OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    XIV
    [LA VOCATION DES GENTILS. ACTES, IX, 31-43; XI, XII.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 292-301.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 CHRETIEN
    1 DEMOCRATIE SOCIALISTE
    1 FOI
    1 JEUNESSE
    1 JUIFS
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 PAGANISME
    1 PAPE
    1 PROTESTANTISME
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SOCIETE
    1 VOCATION
    2 ARMINIUS
    2 BARNABE, SAINT
    2 CAIN
    2 CORNEILLE, CENTURION
    2 ENEE
    2 ETIENNE, SAINT
    2 LUTHER, MARTIN
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 TABITHA
    2 TIBERE
    3 ALEXANDRIE, EGYPTE
    3 ASIE
    3 CAPRI
    3 CESAREE DE PALESTINE
    3 JERUSALEM
    3 ROME
    3 SCYTHIE
    3 TARSE
  • Collégiens de Nîmes
  • 18 mars 1868
  • Nîmes
La lettre

Nous allons aborder ce soir la vocation des Gentils.

Saint Paul, l’Apôtre des nations, vient d’être converti, il faut qu’on lui ouvre les portes de ce champ immense qui va lui être confié. De même que, pour les Romains, tout ce qui n’était pas romain était barbare et que, pour les Grecs, tout ce qui n’était pas grec était aussi barbare, de même pour les Juifs, ce qui n’était pas juif était gentilité. Cette dernière était pour les Juifs l’objet d’une horreur profonde et il leur était défendu, au point de vue religieux, de communiquer avec elle.

Il appartenait à saint Pierre, le chef de l’Eglise nouvelle, de faire tomber ces barrières. Il établira d’abord son siège à Antioche; l’Evangile ayant été prêché d’abord en Asie, il convenait que de l’Asie la lumière de la vérité se répandit sur tout l’univers. De plus, Antioche était la ville la plus importante de l’empire romain en Asie. Saint Pierre la gouverna pendant sept ans: prétendre que saint Pierre n’a pas été évêque d’Antioche, quand une foule de monuments prouvent le contraire, c’est vouloir aller contre l’histoire et abolir les faits les mieux constatés.

Après la grande persécution qui suivit la mort de saint Etienne, avait succédé un moment de grande paix. Saint Pierre en avait profité pour faire en quelque sorte sa première tournée pastorale; il visita les localités qui entouraient Césarée de Palestine. Il fit partout de nombreux miracles, guérit entre autres un paralytique nommé Enée, ressuscita une veuve nommée Tabithe, pleine de bonnes oeuvres. Dans ces deux personnes, nous pouvons voir un grand symbole: le paralytique représente le judaïsme, la veuve Tabithe figure la gentilité morte, ressuscitée par saint Pierre.

Pendant que saint Pierre opérait ces prodiges aux environs de Joppé, où il séjourna quelque temps, il y avait à Césarée un centurion, nommé Cornélius: il eut une vision. Un ange lui dit que ses prières avaient été exaucées, lui commanda d’envoyer des hommes à Joppé et de faire venir Simon, surnommé Pierre, qui était alors logé dans la maison d’un corroyeur: « C’est celui-là qui vous dira ce qu’il faut que vous fassiez. Hic dicet tibi quid te oporteat facere… » Remarquez encore ici, ce sont toujours les anges qui apparaissent, mais il faut que ce soit un homme, c’est-à-dire une autorité humaine, qui indique ce qu’il faut faire. Dieu agissait ainsi pour montrer que l’Eglise humaine était une institution voulue par lui.

Presque en même temps, saint Pierre avait une vision: il voyait un grand linge descendre du ciel en terre: il était rempli de quadrupèdes, de reptiles et d’oiseaux. Pierre ne voulait pas toucher à ces animaux parce qu’ils étaient impurs (les animaux impurs représentaient la gentilité, les animaux purs les Juifs). Mais une voix lui répondit: « Ce que Dieu a purifié ne peut être impur. » Il hésitait encore quand arrivèrent les envoyés du centurion. Saint Pierre les suit à Césarée où il apprend de Cornélius quel était le motif pour lequel il l’avait fait venir. Après le récit de cette vision, « saint Pierre, ouvrant la bouche, dit: Je vois bien, en vérité, que Dieu ne fait point acception de personnes, mais que dans toute nation, celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable. Aperiens autem Petrus os suum, dixit: In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus; sed in omni gente, qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi. »

Ici se présente, mes chers enfants; une grave question, c’est la manière dont nous faisons si souvent, nous autres, acception des personnes. Ainsi vis-à-vis de telle personne, ses procédés, quels qu’ils soient, sont toujours bons; les procédés de cette autre seront toujours mauvais. C’est là un très grand obstacle, et saint Pierre lui-même trahit en ce moment son impression. Il avait horreur des Gentils, et il faisait alors quelque chose de bien méritoire pour lui: il offrait à Dieu le sacrifice de ses idées personnelles en consentant à ouvrir aux Gentils les portes de l’Eglise.

Au moment où Pierre parlait encore, le Saint-Esprit descendit sur ceux qui l’écoutaient; vous voyez l’intervention directe du Saint-Esprit pour triompher de la répugnance que les Gentils inspiraient à saint Pierre. Pour dissiper ses hésitations, l’Esprit-Saint descendit sur eux. Les premiers convertis, venus tous du judaïsme, ne concevaient pas encore qu’on pût admettre les Gentils parmi les chrétiens.

Remarquez encore cette circonstance: Pierre ne baptisa pas lui-même, mais il commanda qu’on les baptisât, ce que firent des disciples qui étaient prêtres ou diacres. Si saint Pierre agit ainsi, c’était sans doute pour marquer sa prééminence, sa suprématie.

Plusieurs observations touchantes se présentent encore sur ce passage des Actes. Et d’abord, qu’est-ce que ce grand événement? La conversion de deux douzaines tout au plus de Gentils: la maison de Cornélius. C’est cependant le point précis où commence la prédication de l’Evangile aux Gentils.

Pendant que Pierre parlait le Saint-Esprit descend: il fallait qu’il vînt pour donner une approbation aux actes du prince des apôtres; qu’il vînt, pour me servir d’une expression parlementaire, dégager en quelque sorte la responsabilité de Pierre. Il fallait un signe du ciel pour témoigner que Pierre avait bien agi. Précaution qui n’était pas inutile, puisque, aussitôt que saint Pierre fut revenu à Jérusalem, les circoncis disputaient contre lui et lui reprochaient d’avoir communiqué avec des incirconcis, d’avoir mangé avec eux. C’est là, semblent-ils lui dire, briser nos privilèges, c’est nous qui sommes le peuple de Dieu et c’est une profanation de faire partager aux Gentils nos droits et nos prérogatives. Les plaintes étaient si fortes que saint Pierre est obligé de se justifier. Ce fut une question bien importante puisque le chapitre XI ne fait que répéter ce qui avait été dit au chapitre précédent.

Les Juifs sentaient bien, en effet, qu’une révolution formidable allait s’opérer par laquelle leurs privilèges seraient brisés et leurs droits anéantis. Ils ne seraient plus seuls le peuple de Dieu, et tous ceux qui écouteraient les envoyés de Jésus-Christ devaient être ce peuple, Reges Arabum et Saba dona adducent. Les Juifs tenaient donc à leurs droits, droits admirables et divins, puisque les enseignements de Dieu, ses promesses et sa loi leur avaient été confiés. Mais ce peuple infidèle devait être marqué au front, comme Caïn, d’un signe de réprobation, offrant au monde le spectacle unique d’un peuple errant et fugitif qui, comme Caïn, ne saurait périr de la main des hommes. La destinée de ce peuple devait être comme la contre-épreuve de la divinité du christianisme, et par sa haine contre les chrétiens et par le châtiment dont il est l’objet et qu’il a lui-même appelé sur lui.

Dès que Pierre eut fini de raconter aux circoncis ce qui lui était arrivé, il ajouta que le Saint-Esprit était descendu sur Cornélius, les habitants de la maison, ses parents et ses amis. Il est descendu, disait-il, de la même manière qu’il était descendu sur nous au commencement. Ce n’était donc point de son propre mouvement, mais sous l’action de Dieu, que saint Pierre avait agi. Ainsi tout va être bouleversé, plus rien de stable, plus rien de fixe; ce ne sont plus les Juifs, mais les Gentils, mais toute la terre, qui sera le peuple de Dieu.

Quand saint Pierre vint résider à Antioche, il y fonda une église patriarcale, la première église du monde puisque celle de Rome n’était pas encore établie. Comme le nombre des fidèles augmentait à Antioche, on y envoya Barnabé qui, de son côté, alla chercher saint Paul à Tarse et l’amena à Antioche. Alors s’étendit beaucoup la prédication parmi les Gentils: saint Pierre commence, puis on envoie des prédicateurs pour aider au développement de l’Eglise naissante. D’abord saint Barnabé qui va chercher saint Paul, mais le premier travail a été fait par le chef de l’Eglise lui-même, par saint Pierre. C’est encore à Antioche que les disciples de Jésus-Christ furent « appelés pour la première fois du nom de chrétiens, ita ut cognominarentur primum Antiochiae discipuli, Christiani.

