OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    XVII
    [LE CONCILE DE JERUSALEM. ACTES, XV.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 325-335.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 GALLICANISME
    1 JUIFS
    1 PAGANISME
    1 PAPE
    2 ARIUS
    2 BARNABE, SAINT
    2 CERINTHE
    2 CLAUDE, EMPEREUR
    2 CORNEILLE, CENTURION
    2 JACQUES LE MAJEUR, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JEROME, SAINT
    2 JUDAS BARSABBAS
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 SILAS
    3 JERUSALEM
    3 NIMES
    3 ROME
  • Collégiens de Nîmes
  • 23 mars 1868
  • Nîmes
La lettre

Nous allons nous occuper aujourd’hui, mes chers enfants, d’un des actes les plus solennels de l’Eglise, un de ces actes qui s’accomplissent de temps en temps pour le bonheur de l’humanité, un de ces actes enfin dont un des hommes les plus remarquables des temps modernes, M. de Maistre, croyait qu’il n’y en aurait plus. Cependant, dans moins de deux ans, nous verrons s’accomplir un de ces actes: je veux parler du Concile.

Nous sommes arrivés au premier Concile de Jérusalem; était-ce un Concile général? On peut bien le considérer comme tel, puisqu’il y avait cinq apôtres, cela vaut bien tous les évêques du monde. Quant à l’opportunité des Conciles, on peut dire de tous ce que Pie IX lui-même disait dernièrement à quelques évêques de celui qui se prépare: non solum perutile, sed necessarium, il est non seulement très utile, mais nécessaire.

On dit quelquefois que les Papes ont peur du Concile. Rien de plus faux; on ne peut pas citer un seul Concile qui n’ait été convoqué par le Pape ou dont les décrets n’aient pas été confirmés par le Pape. Il faut, et je parle ici des Conciles généraux, que le Concile soit présidé par le Pape, et, pour tous les Conciles, il faut l’approbation du Pape. Du moment que le Pape se retire du Concile, ce n’est plus un Concile, mais un conciliabule.

Parmi les raisons qui firent convoquer ce Concile de Jérusalem, vous reconnaîtrez le dogme, la morale, la discipline, la liturgie, c’est-à-dire ce qui fait la matière ordinaire de tous les Conciles. Il y avait à ce Concile: saint Pierre, saint Paul, saint Jacques, saint Jean, saint Barnabé et des évêques, car le mot seniores, que l’on traduit par prêtres, signifie aussi évêques, et à cette époque il est souvent mis pour les mots sacerdos et pontifex.

Quelques-uns des pharisiens qui s’étaient faits chrétiens voulaient imposer la circoncision aux Gentils et les forcer à garder la loi de Moïse. Circoncire, c’est le culte; garder la loi, c’est la discipline. Cette prétention des pharisiens amena une grande discussion, et saint Pierre, prenant la parole: « Vous savez, mes frères, dit-il, que dès les premiers jours Dieu m’a choisi pour que les Gentils entendissent par ma bouche la parole de l’Evangile et pour qu’ils fussent amenés à la foi. » Saint Paul n’est-il donc pas l’Apôtre des nations et saint Pierre peut-il déclarer que Dieu l’a choisi entre tous pour convertir les Gentils? Saint Paul est, il est vrai, l’Apôtre et le Docteur des Gentils; mais saint Pierre est le chef des apôtres, le chef de l’Eglise universelle, et c’est lui qui ouvrira, pour ainsi dire, la brèche de la gentilité, comme nous l’avons vu d’ailleurs dans la conversion de Cornélius et des siens. Il fera ainsi acte de souveraine puissance, il viendra rallier les deux lois, joindre le Nouveau Testament à l’Ancien, et faire des Gentils et des Juifs le même peuple, le peuple de Dieu. Il lui appartenait donc de commencer et d’évangéliser le premier les nations. C’est une nouvelle preuve de l’entente qui existera toujours entre saint Pierre et saint Paul; saint Pierre ne pouvait, en effet, désapprouver ce que faisait saint Paul, puisqu’il l’avait fait le premier.

« Dieu, ajoute Saint Pierre, qui connaît les coeurs, a rendu témoignage en leur communiquant le Saint-Esprit comme à nous, dans illis Spiritum Sanctum, sicut et nobis. Il a donc confirmé ce que j’ai fait d’après son inspiration. Il n’y a pas de différence entre les Gentils et nous, et la foi a purifié leurs coeurs: fide purificans corda eorum. » Voilà, en effet, le grand changement: auparavant il y avait la purification légale, la purification par les sacrifices, par l’immolation des victimes; maintenant, ce qu’il faut avant tout, c’est la purification du coeur, purification qui se fait par le baptême, lequel est applicable à tous.

« Pourquoi tenter Dieu? ajoute saint Pierre. Pourquoi vouloir imposer à ces nouveaux convertis un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter, quod neque patres nostri, neque nos portare potuimus? » Nous voyons déjà dans l’Evangile Notre-Seigneur reprocher à ces mêmes pharisiens d’imposer aux autres des fardeaux qu’ils ne voudraient pas même remuer avec leur doigt. Ainsi cette loi dont les Juifs étaient si fiers, et dont les pharisiens étaient si orgueilleux, cette loi imposée comme un titre et un titre de mort puisqu’on l’observait si peu, c’est la foi en Jésus-Christ qui en délivrera et en affranchira les peuples. Aussi saint Paul nous dit « qu’il n’est permis à personne de poser un autre fondement que celui qui a été posé, Jésus-Christ: Fundamentum enim aliud nemo potest ponere, praeter id quod positum est Christus Jesus. » (I Cor. III, 11.)

Quand saint Pierre eut fini de parler, toute la multitude se tut par respect, et la preuve que ce silence était un respect, c’est qu’en même temps ils écoutaient très attentivement le récit de Paul et de Barnabé qui leur racontaient tous les miracles et tous les prodiges que Dieu, par leur entremise, avait opérés parmi les Gentils. Ensuite saint Jacques, l’évêque de Jérusalem, se leva et prit la parole. Pourquoi cela? Le jugement porté par saint Pierre ne suffisait-il pas? Ce jugement du prince des apôtres était mille fois suffisant, mais, par un acte de condescendance, il permet aux autres de donner leur avis. Avec les apôtres étaient réunis des évêques et des prêtres. Ces derniers représentaient les théologiens des Conciles actuels. Ces théologiens n’ont pas voix délibérative; mais les évêques ont voix délibérative. Quant à saint Jacques, en sa qualité d’évêque de Jérusalem. il était plus particulièrement, pour me servir d’une expression fausse, mais si souvent employée aujourd’hui, le représentant des Juifs. Va-t-il conclure en faveur des Juifs contre les Gentils? Point du tout. Il est donc évident que la proposition de saint Pierre est adoptée à l’unanimité, puisque saint Jacques, principal représentant des Juifs, est d’un avis opposé à celui des Juifs eux-mêmes.

Quant à saint Jean, il ne dit rien; il accepte donc aussi la décision de saint Pierre. Puisque les apôtres s’accordent si bien entre eux, pourquoi prétendre, comme on l’a fait, qu’ils se sont disputés? Mais il y a une parole de saint Jacques qui a attiré l’attention des jansénistes et des gallicans. Saint Jacques dit en finissant: « propter quod ego iudico, c’est pourquoi je juge. » Cette parole de saint Jacques a soulevé une foule de thèses gallicanes contre la primauté de saint Pierre. Qu’y a-t-il pourtant d’étonnant dans cette parole? N’est-il pas reconnu par tous les catholiques que les évêques sont juges dans l’Eglise?

Les apôtres et toute l’Eglise, représentée au Concile, résolurent d’envoyer à Antioche, avec Paul et Barnabé, Judas, surnommé Barsabas, et Silas, pour dire aux Gentils: « Nous avons appris que quelques-uns, sortis de nos rangs, vous ont troublés par leurs paroles, renversant vos âmes sans que nous leur en ayons donné la permission. » Ainsi, dès le commencement de l’Eglise, nous voyons des gens qui se mêlent toujours de ce qui ne les regarde pas. Cette peste n’est point nouvelle dans l’Eglise, elle s’y est manifestée dès les premiers jours. Nos bons frères séparés, les protestants, né sont pas les seuls à être animés de cet esprit d’intrigue et d’opposition. Quel est le catholique qui ne se mêle de critiquer le sermon du curé? Quel est le bourgeois de Nîmes qui ne trouve à redire au mandement de Monseigneur? Que ne fait-on de cette manière, disent-ils, pourquoi s’expose-t-on à ces inconvénients? Ces gens-là ne sont jamais contents, jamais satisfaits. C’est ainsi, mes chers enfants, que l’Eglise marche à travers les satires, les moqueries, les dénigrements de toute espèce.

Certes, une petite pointe d’opposition a souvent son avantage, et si les pharisiens n’avaient point poussé si loin leurs prétentions, le Concile de Jérusalem ne se serait pas tenu. Mais lorsque cette opposition va jusqu’à l’excès, elle enfante des hérésies, et c’est ainsi que prit naissance l’hérésie de Cérinthe. Remarquez comme l’Eglise s’avance à travers les siècles dans sa magnifique beauté sans tenir compte des murmures et des reproches que lui adressent ses enfants.

Ce Concile fut tenu, selon le calcul de saint Jérôme, l’an 51; selon d’autres, l’an 7 du pontificat de Rome. Mais, dira-t-on, si saint Pierre gouvernait Rome depuis sept ans, comment se trouvait-il à Jérusalem pour présider le Concile? La réponse est bien simple: l’empereur Claude, effrayé de l’agitation juive, motivée sans doute par l’accroissement de la religion chrétienne à Rome, avait publié un édit par lequel il chassait tous les Juifs de Rome. Plusieurs d’entre eux étaient chrétiens, mais l’empereur ne discernait pas les uns des autres. Il est bien juste ici d’admirer le fait providentiel qui a réuni si à propos les cinq apôtres à Jérusalem, et qui a permis cette corrélation de la persécution des chrétiens par Claude avec les exigences de pharisiens à l’égard des Gentils d’Antioche pour aboutir à un Concile.

Cette discussion, avons-nous dit, eut lieu à propos de la circoncision. Les apôtres déchargent les Gentils de cette vaine formalité, car, ainsi que le dit saint Paul en plusieurs de ses Epîtres, si la circoncision eût été maintenue dans la nouvelle loi, il n’aurait servi de rien que Notre-Seigneur eût été crucifié. Mais ce qu’on ordonne aux nouveaux convertis, c’est de s’abstenir des viandes immolées aux idoles, pour ne point paraître participer à l’idolâtrie. C’est là une question de dogme au premier chef, elle est résolue dans la première proposition du premier des Conciles.

En second lieu les apôtres imposent aux Gentils l’obligation de s’abstenir du sang et des viandes étouffées, sanguine et suffocato. C’est là un décret disciplinaire qu’il importe de ne pas confondre avec les décrets dogmatiques qui ont une bien plus grande importance. Enfin, ils leur recommandent d’éviter la fornication, car, ainsi que je vous l’ai dit, le monde païen était si corrompu que les fornicateurs passaient pour de très honnêtes gens. Tout cela est promulgué en face du paganisme en quatre mots.

Tous les Conciles généraux sont calqués sur ce premier Concile de Jérusalem; c’est un modèle dont l’Eglise ne s’est jamais écartée.

Mais, dira-t-on, le Concile qui se prépare actuellement est-il bien nécessaire? Cette question regarde le Saint-Esprit, vous répondrai-je, c’est son affaire.

Mais, ajoutera-t-on, est-ce que Pie IX est raisonnable de vouloir réunir un Concile dans une ville où il ne sait pas s’il restera jusqu’à l’année prochaine? Cette considération pourrait-elle être de nature à arrêter le Pape? Si ce n’est pas Pie IX, ce seront ses successeurs qui réuniront le Concile et en recueilleront les fruits.

Mais voici une autre question: Que ferat-on à ce Concile? Et qu’a-t-on fait à celui de Nicée? Ce qui était convenable assurément au temps d’Arius. Qu’a-t-on fait au Concile de Trente? Ce qui était convenable contre le protestantisme. De même, dans le futur Concile, on fera ce qu’il importe de faire contre la révolution, les idées modernes d’indépendance absolue et d’indifférence.

Que sais-je encore? Ce sera surtout le triomphe du Syllabus, oui, de ce Syllabus qui a excité tant de cris, tant de récriminations parmi les libres penseurs.

Ce Syllabus verra ses décisions confirmées et plus triomphantes que jamais, et avec ce Syllabus, Pie IX aussi triomphera, et avec Pie IX la cause de Dieu.

Et si ce n’est Pie IX ce sera son successeur. Voyez, par exemple, le Concile de Trente, n’a-t-il pas été réuni et présidé par plusieurs Papes successifs?

Enfin, dans le futur Concile, il est à peu près certain qu’on réglera la question des Ordres religieux. Il y a de très importantes modifications à introduire. Sans doute, les trois voeux de pauvreté, chasteté et obéissance subsisteront toujours; mais il faudra régler les rapports des Ordres religieux avec la vie civile et les gouvernements.

Souvenez-vous bien de ce que je vous dis: quant au dogme, on pense généralement que l’infaillibilité du Pape sera proclamée comme dogme.

Ce qui est indubitable, c’est qu’on travaillera à rendre la société plus chrétienne, et que le Pape et les évêques n’épargneront rien pour relever les peuples de l’affaissement dans lequel ils se laissent aller.

Remerciez Dieu, mes chers enfants, de vous avoir fait vivre à un moment où vous pourrez voir de si grandes choses, et demandez-lui, par de ferventes prières, de donner à ses représentants, le Pape et les évêques, cette énergie qui faisait dire au maréchal Soult, lorsqu’on lui reprochait de ne pas savoir choisir les évêques parmi les personnages dévoués au gouvernement: « Nous les choisissons bien parmi nos créatures, répondait-il, mais ils n’ont pas plus tôt reçu le Saint-Esprit qu’ils ont le diable au corps. »

Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum