OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • NEUVIEME CONFERENCE DONNEE LE 13 NOVEMBRE 1870.
    LA VIE CACHEE DE JESUS-CHRIST A NAZARETH
  • Prêtre et Apôtre, X, N°113, juillet 1928, p. 200-204.
  • DA 43; CN 1; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENCE DE JESUS-CHRIST
    1 AFFAIBLISSEMENT DU CERVEAU
    1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 CLERGE
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONGREGATIONS DE FEMMES
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 CONTRITION
    1 CONVERSATIONS
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 COUVENT
    1 CRITIQUES
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOIR
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 EFFORT
    1 EGLISE
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENFANCE DE JESUS-CHRIST
    1 ENFANTS DES ECOLES
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT DE L'EDUCATION
    1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 EXAMEN
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 FATIGUE
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FEMMES
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE DE LA SAINTE VIERGE
    1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 IMPROBITE
    1 INJUSTICES
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST DOCTEUR
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LACHETE
    1 LEGERETE
    1 LIBERTE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAGES
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 MARIE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 NOVICE
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 PERE SOURCE DE LA FOI
    1 PERFECTION
    1 PERFECTIONS HUMAINES DE JESUS-CHRIST
    1 POLEMIQUE
    1 PRATIQUE DE LA PAUVRETE
    1 PRESENTATION AU TEMPLE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RECHERCHE INTERIEURE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REMEDES
    1 ROUTINE
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINT-SIEGE
    1 SAINTE FAMILLE
    1 SAINTE VIERGE
    1 SENTIMENT DES DROITS DE DIEU
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SILENCE DE JESUS-CHRIST
    1 SIMPLICITE
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 TRAVAIL
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 VERTUS
    1 VERTUS DE LA SAINTE VIERGE
    1 VIE ACTIVE
    1 VIE CACHEE DE JESUS-CHRIST
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    1 VIE DE SILENCE
    1 VIE HUMAINE
    1 VIE RELIGIEUSE CONTEMPLATIVE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VIGILANCE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 EUGENE III
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GREGOIRE XVI
    2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
    2 LAURENT, CHARLES
    2 LUC, SAINT
    2 MABILLON
    2 MARIE DE L'INCARNATION ACARIE, BIENHEUREUSE
    2 PAUL, SAINT
    2 RANCE, ABBE DE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 EGYPTE
    3 JERUSALEM
    3 JERUSALEM, TEMPLE
    3 NAZARETH
    3 ROME, PALATIN
    3 VIGAN, LE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 13 novembre 1870.
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. -Après sa présentation [au Temple], Jésus a reçu les Mages et fui en Egypte. Il est [ensuite] venu à Nazareth, est monté au Temple [à l’âge de douze ans] et, pendant dix-huit ans, nous ne savons de lui que ces mots: Et erat subditus illis.

C’est cette vie de Nazareth que je veux étudier. Si vous me demandiez quel a été le plus parfait des couvents, je vous répondrai: Nazareth. Joseph, pourvoyeur; Marie, Supérieure; l’Enfant Jésus, Jésus jeune homme, Jésus entrant dans la plénitude de l’âge, formant la communauté.

Or, j’y apprends trois choses, en dehors de l’obéissance dont je ne veux pas parler aujourd’hui: 1° la solitude; 2° le travail; 3° la vie intérieure.

La solitude. Qui se doutait de cette perfection aussi obscure et cachée?

a) Dans la solitude, se perd la vanité qui cherche à plaire.

b) Dans la solitude, l’âme se replie sur elle-même et se méprise.

c) Dans la solitude, l’âme cherche par-dessus tout à plaire à Dieu, séparée qu’elle est des créatures.

La vie intérieure. -Que devaient être les conversations de Jésus et Marie, de Jésus et Joseph? L’Enfant devenait docteur. Quelles paroles admirables!

a) Puissance de cette vie perdue en Dieu.

b) Acquisition des vraies vertus cachées.

c) Facilité pour la Règle, pour l’oraison, dans cet admirable silence.

d) Paix de l’âme dans la fuite des agitations extérieures.

