OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    XVI
    [LES MISSIONS DE SAINT PAUL. ACTES, XIII, XIV.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 312-324.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 CURE
    1 JANSENISME
    1 JUIFS
    1 MISSIONNAIRES
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 PAROISSE
    1 PERSECUTIONS
    1 PREDICATION
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SAINT-ESPRIT
    2 AMBROISE, SAINT
    2 BARNABE, SAINT
    2 BENOIT, SAINT
    2 BOSSUET
    2 BULOZ, FRANCOIS
    2 ELYMAS
    2 FENELON
    2 JEAN, SAINT
    2 JUPITER, MYTHOLOGIE
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LUC, SAINT
    2 MARC, SAINT
    2 MERCURE, MYTHOLOGIE
    2 PAUL, SAINT
    2 PAULA AEMILIA
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 SAMSON
    2 SERGIUS PAULUS
    2 THECLE, SAINTE
    2 VENUS, MYTHOLOGIE
    2 VEUILLOT, LOUIS
  • Collégiens de Nîmes
  • 21 mars 1868
  • Nîmes
La lettre

J’éprouve en ce moment un sentiment semblable à celui qui fit prononcer à Fénelon, dans ce magnifique discours sur l’Epiphanie, ces paroles faussement attribuées à Bossuet: L’homme s’agite et Dieu le mène. Ainsi parlait Fénelon le jour où il célébrait la manifestation de la vérité aux Gentils dans la personne des mages. Les souffrances réservées aux missionnaires effrayaient Fénelon, mais il encourageait néanmoins les vocations, car il désirait avant tout l’expansion du règne de Jésus-Christ.

En effet, le missionnaire est exposé à bien des déceptions, bien des mécomptes, bien des chagrins, et souvent au martyre. Je vous inviterai cependant à cueillir cette palme, et j’espère que de cette instruction sortiront quelques missionnaires.

Nous allons voir, dans la première mission de saint Paul, avec quelle liberté il parlait aux méchants; et, en vérité, une chose qui me console quand on me reproche d’avoir parlé imprudemment, c’est que dans les Actes des Apôtres nous voyons que saint Paul et les autres ne se gênent pas pour tout dire. Mais ce que je me propose surtout de vous faire remarquer, c’est l’importance des missions dans l’Eglise: si son histoire est tissue, pour ainsi dire, de fils très divers, ce qui domine dans la trame de cette histoire, ce sont les missionnaires.

Il y a sans doute l’esprit paroissial qui est une excellente chose, et les curés sont assurément très dignes de respect; mais il ne faut pas ignorer que cet esprit paroissial poussé à l’excès peut aboutir à détruire l’esprit missionnaire, c’est-à-dire l’esprit qui est par excellence l’esprit de l’Eglise. Il est certain que ce qui développe le plus l’Eglise, ce sont les missions.

Le commencement du chapitre XIII nous parle de quelques personnages de l’Eglise d’Antioche, cette Eglise que Pierre avait gouvernée pendant sept ans. Il devait ensuite aller fonder l’Eglise de Rome, il n’est pas sûr qu’il soit parti directement d’Antioche pour Rome; ce qui est certain, c’est qu’il fonda le siège de Rome.

Un jour, à Antioche, pendant que quelques personnages de la communauté chrétienne célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit: « Séparez Saul et Barnabé, pour l’oeuvre dans laquelle je les ai pris pour auxiliaires, Segregate mihi Saulum et Barnabam, in opus ad quod assumpsi eos. » Quelle n’est donc pas, mes chers enfants, la dignité du missionnaire! Il est l’auxiliaire du Saint-Esprit; le Saint-Esprit est descendu en langues de feu dans son âme. Ce sera, si vous le voulez, un instrument bien faible entre les mains du Saint-Esprit, comme la mâchoire d’âne entre les mains de Samson, mais ce n’en sera pas moins l’auxiliaire du Saint-Esprit.

Saint Paul, renversé sur le chemin de Damas, n’était point chrétien pour cela, il faut qu’il soit baptisé, inondé du Saint-Esprit; mais, pour qu’il puisse amener les Gentils à la vraie foi, il lui faut quelque chose de plus, il a besoin du caractère épiscopal qui est indiqué dans ces mots des Actes: « Jejunantes et orantes, imponentesque eis manus: alors, ayant jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains. » Saul, Barnabé et Jean, surnommé Marc, s’embarquent donc à Séleucie et font voile vers l’Ile de Chypre. A Paphos ils rencontrèrent le sorcier Elymas, auquel saint Paul adresse quelques paroles assez vigoureuses dont nous parlerons tout à l’heure.

Ce qu il faut avant tout remarquer, c’est la manière dont les apôtres vont droit à l’ennemi. Paphos était une ville consacrée à toutes les turpitudes de Vénus, aux débauches les plus infâmes et aux voluptés les plus effrénées. C’est là un grand, un immense obstacle à la foi, car l’homme qui s’abandonne au plaisir des sens devient tout à fait incapable de comprendre les choses de Dieu: « Animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei: l’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu. » Aussi n’est-il pas étonnant qu’un homme qui a de mauvaises moeurs soit ennemi acharné de la religion. Pour moi, quand je vois un homme qui se traîne dans la fange d’une grossière immoralité s’en prendre à la doctrine de Jésus-Christ, je vous avoue que c’est pour moi la plus grande preuve, la confirmation la plus évidente de ma foi.

A Paphos, donc, saint Paul se trouve en face d’un sorcier, Elymas, dans lequel se personnifie le diable, second obstacle à la religion, le diable qui sera toujours l’ennemi de Dieu et de ses saints.

Mais puisque je vous parlais des paroles que lui adresse saint Paul, paroles que n’approuveraient certainement pas ni le Journal des Débats ni la Revue des Deux Mondes, écoutez:

« O homme plein de tromperie, lui dit-il, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de détruire les voies droites du Seigneur? »

Qu’en pensez-vous?… Evidemment saint Paul n’était pas du XIXe siècle et n’avait pas lu la Revue des Deux-Mondes. Imaginez-vous, aujourd’hui, M. Louis Veuillot venant parler sur ce ton à M. Buloz et compagnie; quels cris de réprobation ne soulèverait-il pas!

Saint Paul parvint-il à convertir ce sorcier? Les uns l’affirment, les autres le nient; le fait est qu’il le rendit aveugle pour un certain temps: usque ad tempus.

Il est douteux que les apôtres aient converti beaucoup de gens à Paphos, ils y convertirent cependant un étranger, le proconsul Sergius Paulus. On a prétendu à tort que ce Sergius Paulus n’était pas proconsul, que c’était là une erreur des Actes des Apôtres, mais qu’il était propréteur, ce qui est faux; mais nous n’avons pas à entrer dans cette discussion. La tradition ajoute que ce même Sergius Paulus fut le premier évêque de Narbonne. Cette conversion réjouit tellement Saul que c’est, dit-on, à partir de ce moment qu’il changea son nom en celui de Paul; mais il pouvait y avoir aussi pour l’Apôtre une autre considération, c’est qu’en prenant ce nom il se mettait sous la protection de la famille Paula AEmilia, si puissante à Rome.

Les apôtres continuèrent leurs voyages, mais quand ils débarquèrent en Asie Mineure Jean-Marc se sépara d’eux et revint à Jérusalem. C’est une chose triste de voir combien mettent la main à la charrue, et aussitôt après regardent en arrière et perdent courage. Ils ont bien commencé et ne savent pas bien finir. Jean-Marc, il est vrai, revint plus tard, et je ne sais, en effet, s’il faut toujours repousser ces natures faibles et indécises. Saint Benoît dit qu’il faut recevoir les religieux jusqu’à trois fois.

De Pergen, en Pamphylie, saint Paul et saint Barnabé vinrent à Antioche de Pisidie, au pied du mont Taurus. Là, saint Paul prononça un discours devant les fidèles, et si l’on compare ce discours avec le premier que prononça saint Pierre à Jérusalem le jour de la Pentecôte, on n’aura pas de peine à reconnaître la fausseté de l’assertion par laquelle on a prétendu dernièrement constater une opposition de doctrine entre saint Pierre et saint Paul. C’est absolument la même doctrine, et non pas deux doctrines différentes, comme le voudrait la science rationaliste allemande. Pour reconnaître cette vérité, il n’est pas besoin d’être profond théologien; pourvu que l’on connaisse seulement son catéchisme, la simple lecture des deux discours montre que saint Paul parlait exactement comme saint Pierre. Je ne vous lirai pas le discours de saint Paul qui est très beau, mais très long, vous pourrez le lire vous-mêmes dans les Actes des Apôtres.

