OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • DIXIEME CONFERENCE DONNEE LE 17 NOVEMBRE 1870.
    LA TENTATION DE NOTRE-SEIGNEUR.
  • Prêtre et Apôtre, X, N° 114, août 1928, p. 229-233.
  • DA 43; CN 2; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ADORATION
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 AUGUSTIN
    1 BAPTEME DE JESUS-CHRIST
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CLERGE
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORRUPTION
    1 DECADENCE
    1 DEFIANCE DE SOI-MEME
    1 DEMONS
    1 DESOBEISSANCE
    1 DIABLES ADVERSAIRES
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 EMPIRE DE SATAN
    1 ENERGIE
    1 ENFER ADVERSAIRE
    1 ENNEMIS DE JESUS-CHRIST
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ERREUR
    1 ERREURS DIABOLIQUES
    1 ESPERANCE
    1 ESPERANCE BASE DE LA PAUVRETE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT DE PECHE
    1 ESPRIT DIABOLIQUE
    1 ESPRIT FAUX
    1 ETRE HUMAIN
    1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
    1 EXAMEN
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 FLATTERIE
    1 FOI
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 FORMATION DES AMES DES ELEVES
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 FORMATION DU CARACTERE
    1 HABITUDES DE PECHE
    1 HAINE
    1 HAINE DE SATAN CONTRE JESUS-CHRIST
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
    1 INFIDELITE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE LE MAL
    1 LUTTE CONTRE SATAN
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MECHANTS
    1 MESSIE
    1 MONDE ADVERSAIRE
    1 MORT
    1 NEGLIGENCE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 NOVICIAT
    1 ORDRES CONTEMPLATIFS
    1 ORGUEIL
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PECHE MORTEL
    1 PECHES CAPITAUX
    1 PECHEUR
    1 PERFECTION
    1 PERSEVERANCE
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PREDICATION DE JESUS-CHRIST
    1 PRESOMPTION ENVERS DIEU
    1 PRUDENCE
    1 PURETE D'INTENTION
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DU COEUR
    1 REGNE
    1 REGULARITE
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 REMEDES
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 RESPECT
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SATAN
    1 SERVICE DU ROYAUME
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUJETS DU ROYAUME
    1 TENTATION
    1 TOLERANCE
    1 TRIPLE CONCUPISCENCE
    1 VERITE
    1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
    1 VIE CACHEE DE JESUS-CHRIST
    1 VIE DE JESUS-CHRIST
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE PUBLIQUE DE JESUS-CHRIST
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIGILANCE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 ADAM
    2 BELIAL
    2 EVE
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 RODRIGUEZ, ALPHONSE
    3 NAZARETH
  • Religieuses de l'Assomption
  • 17 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur. –Tunc Jesus ductus est a Spiritu in desertum. Trois questions [à ce sujet]: 1° Quel est le tentateur? 2° Quel est l’être tenté? 3° Quel remède à la tentation?

Le tentateur. -Un être parfait ou plutôt une armée immense d’êtres parfaits dans leur origine. Non est nobis colluctatio [adversus carnem et sanguinem; sed adversus principes et potestates…] Esprits méchants et homicides. [Esprits] haineux, jaloux. Tamquam leo rugiens.

Quel est l’être tenté? -Un être déchu, dégénéré, toujours faible. Une religieuse, la grande ennemie de Satan.

Le remède. a) La foi Non in solo pane [vivit homo]. Cui resistite fortes in fide. La foi contre le démon, qui in veritate non stetit. b) L’humilité. Non tentabis Dominum. Deum tuum. Fuite des occasions. c) La confiance. Qui habitat in adjutorio Altissimi. d) Le zèle. Dominum Deum tuum adorabis. Vae duplici corde. Mihi autem adhaerere Deo bonum est.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Il y a un moment très important de la vie de Notre-Seigneur que je veux étudier attentivement avec vous, mais après avoir supprimé quelques épisodes, comme la visite de Notre-Seigneur à saint Jean-Baptiste, le baptême de Notre-Seigneur et d’autres faits qui sont utiles sans doute, mais nous entraîneraient à des considérations trop prolongées.

J’arrive donc au moment où Notre-Seigneur, après avoir reçu le baptême de Jean, se rend dans le désert: ;Tunc Jesus duclus est in desertum. (Matth. IV, 1.) Ce baptême de Jean- Baptiste peut être considéré comme une certaine consécration de Notre-Seigneur par le Saint-Esprit, qui apparaît pendant que le Père fait entendre ces paroles: Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi complacui. (Matth. III, 17.)

Mes Soeurs, c’est aussi le moment de la consécration de la religieuse qui s’est donnée à Dieu d’une manière toute spéciale au jour de sa profession. Notre-Seigneur n’avait pas besoin de cette consécration; il a pourtant voulu la recevoir par le baptême de Jean-Baptiste, et c’est là le point qui sépare sa vie privée de sa vie publique. Il reçoit alors sa mission, il quitte l’obscurité de Nazareth, le silence de la vie cachée, et il va, premier apôtre, prêcher son Evangile. N’est-ce pas aussi, mes Soeurs, une grande époque dans la vie d’une religieuse, que celle où, le noviciat terminé, elle entre en rapport avec le monde, autant que sa vocation et ses devoirs d’état le demanderont?

Qu’est-ce qui se passera? Elle fait encore la retraite qui précède sa profession, et, après cette dernière solitude avec Dieu, postea esuriit. Il se trouve, en effet, des moments de tristesse dans la vie. Ce sera un peu plus tôt, un peu plus tard; pour Notre-Seigneur, ce fût tout de suite. Le Noviciat était le doux asile de mon âme; la vie y était facile, soutenue; j’y étais si heureuse dans la ferveur de la régularité, â l’abri des difficultés, et voilà qu’il faut partir, quitter ce cher Noviciat, comme Notre-Seigneur a quitté Nazareth! Et où irez-vous? Vous irez où l’on vous dira. Et qui rencontrerez-vous? Le diable, mes Soeurs. Au-dessus de la lutte contre les hommes, au-dessus des épreuves de la vie, vous aurez les combats à soutenir contre le démon. Toute religieuse doit s’y attendre. Nous allons examiner la question sous sa triple face.

1° Quel est le tentateur?

2° Quel est l’être tenté

3° Quels sont les remèdes à la tentation?

1. Le tentateur

Nous allons assister à une lutte. Quel sera l’agresseur? L’être le plus parfait dans son origine, je me trompe, une multitude immense, une innombrable armée des êtres les plus parfaits. Voilà ce que c’est que le diable. Ce n’est pas un seul tentateur, c’est la troisième partie du ciel précipitée dans les gouffres de l’enfer et ayant permission d’en sortir pour tenter tous les hommes et, d’une manière plus violente, ceux qui sont appelés à une vie plus parfaite. Rappelez-vous le texte de saint Paul: Quoniam non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem; sed adversus principes et potestates, adversus mundi rectores tenebrarum aerum. (Eph. VI, 12.) De façon que vous n’avez pas à combattre seulement comme chrétiennes, mais comme religieuses vouées à une vie apostolique. Les principautés des enfers s’élèveront contre vous. Satan enverra ses chefs et ses légions, car il s’agit ici d’arracher l’empire à Jésus-Christ, et vous êtes avant tout des apôtres. Il peut y avoir un million de religieuses, si l’on compte celles qui sont répandues sur la surface de la terre; ce seront 30, 40, 60 millions de démons qui seront envoyés contre elles.

Vous savez toutes l’histoire racontée dans Rodriguez, et comment lorsqu’un seul petit démon suffisait pour garder, les jambes croisées, toute une grade ville livrée à Satan par les plaisirs du monde, il y avait des milliers de diables autour d’un monastère, affairés, haletants, courant çà et là pour tourmenter les pauvres religieux. Ceci n’est qu’une figure; cependant, il est évident qu’il n’y a pas un seul couvent qui ne soit entouré d’une quantité de démons.

Voilà une religieuse chargée d’une classe. Elle a d’abord autour d’elle autant de démons que d’élèves, puis le diable se propose de faire de petites damnées de toutes vos enfants, et de vous aussi. Il dit: « Cette religieuse veut non seulement m’enlever son âme, mais encore m’arracher les âmes de ces enfants; je vais mettre à toutes les forces de l’enfer mes armées de démons. » Oui, mes Soeurs, tel est le langage de votre adversaire, et vous avez affaire à des esprits méchants, homicides: Ille homicida erat ab initio. (Joan. VIII, 44.) La haine du démon ne pourtant pas s’assouvir contre Dieu, se tourne contre l’homme qu’il a déjà perdu, elle prend des proportions formidables.

Le démon s’arrête-t-il un instant? Non, mes Soeurs. Vous êtes toutes des femmes intelligentes. Eh bien! qui que vous soyez, le démon a plus d’esprit que vous. Vous le savez, en tant que pur esprit, il a plus d’intelligence, plus de valeur, plus d’énergie que les âmes qui sont unies à un corps. Il nous dépasse, la théologie nous le dit, par les privilèges de sa nature angélique et aussi par son expérience. Il y a plus de six mille ans, mes Soeurs, que le diable joue le rôle de tentateur. Vous admettez bien qu’une religieuse qui a beaucoup vécu a plus d’expérience qu’une jeune religieuse. Vous voyez la supériorité d’ancienneté que Satan a sur vous. Plus de six mille ans! Depuis ce temps, il n’a d’autre métier que celui de perdre l’homme; il accumule contre lui tout ce qu’il y a dans les enfers de haine, de jalousie, de ruses diaboliques; c’est une richesse d’invention, une science de perdition dont vous ne pouvez vous faire une idée.

II. L’être tenté

Quel est l’être tenté? Mes Soeurs, c’est un être déchu, dégénéré, affaibli contre les attaques du démon par le péché originel, ayant une secrète intelligence avec Satan par la corruption de son origine et les bouillonnements du foyer du péché qu’il porte en lui. Tel est l’enseignement de la théologie. Cet être toujours faible, toujours enchaîné sur la pente du mal par l’inclination originelle, se trouve placé entre deux choix à faire; le service de Dieu, le service du démon. L’un qui proclame le renoncement, le devoir, l’austérité et qui commence par ces mots: « Faites pénitence »; l’autre qui dit à l’homme: « Tu as raison; tu sens les révoltes de l’orgueil, les soulèvements de la colère, les instincts de la jalousie, les sept péchés capitaux enfin, je te permets de les suivre et te passe toutes tes fantaisies, grandes et petites. Je vais l’aider dans l’accomplissement de toutes tes satisfactions. » Ainsi parle le démon, qui n’a qu’un désir: nous pousser dans l’abîme de nos inclinations corrompues, entretenir nos passions, allumer dans notre coeur le feu des convoitises, et nous sommes par le péché les complices de ses funestes desseins. Voilà le très grand danger.

Il faut un véritable esprit de foi pour repousser les insinuations de Satan comme celles de notre plus mortel ennemi.

En passant, je veux vous faire remarquer ce que serait une Supérieure qui vous passerait toutes vos fantaisies; elle serait le diable, ni plus ni moins. Ainsi, mes Soeurs, le meilleur moyen de ne pas lui ressembler, c’est de ne pas laisser faire aux jeunes religieuses toutes leurs volontés. Le diable, c’est le roi des concessions. Ayez donc le courage de résister. Ne cédez pas, vous, maîtresses, vis-à- vis des enfants; vous, Supérieurs, vis-à-vis de vos filles; vous toutes, mes Soeurs, vis-à-vis de vous-mêmes: luttez toujours, parce que l’entraînement naturel nous porte du côté des concessions, et que ce n’est pas trop de toute notre volonté, unie à la grâce, pour triompher.

C’est donc un être déchu que l’homme qui veut des concessions. Savez-vous où cela mène? Faites tomber un peu de poussière du mur, cela n’est rien; mais continuez toujours, et le mur s’écroulera, et la maison avec lui. Ainsi en va-t-il des concessions. Au début, c’est imperceptible, puis cela dégrade, puis cela détruit, et, finalement, cela fait tomber en ruine. Voilà l’histoire physique et morale des couvents.

Il ne faut accepter les concessions que pour reprendre ensuite, comme on fait tomber des parties d’un mur pour le mieux reconstruire; Si vous n’agissez point de la sorte, la décadence s’ensuivra, l’ennemi triomphera, parce que le démon est toujours derrière les concessions.

Maintenant, pourrai-je vous parler de ce qu’est une religieuse par rapport au démon? Je me figure que le démon a deux grands ennemis: les prêtres et les religieux. Sans vouloir nous exalter et faire moins belle la part des Ordres purement contemplatifs, je ne crains pas d’affirmer que le plus grand ennemi du diable est dans la partie du genre humain qui est appelée à une vie plus parfaite, c’est-à-dire qu’il est représenté par ceux et celles qui sont voués aux oeuvres apostoliques.

C’est tout simple. Le diable a son règne, Jésus-Christ a le sien. La religieuse apostolique se consacre à étendre le règne de Jésus-Christ par l’éducation et l’enseignement de la vérité, et vous ne voulez pas que le démon vous fasse l’honneur de vous détester? Partez donc de ce principe, Satan vous déteste; s’il ne vous déteste pas, prenez garde, il vous méprise.

Mes Soeurs, ceci me conduit à vous dire quelque chose du cas qu’il faut faire de l’estime des méchants. Ceux qui dans le monde cherchent leur approbation s’exposent à recevoir une estime semblable à celle que le démon donne aux religieuses qui ont déchu de leur vocation. La lutte entre le bien et le mal est permanente, il n’y a pas de conciliation possible entre Jésus-Christ et Bélial. Lors donc que le démon flatte, il ment, car il est le père du mensonge. (Joan. VIII, 44.) Et lorsque ses représentants sur la terre adressent des éloges, lorsqu’ils offrent d’une main la concession et de l’autre l’encens, méfiez-vous-en, n’acceptez ni l’un ni l’autre; ils parlent au nom de leur maître infernal.

Voilà donc, mes Soeurs, la décadence de notre nature humaine, voilà l’être déchu, corrompu, qui doit lutter contre les principautés de l’enfer. Cela posé, j’arrive à la troisième partie.

III. Moyens de résister à la tentation

Le diable a tenté Notre-Seigneur jusqu’à la croix, nous serons tentés sans relâche. Nous n’aurons jamais que des trêves honteuses, des paix menteuses basées sur la fourberie, la haine, les desseins infernaux de cet ennemi suprême du genre humain. Croire autre chose, c’est le comble de la déraison, comme croire à un compromis possible avec les gens du monde, c’est de la folie et, je ne crains pas de le dire, un crime.

a) Le premier remède à ce péril, c’est la foi. Notre- Seigneur au désert nous l’indique: Non in solo pane vivit homo. (Matth. IV, 4.) Que veut dire cette parole? Que l’homme a besoin de se nourrir de vérité. Concluez-en qu’une des raisons pour lesquelles le démon vous déteste particulièrement, c’est que, à l’exemple du divin Maître, vous donnez aux âmes une vérité abondante par votre enseignement chrétien. Ego veni ut vitam habeant. (Joan. X, 10.) Cette vie, c’est la vérité.

La religieuse chargée d’enseigner doit donner une surabondance de vie. A ce point de vue, n’ayez pas peur d’aller trop loin. Saint Paul dit bien: Lac vobis potum dedi non escam (I Cor. III, 2), et il ne faut pas donner aux petites filles de cinq ans ce que peuvent porter d’autres capables de faire un cours de philosophie. Il faut toutefois donner à celles de cinq ans une nourriture adaptée à leur âge, et c’est peut-être un travail plus sérieux, plus difficile que d’instruire des intelligences plus développées. Il faut donner en peu de mots des principes clairs, nets, précis, qui restent dans ces petites âmes, les traitant avec un grand respect, se souvenant de ces paroles de Notre-Seigneur: Sinite parvulos, et nolite eos prohibere ad me venire. (Matth. XIX, 14.)

Ces âmes sont exposées à la tentation; c’est aux religieuses chargées de l’enseignement de leur donner la vérité si abondante qu’elles puissent résister plus fortement. Les enfants et les chrétiens sont comme des troupes qu’on mène au combat. Si dès le commencement elles sont vaincues, le découragement s’empare d’elles, les défaites succèdent aux défaites. Au contraire, si de bonne heure les enfants sont accoutumés à se vaincre, la victoire sur eux-mêmes deviendra une habitude; les succès grandiront à mesure que l’enfant croîtra et que, sa raison et son intelligence se développant, Dieu permettra à la tentation de devenir moins violente.