Le travail. -Des deux espèces [de travail.]

a) Le travail matériel, pénible, fatigant. N’importe. Notre-Seigneur l’a pris.

Quid du travail matériel à faire faire à quelques religieuses? Utilité de ce travail.

b) [Travail des] études. Grosse question. Les uns [sont] pour, les autres contre. Rien d’absolu. Selon les diverses vocations. Mais qu’est-ce que la vie de la plupart des religieuses de l’Assomption sans l’étude? Que devient leur intelligence? Leur influence? Leurs obligations envers les enfants et envers leurs parents?

Et erat subditus illis. Jusqu’à trente ans. Que de religieuses qui dans leurs travaux et leurs études auraient besoin d’être dirigées jusqu’à cinquante!

Et Jesus proficiebat sapientia, et etate, et gratia apud Deum et holines. Il faut que dans la vie on sente le progrès et non la routine. -La religieuse routinière. -La religieuse croissant en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Le sujet que je veux aborder aujourd’hui est celui de la vie cachée de Notre- Seigneur. Elle a duré trente ans sur les trente-trois ans de sa vie. C’est vous dire toute son importance. Nous laisserons donc de côté le mystère de la fuite en Egypte; nous laisserons encore, si vous le voulez bien, les douze premières années de sa vie, trois passées en Egypte et neuf dans la solitude de Nazareth, et, arrivant à la visite de la Sainte Famille au Temple et à la perte de l’Enfant Jésus, je me contenterai de fixer votre attention sur cette parole prononcée par Jésus surpris au milieu des docteurs: Quid est quod me quaerebatis? Nesciebatis quia in his quae Patris mei sunt oportet me esse. (Luc. II, 49.)

C’est là, votre état, mes Soeurs. Vous n’avez plus à vous occuper des choses du monde, les soucis terrestres ne sont plus les vôtres, et, alors même que votre ministère vous porterait au dehors et que vous auriez encore à rencontrer les affections de famille, il faut vous dépêcher, il faut ne pas demeurer là. Je ne veux pas certainement exclure les sentiments du coeur pour les vôtres, mais je vous demande de faire passer au-dessus de ces sentiments très légitimes, très avouables, un sentiment supérieur, le sentiment de vos obligations d’étudier la réponse surnaturelle de l’Enfant Jésus. Et, mes Soeurs, je ne donnerai pas d’autre conclusion pratique à une religieuse embarrassée pour se conduire dans bien des circonstances. Souvenons-nous que nous avons un moyen de trancher bien des difficultés par cette parole: In his quae Patris mei sunt oportet me esse. Le service de Dieu avant tout. Dans ce qui vous reste de relations avec votre famille et avec le monde, vous serez surprises, mes Soeurs, de voir combien par là vous pourrez trancher de problèmes.

Mes Soeurs, je veux vous croire plus intelligentes qu’on ne le prétend généralement. Vous savez qu’on dit des femmes qu’elles peuvent bien saisir une question particulière, une question de détail, mais qu’elles ne peuvent pas embrasser les vues générales. Eh bien! je veux vous faire tout trouver dans cette simple devise: His quae Patris mei sunt oportet me esse. Et puisque Mme Acarie, pénétrée de ces simples paroles: Trop est avare à qui Dieu ne suffit, savait s’en servir pour se tirer d’une foule d’affaires, pourquoi ne vous donnerais-je pas aussi dans une simple réponse le moyen de sortir d’embarras dans beaucoup de circonstances?

Lorsqu’il m’arrive d’être arbitre entre une femme et son mari, je vais vous dire comment je fais. Je m’occupe des enfants. Quel est l’intérêt des enfants? Souvent je trouve ainsi la solution du différend. De même pour une religieuse, mes Soeurs, qu’elle prenne le point de vue de son Père qui est aux cieux; qu’elle ne traite pas ses affaires en envisageant son intérêt personnel. On reproche souvent aux religieuses de penser à elles et de n’avoir pas de coeur. Je dis: Voyez l’intérêt de Dieu, la gloire de Dieu.