Et maintenant le judaïsme n’est plus rien; sans doute depuis qu’ils avaient mis à mort Jésus-Christ les Juifs n’étaient plus le peuple de Dieu, mais en ce moment les Gentils prennent leur place et, sous le nom de chrétiens, vont hériter de leurs privilèges. La ville de Jérusalem ne sera que la quatrième en importance dans l’Eglise. Quand le siège de Rome aura été établi, Rome sera la première Eglise, Antioche la seconde, Alexandrie la troisième, et Jérusalem ne sera pas Eglise centrale ni patriarcale, sinon beaucoup plus tard. Ainsi tous les privilèges chantés par le Roi-Prophète: Jerusalem quae aedificatur ut civitas, cujus participatio ejus in idipsum, tous ces privilèges lui seront enlevés.

Si nous regardons attentivement, nous trouverons dans ces bouleversements une grande analogie avec ce qui se passe dans le monde depuis la prétendue réforme de Luther, toute proportion gardée. La société a tendu à n’être plus chrétienne; mais aussi il y a eu des châtiments, des révolutions; les peuples s’en vont à la dérive. Qui pourrait nous dire ce qui se passera dans un an? Sans doute, de même qu’au temps où Tibère régnait du fond de l’impure Caprée, et lorsque les bandes d’Arminius faisaient trembler les Romains, on pouvait pressentir que bientôt ce serait des déserts de la Scythie que sortiraient les plus grands ennemis de l’empire romain; de même aujourd’hui, on peut prévoir que la démocratie socialiste la plus terrible nous envahira un jour et sera le châtiment des nations modernes devenues incrédules.

En face de ce sombre avenir, il y a pour les chrétiens de grands devoirs à remplir: les plus beaux horizons se dessinent pour eux à travers ces orages épouvantables et ces tempêtes menaçantes. Pour un jeune homme qui a un peu de sang dans les veines, c’est là un magnifique avenir. Il doit se dire: « Je puis faire de grandes choses en face de ces petits hommes qui m’environnent. » Pour cela, il faut revenir à l’esprit chrétien des premiers siècles, il faut être des hommes de foi comme les apôtres, car c’est grâce à cette adhésion de leur âme, de leur intelligence à la parole de Dieu qu’ils ont vaincu le monde. Lorsque Jésus-Christ vint souffler sur toutes ces nations empestées par les vices les plus infâmes, ce qui alors a sauvé le monde le sauvera encore aujourd’hui, c’est la foi. Parcourez dans l’histoire ecclésiastique ces grands premiers siècles, et voyez comment de ce chaos sont sortis l’ordre et l’harmonie.

Aujourd’hui, les sociétés ne sont plus chrétiennes; avec un art plus ou moins habile, avec une trituration de légiste et une certaine habileté de jurisconsulte, on tourne et retourne tel article du Code, de manière à serrer toujours un peu plus les liens dont l’Eglise est enchaînée. Jamais les devoirs des chrétiens n’ont été plus graves. Dans les temps présents, outre les péchés de gourmandise, de vanité, etc., dont il faut toujours s’accuser, il faudrait, je crois, se confesser un peu de cette manière: « Je n’ai pas assez réfléchi sur mes obligations de chrétien, sur la manière dont je m’acquitterai plus tard des devoirs que la religion m’impose. »

Quand Dieu prépare à des jeunes gens une si magnifique mission, je dis qu’ils sont indignes et bien coupables s’ils ne savent pas en profiter. Quels châtiments se préparent pour la jeune génération, si elle ne comprend pas à quels travaux elle est appelée! Entre les mains du Pape se trouvent les destinées et l’avenir du genre humain. Mais si le Pape est le centre de l’action, il ne peut pas être seul, il veut être aidé. Les circonstances vous permettront de faire de grandes choses; que votre générosité réponde donc à la majesté et à la grandeur de votre nom de chrétiens. Soyez dès à présent des chrétiens énergiquement fervents pour vous faire ouvrir les portes, non de la gentilité, mais des sociétés que vous devez raviver en leur montrant la lumière du christianisme.

Voilà pourquoi je proteste si souvent contre ces altérations du catholicisme, ce libéralisme insensé qui se glissent parmi les peuples chrétiens; voilà pourquoi je demande le catholicisme pur dans la fécondité de ses ressources. Pas de libéralisme; que ceux qui veulent vivre en Jésus-Christ puissent être aidés par une foi énergique. Alors le monde se convertira et nous ne tarderons pas à voir les sociétés revenir à la vie et commencer sur la terre ce triomphe de l’Eglise qui se perpétuera dans le ciel.

Notes et post-scriptum