OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • SIXIEME CONFERENCE DONNEE LE 10 NOVEMBRE 1870.
    VISITATION DE LA SAINTE VIERGE.
  • Prêtre et Apôtre, X, n° 110 , avril 1928, p. 102-106.
  • DA 43; CN 1; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ABAISSEMENT
    1 ACTE DE PERFECTION
    1 ACTION DE GRACES
    1 ACTION DE MARIE
    1 ACTION POLITIQUE
    1 ADORATION
    1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR DU PROCHAIN SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANEANTISSEMENT
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 ATTENTION
    1 BON EXEMPLE
    1 CHARITE APOSTOLIQUE
    1 CHARITE DE MARIE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONVERSATIONS
    1 CULTE DE LA SAINTE VIERGE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPREUVES
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ESPERANCE BASE DE LA PAUVRETE
    1 ESPRIT RELIGIEUX
    1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
    1 EVANGILES
    1 EXAMEN
    1 FOI
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 FRANCAIS
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GRACE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 GRAVITE
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE LA SAINTE VIERGE
    1 ILLUSIONS
    1 IMPRESSION
    1 IMPULSION
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JEUNES RELIGIEUX
    1 JOIE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 JUIFS
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LARGEUR DE VUE APOSTOLIQUE
    1 LOUANGE
    1 MANQUE DE FOI
    1 MARIE
    1 MAUX PRESENTS
    1 MERE DE DIEU
    1 MESSIE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 NEGLIGENCE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OEUVRE DE JESUS-CHRIST
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORGUEIL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAPE
    1 PAPE GUIDE
    1 PAUVRETE DE MARIE
    1 PERE SOURCE DE LA FOI
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 POLITIQUE
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PRATIQUE DES CONSEILS EVANGELIQUES
    1 PRUDENCE
    1 PURETE D'INTENTION DE L'APOTRE
    1 REINE DU CIEL
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RELIGIEUX ANCIENS
    1 RESPECT
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 SAGESSE HUMAINE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTE VIERGE
    1 SAINTS
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 TEMOIN
    1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRINITE
    1 TRISTESSE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE ACTIVE
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIERGES CONSACREES
    1 VISITATION DE MARIE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 AMBROISE, SAINT
    2 AUGUSTE, EMPEREUR
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 ELISABETH, SAINTE
    2 GENGIS KHAN
    2 GREGOIRE DE NAZIANCE, SAINT
    2 GUILLAUME I, EMPEREUR
    2 HERODE I LE GRAND
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 ISRAEL
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 LUC, SAINT
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MARTHE, SAINTE
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 NABUCHODONOSOR
    2 PAUL, SAINT
    2 PIE IX
    2 RANCE, ABBE DE
    2 TAMERLAN
    2 TROCHU, LOUIS
    2 VEUILLOT, LOUIS
    2 ZACHARIE
    3 ALLEMAGNE
    3 ESPAGNE
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 JUDA, ROYAUME
  • Religieuses de l'Assomption
  • 10 novembre 1870.
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur. –Abiit cum festinatione….et intravit in domum Zachariae, et salutavit Elisabeth. La plus digne fait des avances à l’autre.

Exultavit infans… Utilité des impressions.

Et repleta est Spiritu Sancto Elisabeth. Quel détail vulgaire! Un salut. Le Saint-Esprit en est le fruit.

Benedicta tu inter mulieres et benedictus fructus pentris tui. On sent les saints là où ils passent, et sans vouloir passer pour [des] saints, il faut vouloir produire ces bonnes impressions.

Et unde hoc mihi? Il y a là, sans doute, une grâce spéciale. Mais procurée par qui? Elisabeth a compris l’action de Marie sur Jean; c’est beaucoup.

Et beata quae credidisti. Voilà le grand mot, l’esprit de foi.

La gloire de Dieu, magnificat.

La joie, et exultavit.

Communication entre les saints, quia respexit humilitatem. Cela, vous pouvez le dire.

Quia fecit mihi magna. Ah! vous pouvez bien dire la même chose. Tout ce que Marie raconte nous montre comment nous devons nous appliquer à voir toutes choses au jour de Dieu.

Voilà le modèle des conversations de deux saintes âmes, la plus sainte des conversations qui aient été tenues. Vous voyez la prévenance, la puissance des moindres détails dans la vie des saints; l’humilité de sainte Elisabeth; l’avantage de la foi; le mobile des saints; la gloire de Dieu; la joie communiquée à ceux qui s’oublient; l’abaissement, principe de la vraie grandeur; les points de vue divins dans la conversation.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

J’aurais dû, hier, traiter le mystère qui va nous occuper aujourd’hui, car mon sujet embrassait les deux mystères correspondant à la vie contemplative et à la vie active, l’Incarnation et la Visitation. Je me vois chaque jour obligé d’allonger la matière, mais vous n’êtes pas pressées, ni moi non plus. Continuons donc, avec la grâce de Dieu, la suite de ces entretiens. Examinons ce matin, toujours l’Evangile en main, ce mystère de la Visitation qui donne à la religieuse un modèle de vie active très sanctifiant tant pour la religieuse elle-même que pour les gens qui entrent en rapports avec elle.

Exsurgens Maria in diebus illis abiit in montana cum festinatione in civitatem Juda et intravit in domum Zachariae et salutavit Elisabeth. (Luc. I, 39.) Et tout d’abord, saint Ambroise fait remarquer l’empressement de la Sainte Vierge. Ceci sépare les religieuses actives de celles qui sont purement contemplative. Ici, il n’y a pas de grilles, c’est la charité qui pousse, cum festinatione. Il ne faut pas perdre son temps, c’est toujours saint Ambroise qui commente. Certaines religieuse sont-elles appelées à avoir des relations avec les personnes du monde? Oui, évidemment, mais à une condition, c’est qu’elles soient actives à aller vers le prochain, actives à rentrer dans la solitude, et qu’allant au milieu du monde par charité, elles ne se trouvent pas bien d’y être. In festinatione. Du moment qu’on a une oeuvre à faire, on y va, mais avec hâte. Cependant, je ne veux pas parler de cette hâte que Notre- Seigneur a condamnée dans Marthe, parce qu’il y avait là une trop grande préoccupation des choses matérielles un certain trouble de l’âme: Martha, Martha, sollicita es et turbaris erga plurima; porro unum est necessarium. (Luc. X, 41.) Non, il faut aller dans toute le zèle, toute l’application possibles mais surnaturellement. Il arrive (ce n’est pas le caractère des religieuses de l’Assomption) qu’une religieuse s’en va aux oeuvres de zèle un peu va comme je te pousse. Cette espèce de nonchalance doit être écartée. Il faut à l’Assomption des âmes ardentes, zélée pour le bien

La Sainte Vierge donc entra. Je ne veux pas vous dire ici comment Sr. Marie-Augustine m’en voulait, parce que je disais que toute la sanctification du plus grand des enfants des hommes avait été produite par la salutation de Marie: « Bonjour, ma cousine. » C’est pourtant très vrai. Et, laissant de côté le sujet plaisant pour approfondir sérieusement le mystère, je veux vous faire remarquer une chose, la sainteté des moindres actions des saints. Vous direz: « Mais je ne suis pas une sainte. La situation de la Sainte Vierge était tout à fait exceptionnelle dans l’ordre de la grâce. » J’en conviens, mais je n’en demande pas moins que toutes les fois qu’on vous verra, on reçoive de vous une impression de sainteté.

La Sainte Vierge donc entra. Intravit in domum Zachariae et salutavit Elisabeth. Dans ce seul salut de Marie, il y a un très grand acte de sainteté, parce qu’il y a eu le sentiment de deux états très parfaits: l’adoration constante en soi de Notre-Seigneur et l’amour des âmes. Qui pourrait dire que Celle qui portait Jésus-Christ dans ses entrailles a cessé un instant de l’adorer? Et pourquoi une religieuse qui communie, qui entend la Messe, qui prie, qui porte Jésus-Christ en elle par la grâce, ne rendrait-elle pas constante l’adoration de Notre-Seigneur dans ses rapports avec le prochain? Cela a été l’état de la Sainte Vierge. Pourquoi ne l’imiteriez-vous pas?

La Sainte Vierge part donc, seule ou accompagnée, l’Evangile ne le dit pas; il n’est question que d’elle. Pauvre petite voyageuse, elle s’en va, elle fait son oeuvre, elle salue, et, à ce moment-là: Et factum est… repleta est Spiritu Sancto Elisabeth. Je ne veux pas essayer de dire ici comment saint Jean-Baptiste et sainte Elisabeth furent remplis du Saint-Esprit; mais remarquez la perfection de l’influence d’une sainte -de la Reine des saints, je vous l’accorde -et voyez comme l’influence s’étent au delà de la personne qu’elle salue. Vous me direz toujours: « Mais nous entrons dans l’ordre prophétique, dans les faveurs extraordinaires de Dieu. Marie était pleine du Saint- Esprit. » Je vous l’accorde encore; mais Marie vous est donnée pour modèle, vous avez Jésus-Christ dans le coeur, vos membres sont les temples du Saint-Esprit. Nescitis quia temp um Dei estis et spiritus Dei habitat in vobis (I Cor. III, 16.) Vos autem estis corpus Christi et membra de membro. (I Cor. XII, 27.) Et, à ce double titre de chrétienne et de religieuse, vous êtes l’épouse de Jésus-Christ. Ne vous appartient-il donc pas de communiquer l’esprit de Notre-Seigneur? La vie des saints ne consiste pas en autre chose, ils se donnent l’un à l’autre le Saint-Esprit.

Certainement, lors de la Visitation, le Saint-Esprit se communiquait par un courant plus puissant, par la Sainte Vierge, puisqu’elle portait en elle la source de la grâce et que la sainte humanité de Notre-Seigneur était le principe de ses relations avec le prochain. Mais voyez le fond de l’enseignement: à quoi doivent tendre vos relations avec le prochain? A porter le Saint-Esprit. Vous devez être comme des brasiers pleins de charbons ardents, ainsi que dit Isaïe (VI,6), pour allumer l’amour de Dieu, embrasser les âmes et les forcer à parler de Dieu. C’est là une oeuvre de séraphin.

La Sainte Vierge salue donc sainte Elisabeth. Elle ne dit pas grand’chose et Elisabeth ne répond pas inutilement, elle se met immédiatement à parler de Dieu. Arrêtons-nous ici, car il y a là une grosse question très pratique, celle des rapports des anciennes Soeurs avec les jeunes. En Orient, on vieillit plus tôt qu’en Occident: à trente ans, on est vieux. Or, la Sainte Vierge avait quinze ans, sainte Elisabeth au moins quarante-cinq. La Sainte Vierge était donc la plus jeune, la plus privilégiée, la plus digne, et c’est elle qui fait les avances. Et sainte Elisabeth répond: Unde hoc mihi ut veniat Mater Domini mei ad me?

Elle savait les grâces dont la Sainte Vierge était comblée, elle savait qu’elle portait le Messie promis et attendu par le peuple juif, elle reconnaissait les privilèges de Marie plus jeune qu’elle. Ceci est une toute leçon pour vous, mes Soeurs, car Dieu peut prendre les plus jeunes pour ses faveurs et laisser les plus âgées. Faut-il pour cela que les jeunes s’enorgueillissent et se croient de petites Saintes Vierges? Non, parce que la Sainte vierge fait les avances. Le titre glorieux de Mère de Dieu la pousse à porter Notre-Seigneur aux hommes, et, la première, elle parle à sa vieille cousine. Voyez comme Dieu arrange les choses. Les vieilles seront toujours les premières dans l’ordre du respect qui leur est dû: ce sont les aînées; mais il peut se rencontrer qu’il soit donné aux plus jeunes de commander. Alors il en coûte d’obéir à une plus jeune que soi, l’orgueil se révolte, et c’est tout naturel. Mais voyez: sainte Elisabeth accepte la Sainte Vierge, elle reçoit la sanctification pour elle et pour son fils et ne se fâche pas de ce que Dieu a comblé de grâces abondantes la plus jeune des deux.

Tournez et retournez la règle des rapports des anciennes avec les plus jeunes, vous ne la trouverez nulle part expliquée comme dans ce mystère. Et tout cela, mes Soeurs, est basé sur l’humilité et la charité; charité de la part de la Sainte Vierge, qui vient parce que sa cousine avait besoin d’elle; humilité de sainte Elisabeth, qui rend hommage à la grandeur de la Sainte Vierge. Remarquez encore que Marie ne se préoccupe pas des honneurs qui lui sont rendus, elle monte plus haut, elle rend gloire à Dieu. Magnificat anima mea Dominum.

Autre question, mes Soeurs. Qu’est-ce qui a sanctifié Jean-Baptiste? Est-ce Notre-Seigneur seul ou par l’intermédiaire de Marie? Double influence, mes Soeurs, et c’est encore votre état. Si vous êtes filles de foi, votre influence pour la sanctification du prochain doit s’exercer par vous et par Notre-Seigneur en vous. D’une manière différente que par la Sainte Vierge et moins efficace quant à l’espèce et au degré, oui; mais vous êtes les instruments de Notre-Seigneur. C’est ainsi qu’il y aura dans votre oeuvre de sanctification du prochain le concours de la grâce et le concours de votre adhésion. Vous ne la ferez pas seule, vous ne le pourriez pas; Jésus-Christ ne la fera pas sans vous, il ne le veut pas. Il veut se servir de votre amour, de votre volonté. Vous travaillez donc à deux: Jésus-Christ en vous et vous en lui. Non ego autem, sed gratia Dei mecum. (I Cor. XV, 10.)

Et exclamavit voce magna: Benedicta tu inter mulieres et benedictus fructus ventris tui. Il faut bien considérer le travail intime de la Sainte Vierge; elle produit Jésus-Christ, elle fait une oeuvre merveilleuse. Vous aussi, vous avez à former Jésus-Christ, mais avec une petite différence: vous n’avez pas à mettre Notre-Seigneur dans la crèche, c’est vous-même qui êtes le fruit. Il faut qu’en vous voyant on puisse dire: « Voilà Jésus-Christ qui passe. » S’il est vrai que le chrétien est un autre Jésus-Christ, à plus forte raison une religieuse et une épouse de Jésus-Christ ne doit faire qu’un avec lui. Il faut, mes Soeurs, qu’on puisse louer, adorer, glorifier Notre-Seigneur formé en vous. Oh! cette religieuse qui serait un ciboire vivant dans ses relations avec le prochain, quel bien elle ferait, quelle protection la couvrirait dans les occasions périlleuses qui naîtraient sous ses pas! Ne cherchez pas le péril, car qui aime le péril périra (Eccl. III, 27), mais là où vous le rencontrerez forcément, que le fruit de vos actes soit Notre-Seigneur.

Je n’insiste pas à vous faire remarquer l’humilité de la Sainte Vierge, c’est aux anciennes surtout que je m’adresse ici. Que de misères disparaîtraient, si elles donnaient l’exemple de l’humilité aux jeunes? Voilà un apostolat: reconnaître les dons que Dieu a pu accorder aux jeunes, comme sainte Elisabeth les a reconnus en Marie. Souvenez-vous de ce moyen: aider les jeunes, prêcher par l’exemple l’humilité dont les jeunes ont grandement besoin.

Et factum est ut audivit salutationem Mariae Elisabeth, exultavit infans. Il y a enfant et enfant. Il y a les enfants de vos oeuvres, et vous-même êtes une oeuvre. On éprouve une certaine allégresse en travaillant de concert avec les saintes âmes; de même, la Sainte Vierge se réjouit avec Elisabeth. Elle n’avaient pas souvent la joie de se rencontrer, n’habitant pas la même ville. Ainsi nos conversations entre nous ne doivent pas être trop fréquentes. Je ne vous dis pas de parler du matin au soir, quand vous vous rencontrez, mais il est bon d’échanger des paroles qui portent à la joie, et je suis convaincu que c’est une obligation pour les religieuses adonnées comme vous à la vie active de communiquer une certaine allégresse aux âmes.

M. de Rancé, dont j’étudie tout particulièrement les oeuvres en ce moment, imprime un caractère tout différent à ses religieux: c’est la terreur, la tristesse, un sombre respect. Ainsi, citant le trait de saint Grégoire de Nazianze qui, pour s’être blessé l’oeil avec une baguette dont il s’amusait, s’imposa une pénitence, M. de Rancé tomba en extase devant cette vertu. Que voulez-vous? Chacun a son genre. Moi, j’aime mieux celui de la Sainte Vierge et de sainte Elisabeth. En effet, dans ses relations avec le plus grand des enfants des hommes, la Sainte Vierge apporte la joie; les plus grands saints apportent presque toujours la joie. Exult..vit infans in utero. C’est dans la joie que l’enfant tressaillit.

Vous aussi, mes Soeurs, portez la joie, parce qu’il faut faire aimer le joug du Seigneur; gardez le sérieux, la gravité convenables à votre état, mais ne craignez pas de dilater les coeurs, de les faire tressaillir dans l’allégresse. Arrière les trop grandes tristesses, les mélancolies outrées; proclamez qu’il y a joie à servir Dieu et qu’il aime à être servi ainsi: Hilarem enim datorem diligit Deus. (II Cor. IX, 7.)

Vous voyez comme il faut combattre les natures sombres et tristes, qui voient partout catastrophes et bouleversements. Et si vous voulez une application, hélas! Vous l’avez de nos jours. Non pas que je dise que nos catastrophes ne sont pas trop réelles, mais regardez l’exemple de la Sainte Vierge. C’était une fille royale ruinée. Elle voyait Auguste détruire la nationalité juive; un étranger, Hérode, gouverner à Jérusalem. Il n’y avait pas là grand sujet de réjouissance. Ces malheurs touchaient de près la Sainte Vierge, descendante de race royale; personne mieux qu’elle ne pouvait ressentir le deuil de sa nation, et cependant, mes Soeurs, au milieu de ces tristesse profondes, elle a de la joie, elle porte la joie aux autres.

Et beata quae credidisti. Je ne sais, mes Soeurs, si vous vous rendez compte de la joie mêlée de tristesse de sainte Elisabeth. Oui, il y avait une certaine tristesse chez la cousine de la Sainte Vierge. Elle proclamait Marie binheureuse, parce qu’elle n’avait pas douté, et, en disant cela, elle ne pouvait s’empêcher de faire un retour sur elle-même, et elle pensait à Zacharie, Zacharie muet, parce qu’il avait douté. C’était là une cause réelle de tristesse, et cependant elle a le courage de dire à Marie: Beata es quae credidisti. Vous aussi, quand vous avez faibli, ayez la force de vous relever, ayez celle de relever par un sentiment de foi les personnes accablées de douleur.

La Sainte Vierge n’a pas parlé, mais on sent que sa foi, que sa grâce sont en dehors des règles communes, et l’esprit surnaturel déborde de son âme. Les religieuses aussi sont en dehors des règles du vulgaire. Votre vie n’est pas ce qui est conforme à la nature; les voeux ne sont pas la régle de tous; ce ne sont pas des devoirs communs que dompter sa chair par la chasteté, anéantir son être par l’obéissance, se détacher de toute possession terrestre par la pauvreté. Ne craignez donc pas de parler dans le monde le langage de la foi, de faire sentir que vous êtes transformées en Jésus-Christ. Dites bien haut que vous avez bien fait de quitter le monde et que vous êtes heureuses de l’avoir fait; dites que le triple sacrifice embrassé pour l’amour de Jésus-Christ vous est doux, que c’est un honneur qui vous rend heureuses.

Oui, malgré les souffrances, les tentations, les épreuves inséparables de la vie qui vous sont promises, comme elles l’étaient à saint Paul: Ego enim ostendam illi quanta oporteat eum pro nomine mea pati (Act. IX, 16), au-dessus plane le bonheur. Vous êtes bienheureuses, vous avez la béatitude dans la foi. Vous n’avez pas les joies de la terre, les douceurs de l’intérieur de famille, les jouissances du monde, les satisfactions de votre nature, tout cela est perdu pour vous; mais Beata est quae credidisti. Parce que vous avez cru, parce que vous avez sacrifié ces choses, de plus grandes s’accompliront en vous: Quoniam perficientur in te quae dicta sunt tibi a Domino.

Vous comprenez donc le sentiment de sainte Elisabeth, mêlé de tristesse et d’admiration. C’était la femme du monde recevant la religieuse. La Sainte Vierge, c’était la religieuse parlant au nom de la foi. Marie est supérieure à Elisabeth. Votre puissance sera aussi grande que la sienne si votre foi est égale. On sentira votre joie, et ce sera une prédication plus éloquente que tous les sermons. Vous pouvez faire un bien immense, non pas par vos discours, la Sainte Vierge ne dit pas à sainte Elisabeth: « Oh! que je suis heureuse! », mais on sent qu’elle est heureuse; vous aussi, prêchez le bonheur par tous les pores de votre être.

1° Elle dit: Magnificat. Toute ma vie est employée à louer le Seigneur; il n’y a pas un seul mouvement de mon âme qui ne monte vers lui. Dites qu’il n’y a pas cela dans le Magnificat, c’est un blasphème. Vous rendez-vous compte de la surabondance de grâces chez la Sainte Vierge, des moindres palpitations de son coeur dirigées vers Dieu, de son amour tendant toujours à glorifier Dieu.

Et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo. Voilà la joie que doit toujours donner la glorification de Dieu. Glorifier Dieu, c’est là le but de notre vie; mais y travailler est un bonheur ineffable et il mène à la possession de Dieu. Posséder Dieu, qu’est-ce pour une créature grossière, ignorante? Voyez la Sainte Vierge arrivée au sommet de cette union, quels transports d’allégresse s’emparent de son âme à ce moment! Et exultavit. Plus tard, elle aura ses douleurs, son martyre d’épreuves; mais ici la voilà la Reine des séraphins. Au-dessus de tout ce qu’il y a au ciel et sur la terre, je vois Dieu dans mon coeur, ce Dieu qui habite au ciel, ce Verbe par qui tout a été fait, ce Saint-Esprit, lien et amour du Père et du Fils. Je possède tout cela; il est en moi, il a consenti à être mon Père et mon Epoux.

C’est là votre histoire, mes Soeurs. Toute votre application doit être d’exciter ces sentiments en vous. Chaque jour, vous avez l’honneur de réciter le Magnificat. Le dites-vous avec la Sainte Vierge?

La Sainte Vierge a accompli l’acte d’amour parfait, elle s’est élancée vers Dieu; à présent, elle se replie sur elle-même pour contempler en elle la future génération des vierges qu’elle doit amener à son Fils, quia respexit humilitatem ancillae suae. Allez, de joie en joie, marchez dans l’allégresse, car il a regardé la bassesse de sa servante. La Sainte Vierge fait l’aveu de son néant. Nous aussi, reconnaissons notre misère, notre impuissance. « Je ne suis rien du tout, mais cela me remplit de joie. Malgré ma misère, Dieu me donne une belle mission; il établit son règne en moi, je suis la reine du ciel et de la terre, je porte en moi Celui qui est plus que toutes choses. »

Voyez encore un autre enseignement. Il faut, au milieu des conversations humaines, placer un mot de Dieu, pas longuement, mais un mot fécond qui résume votre bonheur; il faut remercier Dieu dans l’humilité, dire que lui seul est le principe de votre bonheur.

Ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes. Ici, la Sainte Vierge est prophète. Pouvait-elle savoir la réalisation de ces choses, le culte toujours croissant des siècles pour la servante du Seigneur. Et saint Luc aussi, qui écrivait ces magnifiques paroles, pouvait-il en présumer l’accomplissement? Voyez-vous, c’est encore une de ces preuves éblouissantes de clarté divine qui sont jetées à flots dans l’Evangile.

Quia fecit mihi magna qui potens est et sanctum nomen ejus. Ah! il faut bien reconnaître que tout vient de Dieu. Ce n’est pas mal, mes Soeurs, de se dire que Dieu a eu des faveurs spéciales pour nous. Sans doute, la prudence et l’humilité doivent guider notre reconnaissance pour les privilèges de Dieu; la direction est nécessaire, car le diable et l’imagination pourraient bien se servir de notre orgueil pour nous faire illusion à nous-même; mais je veux vous montrer là comment la Sainte Vierge, en reconnaissant les grâces qu’elle a reçues, proclame les perfections de Dieu.

Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus eum. Et nous voilà arrivés à la partie de la politique, mes Soeurs. De même qu’il y avait une miséricorde particulière de Dieu sur le peuple d’Israël, de même l’Eglise a reçu une mission particulière de Dieu pour son peuple. Nous voyons la prophétie de la Sainte Vierge exactement accomplie: Misericordia… timentibus eum. Il fait miséricorde aux individus, à ceux qui le craignent: ce sont les grains laissés après la vendange dont parle Isaïe (XXIV, 13), Dieu se les réserve. Les peuples ne veulent pas de ses faveurs, il les donne aux hommes qui lui restent fidèles. Dieu n’abandonne pas ses élus, il a ses miséricordes pour eux. C’est la grande loi de l’histoire, mes Soeurs; c’est aussi un principe de gouvernement politique; Omnia propter electos (II Tim. II, 10), et cette loi est manifestée par la Sainte Vierge. Pour l’application des temps présents, je vous renvoie à la lettre de Veuillot au général Trochu. Ceux qui craignent le Seigneur sur tous les points attirent la miséricorde de Dieu. Quand les peuples le craignent, sa miséricorde vient sur eux, et lorsque Dieu se retire parce que les nations ne veulent pas de lui, il reste encore avec ceux qui le craignent.

Fecit potentiam in brachio suo: dispersit superbos mente cordis qui, deposuit potentes de sede. Nous voyons quelque chose de cela aujourd’hui. Dieu disperse tout ce qui était orgueilleux dans l’âme. Nous autres, Français, nous étions fiers, fanfarons; la France entière était devenue gasconne. Que fait Dieu? Dispersit. Je ne sache pas de commentaire plus douloureux et plus vrai au texte que nous citons que les événements du jour. Deposuit potentes. Depuis la Révolution, Mgr. Manning compte qu’il y a eu quatre-vingts trônes renversés. Vous le voyez, Dieu a conservé ses habitudes.

Exaltavit humiles. Grosse question, mes Soeurs, les humbles seront exaltés. Où sont-ils aujourd’hui? Ils manquent. Car je ne prétends pas que le roi Guillaume compte parmi les humbles. Mais c’est comme au temps des rois de Juda, Dieu s’est servi du superbe Nabuchoconosor pour les châtir; il se sert aujourd’hui pour ses vengeances de l’orgueil pour châtier l’orgueil. Mais Guillaume ne sera pas du troupeau de Jésus-Christ. Non, les humbles seuls lui appartiennent; il sera l’instrument de Dieu, comme autrefois Gengis-Kan ou Tamerlan.

Le salut de l’humanité sera dans l’humilité des élus. Concevez-vous, mes Soeurs, une chose plus propre à relever l’Eglise que l’humilité de Pie IX, je ne dis pas de Jean Mastaï, mais du Pape, de la papauté? Il y a là-dedans un principe d’exaltation pour l’Eglise.

Esurientes implevit bonis. Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam quoniam ipsi saturabuntur, dira plus tard le Christ. (Matth. V, 6.) C’est là le point de vue qu’il faut prendre, mes Soeurs, se placer devant l’éternité et dire au riche: « Qu’est-ce qui nous restera des biens de ce monde? La Sainte Vierge, se plaçant sur le seuil de ce royaume de Dieu, avait le droit de dire aux riches: « Je vous vois dépouillés de tout pour entrer dans la nudité et l’humiliation du tombeau. Et divites dimisit inanes. »

Suscepit Israël puerum suum, recordatus misericordiae suae. Et quand les bouleversements seront accomplis, les trônes renversés et les superbes humiliés, Dieu prendra son peuple, suscepit. Ce que Dieu a fait pour l’Israël premier, il le fera encore; ces paroles de la Sainte Vierge donnent la raison si frappante de ce qui se passe aujourd’hui. Son pauvre petit peuple dispersé, c’est l’Eglise humiliée, abandonnée par sa fille aînée. Au milieu de toutes ses épreuves Dieu la prend et il poursuit son oeuvre, et il suscitera le peuple qui la sauvera. Quel sera-t-il? L’Espagne, l’Allemagne, l’Italie se sont éloignées; elles ont oublié le service de Dieu. C’est le rôle de la France, si elle redevient fidèle, elle, le bras droit de l’Eglise, le défenseur-né de la papauté.

Les dernières paroles de Pie IX sont là comme une auguste consolation pour témoigner que, malgré nos ingratitudes, malgré nos défaillances, la papauté s’appuie sur la France, l’Israël de Dieu.

Vous voyez donc, mes Soeurs, comment, dans cette conversation de la Sainte Vierge, toutes les grandes questions politiques et sociales sont admirablement traitées. Mais alors il faut s’attacher à l’Eglise, aimer l’Eglise que Dieu aime tant, puisque nous venons de voir les sentiments de la Sainte Vierge qui manifestent l’amour de son Fils, dont le coeur bat dans le sien.

Il aime son Israël, ce peuple qui devait le crucifier, mais au même moment, regardant l’abandon de cette nation élue, il choisit l’Israël nouveau, l’Eglise.

Recordatus misericordiae suae. Mes Soeurs, notre grand mal est de n’avoir pas confiance en Dieu. Dieu veut être pris par les sentiments. Nul n’a de coeur comme Dieu. Il n’oublie pas ses promesses, il est fidèle pour ceux qui se confient en ses miséricordes. Ainsi fait la Sainte Vierge. Elle dit: « Je porte en moi le gage, je sais que le Seigneur sauvera son peuple. »

Voilà, mes Soeurs, la philosophie de l’histoire, et j’engage messieurs les philosophes, préoccupés de nos bouleversements politiques, à considérer les harmonies merveilleuses de ces enseignement évangéliques. Toute l’histoire doit être étudiée dans ses rapports avec l’histoire de l’Eglise, à la lumière de laquelle toutes les autres s’éclairent.

Nous avons donc vu, mes Soeurs, comment le mystère de la Visitation résume, avec vos devoirs d’adoration et vos entretiens intimes avec Dieu et avec le prochain, les plus hautes questions sociales, et comment il devient un enseignement profond pour les besoins de notre temps. Si des solitudes d’Hébron une humble Vierge, en parlant si peu, jette une si grande splendeur sur la marche des événements humains, pourquoi une religieuse, prenant le côté supérieur des événements, ne montrerait-elle pas, soit dans ses rapports avec les enfants, soit au parloir, la conduite providentielle de Dieu? Pourquoi ne relèverait-elle pas les courages en disant qu’elle a confiance en Dieu, que Jésus-Christ explique toutes choses, puisque Dieu a fait les siècles en vue de son Fils? Fide intelligimus aptata esse saecula Verbo Dei. (Hebr. XI, 3.)

Si vous croyez cela vous-mêmes, si votre foi, est entière, je ne sais ce qui vous empêcherait d’aborder ces questions modestement, mais avec une instruction suffisante et la certitude que vous possédez comme filles de foi. Pourquoi n’affirmeriez-vous pas que la politique catholique est la seule vraie, et que les nations sont guérissables sous la main miséricordieuse de Dieu. Amen.

Notes et post-scriptum