L’habitude de vaincre aura été contractée chez la petite fille; plus tard, devenue femme et mère de famille, elle saura résister et triompher des difficultés plus grandes de la vie.

De ce principe je conclus, mes Soeurs, qu’il ne faut pas donner seulement le lait aux jeunes âmes, mais la nourriture forte et substantielle, le pain de la parole de Dieu. A une condition toutefois, c’est que vous la préparerez pour la proportionner à leur intelligence. Ne dites donc pas: « Ces petites filles n’y comprendront rien. » C’est une erreur. Leur curiosité, leur désir de savoir sont beaucoup plus développés que vous ne pouvez croire. Les parents et les maîtresses qui, sous ce prétexte, négligent de former la vérité dans ces petites âmes, sont assurément très coupables.

Je vais prendre la question sous un autre point de vue. L’intelligence des enfants se développe en bien ou en mal, selon qu’on la remplit de vérité ou d’erreur. Vous pouvez être responsables du résultat qui se produira plus tard. Une enfant qui, dès son jeune âge, aura été habituellement vaincue par le démon, perdra le sens de la vertu; il sera fort difficile, dans la suite, de lui faire contracter l’habitude de la lutte et de la victoire. Préparez-la donc par votre enseignement rempli de vérité et de doctrine chrétienne.

Savez-vous que c’est un grand honneur d’être chargé de distribuer la parole de Dieu, même aux petites filles, et que ce n’est pas trop de tout votre zèle, de toute votre application, de toute votre intelligence pour remplir cette grande mission. Donnez donc le pain de cette divine parole, en vous rappelant que Notre-Seigneur a dit: Non in solo pane vivit homo, et que votre plus grande force, pour terraser Satan, est cette parole de Dieu passant par vos lèvres.

Ceci me fait revenir à ce que je vous disais l’autre jour, qu’une religieuse qui ne prend pas la peine de préparer son enseignement est grandement coupable. Si cette négligence devient une habitude, je ne crains pas de le dire, c’est un péché mortel. Oui, mes Soeurs, si vous êtes dans l’enseignement, vous êtes dans l’obligation de préparer vos classes, pour donner à chaque élève ce qui lui convient. Tel est le but de votre Congrégation. Y manquer, c’est manquer à un devoir de votre vocation. Si vous vouliez autre chose, il fallait aller chez les Carmélites ou les Trappistines.

La foi est donc le premier remède à la tentation. C’est pourquoi saint Pierre dit: Sobrii estote… fortes in fide. (I Petr. V, 8, 9.) Or, la foi, c’est la profession de la vérité, et les religieuses sont obligées d’avoir la foi à ce degré, c’est la vérité luttant contre le mensonge, la lumière luttant contre les ténèbres. Jésus-Christ a dit: Ego sum lux mundi. (Joan. VIII, 12.)

Qu’est-ce que le monde? Le royaume du mensonge, le foyer d’erreurs, le chaos de ténèbres, d’où viennent les principes détestables et faux, d’où sortent tous les crimes. Qu’est- ce, au contraire, que le royaume de Jésus-Christ? La vertu, basée sur la vérité. C’est pourquoi vous avez dans la foi l’arme la plus puissante contre le démon. Quand votre intelligence sera nourrie de vérité, vous verrez si cette force surnaturelle ne fera pas fuir le lion qui cherche à vous dévorer.

Lorsque, à la Trappe, la cloche annonce l’agonie d’un Frère, les religieux se mettent en prière et récitent le Credo. Pourquoi le Credo? Parce que c’est l’arme la plus puissante contre le démon, qui est aux prises avec cette âme. Tamquam leo rugiens… quaerens quem dévoret. (I Petr. V, 8.) Admirable manière d’agir! Combat magnifique! Profession de foi qui terrasse l’ennemi! Mais si, au moment suprême, il faut jeter à la face du démon les éléments de notre foi, le devoir de toute la vie religieuse est de développer, de répandre la vérité dans les âmes.

b) Un autre remède à la tentation, c’est l’humilité. Je n’ai rien de spécial à vous en dire, mes Soeurs, mais vous savez ce que le tentateur propose à Notre-Seigneur: Si Filius Dei es. C’est là une des tentations auxquelles une sainte fille est le plus exposée: « Je suis forte, dit-elle, je suis à l’abri de tout danger dans ma vie religieuse; j’ai mon couvent comme forteresse spirituelle, je communie plusieurs fois par semaine, je récite l’Office, j’ai mes mortifications, mes habitudes religieuses. » Oui, mes filles, on a tout cela et on se laisse tenter par la vaine gloire: Quia angelis suis mandavir de te. Il ne faut pas tenter Dieu. Puisque vous avez des grâces plus abondantes, prenez garde d’en abuser, car Dieu pourrait bien vous abandonner. Le danger est grand, si vous vous laissez aller à entretenir la bonne opinion que vous avez de vous-même et la présomption des faveurs reçues.

Autre chose est avoir de l’estime de son état, autre chose avoir de l’estime de soi. Que vous disiez que votre état religieux est saint et parfait, je vous l’accorde; en conclure que vous qui êtes dans cet état vous êtes une fille parfaite, c’est différent. Il faut donc se placer sur le vrai terrain et dire: « Je suis dans un état parfait, mais je puis tomber comme Adam et Eve sont tombés dans le paradis terrestre. »

Certes, l’état de nos premiers parents était plus parfait que le nôtre; ils avaient plus de moyens de résistance que nous: l’innocence, les privilèges de Dieu, le commandement reçu de la bouche même du Seigneur; ils avaient tout cela, et cependant ils se sont laissé séduire et entraîner. Prenez donc garde, vous n’êtes pas meilleures qu’Adam et Eve. Si vous n’avez pas la défiance de vous-mêmes, vous succomberez, parce que Dieu se retirera de vous. Dieu, au contraire, ne permettra pas au diable de tenter, si vous-mêmes vous ne tentez pas Dieu: Non tentabis Dominum Deum tuum. (Matth. IV, 7.)

Ne vous faites pas illusion, mes Soeurs. La cause d’une grande chute peut être une fort petite chose. Vous dites: « Je peux bien me permettre ceci, c’est si insignifiant! » Ce sera une petite jalousie, une petite impatience, et vous deviendrez colère, médisante, etc. On peut se permettre, oui, mais quand on s’est permis, on tombe et les anges de Dieu ne viennent pas vous relever.

La seconde partie de l’humilité, c’est la confiance en Dieu. Vous n’y faites pas assez attention peut-être. Nous insultons Dieu, nous froissons le coeur de Dieu beaucoup plus que nous le pensons, en doutant de son soutien. Nul ne peut servir deux maîtres. Puisque nous avons choisi le service de Dieu, nous lui appartenons. On l’oublie, on ne pense pas assez à ces magnifiques paroles du psaume Qui habitat in adjutorio altissimi, in protectione coeli commorabitur. (Ps. XC.) Voilà les promesses de Celui qui est fidèle et tout puissant pour accomplir, et vous auriez encore peur des attaques du démon, vous ne mettriez pas toute votre confiance en Celui qui envoie ses anges pour vous garder de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre!

c) Le troisième remède à la tentation, c’est le zèle. Satan montre au Fils de Dieu tous les royaumes de la terre. Je ne veux pas expliquer comment, ni rapporter les différentes objections, j’arrive tout de suite à la réponse du Sauveur: Dominum Deum tuum adorabis, l’adoration exclusive et le zèle pour faire adorer Dieu.

