- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
- SEPTIEME CONFERENCE DONNEE LE 12 NOVEMBRE 1870.
NAISSANCE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST. - Prêtre et Apôtre, X, n° 111, mai 1928, p. 139-143.
- DA 43; CN 1; CV 32.
- 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
1 ACTION DE DIEU
1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
1 AMBITION
1 AMITIE
1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
1 ANEANTISSEMENT
1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
1 APATHIE SPIRITUELLE
1 AUGUSTIN
1 AUSTERITE
1 BIENS DE L'EGLISE
1 CHARITE APOSTOLIQUE
1 CHARITE DE JESUS-CHRIST
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 CRECHE DE JESUS-CHRIST
1 DENUEMENT
1 DETACHEMENT
1 DIEU LE FILS
1 DIEU LE PERE
1 DISPOSITION DES BIENS
1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
1 DOT
1 EGOISME
1 ENFANCE DE JESUS-CHRIST
1 ENFANCE SPIRITUELLE
1 ENFANTEMENT DES AMES
1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
1 ENVIE
1 ESPERANCE
1 ESPERANCE BASE DE LA PAUVRETE
1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
1 EXAMEN DE CONSCIENCE
1 FAILLITE
1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
1 GENEROSITE
1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
1 HUMILITE
1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
1 IDEES DU MONDE
1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
1 JESUS-CHRIST JUGE
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 MERE DE DIEU
1 MIRACLE
1 MORALE INDEPENDANTE
1 MYSTERE DU SALUT
1 NATIVITE
1 NOTRE-SEIGNEUR
1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
1 ORDRE SURNATUREL
1 ORGUEIL
1 ORGUEIL DE LA VIE
1 PAIX DE L'AME
1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
1 PAUVRETE DE JESUS-CHRIST
1 PERFECTIONS HUMAINES DE JESUS-CHRIST
1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
1 PREDICATION
1 PRESOMPTION ENVERS DIEU
1 PRUDENCE DE LA CHAIR
1 PUISSANCE DE DIEU
1 RECHERCHE DE DIEU
1 REFORME DU COEUR
1 REGULARITE
1 RELIGIEUSES
1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
1 RENONCEMENT
1 RESISTANCE A LA GRACE
1 SAINT-ESPRIT
1 SAINTE FAMILLE
1 SAINTE VIERGE
1 SUFFISANCE
1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
1 TRISTESSE
1 UNION DES COEURS
1 VANITE
1 VIE DE SILENCE
1 VOIE UNITIVE
1 VOLONTE PROPRE
2 AUGUSTE, EMPEREUR
2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
2 IGNACE DE LOYOLA, SAINT
2 JOSEPH, SAINT
2 MAISTRE, JOSEPH DE
2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
2 PAUL, SAINT
2 PIERRE D'ALCANTARA, SAINT
2 PIERRE, SAINT
2 RANCE, ABBE DE
2 ROHRBACHER, RENE-FRANCOIS
2 SALOMON
3 BETHLEEM
3 JERUSALEM, TEMPLE
3 METZ
3 NAZARETH - Religieuses de l'Assomption
- 12 novembre 1870
- Nîmes
Plan de l’Auteur. -L’Incarnation est un immense anéantissement.
Invenietis infantem pannis involutum. -L’anéantissement par la Règle. Il est de plus en plus captif.
a) Obstacles a l’humilité: 1° L’égoïsme. Je me fais centre, je rapporte tout à moi, je me suffis. Christus non sibi placuit. La religieuse désenchantée se replie sur elle- même, se suffit à elle-même. 2° Par rapport au prochain, un certain esprit de domination. Que de leçons dont le mérite est perdu, à cause de la complaisance qu’on y a prise! Succès et insuccès avec les enfants. 3° Par rapport à Dieu, l’indépendance des sentiments, la plénitude de notre être.
b) Notions que cette naissance nous apporte: 1° Anéantissement des complaisances de l’âme pour ne se complaire qu’en Dieu. 2° Anéantissement de l’amour de l’estime et de la puissance humaine pour ne nous appuyer que sur la perfection et la force de Dieu. 3° Anéantissement de la vie propre et de la vie à côté de Dieu, pour ne vivre que de la vie de Dieu. Ecce habemus infantem Christum, erescamus cum illo, dit saint Augustin.
II. Pauvreté de la crèche
Pourquoi Jésus-Christ prend il la pauvreté?
1° Pour montrer qu’il ne s’appuie pas sur les moyens humains.
2° Pour mieux faire ressortir la puissance divine, dont il se servira.
3° Pour nous prémunir contre l’amour des richesses qui sont l’appât de Satan.
4° Pour nous conserver la liberté du coeur envers les richesses, quand on ne les a pas.
5° Pour nous enseigner la générosité, quand on les a.
Texte sténographié de la Conférence
Mes Soeurs,
Nous parlerons encore aujourd’hui de Notre-Seigneur, et, en considérant le mystère de la Nativité, nous tâcherons de nous rendre compte pourquoi il a voulu naître dans une étable pour y prendre notre nature. Tous les sermons de Noël traitent cette matière, et vous l’avez souvent méditée, mais j’espère pouvoir y glaner encore quelques réflexions tout particulièrement applicables aux religieuses.
I. Humilité prêchée à la religieuse
A) Manière dont Notre-Seigneur la prêche.
Notre-Seigneur a voulu établir le principe de l’humilité et de la pauvreté. C’est évident. Le texte de saint Paul nous le dit suffisamment: Exinanivit semetipsum. (Phil. II, 7.) Le voilà entré dans les dernières profondeurs de l’abaissement et du dépouillement. Il y a là, mes Soeurs, un modèle pour nous. Beaucoup de gens admirent, beaucoup de gens vont à Bethléem, ils font des crèches sur, à côté, en dessous de l’autel. Mais quels sont ceux qui entrent dans la pratique réelle? Quels sont les chrétiens qui vont au devant des rebuts comme à plaisir ainsi que Notre-Seigneur y va, porté dans les bras de sa Mère, de Bethléem à Nazareth et ailleurs?
Je ne veux pas examiner de nouveau ici ce que je vous ai dit du haut de cette chaire, ce que c’était que la crèche, comment ce praesepium était la pièce destinée aux animaux dans le caravansérail, une véritable étable. Toujours est-il que Notre-Seigneur ne voulut pas la place des hôtelleries, il se réfugia dans l’étable. Non erat eis locus diversorio. (Luc. II, 7.) Qu’est-ce qui fait le malheur d’une religieuse, mes Soeurs? C’est qu’elle veut être quelque chose. Elle se dit: « Pourquoi, pour cet emploi préfère-t-on ma Soeur une telle à moi? Pourquoi lui confie-t-on telle leçon à donner? Voyez la confiance que notre Mère a dans telle Soeur. Elle la garde dans sa chambre pour lui parler si longtemps, et elle ne me prend pas? » Qu’est-ce que cela veut dire, mes Soeurs? C’est qu’on veut chercher une place dans l’hôtellerie, et non pas avoir l’étable. Et pourtant Notre-Seigneur reste dans l’étable. Est-ce vrai, est-ce faux ce que je dis, mes Soeurs? Si dans un couvent il y avait hôtellerie et étable, une vraie religieuse se mettrait dans l’étable, et le jour où tout le monde dans le couvent procéderait ainsi, la paix, l’union, le bonheur y régneraient.
Pas d’illusion, mes Soeurs, vous n’êtes pas ambitieuses. Vous ne désirez pas être ministre de la Guerre, ni amiral, ni maréchal, c’est évident. Mais on veut son petit rang, sa petite distinction, et Notre-Seigneur, que veut-il? Qu’on le mette avec les animaux: Posuit eum in praesepio. Voyez l’humilité pratique de Notre-Seigneur à peine sorti du sein de sa Mère. Lorsque vos agitations, vos désirs inquiets se manifestent et que votre Supérieure est obligée de vous dire: « Eh bien! ma fille,je vous mettrai dans l’hôtellerie », je voudrais que vous répondiez en vraie religieuse: « Ma Mère, mettez-moi dans l’étable. Là nous trouverons l’Enfant-Jésus. »
A Bethléem, les gens qui auraient parcouru les auberges de la ville pour y chercher Notre-Seigneur ne l’auraient pas trouvé. Il était dans la crèche, c’est-à-dire dans le dénuement le plus total qu’on puisse imaginer. Où le trouverons-nous au couvent? Au tabernacle en premier lieu, sans doute, mais aussi dans la cellule de la plus humble religieuse qui est oubliée et qui aime qu’on l’oublie. Il ne sera pas dans la cellule de l’orgueilleuse, de la prétentieuse, de celle qui est jalouse des honneurs et qui aime qu’on la considère. Non, mes Soeurs, ce sont des hôtellerie où Notre-Seigneur ne se trouve pas. C’est dur, mes Soeurs. Il est vrai qu’une telle façon m’épouvante. Au premier instant que Notre-Seigneur vient au monde,il écrase mon orgueil par ses abaissements.
Voilà donc une condition de bonheur, de perfection. Je laisse de côté en ce moment la perfection pour ne m’occuper que du repos que l’humilité donne à l’âme. Un petit enfant couché sur la paille: il est tranquille, parce qu’il se contente d’une crèche. Couchez-vous dans la crèche, mettez-vous entre le boeuf et l’âne, vous aurez la paix. Invenietis infantem pannis involutum.
Voulez-vous à présent que j’envisage l’humilité dans l’obéissance? Avez-vous jamais vu une religieuse orgueilleuse dans l’obéissance? N’avez-vous pas remarqué la facilité extrême avec laquelle on se réfugie dans l’observance de certaines règles avec tout un bagage d’orgueil? Notre-Seigneur ne fait pas ainsi. Il consent à être garrotté, la crèche est le premier autel où il s’immole. Invans. La Raison incarnée ne parle pas, le Verbe de Dieu se tait. C’est ainsi qu’il faut qu’une religieuse soit muette dans l’obéissance, car voyez l’obéissance muette de l’Enfant-Jésus.
Pourquoi ne parle-t-il pas? Ici, il y a encore à distinguer deux espèces de silence. Vous savez bien qu’une religieuse peut se taire par des motifs divers. Ce sera par mauvaise humeur, par bouderie, par esprit de cachotterie, ou bien ce sera par douceur et humilité. Deux religieuses recevront un ordre désagréable. L’une se tait par fierté, raideur intérieure, l’autre par abandon; elle se laisse faire, elle se laisse poser doucement dans la crèche. Examinez donc le motif de votre silence dans l’obéissance. Dans quelles dispositions me laisserai-je faire?…
B) Obstacles à l’humilité.
Nous venons de voir l’humilité que Notre-Seigneur nous enseigne et nous demande, voyons maintenant quels sont dans notre coeur les obstacles à l’humilité.
1° L’égoïsme. Je me fais centre, je rapporte tout à moi, je me suffis. Admettez que je ne parle pas de vous, mes Soeurs, mais depuis trente-cinq ans que je suis grand vicaire, que de prêtres j’ai pu observer qui se suffisent à eux-mêmes! Ils se suffisent par bon caractère, ce qui n’est pas mal; par indépendance, ce qui n’est pas bon; par opposition, et c’est encore moins bien. Je reviens à vous. Une religieuse qui se suffit à elle-même; elle est là, les mains dans ses manches, les yeux baissés, elle n’a pas le temps de contempler l’univers, tant elle est occupée à se contempler elle-même.
Une Supérieure me parlait de certaines religieuses qui, lorsqu’elles ont une idée, préparent pendant huit jours, s’il le faut, ce qu’elles croient nécessaires pour la faire accepter. Ce sont de petites choses, oui, c’est égal, c’est une petite volonté. Elles se font centre. Christus non sibi placuit. (Rom. XV, 3) Jésus-Christ ne s’est pas complu même dans la crèche. Il pouvait prendre le berceau des enfants d’Auguste, mais il ne cherchait autre chose que la pauvreté et l’humilité.
Je voudrais parler ici d’un certain état des religieuses, pas des jeunes ni de celles qui ont assez et bien combattu, mais de celles qui, en combattant, ont été vaincues au dedans et qui attribuent aux autres leurs défauts. Je les appellerai des religieuses désenchantées. Ah! mes Soeurs, que Dieu vous préserve à tout jamais de cet état de religieuse désenchantée! « Dans mon temps, dit-elle, je ne respirais que discipline sanglantes, pénitences au réfectoire, ferveur dans mon lever, ardeur devant le Saint Sacrement; j’ai de l’expérience. » Voyez-vous, c’est dans le coeur de cette religieuse que vous trouveriez l’amandou, s’il n’y en avait plus sur la terre; c’est sec, c’est mort, le feu n’y prendra pas. Ah! pauvre fille d’expérience et de désenchantement!
Il y avait quarante siècles que Notre-Seigneur se faisait annoncer par les prophètes, il voyait tout l’enchaînement de sa vie, il savait tout ce qui suivrait sa naissance, l’ingratitude des Juifs, les Messes sacrilèges, les mauvaises Communions; il le savait quand il institua l’Eucharistie avec ce corps même qu’il avait déposé dans la crèche, et pourtant: Verbum caro factum est et habitavit in nobis. (Joan. I, 14.) Notre-Seigneur n’a pas été désenchanté, et je pense que vous admettez bien qu’il avait autant de prudence, de sagesse, de science que la religieuse en question.
Mes filles, si jamais vous rencontrez une religieuse désenchantée, fuyez-la comme la peste, car elle communiquera la peste sinon à votre corps, du moins à votre âme. Et nous, admirons Notre-Seigneur jetant du haut de son éternité un regard sur toutes les ingratitudes qui devaient, dans le cours des siècles, s’exercer à son égard, envisageons le bon Maître qui ne se désenchante pas. Il commence, il ira jusqu’à la fin, il ira toujours. Vous aussi, mes Soeurs, vous avez commencé, vous avez embrassé d’un regard la vie que vous avez voulu choisir; continuez, n’ayez pas peur, ne soyez pas une religieuse désenchantée.
2° Voilà donc le premier obstacle à l’humilité considéré par rapport à nous-mêmes, c’est-à-dire l’égoïsme; le deuxième obstacle se manifeste dans nos rapports avec le prochain, et je l’appellerai un certain amour de domination. Notre-Seigneur est encore là notre Maître dans l’admirable mystère de sa Nativité. Notre-Seigneur vient. Il ne se fait pas centre, il s’anéantit en prenant le corps de l’homme. Et vous, mes Soeurs, ne cherchez- vous pas à avoir votre petite influence, à conserver votre petite place? « Je suis si habile à discerner les vocations au parloir! Je conduisais si bien cette enfant, et voilà que notre Mère la donne a une autre Soeur. » Chacun domine à sa façon, on veut être maître de quelque chose.
Examinons la religieuse qui a un peu d’action auprès des enfants et de ses Soeurs. Dans quel but l’exerce-t-elle? Est-ce pour avoir du succès? Est-ce dans un sentiment humain, pour établir son influence, afin de passer pour bonne et aimable, pour une Soeur qui sait très bien causer? Ah! mes Soeurs, à quoi cela aboutit-il? A faire des oeuvres apostoliques d’une manière tellement humaine qu’elles sont sans mérite, et que Dieu leur ôte l’efficace.
3° Abordons un point plus grave, un point diabolique. Satan, précipité du ciel parce qu’il osa s’élever contre son Seigneur et Maître, a prétendu s’égaler à lui. Supposons une religieuse séparée des créatures et seule en face de Dieu. Dans quels sentiments sera-t-elle par rapport à Dieu? Dans vos méditations, vos prières devant le Saint Sacrement, c’est magnifique, vous êtes les filles les plus dépendantes du monte. Mais après? Car, le temps de votre sommeil retranché, il vous reste bien une douzaine d’heures de veille. Eh bien! pendant ces douze heures, que faites-vous de votre dépendance à l’égard de Dieu? Je trouve à la place l’indépendance de vos sentiments, la plénitude de votre être, je, je, je, moi, moi, moi. Vous ne dites pas ces mots, mais analysez vos sentiments et vous trouverez que je parle vrai.
C) Notions que la naissance de Jésus-Christ nous apporte.
La naissance de Jésus-Christ nous apporte me pour ne se complaire qu’en Dieu.
1° Anéantissement des complaisances de l’âme pour ne se complaire qu’en Dieu. « Il ne faut pas s’arrêter à moi, et pourtant je suis si bien, j’ai une bonne nature, je peux dire comme Salomon (Sap. VIII, 19): Sortitus sum animam bonam, je suis si gentille, regardez-moi. » Notre-Seigneur, de la crèche, nous apprend à ne pas nous complaire en nos qualités. Il se laisse faire: Invenietis. La Sainte Vierge le tourne et le retourne comme elle veut, sans doute avec un profond respect; et puis viendront les bergers et les mages après; ils seront reçus aussi. L’Enfant est entre le boeuf et l’âne; les voisins entrent, et, en voyant l’Enfant couché dans cette crèche, les uns rougiront, les autres féliciteront. Je vois là, mes Soeurs, le sacrifice de tous les sentiments de complaisance humaine.
2° Anéantissement de l’amour de l’estime et de la puissance humaine, pour ne s’appuyer que sur la perfection et la force de Dieu. Pénétrons dans le Coeur de Notre-Seigneur. Que pensez-vous que furent les sentiments de Notre-Seigneur au moment solennel de sa naissance, duquel on peut dire que c’était vraiment la plénitude des temps? Uvi venit plenitudo temporis misit Deus Filium suum. (Gal. IV, 4.) Que pensons-nous, sinon que ce fut l’adoration la plus profonde du Père? Propter nos homines homo factus est. Déjà homme parfait dans le sein de sa Mère, il devait croître extérieurement aux yeux des hommes; mais aux regards du Père, il avait atteint la perfection, in virum perfectum (Eph IV, 13). Quels actes d’amour dans l’union avec son Père, non pas seulement par l’union hypostatique, mais par cette magnifique adoration que sa sainte humanité, devenue créature de Dieu, lui rendait! Du fond de sa crèche, il ne s’occupe pas des créatures, mais d’une seule chose, sancti cetur. Ce fut la première parole de Notre-Seigneur du haut de ce trône dérisoire qu’il avait voulu prendre en face du trône éternel de son Père. Et une telle leçon, mes Soeurs, ne confondrait pas notre orgueil et nous n’aurions pas, à l’exemple du Sauveur, le mépris de la gloire, le mépris de l’estime des hommes? Ah! que nous sommes loin de respirer cette vie apportée par Jésus-Christ. Quand voudrons-nous donc nous perdre en Dieu, ne vivre qu’en Dieu!
3° Anéantissement de la vie propre et de la vie à côté de Dieu. Je ne dis pas, mes Soeurs, que votre vie soit opposée à Dieu, vous n’êtes pas de ces grands pécheurs qui ont passé quarante ans sans se confesser. Mais votre vie est à côté de Dieu. Jésus-Christ marche sur une ligne, vous sur une autre; ce sont deux lignes parallèles et jamais vous ne rencontrez Jésus-Christ. Combien de religieuses qui ne se sanctifient pas, uniquement parce que leur perfection passe toujours à côté de Dieu! C’est l’explication de beaucoup de sécheresses, de tristesses intérieures, de chutes; vous n’avez pas la paix, parce que vous n’êtes pas en Dieu. Voyez Jésus-Christ qui vous apporte le moyen d’être en Dieu. Saint Augustin a plusieurs textes magnifiques à ce sujet; je vais vous en citer qu’un. Ecce habemus infantem Christum, creseamus cum illo. (Serm. CXCVI in Natali Domini.) « Nous avons le petit Enfant, croisons en lui »,pas à côté de lui. Il est là qui vous dit: « Voulez- vous vous mettre dans mes langes, entrer dans ma crèche, croître avec moi? » Voyez sa miséricorde, il ne se présente pas homme fait, mais petit enfant, homme à faire. En religion, vous êtes à faire et il s’approche de vous et dit: « Voulez-vous que je grandisse avec vous? »
C’est là le perpétuel mystère de la naissance de Jésus-Christ qui se renouvelle en nos âmes.
II. Pauvreté prêchée de la crèche à la religieuse
Pourquoi Jésus-Christ prend-il la pauvreté?
1° Pour montrer qu’il ne s’appuie pas sur les moyens humains. Nous touchons ici, mes Soeurs, au grand ordre de la croix et de la souffrance. Les pères de l’Eglise se sont arrêtés devant ce mystère, muets d’admiration, et Rohrbacher l’a dit: « Un homme pendu, le monde converti. » C’est là le problème. Comment cela a-t-il pu se faire? Mais le problème a commencé trente-trois ans avant dans la crèche.
Mes Soeurs, ce matin, en faisant mon adoration devant le Saint Sacrement, je pensais d’abord que je voudrais avoir 500 millions, rien que pour les employer en bonnes oeuvres, et puis je me suis dit: « Un acte d’amour parfait vaut plus de 500 millions. » (Si vous êtes chrétiennes, vous devez le croire.) Alors, pourquoi perdre son temps à chercher ainsi ce qu’on ne peut pas avoir, au lieu de tâcher d’acquérir ce que Dieu veut nous donner certainement? Et voyez tout de suite le profit: L’amour de saint François d’Assise a produit des miracles, l’amour de saint Pierre a converti le monde, et si j’arrive, par l’amour parfait de Dieu dans mon coeur, à faire des miracles, cela ne vaut-il pas mieux qu’avoir des millions?
Vous pouvez donc faire des miracles. Il y a deux sortes de miracles dans le plan divin: 1° les miracles extérieurs que Dieu permet pour l’affermissement de la foi ou le triomphe de son Eglise; 2° le travail perpétuel de notre âme dans l’union de notre volonté avec la grâce. Dieu aide, l’âme concourt. Il y a secours d’un côté; de l’autre, action que nous exerçons pour la gloire de Dieu sans moyens humains.
Considérez l’Enfant Jésus Invenietis infantem pannis involutum. Voilà le moyen que Dieu va prendre. Et dire que c’est là le moyen que la Sainte Trinité emploie pour conquérir le monde, sauver les justes, condamner les pécheurs, faire des saints! Après cela, venez me dire que les moyens humains sont quelque chose.
Je ne prétends pas qu’il faille les repousser, non; mais je prétends que de la crèche sort la condamnation de la prudence humaine, et que vous, religieuses, devez entrer dans cet ordre divin qui jaillit de la grotte de Bethléem. Notre-Seigneur ne s’appuie pas sur les moyens humains, il ne veut donc pas qu’on s’y appuie, qu’on y compte exclusivement.
Vous connaissez le texte du psalmiste: Hi in curribus, et hi in equis: nos autem in nomine Dei nostri invocabimus. (Ps. XIX, 8.) C’est ce qui vient d’arriver à Metz: ils avaient mis leur confiance dans leurs coursiers, et leurs coursiers ont manqué pour traîner leurs canons. Mais l’Esprit-Saint ajoute: Nos autem in nomine Domine Dei nostri invocabimus. (Ps XIX, 8.) Nous autres, nous espérons en Dieu; nous vivons de l’esprit de foi, nous avons mis notre confiance dans le Seigneur.
Ah! ne craignez pas ici les pieuses exagérations de la foi, je parle d’après M. de Maistre, mieux vaut cela que les défaillances de l’esprit humain.
2° Pourquoi l’Enfant Jésus naît-il dans la pauvreté de la crèche? Pour mieux faire ressortir la puissance de Dieu. Je laisse de côté d’autres considérations, je prends la religieuse au point de vue de son avancement personnel et j’examine sur quoi elle s’appuie. Une religieuse bonne fille s’appuie sur sa Mère générale, sur sa Maîtresse des novices, sur sa Supérieure particulière, sur telle Soeur pour laquelle elle a une estime particulière; elle s’appuie sur son costume, sur certains articles de la Règle, sur la majesté de sa vocation.
Ah! mes Soeurs, toutes ces choses peuvent être considérées comme des moyens humains, on peut s’y appuyer et ne pas s’appuyer Dieu, si on ne l’y voit pas. Qu’une religieuse cherche ce qu’il y a de divin dans tous les moyens que je viens d’énumérer, elle a raison; mais ce que je poursuis dans ce moment, c’est le côté purement naturel, car Jésus-Christ dans sa crèche a désespéré le sentiment humain, les appétits humains. Mes Soeurs, croyez-moi, vous serez de très bonnes filles, mais le résultat sera nul, vous ne ferez aucun progrès.
Voyez comme la Sainte Vierge s’appuie sur Notre-Seigneur, l’Enfant Jésus sur sa divine Mère et sur saint Joseph. Appuyez-vous de cette façon tant qu’il vous plaira, vous ne sauriez trop le faire. Allez donc fouiller dans le mystère du dénuement de la crèche. Notre-Seigneur est terrible dans ses enseignements, lors même qu’il ne fait que vous sourire et qu’il vous dit: « Soyez donc sainte de la bonne façon, non pas de votre façon, mais de la mienne.
3° Notre-Seigneur nous prémunit contre l’amour des richesses, qui sont l’appât de Satan. Mes Soeurs, dans son traité de la pauvreté, M. de Rancé établie que recevoir une religieuse avec une dot, c’est faire de la simonie, et il le prouve par les Bulles des Papes et les décrets des conciles. Une des facultés de la riche imagination de M. de Rancé était de prendre les choses de travers.
L’Eglise autorise les dots, l’emploi des richesses dans les communautés. Cependant, il est parfaitement évident que le Saint-Esprit a dit (Ps. LXI, 11): Divitiae si affluant, nolite cor apponere, et qu’il y a une bénédiction particulière promise au détachement des richesses. On est bien embarrassé entre saint Pierre d’Alcantara, qui ne voulait pas même donner un toit à ses religieux et saint Ignace, qui voulait que non seulement ils eussent des couvents, mais encore des maisons de campagne. Il y a là certaines choses à examiner de près. Quand on voit, d’une part, la pauvreté extrême des Capucins, et, de l’autre, les couvents magnifiques des Jésuites, je le répète, on est fort embarrassé. Tout en vous disant de vous en rapporter à vos Supérieures, je vous engage à la pauvreté absolue au point de vue personnel; quant à la pauvreté de la congrégation, je n’ai pas encore des idées arrêtées là-dessus.
Le Fils de Dieu fait homme est né dans une crèche, il n’a pas eu pendant sa vie une pierre où reposer sa tête; il est mort dans le dénuement de la croix. Voilà la vérité. Et pourtant Notre-Seigneur use de la richesse de ses amis, il s’est fait prêter par eux pour des aumônes; il a accepté le parfum d’un grand prix que Madeleine répandait sur ses pieds. Dieu a voulu que son Temple de Jérusalem fût magnifique entre tous, et chaque jour l’Eglise édifie des églises splendides. Il est vrai que M. de Rancé dit que l’habit de l’évêque n’est pas celui du moine.
En résumé, mes Soeurs, ces questions ne peuvent pas être tranchées d’une manière absolue aujourd’hui. Je ne me prononce pas, c’est trop délicat. Peut- être que les révolutions le décideront un jour. Une chose reste incontestable, c’est que Notre-Seigneur a voulu conserver la liberté d’esprit vis-à-vis des richesses que nous n’avons pas.
Je vais en parler d’après ma propre expérience, mes Soeurs, car j’ai été ruiné trois ou quatre fois déjà. Quand on examine attentivement les choses, on constate facilement que quand on a de l’argent, on n’y tient pas. Je n’y tenais pas quand je l’avais, et c’est pour cela que je l’ai dépensé. Quand je n’en ai plus eu, j’y ai tenu. Que voulez-vous? C’est une forme du coeur humain. On en connaît jamais le prix que des choses perdues. Eh bien! mes Soeurs, il y a là une liberté de coeur à garder. Il faut écarter les troubles, les preoccupations, les désirs. Notre-Seigneur ne se préoccupait pas des richesses. Lui, le bâtisseur universel de tous les temples qu’il devait élever à son Père, il n’avait pas le sou! Examinez-vous sur ces choses. Notre- Seigneur dit: Nolite solliciti esse dicentes: quid manducalimus… (Matth. VI, 31 sq.) Voilà l’exemple de Jésus-Christ.
4° Je vais, en terminant, prendre la question sous un autre point de vue. Qu’est-ce que cet Enfant dans cette crèche? C’est celui qui va donner toutes les richesses spirituelles; c’est le père des pauvres, et il veut établir la véritable charité sur la terre. Tous les pauvres sont soulagés par Jésus-Christ. La philanthropie elle-même n’est que la singerie, le simulacre de Jésus-Christ, de façon que cette copie ignoble de Notre-Seigneur fait encore du bien. Jésus-Christ est le plus grand de tous les pauvres.
Elevons-nous encore plus haut. Je vois quelque chose de si beau dans l’enfantement de la Sainte Vierge. Elle avait conçu Jésus-Christ, elle l’enfante, le reçoit et le dépose dans une crèche. La religieuse qui a conçu Jésus-Christ, qui l’a reçu le matin dans la sainte Communion, qui a ses lèvres encore empourprées du Sang de Jésus-Christ en allant au parloir, au milieu des enfants ou parmi ses compagnes, a mission de mettre au monde Jésus-Christ, de le faire naître dans les âmes. Comprenez-vous quelque chose de plus admirable?
Quelle est la fonction de Marie? Mettre au monde Jésus-Christ, une fois, d’une manière très parfaite. La religieuse le met au monde d’une manière moins excellente sans doute, mais elle dépose Jésus-Christ dans l’âme des enfants. N’est-ce pas magnifique, mes Soeurs, malgré vos misères, vos imperfections, de déposer Jésus-Christ dans le coeur des autres en votre qualité de mères.
Accomplissez donc votre mission, mes Soeurs, et rappelez-vous qu’il faut y ajouter l’amour; il est permis de dire que jamais Notre-Seigneur n’a été aimé comme dans le moment où la Sainte Vierge le recevait entre ses bras pour le donner au monde. Son bonheur d’Epouse et de Vierge a été rendu parfait, au moment où elle est devenue Mère de Dieu. Vous aussi, mes Soeurs, soyez des mères de Dieu. Les âmes de vos enfants sont là comme de pauvres petites étables, bien vilaines, bien souillées par le péché; nettoyez-les, préparez-les dans la vérité. Il ne dépendait pas de la Sainte Vierge que Notre-Seigneur fût couché ailleurs que dans une crèche, mais il dépend de votre amour et de votre zèle que Jésus-Christ soit tout entier dans les âmes. L’exaltation de la Sainte Vierge date de ce moment-là. Vous avez, mes Soeurs, une mesure de grâce dont nul ne peut embrasser la portée. Agrandissez, accroissez Jésus-Christ dans vos âmes, vous deviendrez mères heureuses et fécondes. Qu’est-ce qu’une religieuse consacrée à l’éducation, sinon la plus parfaite imitatrice de la Sainte Vierge? Ainsi donc, ne soyez pas seulement mères, soyez chastes épouses dans vos rapports intimes avec Dieu.