Après que saint Paul eut parlé, les Juifs, voyant les foules se presser autour d’eux, furent remplis de jalousie, et attaquèrent la doctrine qu’il venait d’enseigner. Ici, permettez-moi de vous signaler un troisième obstacle qui se joint à l’impureté et aux efforts du diable pour nuire à la religion: ce sont certains chrétiens qui, par leur entête; ment, leur orgueil, leurs mauvais propos, empêchent de produire les fruits que les missionnaires attendaient de leurs prédications.

C’est triste de voir que ceux qui devraient soutenir la religion la renversent, parce qu’ils sont toujours prêts à blâmer, à critiquer, à censurer, à désapprouver. C’est là, pour me servir d’une énergique expression de Pie IX, cette canaille qui n’a de chrétien que le baptême et qui fait plus de mal à la religion que ses plus grands ennemis. Ainsi, je ne passe point pour un admirateur passionné du P. Lacordaire, et cependant je vous avoue que je ne puis que blâmer la conduite de certains catholiques qui se sont précipités avec une étrange fureur contre le P. Lacordaire et l’ont empêché de faire le bien qu’il aurait pu faire.

Cependant, les Gentils se conduisaient autrement et « tous ceux qui étaient préordonnés pour la vie éternelle crurent. » Voilà, certes, un terrible mystère, les jansénistes et les protestants ont étrangement abusé de ces formidables paroles: et crediderunt quotquot erant praeordinati ad vitam aeternam. Il en est pourtant ainsi, et tous ceux qui devaient être sauvés croyaient, la foi descendait chez tous ceux qui étaient préordonnés pour la vie éternelle. Je le répète, c’est là un mystère qui fait trembler, mais, comme le dit saint Augustin: Si tu n’es pas prédestiné, prédestine-toi toi-même en correspondant à la grâce. Or, que de gens, mes chers enfants, manquent à cette correspondance à la grâce! Que de gens abusent de la grâce et profanent le nom de Dieu!

Malgré les dispositions hostiles de tous ces gens qui murmuraient et criaient contre les apôtres, la parole de Dieu se répandait. Ici encore, je vous ferai remarquer ce double travail: d’un côté, disposition à critiquer, à censurer; à blâmer; de l’autre, persistance à fermer l’oreille à tous ces blâmes, à toutes ces critiques pour faire sans relâche l’oeuvre de Dieu.

La première disposition apparaît aujourd’hui chez nous d’une manière évidente. Ainsi le Conseil d’Etat ne peut faire valider un legs en faveur des missions; il faut, au lieu de cette expression: des missions, employer cette autre: Missions extraordinaires, ce qui, vous le voyez, revient à peu près au même. Tandis que ce courant d’opposition, d’erreur, de dénigrement, se glisse dans l’Eglise, il est sans cesse repoussé par le zèle et la constance de ces missionnaires qui viennent troubler les consciences, comme on disait voilà quarante ou cinquante ans dans le parti des libéraux. C’est une des choses qui font la désolation des véritables chrétiens, de voir cet esprit de révolte qui pousse quelques-uns de leurs frères contre leur Mère l’Eglise, et ne cessent de déchirer son sein par leurs dissensions et par leurs disputes.

Or, les Juifs, ajoute le texte sacré, excitèrent des femmes pieuses de qualité et les premiers citoyens de la ville et allumèrent une persécution contre Paul et Barnabé. Voyez encore une fois, mes enfants, comme le diable sait gâter les choses les meilleures. Qu’y a-t-il en effet, de mieux qu’une dévote de qualité? Mais elles sont quelquefois tripoteuses, elles veulent se mêler de tout. Dieu nous préserve de ces sortes de gens! Les Juifs, à l’aide de ces dévotes, chassèrent Paul et Barnabé de leur ville.

Les apôtres suivirent le commandement que Notre-Seigneur leur avait donné et, secouant la poussière de leurs pieds, ils allèrent à Iconium. Les disciples n’en étaient pas moins remplis de joie et du Saint-Esprit, car le Saint-Esprit leur apprenait à ne pas trop s’attrister de ces misères et de ces persécutions.

