reine Candace: le trésor de la foi qui se transformera un jour dans le trésor éternel de la gloire. Ainsi soit-il.