Vous avez un Maître à qui il faut rendre compte de l’emploi de votre temps, de vos affections, de votre travail: In his quae Patris mei sunt oportet me esse.

Je n’insiste pas davantage, mes Soeurs, sur cette scène magnifique, sur cette perte de l’Enfant Jésus par la Sainte Vierge; je n’examine pas si la Sainte Vierge a perdu le divin Enfant par une apparence de manque de soins, et si une religieuse peut aussi perdre Notre-Seigneur par l’apparence des imperfections; je rentre à Nazareth, et au sujet des dix-huit ans que Notre-Seigneur y passa ensuite, qu’est-ce que je lis dans l’Evangile? Seulement ces quelques mots: Puer autem crescebat. (Luc. II, 40.) Et erat subditus illis. (Luc. II, 51.) De ces dix-huit ans passés dans la solitude et la retraite de Nazareth, nous ne savons pas autre chose. C’est là la vie cachée, mes Soeurs. Et pourquoi Notre-Seigneur a-t-il voulu trente années de vie cachée sur trente-trois? Pourquoi a-t-il permis que les dix onzièmes de sa vie aient été ensevelis dans l’obscurité de cette petite ville juive? Qui dira que cette vie de saint Joseph, de Marie, de l’Enfant Jésus n’était pas la vie de communauté la plus parfaite? Saint Joseph était l’économe; la Sainte Vierge, la Supérieure; l’Enfant Jésus, la communauté tout entière. Modèle parfait d’une maison religieuse. Vous voyez, mes Soeurs, que vous pouvez très bien entrer dans cette communauté; vous aurez le plus beau rôle, celui de Jésus.

Avez-vous douze ans, dix-huit ans, trente ans? Regardez Notre-Seigneur. Il a voulu mourir, il est vrai, à l’âge parfait, à trente-trois ans; mais, dès sa naissance, il avait atteint cet âge; il était homme parfait, rempli de la sagesse et de la science éternelles. Toutefois, il a grandi dans le silence, dans la solitude, dans l’obscurité, occupé au travail vulgaire des mains dans l’atelier de saint Joseph. Eh bien! mes Soeurs, c’est à ce double point de vue de la vie cachée et du travail que je veux prendre la religieuse.

I. Vie cachée

La vie cachée implique la solitude. Mes Soeurs, je sais fort bien que les vocations religieuses sont multiples. Une Bénédictine ou une Trappistine doit chercher plus de solitude qu’une fille de Saint-Vincent de Paul, appelée aux oeuvres extérieures, ou même qu’une religieuse de l’Assomption vouée à l’éducation. Mais rappelez-vous ceci: toute religieuse qui, dans une certaine mesure ne cherche pas la solitude, s’expose au reproche que faisait saint Bernard au Pape Eugène III: Ereor Vego, ne arbor bona faciens fructum bonum, explantata faciat nullum. Vidimus interdum vitem in prima plantatione fecundam, in secunda sterilem. (Epist. CCLXXIII.)

« Je crains beaucoup, disait saint Bernard au Pape, qu’au milieu de toutes vos préoccupations votre coeur ne s’endorme. » Moi aussi, je crains qu’une religieuse qui donne des leçons du matin au soir, qui va constamment au parloir, qui a de nombreuses malades à soigner, qui a la responsabilité de tout ce qui se passe dans la maison, ne se laisse absorber par ses distractions et ses préoccupations, et qu’elle ne s’expose à perdre le sentiment de componction et de sainte tristesse qui fait le fond de sa vie religieuse. Oui, vraiment, cela est à craindre. Où retrouvera-t-elle ce sentiment? Dans sa cellule, à la chapelle, dans le silence. C’est là, pour vous le dire en passant, l’utilité du silence, non seulement du grand, mais du petit silence. » Ils sont dans la solitude, dit saint Bernard, parce qu’ils ne parlent pas. » Voilà la fécondité du petit silence. Au milieu des gens qui vont et qui viennent, il fait la solitude, et, par là, le recueillement et l’esprit de contemplation.

Il faut donc qu’une religieuse soit dans la solitude, parce qu’elle doit avoir la liberté du coeur dont je vous parlais hier, et que cette liberté ne se trouve que dans le recueillement que donne la solitude. Cherchez dans l’Evangile, vous ne trouverez pas un seul mot rapporté de saint Joseph, peu de paroles de la Sainte Vierge, et, quand elle parle, c’est pour fournir à Notre- Seigneur l’occasion de la remettre, en quelque sorte, à sa place; ce qui revient à la doctrine de M. de Rancé, que les Supérieurs doivent humilier leurs religieux pour les engager à se taire… Et Notre-Seigneur, que dit-il? Peu de chose. Sauf les mots qu’il prononça à Jérusalem, à l’âge de douze ans, l’Evangile ne rapporte rien de lui; il se contente de dire: Et Jesus proficiebat sapientia, et aetate, et gratia apud Deum et homines. (Luc. II, 52.) Voilà tout.

Trente ans de silence, mes Soeurs. Et pourquoi? Parce qu’il faut que nous allions dans le silence et dans le recueillement, car le silence sans le recueillement n’est rien. La pensée vient quand l’esprit sort de ses divagations. La pensée est un repli de l’âme sur elle-même. Une religieuse qui ne rentre pas en elle-même, laissant de côté toutes les folles distractions, n’est pas capable de penser. C’est ce qui arrive aux femmes du monde, toujours au dehors de leur âme, jetées dans la foule extérieure. La vie des religieuses est précisément le contraire.

Où cela conduira-t-il? Aux saintes conversations et à l’oraison.

Cela conduira d’abord à ce don de parler de Dieu, qui ne vient que dans la solitude, car la bouche parle de l’abondance du coeur. C’est sans doute un don de savoir parler de Dieu; pourtant, quand je vois celles qui en parlent si peu et si mal, je conclus que si elles pensaient davantage dans la solitude, elles parleraient mieux des choses divines. Je ne demanderai pas qu’elles parlent davantage, mais qu’elles disent un mot, une parole qui rende le sentiment de Dieu. On n’a pas le sentiment de Dieu, parce qu’on ne sait pas s’enfoncer dans la solitude où le Seigneur réside. Voilà le grand mal. On ne sait pas se recueillir, on ne sait pas porter le joug de la solitude, rentrer en soi, parler de Dieu. Je vous prie de me dire ce que devait être la conversation de la sainte Famille, de saint Joseph, de Marie, de Jésus. Voyez-y l’admirable modèle des conversations des religieuses: saint Joseph, l’économe, parlant si peu des affaires temporelles, -Il allait pourtant acheter des poutres; -la Sainte Vierge, la Supérieure, chargée de tout le soin matériel de la maison; l’Enfant Jésus jetant sa parole divine. Avez-vous le don de parler ainsi?

Croyez-moi, les choses iraient bien mieux si votre économe ne parlait des affaires temporelles que comme saint Joseph, et si chacune, de vous ne parlait des choses spirituelles que comme l’Enfant Jésus. Me direz-vous que ces conversations n’étaient pas intéressantes; que l’Enfant Jésus ne disait pas des merveilles; que la Sainte Vierge, après avoir fini son ménage, n’était pas une très bonne directrice de conversation; que saint Joseph, après avoir travaillé à ses socs de charrue, ne revenait pas rempli du Saint-Esprit? Il faudrait, dans la salle de communauté, un tableau représentant la sainte Famille. Vous ne pourriez avoir rien de mieux sous les yeux pendant les moments de délassement.

A la suite de ces conversations à trois, il y avait les conversations a deux: saint Joseph parlait à Dieu, qui lui avait confié son Fils; la Sainte Vierge, épouse du Saint-Esprit, conversait avec lui; l’Enfant Jésus s’entretenait avec son Père. Conversations merveilleuses, admirables colloques, modèles sublimes de la vie d’oraison. Qu’est-ce que la vie intérieure, sinon se séparer des créatures pour entrer en commerce avec Dieu? Qu’est-ce que la vie contemplative? La séparation des actions extérieures, de manière qu’on passe son temps dans la contemplation de la vérité. Sur quoi saint Thomas se demande si les vertus morales ne sont pas un moyen d’arriver à la contemplation et il répond oui et non. Non, comme essence de la vie contemplative; oui, comme condition, comme préparation pour y arriver. Il faut que les vertus morales précèdent la vie contemplative. Vous ne recevrez pas le don de la contemplation si vous ne vous êtes depuis longtemps exercée à la pratique des vertus; mais pour la vie active, elles en sont l’âme. Ainsi donc, repliez-vous en vous-même; montez, en laissant les créatures derrière vous, comme l’enseigne saint Jean de la Croix; allez plus haut, jusque dans le sein de Dieu; ne cherchez pas d’autre lumière que la sienne: Accedite ad eum et illuminamini (Ps. XXXIII, 6;) n’ayez d’autre conversation que la sienne: Nos autem conversatio in coelis est. (Philip. III, 20.) Je ne vois pas de modèle plus parfait que Notre-Seigneur Jésus-Christ à Nazareth, croissant en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes pendant dix-huit ans.

II. Le travail

Dans cette vie contemplative, on ne restait pas les bras croisés, pas plus que dans les grottes et les cellules de l’Egypte où les solitaires du désert priaient, contemplaient en travaillant constamment à tresser des nattes, des corbeilles, etc. Il y a donc eu dix-huit ans de travail pour l’Enfant Jésus à Nazareth. Je veux les examiner à deux points de vue: le travail des mains et l’étude.

Le travail des mains. -Mes Soeurs, ce travail convient excellemment à des religieuses pauvres. Il est utile de subir l’humiliation du travail des mains. A ce propos, je dois vous raconter le résultat de mes propres expériences, et en même temps la différence d’opinion qu’on peut avoir sur cette question. Il arrive quelquefois, au Vigan, que le P. Hippolyte envoie ses novices aux travaux des champs, pour ramasser le foin, vendanges, selon que le travail l’exige. Quand le P. d’Alzon est au Vigan, Il va aussi dans les prés pour donner l’exemple, mais il souffle bientôt et ses soixante ans l’obligent de s’arrêter. Eh bien, le P. Laurent qui est, vous le savez, un excellent religieux, très fervent, très scrupuleux même, est fort scandalisé de cette façon de faire; il trouve tout à fait inutile d’employer à des ouvrages serviles des novices destinés à être un jour prêtres, professeurs ou missionnaires. Examinons donc cette question et, sans vouloir faire une mauvaise querelle au P. Laurent, je vous dirai tout d’abord que le P. Hippolyte a raison. Il est très utile d’imposer aux novices le travail des mains, parce qu’il est bon de subir quelquefois une humiliation; parce que, pour guérir la paresse et corriger certaines indépendances, le travail est un moyen admirable. Sans entrer dans les discussions de Mabillon et de M. de Rancé à ce sujet, ma conviction est que, dans certains cas, rien n’est bon pour mater les mauvaises têtes comme le travail en plein air. Si une religieuse fait endêver sa Supérieure, qu’elle l’envoie ramasser du foin. Je vous assure que dans très peu de temps, par le seul effet du grand air, elle reviendra corrigée. J’ai fait là-dessus une expérience complète sur les têtes des jeunes gens. Si l’on faisait tourner l’eau du puits aux religieuses malades d’esprit, bien des têtes s’arrangeraient.

Sans doute, Notre-Seigneur a voulu surtout être le modèle de l’humanité condamnée au travail des mains, mais prenant seulement le point de vue que je vous indique, il s’y trouve un avantage, un bien immense. Je le recommande à votre Mère générale pour l’application, car ce qui convient à l’une ne convient pas à l’autre; c’est une question de prudence. Croyez-moi, le travail des mains est un puissant moyen de guérir certaines tentations,comme la paresse, les écarts de l’imagination, ou même certaines habitudes d’indépendance. Quand on a bien travaillé à la sueur de son front, on revient le corps brisé par la fatigue et l’âme courbée par l’humiliation. Votre Mère a bien fait d’avoir partout de grands jardins; c’est plus pratique qu’on ne pense.

Le travail de l’étude. -J’aborde cette question, non pas pour organiser un plan d’étude; non, je m’adresse à des épouses de Jésus-Christ qui n’en ont pas moins des sécheresses. Il vous a été dit: Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. (Gen. III, 19.) Et dès l’abord, je vous présente l’étude comme un moyen de vaincre certaines tentations et d’expier vos fautes. C’est là un but très réel, et très utile. Toutefois, vous me permettrez de la considérer avant tout comme une dette à solder.

a) Dette à solder envers les enfants que vous devez instruire. J’ai mon expérience là-dessus. Les professeurs de notre collège de Nîmes ne sont pas tous religieux, et je vois ce que sont quelquefois les leçons qu’on donne aux élèves. M. Durand, homme très distingué, plein d’intelligence et de savoir, ne ferait jamais une classe sans la préparer deux ou trois heures. D’autres professeurs, les moins habiles, ne la préparent jamais. Ceci est une question de conscience. Votre dette est double, triple même. Vous l’avez contractée vis-à-vis des parents qui vous ont confié ce qu’ils ont de plus cher, et vous êtes obligées de payer ce qu’on vous paye. C’est une question de justice.

Vous l’avez contractée vis-à-vis des enfants, que vous avez promis à Dieu de bien élever, en vous engageant à former leurs intelligences. Si vous n’étiez dans le monde qu’une maîtresse de piano ou de géographie, passe encore; mais vous voulez être plus que cela, vous avez la prétention légitime de doter les esprits d’un enseignement supérieur à l’histoire ou à la géographie. Et cette prétention est fondée, puisque vous voulez ajouter une éducation chrétienne. Ce que vous avez promis, il faut le donner. Si vous êtes une maîtresse routinière, qu’est-ce que cela va devenir? Au fond, il est très aisé de mettre la leçon dans sa tête et de la donner ainsi. On l’a fait si souvent; c’est toujours la même chose.

Mes Soeurs, si vous ne faites pas quelques progrès, votre intelligence se racornira et l’esprit de vie se retirera de vos lèvres. Cela est si vrai que, ayant perdu l’habitude d’un certain travail, j’ai passé deux heures cet hiver à chercher la différence qu’il y a entre une proposition générale affirmative et une proposition générale négative, entre une proposition particulière affirmative et une proposition particulière négative. Le P. Laurent, qui est un travailleur désespérant arrive, et, en deux minutes, il me l’explique clair comme le jour. Ceci prouve qu’il faut se préparer. La religieuse qui ne prépare pas ses leçons ou qui ne leur donne pas tout le charme nécessaire pour les faire bien accepter est très coupable; elle pèche contre la justice envers les parents et envers les enfants; je vais plus loin, elle se rend coupable envers la Congrégation à laquelle elle appartient.

Je sais le mal qu’ont fait à notre collège de l’Assomption deux professeurs routiniers. Ce n’étaient pas des hommes à moyens courts et c’étaient de braves gens, mais ils faisaient attendre. Quand l’heure de la classe sonnait, ils lisaient l’Univers. Les résultats ont été déplorables. Ainsi, bien souvent, telle religieuse qui a moins de moyens réussira mieux qu’une autre plus instruite, parce qu’elle fera son oeuvre en conscience. N’ont-ils pas raison les enfants de se plaindre que les maîtres sont ennuyeux et qu’ils leur servent toujours les mêmes ritournelles? Et croyez-vous, mes Soeurs, qu’une religieuse n’est pas redevable envers les parents, envers les enfants et envers sa communauté de tout son travail? Je le répète, c’est une question de conscience.

L’Eglise pousse les Congrégations de femmes vers l’enseignement; l’oeuvre de l’éducation reçoit tous les jours les bénédictions les plus abondantes du Saint-Siège. Vous savez que le Pape Grégoire XVI n’a pas voulu permettre que les Visitandines du mont Palatin fussent expulsées et qu’il a désiré qu’elles eussent un pensionnat. Cependant, ce n’était pas l’intention du fondateur. Votre enseignement est donc voulu de l’Eglise, et, par cela même, vous avez une dette envers la communauté. Je voudrais que les religieuses fissent leur examen de conscience sur ce point; peut-être y trouveraient-elles matière à confession.

Je prends la question à un autre point de vue, vous avez une dette envers l’Eglise. S’il est vrai que l’Eglise pousse les Congrégations de femmes à l’enseignement, il n’en est pas moins vrai qu’elle a besoin de leur travail. Elle qui vous accorde tant de grâces et tant de privilèges, qui vous fait épouses du Christ, n’a-t-elle pas le droit d’attendre quelque chose de vous? Ne peut-elle pas vous demander que vous prépariez vos classes?

Revenons à notre modèle. Que faisait l’Enfant Jésus à Nazareth? Sans doute, il ne préparait pas son enseignement, il n’en avait pas besoin; mais, placé devant une société toute païenne et corrompue, il prévoyait la céleste doctrine qui allait renouveler le monde. Vous aussi, vous avez à donner un enseignement évangélique à une société antichrétienne et impie. Comprenez donc la grande dette que vous avez contractée vis-à-vis de l’Eglise. La moitié du genre humain vous est confiée, et vous ne convertissez pas l’autre!

C’est un grand honneur aussi que l’on vous fait, mes Soeurs. Le sacerdoce semble insuffisant à propager la vérité, il appelle les femmes à son aide. Ces femmes, à qui saint Paul avait dit qu’elles n’élèveraient pas la voix dans les églises (I Cor. XIV, 34.) les Papes leur ordonnent de parler, de répandre les doctrines catholiques à cause de la pestilence de l’enseignement actuel. C’est pourquoi vous devez aller à Nazareth vous retremper dans le silence, source féconde de tout enseignement chrétien, et vous recevrez avec Jésus la grâce et la sagesse. La sagesse, qui peut être un don personnel, vous sera donnée à cause de votre bonne volonté, de vos intentions droites et pures; la grâce du Saint-Esprit viendra comme une lumière dans votre intelligence, si vous savez vous gêner pour accomplir cette quadruple dette. Vous ferez des efforts, et l’étude vous soutiendra à ce niveau supérieur où vous devez demeurer.

De même que l’homme remue la terre pour lui faire porter des fruits, ainsi vous remuerez votre intelligence pour lui faire produire des pensées. Vous ferez plus, vous cultiverez cette terre spéciale avec respect, comme l’Enfant Jésus à Nazareth.

Et lorsque vous devrez entreprendre un labeur plus pénible; lorsque, dans vos études, sous le poids de la fatigue, vous serez tentées de découragement, tournez-vous vers l’atelier de Nazareth et dites: « Enfant Jésus, qui avez travaillé plus rudement que moi, faites que je mette tout le zèle, toute l’application, toute la bonne volonté que vous avez mis au travail grossier des mains. »

Ainsi, tout en vous appliquant à un travail moins pénible que celui du divin Enfant, vous accomplirez un labeur très utile par l’effort que vous aurez fait pour élever votre intelligence. Et vous aurez préparé celle-ci à la grâce de la vie contemplative, vous servant de votre travail comme d’un moyen pour vous unir à Dieu, qui est le terme de toute vie chrétienne ici-bas.

Notes et post-scriptum