OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUATRIEME CONFERENCE DONNEE LE 8 NOVEMBRE 1870.
    AVENEMENT DU REGNE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST.
  • Prêtre et Apôtre, X, n° 108, février 1928, p. 42-47.
  • DA 43; CN 1; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ACTION SOCIALE
    1 ADORATION
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 ADVENIAT REGNUM TUUM
    1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR DU PAPE
    1 APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ATHEISME
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 CARACTERES DE L'APOSTOLAT
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CHARITE APOSTOLIQUE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CLASSES SOCIALES
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 COMBATS DE L'EGLISE
    1 COMMUNISME
    1 CONSERVATEURS ADVERSAIRES
    1 CRITERES D'ADMISSION AUX VOEUX
    1 DEFENSE DES DROITS DE DIEU
    1 DEPENDANCE DES SUJETS DU ROYAUME
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 DROITS DE DIEU
    1 EGLISE
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 ENNEMIS DE LA RELIGION
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT DE L'EGLISE
    1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
    1 EVANGELISATION DES PAUVRES
    1 EXAMEN
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FEMMES
    1 FILLE DE L'EGLISE
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST EPOUX DE L'AME
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LARGEUR DE VUE APOSTOLIQUE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAITRISE DE SOI
    1 MAUX PRESENTS
    1 MONDE ADVERSAIRE
    1 MOTIFS DE L'APOSTOLAT
    1 NOTRE RAISON D'ETRE
    1 OEUVRE DE JESUS-CHRIST
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX
    1 PAIX INTERIEURE DE L'APOTRE
    1 PAUVRE
    1 PAUVRETE DE JESUS-CHRIST
    1 PERFECTION
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PLANS D'ACTION
    1 POIDS DE DIEU
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 QUATRIEME VOEU DES ASSOMPTIADES
    1 QUATRIEME VOEU DES ASSOMPTIONNISTES
    1 REGLE DE SAINT AUGUSTIN A L'ASSOMPTION
    1 REGNE
    1 REGNE DE VERITE
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 REVOLTE
    1 ROI DIVIN
    1 SAINTETE
    1 SENTIMENT DES DROITS DE DIEU
    1 SERVICE DU ROYAUME
    1 SOUMISSION DES SUJETS
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 TEMOIN
    1 TRANSFORMATION SOCIALE
    1 VERTU DE PAUVRETE
    1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VOCATION
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEU DE PAUVRETE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 GUILLAUME I, EMPEREUR
    2 JOB, BIBLE
    2 LUC, SAINT
    2 MARIE DE JESUS DE AGREDA
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 NAPOLEON Ier
    2 PAUL, SAINT
    2 THERESE, SAINTE
    3 AUTEUIL
    3 FRANCE
    3 REIMS
    3 SEDAN
  • Religieuses de l'Assomption
  • 8 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur. -Quel chrétien ne dit pas: Adveniat regnum tuum?

1° Comment devons-nous comprendre le règne de Dieu?

2° Comment devons-nous le procurer?

I. Que doit être le règne de Dieu pour nous?

1° La reconnaissance de Dieu, souverain Maître, souverain Roi du monde. Qui y songe? Et pourtant le problème social est là. La propriété universelle de Dieu sauvera toute guerre entre les pauvres et les riches, mais on n’y songe pas.

Besoin d’adorer. Droits que Dieu seul a d’être adoré en face de l’homme qui veut s’adorer lui-même. Questions immenses soulevées aujourd’hui.

2° Le règne spécial de Jésus-Christ. Droits de Jésus-Christ sur les peuples, sur les âmes, sur la société spirituelle de l’Eglise, son grand royaume. Où en sommes-nous à ce point de vue?

II. Que faire pour procurer le royaume de Dieu et de Notre- Seigneur Jésus-Christ?

1° Proclame les droits de Dieu. Mission admirable des religieux placés entre les riches et les pauvres, à condition de pratiquer le désintéressement.

2° Action par l’adoration. Que faut-il entendre par cette adoration

3° Royaume de Jésus-Christ. Avons-nous à travailler directement pour rendre les sociétés chrétiennes? Non, en ce moment, s’il s’agit de politique humaine; oui, s’il s’agit de la société elle-même, des moeurs sociales à rendre chrétiennes. Evidemment, à ce point de vue, il y a beaucoup à faire; il y a à étudier les grands principes, à les propager par l’éducation.

4° Action sur les âmes. Faire connaître Jésus-Christ, faire aimer Jésus-Christ dans les familles. Adoration du Saint Sacrement. Aumône spirituelle. Direction.

5° Le grand royaume de Jésus-Christ: l’Eglise. Beauté de la mission de ceux qui étendent le règne de Dieu et de Jésus-Christ.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Nous avons commencé par poser la question de la perfection. C’est, en effet, celle qu’il faut tout d’abord adresser à des religieuses. On ne vient en religion que pour chercher à devenir parfaites. En commençant d’examiner le caractère particulier de votre Congrégation, il est utile de mettre immédiatement en avant le grand principe: qui sera le moyen de votre perfection? et, sortant de votre personnalité, par la pratique de la première parole de la Règle de saint Augustin: Avant toutes choses que Dieu soit aimé et puis le prochain, dont le commentaire se trouve dans notre devise Adveniat regnum tuum. Il faut voir en quoi consiste l’avènement du royaume de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est le sujet que je veux traiter aujourd’hui en admettant que chacune de vous voudra bien me dire ce que j’omettrai, car je me sens incapable de tout embrasser.

Deux divisions se présentent à mon sujet:

1° Que doit être le règne de Dieu pour vous?

2° Comment devons-nous procurer l’avènement du royaume de Jésus-Christ?

Le sujet que j’aborde est important pour vous, mes Soeurs, car puisque nous avons donné ce cachet à la Congrégation, puisque nous avons pris une devise, il faut la mettre en pratique. Je me rappelle que lorsque, impasse des Vignes, nous parlions avec votre Mère générale de ces commencements, la devise Adveniat regnum tuum fut proposée par moi. Elle m’avait frappée chez les Soeurs de Marie-Thérèse par sa beauté et sa profondeur. Je ne sais si chez les Soeurs de Marie-Thérèse la vie est à la hauteur de cette parole, mais quant à nous, mes Soeurs, resterons-nous toujours au-dessous de ce qu’il faut faire pour procurer cette gloire à Dieu? Je crois que l’intelligence de cette parole est d’une grande application au temps présent.

Que doit être le règne de Dieu?

A) Première proposition: La proclamation des droits universels de Dieu. Ces droits sont plus que jamais méconnus par toutes les erreurs du temps présent. Mais remarquez que ces erreurs, qui sont excessives, qui touchent à l’extrême négation, atteignent en même temps l’extrême vérité (athéisme, fatalisme). Les erreurs pullulent de nos jours, elles chassent Dieu de partout. Le monde répète la parole du livre de Job (XXI, 14): « Qui dixerunt Deo: recede a nobis. Retirez-vous de nous. » Et, mes Soeurs, de même qu’on chasse les princes de la terre de leurs trônes, de même les impies veulent bannir Dieu du ciel. Plus de Dieu! A bas Dieu! C’est le dernier mot de l’athéisme; c’est le cri qui a retenti dans Paris au sein du monde impie. Et après cela il n’y aurait pas dans l’armée de Dieu des guerriers et des guerrières qui rendent à Dieu ses droits! Comprenez-vous l’opportunité de l’Assomption? Vous rendez- vous compte pourquoi vous êtes religieuses de l’Assomption? Je vous le dis: Pour rendre à Dieu ses droits, pour établir la proclamation du règne de Jésus-Christ.

Le problème social est là, mes Soeurs. On n’y songe pas assez, on ne cherche pas la solution là oû elle se trouve. Les droits de Dieu impliquent la reconnaissance de la propriété souveraine de Dieu. Domine est terra et plenitudo ejus. (Ps. XXIII, 1.) Le communisme détruit cet ordre; il soustrait au Maître ses droits souverains.

Les riches disent: « Les biens sont à nous »; les pauvres: « Ils ne sont à personne. » Ces erreurs procèdent de la négation de Dieu. C’est la lutte éternelle entre le pauvre et le riche sur la propriété des biens; elle durera tant que les droits de Dieu ne seront pas proclamés. Sentez-vous le problème social avec ses difficultés insurmentables, la lutte entre celui qui a et celui qui n’a pas! Et tous deux qui disent: « Ces biens sont à moi, parce qu’ils appartiennent à tous! » Question insoluble. Dieu seul peut la trancher. Qu’il vienne avec ses droits de Maître souverain et qu’il dise: C’est à moi. Je donne aux riches comme à mes fermiers, et je veux que les riches donnent aux pauvres, et je veux que les pauvres ne volent pas. Ils me nuisent en chassant mes fermiers, car c’est moi qui suis le propriétaire, c’est moi qui distribue librement le fermage de mes biens. »

La proclamation universelle des droits de Dieu, qu’est-ce, mes Soeurs? C’est d’abord l’adoration, la reconnaissance de son souverain domaine sur toutes choses.

La grande négation de ce premier commandement est la vraie cause de tous nos bouleversements sociaux. Les peuples ne veulent pas de Dieu, et voilà le communisme qui les frappe. Les gouvernements le chassent aussi, et Dieu se venge sur les princes et les rois. L’ordre ne reviendra que lorsque Dieu sera adoré. Les rois veulent être Dieu. Tous en sont là, un peu plus, un peu moins. Je ne dis pas que Guillaume et Napoléon soient athées; mais s’ils ne le sont pas en principe, ils le sont pratiquement, leur gouvernement est athée. Les rois osent dire à Dieu: « Ote-toi de là », et voyez la contre-partie: les peuples le disent aux rois. Pour que l’ordre se rétablisse, il faut replacer Dieu sur son trône.

Alors vous dites: « Mon Dieu, je vais consacrer ma vie à vous rendre votre trône extérieur, pas celui du ciel, personne ne peut vous le ravir, mais celui de la terre; il est entre les mains des méchants, je me dévoue à vous y replacer, je veux employer toute ma vie à cela, » Belle oeuvre, mes Soeurs! Grande mission qui peut occuper et remplir toute une vie. Vous comprenez alors ce que c’est que de travailler à adorer Dieu et à le faire adorer.

Mais c’est la vie des séraphins! C’est le grand cri de l’Eglise dans les premières paroles de son Office: Venite, adoremus. Car remarquez, mes filles, que nous autres, dans nos dévotions, nos principes, nous sommes tout bonnement catholiques. Laissons à d’autres les beaux systèmes, les belles comparaisons, il faudra toujours revenir au Pater noster. Nous prenons ces quelques mots: Adveniat regnum tuum. Ce n’est pas nous qui les avons découverts, pas nous qui les avons inventés -c’est vieux comme l’Evangile, – mais nous avons la prétention d’en tirer des conséquences applicables au temps présent pour le rétablissement de l’adoration de Dieu. Si la France adorait un peu plus, nous n’en serions pas où nous en sommes. De là un travail à faire: en quoi consiste l’adoration que nous devons rendre à Dieu pour expier le crime de ceux qui ne l’adorent pas et de quelle utilité ne seront pas les âmes qui se dévouent à rétablir le règne de Dieu?

B) Ce règne peut d’abord être considéré sous un point de vue: la royauté de Jésus-Christ. Postula a me, et dabo tibi gentes hacreditatem tuam (Ps. II, 8.) Les psaumes, les prophètes, l’Apocalypse sont pleins de cette royauté du Christ. Vous savez les paroles: Data est ei corona, et exivit vincens ut vincemet. (Apoc. VI, 2.) Habet in vestimento et in femore suo scriptum: Rex regum et Dominus dominantium. (Apoc. XIX, 16). Il est le Roi des rois: Autrefois, Jésus-Christ était le Roi des peuples et des sociétés, quand elles étaient chrétiennes; il ne l’est plus aujourd’hui. Je ne veux pas examiner cette question à un point de vue politique. Il y a là une triste contre-partie, et, à la manière dont les choses vont, vraiment nous nous en sommes bien trouvés! Il semble que ce soit une conspiration dans le monde pour abolir cette royauté de Jésus-Christ. Nolumus hunc regnare super nos. (Luc. XIX, 14.)

Je passe au second caractère, Jésus-Christ est le Roi des âmes. Chaque âme est un royaume qui lui appartient en tant que l’homme est un petit monde, et Jésus-Christ règne sur chaque âme. Ici, l’extension du règne de Jésus-Christ implique quelque chose de très spécial pour votre perfection. Il faut qu’il règne sur nous; avant que nous puissions le faire régner sur les autres, il faut qu’il soit réellement notre Roi. Nous lui donnerons d’autant plus la royauté sur les âmes que nous aurons établi la sienne dans notre âme.

Considérons ce qu’il y a de fort et de puissant dans cette pensée, que Jésus-Christ est notre Roi. Rappelez-vous que si Jésus-Christ s’abaisse à prendre une petite religieuse pour épouse, c’est le Roi qui vient pour faire ses noces éternelles. C’est celui pour qui il est dit: Attollite portas principes vestras, et elevamini portae aeternales: et introihit rex gloriae. (Ps. XXIII, 7.) Quel est celui-là qui vient au-devant de l’épouse dans la majesté de son rang? C’est le Roi. Il est Roi avant de devenir Epoux. Vous êtes devenue sa sujette le jour où vous avez été baptisée dans son sang, et si, depuis, il a daigné tendre sa main vers vous pour une alliance sacrée, ne l’oubliez pas, il est toujours Roi.

De là procèdent des devoirs pour vous, devoirs d’obéissance, de respect; des rapports intimes fortifiés, adoucis par les sentiments de l’épouse. Mais avant tout vous êtes reines, comme épouses du Roi. Voyez donc le caractère très haut, très pur, très saint, très relevé d’une religieuse épouse de Jésus-Christ, d’un Roi. Je vous invite à être reines, à prendre des sentiments royaux.

Et d’abord, régnez sur vous-même, régnez sur votre âme. Regnum Dei intra vos est. (Luc. XVII, 21) Soyez maîtresse de vous-même; autrement, on reçoit mal son Roi dans une âme en désordre, qui oublie que son Epoux vient pour régner sur elle. Avant de travailler à faire régner Jésus-Christ sur les autres, faites-le donc régner sur vous-même. Rendez-vous compte qu’avec le royaume extérieur il y a aussi le royaume intérieur. Vous êtes dans l’obligation absolue d’établir en vous le plus beau, le plus ordonné de tous les royaumes, d’en observer les lois, en vous souvenant que, dans ce royaume, les conseils deviennent des lois. Ainsi toute perfection sera établie en vous, en faisant véritablement régner votre Epoux dans votre âme.

Que dirai-je de l’honneur de travailler à l’extension du royaume de Dieu dans la grande société qu’est l’Eglise? Dans les temps passés on ne prêtait pas une si grande attention à la mission des femmes: l’action était réservée aux hommes. Sans doute, on a vu sainte Thérèse, Marie d’Agréda et d’autres exercer une influence sur leur société, mais l’action directe des femmes est de nos jours beaucoup plus acceptée, c’est incontestable. Les Papes favorisent l’apostolat des couvents de femmes, et l’on peut y voir une pensée du Saint-Esprit. La conscience de ce travail est dans votre Congrégation, vous devez étendre le règne de Jésus-Christ non seulement dans les âmes, mais aussi dans l’Eglise, la grande épouse de Jésus-Christ. Voyez la place que vous occupez dans l’église de Jésus-Christ.

Il dépend de vous, mes Soeurs, de votre dévouement à la cause de l’Eglise.

Je voudrais vous donner un certain esprit. Ici je ne ferai que l’indiquer; c’est à votre Mère générale de compléter ce que je dirai et d’en faire l’application. C’est le moment, mes Soeurs, de faire une guerre complète à la personnalité par un dévouement sans bornes à la cause de Jésus-Christ. Qu’il ne soit vraiment plus question de personnalité, d’égoïsme, d’individualité; nous sommes indignes de notre mission si nous conservons quelques sentiments rétrécis. C’est ici le cas de dilater votre coeur. Dilatamini et vos, dit saint Paul (II Cor. VI, 13); ouvrez-le aux nobles inspirations; oubliez-vous totalement. Des sentiments étroits, mesquins, personnels devant une oeuvre si grande, je dis que c’est abominable, mes Soeurs, passez-moi le mot; et encore plus, si vous considérez dans votre vocation religieuse l’appel à faire le quatrième voeu d’étendre le règne de Jésus-Christ dans les âmes.

Dieu vous fait cet insigne honneur et vous lui présenteriez un coeur resserré, plein de vous-même? Oh! non, dilatamini et vos! Prenez un coeur grand comme l’Eglise, cet océan immense où Dieu a mis tous ses trésors. Ce que Dieu aime le plus, c’est l’Eglise; il lui a donné ses élus. L’Eglise, c’est l’Epouse de Jésus-Christ; plus encore, elle est le résumé de tous les saints et de toutes les épouses de Jésus-Christ; elle est l’oeuvre merveilleuse par excellence. Et votre coeur ne sortira pas de son étroitesse? Et vous ne marcherez pas au-devant de l’immolation? Ah! nous aurons patience pour les coeurs rétrécis qui hésitent encore à se donner, mais nous ferons tout ce que nous pourrons pour animer les âmes à un saint zèle. Je laisse le commentaire pratique à votre Mère, mais il faut l’oubli de soi, adorer Dieu, se donner, prêcher d’exemple.

Je vais tirer de ce qui précède une conséquence qui vous paraîtra sévère. Puisque l’honneur fait à une religieuse par le quatrième voeu est tel, il faut examiner beaucoup avant de permettre de le prononcer. C’est un honneur merveilleux, et il n’est pas donné à tout le monde de le porter.

D’autre part, c’est chose trop grave dans la Congrégation pour qu’on puisse l’accorder sans toutes les dispositions, les préparations convenables.

Une petite religieuse personnelle, pleine de soi, tout en étant fort aimable, est incapable de prononcer le quatrième voeu.

II. Que faire pour procurer le royaume de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

1° Proclamer les droits de Dieu entre le pauvre et le riche. Vous n’avez pas beaucoup de rapports avec les pauvres, mais quelle mission admirable vos oeuvres vous fournissent auprès des riches! Vous avez une puissance merveilleuse pour aborder cette question. Quelle sera cette puissance! Votre voeu de pauvreté, mes Soeurs. L’amour de la pauvreté volontairement acceptée vous permet de dire aux riches: « Le bonheur n’est pas dans les richesses »; aux pauvres: « Je trouve le bonheur à n’avoir rien.

Il y a une conséquence à tirer dans les temps présents, c’est la nécessité pour une religieuse de rendre un réel service à la société en se plaçant avec un grand désintéressement entre les riches et les pauvres. Je vais vous donner un exemple. Voyez ce que les Congrégations religieuses font pour les blessés en ce moment. Pour le peuple, les gens grossiers, cela paraît admirable. Au point de vue surnaturel, une Carmélite dans son cloître jeûnant, priant, se donnât la discipline, fera plus, je vous l’accorde. Mais il est évident, quant à l’action directe sur les hommes, que les Soeurs hospitalières qui se dévouent au soulagement des maux présents, ont apaisé la colère des méchants contre les riches. Vos Soeurs elles-mêmes à Sedan, à Auteuil, à Reims, ont travaillé à cette grande oeuvre; elles ont leur influence dans cette grande lutte des pauvres contre les riches et aussi dans les dispositions si antichrétiennes des riches contre les pauvres. Ils veulent, dans une certaine mesure, le rétablissement de l’esclavage par la destruction des liens de charité qui unissent tous les hommes comme des frères.

Votre mission, mes Soeurs, sera de prêcher le royaume de Dieu, de dire: « Le royaume de Dieu n’est pas dans la richesses. Vous qui la possédez, ne cherchez pas là le royaume de Dieu. Vous qui êtes les déshérités de la fortune, n’enviez pas ce qui ne vous donnera pas le bonheur. Le bonheur n’est que dans ce royaume où Dieu veut être la récompense infinie de ceux qui le servent: Ego sum merces tua magna nimis. » (Gen. XV, 1.) Voyez-vous comment la pratique sincère de la pauvreté peu faire un bien infini dans la société, où une haine incessante s’allume sous l’instigation des appétits matériels et souffle la désunion entre les hommes. Si vous pouviez en douter, considérer Jésus-Christ. Qu’a fait Notre-Seigneur? Il s’est fait le plus pauvre de tous au milieu d’une société abîmée dans le matérialisme du luxe et du plaisir. Il convenait qu’il en fut ainsi, car là était sa puissance pour relever le monde. Il y avait alors un plus grand travail social à faire que même aujourd’hui. Pourquoi prendriez-vous d’autres moyens que ceux de Jésus-Christ et des apôtres?

Il faut voir comment vous vous y prendrez. Mettrez vous, au nom de votre pauvreté volontaire, entre le riche et le pauvre, mais au-dessus de tout, mettez la pensée de Dieu!

Avoir une action par l’adoration. Je vous ai déjà parlé de l’adoration. Il y a deux manières de la comprendre: L’une extérieure, l’autre tout intérieure embrassant l’ensemble des relations intimes avec Dieu et dont tant de religieuses n’ont pas d’idée précis. On prie, on communie, on va devant le Saint Sacrement, on récite l’Office, mais ce sentiment profond de l’adoration devant la majesté de Dieu, on ne l’a pas toujours; ou bien, si on l’a, il s’en va constamment de nous. Je ne sais s’il y a une exception parmi les religieuses de l’Assomption, mais je connais un de nos religieux qui est obligé de se reprendre plusieurs fois par jour pour demeurer dans cet état d’adoration.

Adorer, c’est se mettre sous le poids de Dieu. Entendez-vous bien, mes Soeurs. Et qu’est-ce à dire, le poids de Dieu? Qui le dira? Se perdre en Dieu, s’anéantir sous le fardeau de sa gloire, rester néant devant sa face, reconnaître le tout de Dieu. Une religieuse de l’Assomption qui aurait la vocation de la contemplation a là un vaste champ à parcourir: elle adore, elle marche à la suite des prophètes.

Etendre le royaume de Jésus-Christ dans la société. Je me pose cette question. Avez-vous à travailler directement à ce royaume pour rendre les sociétés chrétiennes? Non, s’il s’agit de politique humaine; oui, s’il s’agit de réformer les moeurs sociales, de les rendre chrétiennes. Evidemment à ce point de vue, il y a beaucoup à faire; il y a à étudier les grands principes chrétiens, à les propager par l’éducation.

De même qu’une pierre n’est qu’un assemblage de grains de poussière agglomérés, de même la société se compose de grains d’une poussière animée qui sent les hommes. Vous travaillez à perfectionner un de ces grains de poussière, vous contribuez ainsi à la beauté de tout l’édifice. Ce sera peu de chose: vous aurez trois, quatre petites filles, cent, peut-être, dans quelques couvents; je dis que cette influence sera suffisante pour faire pénétrer le sentiment de Dieu dans la société et que, pour arriver à ce résultat, il faut que vous-mêmes ayez très fortement imprimé dans votre coeur le sentiment de l’adoration.

Mes Soeurs, dédommageons Dieu si méconnu, si ignoré, en le faisant adorer par les autres. Vous le ferez si vous êtes vous-mêmes pénétrées de cette nécessité de l’adoration, de cette vérité que tous les maux sociaux reposent sur la négation du tout de Dieu. Le niveau des moeurs monte à mesure que la pensée de Dieu domine, il baisse à mesure qu’elle décline.

C’est donc que présence continuelle de Dieu que vous demandez, me direz-vous. Oui, la reconnaissance perpétuelle des droits de Dieu sur vous. Ce n’est pas autre chose que cela.

Je ne veux pas expliquer ici quelle influence les Ordres religieux peuvent exercer au point de vue politique, grave question que je ne veux pas aborder, je parle seulement de la question sociale. Elle est entre vos mains, vous êtes solidaires du royaume de Dieu. Vous avez donc à donner dans votre enseignement des principes très clairs, très simples, très droits et très énergiques. Ici j’aborde l’ordre de la foi et j’examine les droits suprêmes de Dieu sur l’intelligence.

Vous devez donner la vérité aux âmes, votre enseignement doit être pénétré de la pensée de Dieu. A vous il appartient de réaliser le royaume de Dieu dans les intelligences. Le crime de l’Université, je le dis bien haut, c’est de chasser Dieu des écoles. Je crois que nous sommes obligés de lutter contre cette tendance et que c’est là une de nos missions dans le temps présent. Estimez-vous assez, mes Soeurs, le grand honneur que Dieu vous fait, de vous charger de plaider sa cause? Vous semez la vérité. Les religieuses de l’Assomption, les mains pleines de principes, sortent pour semer: Ecce exiit qui seminat seminare. (Matth. XIII, 3.) Et dans quel champ? Dans les âmes de leurs élèves. Sans doute, elles le feront avec toute la délicatesse, tout le soin convenable, mais elles sèmeront toujours.

Faire connaître Jésus-Christ aux âmes. D’abord dans sa famille. Une religieuse peut faire beaucoup de bien dans ses rapports avec ses parents, en parlant quelquefois, en se taisant souvent, ce qui vaut beaucoup mieux. Si vous saviez toutes les absurdités que j’ai entendu dire à des religieuses dans d’autres couvents! Cependant, une religieuse guidée par la prudence de sa Supérieure, si elle est jeune, pourra, par sa bonne direction, apporter l’esprit chrétien dans une famille.

L’influence se fera sentir par sa bonne tenue, par ces riens qui font qu’on sent qu’elle est une sainte, que Dieu règne sur elle. Le bien qu’elle est appelée à faire est incalculable.

Ceci n’est pas une règle absolue, car il y a des religieuses qui ne réussissent pas, je parle seulement de celles qui sont capables de le faire; les autres feront beaucoup mieux d’aller prier pour celles qui réussissent. Avec un tact surnaturel, les dernières ramèneront certainement la pratique de Dieu dans les familles. Mais y aboutir, c’est là qu’est le travail. Certainement n’est pas chose rare d’entendre dire qu’une religieuse de l’Assomption est charmante, ravissante. Combien de fois me l’a-t-on répété! C’est vulgaire cela, mais je vous assure que j’ai moins entendu dire: « C’est une sainte! » Voilà une belle occasion de le devenir.

Vous n’aimez pas les parloirs; il y a là de la fatigue pour vous, de l’ennui, des correspondances pénibles, de mauvais caractères à supporter, et c’est ceux-là souvent à qui l’on fait le plus de bien. Vous êtes obligées de vous sanctifier en faisant l’aumône spirituelle, mais je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il faut apporter dans cette oeuvre beaucoup de prudence et de discrétion.

J’avais pensé à vous dresser une grande liste des oeuvres que vous pouvez pratiquer. A quoi bon? Elles se présentent chaque jour. Les choses sont bonnes une fois, elles ne le sont pas une autre. L’introduction du canon rayé a changé tout le système de la guerre, comme la forme des bataillons adoptée par Napoléon a bouleversé toute la tactique militaire. En toute chose, certainement qui est bon peut manquer par l’occasion.

Travailler pour le royaume de Jésus-Christ, qui est l’Eglise. C’est un grand honneur, mes Soeurs. Une des choses qui me font espérer un grand avenir pour votre Congrégation, c’est votre amour si franc, si loyal, si dévoué pour l’Eglise. Vous êtes de l’Eglise. On vous a fait de grands reproches. Je ne veux pas nier qu’ils ne soient en grande partie fondés, pour les trois quarts du moins, je l’accorde; et en ceci, mes filles, je ne me mets pas à part, je fais cause commune avec vous, vous pouvez le croire. Eh bien! quelque chose me console, nous pensons comme le Pape et la plupart des évêques du monde catholique. C’est une légère compensation, certainement me semble. Nous avons eu un peu à souffrir, mais c’était pour une croyance qui est devenue un dogme. Beau malheur!

On a écrit les persécutions qui ont suivi les huit premiers Conciles, nous les voyons éclater pour celui-ci. Je ne m’attendais pas, je vous l’avoue, à tout certainement qui se passe, mais le diable furieux est déchaîné, et Dieu lui permet de décharger sa colère comme sur le saint homme Job. Et cela fait du bien à l’Eglise, quoique je m’en passerais bien. C’est un grand honneur de souffrir avec l’Eglise, comme de pouvoir dire à l’avance: je pense comme le Pape. Oui, mais cela nous impose des devoirs. Il faut se servir de certainement sens profondément catholique que Dieu nous a départi; il faut s’en servir avec force, avec miséricorde, dans une grande charité apostolique, en plongeant les racines de notre enseignement dans la vérité catholique.

Je conclus, mes Soeurs.Nécessité absolue du règne de Jésus-Christ dans le monde. Rien de beau comme d’être appelé à travailler à sa restauration. Je suis indigente, misérable, direz-vous, et malgré cela Dieu me confie la plus haute des missions, si j’ai le bonheur un jour de prononcer le quatrième voeu, celui de procurer par toute ma vie l’extension du règne de Jésus-Christ dans les âmes.

Notes et post-scriptum