A Iconium, les apôtres ne trouvèrent pas un meilleur accueil et ils furent persécutés à cause de sainte Thècle, une jeune fille de dix-huit ans, qui avait fait voeu de conserver sa virginité. Bien que sainte Thècle n’ait pas été martyrisée, puisque les lions refusèrent de lui faire le moindre mal et lui léchèrent les pieds, saint Ambroise, plusieurs autres Pères et commentateurs citent sainte Thècle comme la première des martyres. Les supplices n’eurent aucun pouvoir sur cette vierge, de même que sur le disciple vierge saint Jean, qui sortit sain et sauf de l’huile bouillante. Dans l’histoire ecclésiastique, on est toujours témoin de ce fait admirable, que les apôtres, dès le commencement, et après eux leurs successeurs, ont constamment recommandé la virginité. On se demande pourquoi saint Luc ne parle pas de sainte Thècle; mais il faut observer aussi que l’écrivain sacré ne parle pas non plus des persécutions qu’eurent à subir saint Paul et saint Barnabé à Iconium, dont cependant saint Paul a parlé lui-même (II Tim. III, 11).

Ce que nous voyons dans saint Luc, c’est que les deux apôtres vinrent à Lystres et à Derbé, que saint Paul guérit un boiteux de naissance. Bientôt la foule, transportée d’admiration, les prit pour des dieux: Barnabé, qui probablement avait un air majestueux, leur parut être Jupiter; saint Paul, qui avait fait preuve d’éloquence, devait être Mercure: « quoniam ipse erat dux verbi: parce que c’était lui qui portait la parole « . Et déjà le prêtre de Jupiter, qui s’attendait probablement à une bonne collecte, amène des taureaux et apporte des couronnes pour faire des sacrifices à ces dieux. Mais Paul et Barnabé, saisis de douleur, déchirent leurs vêtements, s’écrient qu’ils ne sont pas des dieux, qu’ils sont des hommes mortels comme eux et qu’ils viennent seulement leur annoncer le vrai Dieu.

Il y eut bientôt du changement. Quelquefois Juifs, arrivés d’Antioche à Iconium, dirent à la foule: « Non, certes, ces hommes-là ne sont pas des dieux, mais des imposteurs. Ne les avons-nous pas vus à Antioche et à Iconium? On finit par lapider saint Paul qu’on laissa pour mort.

Dans ce passage, je vois la condamnation d’un grand défaut de notre temps, c’est l’admiration frénétique de certaines gens pour certains prédicateurs. On admire l’homme et on oublie l’admiration due à la parole de Dieu, que l’on doit considérer avant tout dans la parole du prêtre. Savant ou ignorant, habile ou sans art, il est toujours le porte-parole de Dieu: tanquam verbum Dei.

Ces persécutions vous montrent, mes chers enfants, à quoi sont exposés les apôtres, les missionnaires qui se consacrent à la prédication et à la défense de la vérité. Comment! me direz-vous, un missionnaire doit-il s’attendre à tous ces outrages, à tous ces déboires, à toutes ces persécutions? Etre missionnaire est donc quelque chose de bien difficile! Je suis complètement de votre avis, et je vous dirai même: « Si vous voulez être des missionnaires, il faut que vous soyez des anges par la pureté de vos âmes, il faut que vous soyez pleins du Saint-Esprit. Vous, qui avez été confirmés voilà quelques années, et vous depuis quelques mois seulement, il faut que, ayant conservé la force du Saint-Esprit, vous ayez une plus grande abondance de ses dons tout-puissants dans votre coeur. Il faut que les flammes du Saint-Esprit vous poussent sans cesse vers notre divin Sauveur qui devrait être l’objet de l’amour de toute créature humaine, et qui est trop peu connu aujourd’hui pour être aimé comme il faut.

C’est aux missionnaires qu’il appartient, non pas d’aveugler, comme fit saint Paul à Elymas, mais d’éclairer par la communication de la vraie lumière; c’est aux missionnaires d’affermir la plante des pieds à tous ces hommes qui n’ont pas encore appris à marcher dans la voie droite. Il faut rendre à ces genoux courbés par la maladie spirituelle leur ancienne force et leur ancienne vigueur, afin qu’ils les conduisent dans la voie de l’éternité. Il faut leur dire: « Je vous prouverai que je sais souffrir toutes choses pour vous, pour le salut de vos âmes. »

Voilà, mes chers enfants, ce qui est grand, voilà ce qui est beau, voilà ce qui est admirable. Tous les obstacles, qu’ils viennent de la terre, des enfers, des bons, des méchants, n’effrayent point le vrai soldat de Jésus-Christ, ne l’empêchent pas de travailler à l’extension de son règne, où il espère obtenir une place, et c’est la grâce que je vous souhaite.

Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum