- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
- CINQUIEME CONFERENCE DONNEE LE 9 NOVEMBRE 1870.
AMOUR DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST; INCARNATION DE NOTRE-SEIGNEUR. - Prêtre et Apôtre, X, n° 109, mars 1928, p. 71-75.
- DA 43; CN 1; CV 32.
- 1 ABUS DES GRACES
1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
1 ADORATION
1 ADVENIAT REGNUM TUUM
1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
1 AMOUR DE LA SAINTE VIERGE A L'ASSOMPTION
1 AMOUR DIVIN
1 AMOUR DU CHRIST
1 AMOUR DU CHRIST A L'ASSOMPTION
1 ANGOISSE
1 ANNONCIATION
1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
1 ATTENTION
1 BAPTEME
1 BIEN SUPREME
1 CARACTERISTIQUES DES ASSOMPTIONNISTES
1 COMMUNION DES SAINTS
1 CRAINTE
1 DEPENDANCE DES SUJETS DU ROYAUME
1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
1 DIRECTION SPIRITUELLE
1 DON DE SOI A DIEU
1 DONS DU SAINT-ESPRIT
1 EDUCATION HUMAINE
1 EFFORT
1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
1 EPREUVES
1 ESPERANCE
1 ESPRIT D'OUVERTURE A L'ASSOMPTION
1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
1 EVANGILES
1 EXAMEN
1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
1 FIDELITE A LA GRACE
1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
1 GRACE
1 HABIT RELIGIEUX
1 HUMILITE
1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
1 IMITATION DE JESUS CHRIST
1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
1 INCARNATION MYSTIQUE
1 INCONSTANCE
1 JESUS
1 JESUS-CHRIST
1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
1 LITURGIE DE LA MESSE
1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
1 MARIE
1 MENSONGE
1 MERE DE DIEU
1 MISERICORDE DE DIEU
1 MYSTIQUE
1 NEGLIGENCE
1 OFFERTOIRE
1 ORDRE SURNATUREL
1 OUBLI DE SOI
1 PAIX
1 PAIX DE L'AME
1 PENSEE
1 PERFECTION
1 PERFECTIONS DE MARIE
1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
1 PUISSANCE DE DIEU
1 PUISSANCE DE LA SAINTE VIERGE
1 PUISSANCES DE L'AME
1 PURETE D'INTENTION
1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
1 REGNE
1 RELIGIEUSES
1 RELIGIEUX
1 RESPECT
1 ROI DIVIN
1 SAINT-ESPRIT
1 SAINTE COMMUNION
1 SAINTETE
1 SAUVEUR
1 SERMONS
1 SOUFFRANCE
1 SOUFFRANCE SUBIE
1 SPIRITUALITE DU RELIGIEUX
1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
1 SYMPATHIE
1 TRINITE
1 TRIPLE AMOUR
1 UNION A JESUS-CHRIST
1 VERBE INCARNE
1 VERTU DE FORCE
1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
1 VIE ACTIVE
1 VIE DE JESUS-CHRIST
1 VIE DE SILENCE
1 VIE RELIGIEUSE
1 VIE RELIGIEUSE CONTEMPLATIVE
1 VIERGES CONSACREES
1 VIGILANCE
1 VISITATION DE MARIE
1 VOCATION RELIGIEUSE
1 VOIE UNITIVE
2 BOSSUET
2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
2 GABRIEL, SAINT
2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
2 JEAN, SAINT
2 JEANNE DE CHANTAL, SAINTE
2 JEREMIE
2 LUC, SAINT
2 ROSE DE LIMA, SAINTE
2 THERESE, SAINTE
3 BETHLEEM
3 EGYPTE
3 NAZARETH
3 VIGAN, LE - Religieuses de l'Assomption
- 9 novembre 1870.
- Nîmes
Plan de l’Auteur. -On vous a dit souvent que l’esprit de l’Assomption consistait dans l’amour de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, sa Mère, et de l’Eglise, son Epouse. Nous allons parler de Notre-Seigneur, et je ne sais rien de mieux que de vous parler de sa vie sur la terre pour y puiser les enseignements convenables à l’âme religieuse, éprise de son amour.
Je commence par l’Annonciation. Ave, gratia plena, Dominus tecum. Force de l’âme qui a Dieu avec elle. Puissance de l’âme, malgré ses troubles. Ne timeas. En effet, il y a des troubles, des angoisses, mais ils s’apaisent promptement. Quomodo? Il est permis d’avoir l’intelligence des mystères jusqu’à un certain point. Voilà donc le prodige, le Fils de Dieu s’incarne dans cette âme, et puis, du haut de cette âme, il règnera.
Visitation(1). -Marie porte Jésus et sanctifie Jean. Ainsi la religieuse. Il faut avoir des relations, il faut qu’elles soient choisies, il faut qu’elles soient saintes. Et unde hoc mihi ut veniat Mater Domini mei ad me? Les relations vous seront utiles, à la condition de vous oublier, de n’en avoir que de nécessaires, d’y faire paraître Jésus-Christ avant tout.
Texte sténographié de la Conférence.
Mes Soeurs,
Il est impossible de ne pas revenir sur des sujets déjà abordés; les mêmes vérités se présentent sous d’autres formes. Nous avons, dans le temps, défini ainsi l’esprit de l’Assomption: amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la Sainte Vierge, sa Mère, de l’Eglise, son Epouse. Tout est là: Notre-Seigneur, objet par excellence de notre affection; la Sainte Vierge, ce qu’il a le plus aimé au monde; la plus parfaite des créatures, notre modèle de perfection; l’Eglise, son Epouse, pour laquelle il est descendu sur terre: Propter nos homines et propter nostram salutem.
Après avoir dit qu’il fallait réaliser notre devise, Adveniat regnum tuum, en travaillant à l’avènement de Jésus-Christ dans le monde, il est naturel que nous parlions de Jésus-Christ lui-même. Je me suis demandé comment aborder cette question, et je ne sais rien de mieux que de prendre rapidement, historiquement, connaissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa vie sur la terre, pour y puiser les enseignements convenables à l’âme religieuse éprise de son amour. C’est un sujet immense, et, tel que je le conçois, il me demandera vingt conférences; mais je ne vois pas d’autres possibilité, tout en laissant à chacune la liberté accorder à l’Assomption: Ubi spiritus Domini, ibi libertas (II Cor. III, 17), de faire envisager le type de toute perfection dans cet adorable modèle.
Pour cet entretien, nous prendrons les deux mystères qui peuvent vous montrer la religieuse au point de vue de la vie contemplative et de la vie active. Ce double enseignement vous sera donné par le mystère de l’Incarnation et celui de la Visitation. Dans celui-ci, il sera un peu plus question de la Sainte Vierge que de Notre-Seigneur, et je ne me le reprocherai pas. Jésus et Marie feront donc le fond de cet entretien.
Je commence, l’Evangile à la main: In mense autem sexto… (Luc 1, 26) puisqu’à benedicta tu in mulieribus. Je ne parlerai pas beaucoup de Notre-Seigneur, mes Soeurs, je vous prendrai vous-même au moment où votre vocation a commencé, où Jésus-Christ, par la main de votre ange gardien, a jeté la semence, le germe de votre vie religieuse. Alors l’ange vous a saluée d’une façon analogue à celle de Gabriel; il s’est approché de vous comme de Marie, et a dit: « Je vous salue, pleine de grâces. » Vous êtes pleine de grâces, non par vous-même, mais par ce charme surnaturel, cette beauté de grâce que Notre-Seigneur veut vous donner pour pouvoir vous aimer. Et ici je remarque une chose, c’est que le nom Maria, que nous ajoutons au salut de l’ange, n’est pas dans l’Evangile, et cela par une raison profonde et admirable de miséricorde. Ce salut de Dieu n’est pas dit uniquement à Marie, il s’adresse à toutes les vierges appelées à concevoir et à enfanter Jésus- Christ. Ave, gratia plena. Il s’adresse à vous, mes Soeurs. Cet enfantement est un miracle impossible à toutes les forces humaines, Dieu le fait.
Bossuet, dans son livre admirable des Elévations sur les mystères, résume les promesses de Dieu dans ces mots: Dominus tecum. Dieu fait l’oeuvre, il vous revêt de puissance et de force; vous avez ces grâces en germe dans la vocation qu’il vous a donnée. Comme à Marie, il vous dit: « Je suis avec toi. » Et vous trouverez qu’il ne fait pas assez pour vous? Et vous ne vous contenterez pas de ressembler à la plus parfaite de toutes les créatures? Vous ne trouverez pas assez admirables les desseins de Dieu sur vous? Ne dites plus alors: « Je ne puis pas vaincre mon mauvais caractère, surmonter cette tentation, triompher de cette faiblesse. » Vous le pouvez; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie.
Sans doute, la Vierge Mère de Dieu a reçu une bénédiction spéciale; elle est distinguée entre toutes les femmes celle qui doit engendrer le salut du genre humain. A ce point de vue, la salutation de l’ange ne s’adresse point à vous; je vous l’accorde, mais à condition que vous reconnaîtrez que nul ne peut dire jusqu’où peuvent s’étendre, à part cela, les bénédiction de Dieu sur vous, si vous correspondez à la grâce. C’est un horizon immense, mes Soeurs, et ce que je vous dis là, ce ne sont point des phrases, c’est la théologie la plus sûre, la plus vraie. Nul ne connaît le terme des bénédictions de Dieu sur les âmes. De même que, dans le ciel, les élus vont toujours de clarté en clarté, de claritate in claritatem (II Cor. III, 18), jusqu’à des profondeurs de lumière insondables: de même, qui pourra dire le chemin que fait une âme fidèle, marchant de grâces en grâces, de perfection en perfection, de sainteté en sainteté? Comprenez-vous alors ce qu’il y a d’admirable dans le mystère de la sainteté religieuse? Vous pouvez dire: « Je suis appelée, comme la Sainte Vierge l’a été, elle, à être Mère de Dieu; moi, à être l’épouse de Dieu. Mon ange gardien me salue pleine de grâces; je suis unit à Dieu, Dieu est à moi. Il l’est par le Baptême, il l’est par sa grâce et il le deviendra chaque jour davantage; il l’est quand je communie et que je possède Jésus. » Voyez quelle ressemblance avec Marie, et quel privilège? Entre toutes les femmes vous êtes séparées, vous êtes choisies, appelées par votre vocation à vivre dans les régions divines, dans les communications intimes avec le Seigneur.
Je poursuis le récit de l’Evangile depuis le Quae cum audisset jusqu’au verset 30. Ceci est pour l’intelligence de quelques-unes. Il me faut établir ici que certaines n’y comprendront rien. Après tout, la Sainte Vierge n’y a rien compris elle-même. Cogitabat qualis esset ista salutatio (Luc. I, 29); ce ne sera donc pas trop d’humiliation pour elles. Mais il est certain qu’une petite religieuse ne comprend pas ce qu’il y a de grand, de profond, d’admirable dans la vie religieuse, et c’est tout simple. C’est parce qu’elle n’y a pas assez réfléchi. Elle estime sa vocation, elle l’aime, sans avoir pris la peine de se rendre compte de la beauté de l’état religieux. Elle n’a pas approfondi les dons du Saint-Esprit, la magnificence des grâces de Dieu. Qu’y a-t-il donc à faire: Une seule chose: écouter l’archange.
Ici je ferai une remarque. Il m’est arrivé souvent, quand je vais au Noviciat du Vigan, d’interrompre la lecture au réfectoire pour dire: « Frère un tel, que pensez-vous de ce passage qu’on lit »? Ordinairement le Frère n’a pas entendu le passage, il ne sait pas ce qu’on lit, parce qu’il n’y a pas fait attention. Je ne m’arrête pas à ceci, mais je veux seulement arriver à cette constatation. Il y a un élément humain de sanctification, d’éducation, de perfectionnement qui manque souvent, c’est l’attention. C’est incroyable tout ce que nous laissons passer de lumières, de grâces d’enseignement. Et pourquoi? Parce que cela fatigue notre esprit de faire attention, de réfléchir. Eh bien! Dieu veut notre attention pour faire l’oeuvre de notre sanctification, et ce sera un des éléments les plus positifs de votre sainteté. Desolatione desolata est omnis terra, quia nullus est qui recogitet corde. (Jer. XII, 11.) Entendez Jérémie, car rentrer en soi-même pour réfléchir, c’est là l’attention. Ainsi, parmi vos obligations les plus sérieuses, mes Soeurs, vous mettrez celle de l’attention. Elle vous préservera de bien des fautes. Pourquoi négligez-vous de vous tenir en présence de Dieu? Pourquoi ne faites-vous pas bien votre méditation? Pourquoi oubliez- vous une recommandation d’obéissance? Pourquoi manquez-vous de tenue? Pas d’attention, mes Soeurs.
Or, voyez la Sainte Vierge. Elle est fort attentive, et cependant elle est troublée. Vous le serez aussi, mes Soeurs, car vous n’êtes pas dans l’état parfait des évêques, vous êtes seulement dans la voie de la perfection. Il faut donc toujours faire effort pour savoir où l’on pose le pied: ce sera tantôt la poussière, tantôt la boue du chemin qu’il faudra éviter. Chaque jour une nouvelle difficulté se présentera; il faudra l’attention à toutes choses si vous voulez faire des progrès, et le trouble viendra. Dieu me demandera tel sacrifice. Je dois, par exemple, parler moins, avoir des prévenances pour une Soeur moins agréable, maîtriser mon imagination, supporter tel mauvais caractère, abaisser mon orgueil; bref, accomplir tout ce qui a trait à la pratique de la vertu. N’importe, je suis troublée. On voudrait tourner la chose, on est troublé de ce salut, on ne voudrait pas le recevoir. Mais l’ange dit à Marie: Ne timeas. La crainte doit être gardée, même dans l’âme la plus pure, mais la confiance prend le dessus. Il y aura du trouble, des impressions de terreur, des angoisses, mais elles s’apaiseront promptement. Quelles souffrances plus grandes que celles de Marie! Chez la Sainte Vierge, les douleurs sont inexprimables, et pourtant la confiance domine. Ce sera la dernière recommandation de Notre-Seigneur à ses apôtres: Non turbetur cor vestrum (Joan. XIV, 1), et encore: « Confidite, ego vici mundum. (Joan. XVI, 33.) Et l’ange dit: N’ayez pas peur, Marie!
Je n’ai pas l’intention de m’adresser aux religieuses qui ne sont pas sincères, à supposer qu’il s’en trouvât ici -un grand empêchement à la vie religieuse, c’est L’insincérité, -je parle à celles qui sont sincères, mais troublées. Que celles-là écoutent la réponse intérieure: « Que craindrai-je? Quem timebo? » (Ps. XXVI, 1.) Le Seigneur est avec moi. « N’ayez aucune crainte, et cependant les plus grandes choses vont s’accomplir en vous. Dieu va opérer les merveilles de sa puissance. » Nous ne nous respectons pas assez, mes Soeurs, je veux dire dans l’intérieur de nos âmes, à cause des grandes oeuvres que Dieu veut y faire. Marchez donc avec confiance, ayez le courage de jeter un regard ferme sur les grandes choses que Dieu veut accomplir en vous, à l’exemple de Marie. Oui, vous avez trouvé grâce devant lui… In enisti enim gratiam apud Deum. (Luc. 1, 30) C’est beaucoup.
Pourquoi portez-vous ce voile, cet habit violet, si ce n’est comme preuve que vous êtes agréables à Dieu? Mais qu’est-ce qu’il veut de vous? Ecce concipies in utero et paries filium. (Luc. I, 31.) Il veut que vous conceviez Jésus-Christ. Vous ne comprenez rien à la vie religieuse, si vous n’avez pas le sentiment que la vie religieuse se résume en un seul mot: Concevoir, enfanter Jésus-Christ: Filioli mei, quos iterum parturio, donec formetur Christus in vobis. (Gal. IV, 19.) Vous voyez, c’est toujours la même pensée: concevoir, enfanter Jésus-Christ: c’est le travail de la vie chrétienne d’abord et de toute vie religieuse. Comme il est dit dans le Psalmiste: Excita potentiam tuam et veni (Ps. LXXIX, 3), il veut encore faire un miracle de sa droite pour enfanter dans l’âme de ses épouses. Sans doute le mystère ne sera parfait qu’au ciel, toute votre vie il sera en formation: donec formetur Christus in vobis. (Gal. IV, 19.) Or, si vous voulez prendre la vie, la substance de mes paroles, faites-vous cette question: « En quelle mesure ai-je conçu Jésus-Christ? Ai-je formé Jésus-Christ en moi? Ai-je donné de mon être à Jésus-Christ pour qu’il se forme en moi »? Car, selon la définition du catéchisme, comme Marie, c’est le plus pur de votre sang que vous devez donner pour faire l’oeuvre de cette incarnation nouvelle dans votre âme.
Voilà toute votre vie, mes Soeurs. Ne dites pas que c’est de l’imagination. Avez-vous remarqué les paroles de la Messe au moment où le prêtre met l’eau et le vin dans le calice: Deus qui humanae substantiae… ejus divinitatis esse consortes, donnez-nous de devenir participants de la nature divine? Voilà la demande adressée par l’Eglise de tous les points du monde, chaque jour, à chaque instant du jour, que nous soyons participants à la divinité de Jésus- Christ. Où cette participation se fera-t-elle plus admirablement que dans l’âme religieuse! C’est là que s’accomplit le travail de choix. Deux religieuses meurent: celle qui aura le plus fidèlement correspondu à la grâce sera le plus unie à Jésus-Christ. Et dire que ces deux religieuses ont eu les mêmes grâces, que peut-être même celle-là, au commencement, en avait moins reçu! Mais tandis que l’une laissait tomber les faveurs de Dieu, l’autre les relevait fidèlement, et la grâce l’a inondée, de sorte qu’elle s’est transformée en Jésus-Christ.
Vous me demandez comment devenir sainte. Mettez Jésus-Christ en vous, enfantez-le, faites comme Marie: Ecce concipies. Souvenez-vous que ce Jésus est votre Sauveur fait homme pour vous, qu’il veut faire cette oeuvre merveilleuse de l’union, dans l’Eglise et dans tous les saints. Peut-il se voir une intimité plus grande que celle-là! Jésus, petit enfant en vous, qui vous demande d’être sa mère! Voilà, mes Soeurs, la sainteté dans l’union avec Jésus-Christ.
Mais, direz-vous, cela demande une grande pureté? Je vous l’accorde.
Et puis, du haut de cette âme, Jésus-Christ règnera. Laissons de côté le grand trône de cette royauté dont nous parlions hier: Et regni ejus non erit finis. (Luc. I, 33.) Voyons ce trône dans notre coeur: « Seigneur, je veux m’élever un trône, un royaume qui n’aura pas de fin. Il se consommera dans l’éternité, et, puisque j’ai la certitude de votre éternité, s’il faut passer par l’immolation, le sacrifice, la mort temporelle, j’irai au-devant de tout. Quel sacrifice serait trop grand pour conquérir votre royaume, pour établir le règne de Jésus-Christ en moi! »
Le chapitre de saint Luc me frappe toujours par sa profonde beauté. N’est-ce pas la plus sublime mystique chrétienne? Peut-on trouver quelque chose de plus beau et de plus pratique que la perfection de la vie chrétienne, l’union à Jésus-Christ? Que voulez-vous de plus?
Je poursuis le récit évangélique: Quomodo fiet? Vous êtes, dites-vous, une pauvre fille isolée, sans Supérieure qui vous comprenne, sans confesseur qui sache vous diriger: vous êtes comme abandonnée. Je vous l’accorde; mais accordez-moi aussi que, si vous êtes comme la Sainte Vierge, vous n’êtes pas bien à plaindre.
Et l’ange lui dit: Spiritus Sanctus superveniet in te. Et vous n’auriez pas assez? Quand tous les secours extérieurs manquent, le Saint-Esprit descend. Il y a là une belle réponse à toute les religieuses embarrassées, parce qu’on ne les comprend pas. Pauvres filles, vous êtes réduites à avoir le Saint-Esprit pour directeur! Mes Soeurs, j’entre sérieusement dans la question. Il est très vrai qu’il y a des âmes à plaindre; j’en ai vu qui pouvaient inspirer une compassion au delà de ce que vous pouvez croire, depuis trente-cinq ans que je suis grand vicaire, et que j’ai vu les abominations, c’est le mot, qu’on fait souffrir aux âmes…
La Sainte Vierge disait donc vrai, elle n’avait de relation avec aucun homme, elle n’avait personne. Le bon saint Joseph, dans son silence, ne suffisait pas à la Sainte Vierge: il la conduisait à Bethléem, à Nazareth; il la faisait partir pour l’Egypte, il veillait, sur elle, mais il ne parlait pas beaucoup. C’était cependant un grand saint, le patron des âmes intérieures. Ce n’était pas celui qui pouvait aider la Sainte Vierge… Le Saint Esprit survient…
Ah! une religieuse qui suit sa Règle, qui marche droit, sans secours extraordinaires, en disant son Veni, Sancte Spiritus chaque matin, avancera toujours, croyez-le bien. Sainte Thérèse pendant un temps, et sainte Catherine de Sienne n’ont pas eu beaucoup de directeurs; sainte Rose de Lima un peu plus, mais elle avait des souffrances extraordinaires; sainte Chantal n’avait personne avant de rencontrer saint François de Sales. Beaucoup de saints se sont contentés du Saint-Esprit, Spiritus Sanctus supervenietin te… Voilà tous les prétextes à l’empêchement de votre perfection écartés par cette parole.
Prenons maintenant un autre point de vue. En supprimant tous les secours extérieurs, écoutez-vous le Saint-Esprit? Et pourtant, voyez cette situation de la Sainte Vierge, Spiritus Sanctus superveniet in te et virtus Altissimi obumbrabit tibi, et pénétrons plus profondément encore. Vous voilà en relation avec l’adorable Trinité: Père, Fils et Saint-Esprit; la vertu du Très-Haut vous couvre de son ombre, vous enfantez le Fils et c’est le Saint-Esprit qui fait l’oeuvre. Quelle grandeur, mes Soeurs! Et si l’effroi vous saisit en pensant que ces merveilles vont s’opérer dans une pauvre petite créature, relevez vos pensées du côté de la Très Sainte Trinité. C’est la puissance, la sagesse, l’amour infini, à qui vous livrez votre âme. N’ayez donc pas peur, Qu’est-ce qui serait plus grand, plus parfait, plus puissant? Les préoccupations de l’adorable Trinité sont tournées vers vous, pour sanctifier une épouse de Jésus-Christ, pour former en vous Jésus, vous rendre sa mère et vous faire l’épouse du Saint-Esprit. Et cela ne vous suffirait pas? Bien difficile serait celle dont les aspirations ne seraient pas satisfaites, et qui ne se livrerait pas avec amour à cette puissance étonnante de la vertu de Dieu. Qu-est-ce que les créatures vous donneraient quand Dieu est à vous-même justice, perfection, beauté? Voilà, mes Soeurs, à quoi vous êtes invitées, à l’imitation de la Sainte Vierge.
Le second résultat du mystère sera, mes Soeurs, de produire Jésus-Christ dans les autres, mais vous commencerez par vous-même. Votre travail sera de creer en vous une naissance nouvelle, de vous transformer en Jésus-Christ, de travailler à devenir fille de Dieu, mère de Jésus-Christ, épouse du Saint- Esprit. Voilà toute la vie religieuse ou je n’y comprends rien.
Et Marie répondit: Ecce ancilla Domini. Je voudrais, mes Soeurs, que cette parole fût toujours sur vos lèvres, en face de cette adorable puissance de Dieu qui veut vous couvrir de son ombre: « Mon Dieu me demande de devenir sa mère et son épouse. Que ferai-je? Je m’abandonnerai éperdument à sa puissance, je me jetterai entre ses bras et lui dirai; « Unie à vous, je veux former en moi votre divin Fils. »
Mes Soeurs, les mystères de la vie humaine sont impuissants à exprimer l’union divine; elle se fait en nous dans l’adoration et l’obéissance: « Mon Dieu, je suis votre fille, votre épouse, votre mère, mais j’aime à me déclarer votre servante. » C’est un honneur d’être servante de Dieu, mes Soeurs, parce que ce titre renferme la plénitude de la dépendance de Dieu, le sentiment constant de ce que nous lui devons. Certes, nous sommes montées bien haut, mes Soeurs, et jusque dans le sein de l’auguste Trinité, dans la plénitude de la puissance, la plénitude de la sagesse, la plénitude de l’amour, mais brûlant de ces flammes divines, nous serons avant tout servantes, servantes pleines d’amour et de tendresse: Ecce ancilla Domini.
Mes Soeurs, à vous seules vous ne pourriez pas accomplir ce mystère; il faut pourtant que vous donniez votre adhésion aux desseins de Dieu. La Sainte Vierge ne pouvait pas comprendre la fin adorable de la salutation de l’ange. Il y a des limites posées à l’intelligence humaine des mystères de Dieu, comme il y en a à l’intelligence de votre sanctification. Quomodo fiet? Mais vous y suppléerez par l’obéissance, pas la dépendance totale des volontés de Dieu, et votre consentement sera plein d’amour, comme celui de la Sainte Vierge: Ecce ancilla.
Voulez-vous donc, mes Soeurs, laisser former Jésus-Christ en vous, laisser l’adorable Trinité faire son oeuvre? Des siècles ne vous suffiraient pas pour cela, sera-ce donc trop d’une vie! Longue ou courte, elle sera insuffisante à voir s’accomplir ce travail de la formation de Jésus-Christ en vous. Consacrez-la-lui tout entière. Prenez la résolution d’aimer tellement Jésus-Christ que rien ne pourra vous en séparer, d’avancer chaque jour dans l’union par la ressemblance avec le divin Sauveur, de sorte que quand vous passerez on puisse dire: « C’est Jésus-Christ qui passe, c’est la copie vivante de Jésus-Christ. » Car ainsi se transforme l’âme qui cherche à reproduire Jésus-Christ et qui aspire à lui être une consolation sur la terre, comme il sera lui-même un jour une récompense.