Même dans les couvents, mes Soeurs, il importe d’examiner la pureté et la sincérité de l’adoration qu’on rend au Seigneur. Vous êtes dans une maison spécialement consacrée à l’adoration du Saint Sacrement. C’est très heureux, mais à condition que votre adoration de Dieu soit véritable, que vous puissiez en elle un remède contre Satan et que vous ayez le courage de dire toujours: Mihi autem adhaerere Deo bonum est. (Ps. LXXII, 28.) « Je ne veux pas de partage, j’adhère à Dieu. Je ne veux que Dieu seul. Je rejette les vaines créatures qui viennent, passent et repassent. Je renonce à Satan, au monde, à moi-même. Je m’attache à Dieu et à Dieu seul. » Ainsi, mes Soeurs, accomplirez-vous la devise que vous mettez au bas de vos lettres: « Dieu seul! » Si vous le faites avec un sentiment de foi, vous faites en écrivant ces quelques mots un acte de foi contre le démon. Il faut bien se rappeler que, dans sa première lutte contre Satan, Notre-Seigneur prélude à sa vie apostolique: le désir de faire connaître, adorer et servir Dieu, est une disposition du service apostolique. Elle doit être aussi la vôtre, mes Soeurs. Saint Augustin a un beau texte, que je vais vous citer, sur ce don sans partage qu’une religieuse doit faire d’elle-même à Dieu: Non vult Christus communionem, sed solus vult possidere quod emit. Tanti emit ut solus possideat. Tu facis ei consortem diabolum, cuilte per peccatum vendideras. Vae duplici corde qui in corde suo partem faciunt Deo, partem faciunt diabolo. Iratus Deus, qui fit ibi pars diabolo, discedit et totum diabolus possidebit. (In Joan. tr. VII, n. 7.)

Entendez-vous, mes Soeurs? Votre âme rachetée du prix de son sang, Jésus-Christ la demande sans partage; il ne veut pas de société avec son mortel ennemi. En rentrant en vous- même, voyez si vous pouvez vous dire que votre coeur appartient entièrement, exclusivement à Jésus-Christ. Il y a là un examen important à faire, car le jour où le coeur d’une religieuse sert à autre chose qu’à Dieu, la décadence commencera. Examinez-vous donc, posez- vous la question sincèrement et dans toute son étendue. N’y a-t-il pas quelque chose que vous dérobiez à Jésus-Christ pour l’offrir au démon? Ah! mes Soeurs, prenez-y garde, ayez une sainte terreur de donner quelque chose de vous-même à Satan. Je vois ici tous les péchés d’habitude, je ne parle pas des chutes par faiblesse, non, mais des fautes habituelles consenties. Ce sera un petit mouvement d’orgueil, une petite jalousie, une petite désobéissance habituelle; c’est une part que vous donnez au démon dans votre coeur, et, Dieu se retirant, le démon possède tout.

Voilà l’histoire des religieuses concessionnaires. C’est une page de l’histoire du monde, de l’histoire contemporaine surtout. C’est le sort des gens qui, sous prétexte de tolérance, veulent faire la double part de Dieu et du diable et finissent par rendre totale la part de Satan. Que cet esprit s’éloigne de votre Congrégation, et que vous soyez données à Dieu de façon à ne jamais exciter sa colère, à ne jamais le forcer à se retirer. Dieu est irrité parce que l’âme qu’il a payée si cher ne veut pas lui appartenir; il se retire, la laissant entre les mains du maître qu’elle s’est choisi: totum diabolus possidebit.

Ce n’est pas là notre histoire, mes chères filles. Prenez garde toutefois que cela n’advienne un jour, et soyez prudentes, car le poids de l’infirmité de votre nature entraîne du côté du démon. Si vous vous laissez aller un peu, il vous possédera tout entières. Disons en terminant qu’au lieu de faire deux parts, de donner une moitié à Jésus-Christ et l’autre à Satan, il faut nous attacher uniquement, entièrement à Jésus-Christ: Mihi adhaerere Deo bonum est. Toute notre vie il faudra combattre, parce que toute notre vie le démon nous persécutera. Toute notre vie, nous aurons donc besoin d’user des grands remèdes contre la tentation: la foi, l’humilité dans la confiance en Dieu et le zèle. Ce sera l’occupation de tous les instants, parce que toujours le démon viendra nous séparer de Jésus-Christ. Posons-nous donc cette question: le diable a-t-il déjà pénétré dans mon coeur? J’aime à croire que non, et, pour mieux le repousser, répétons sans cesse: Mihi adhaerere Deo bonum est*.

Notes et post-scriptum