OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • ONZIEME CONFERENCE DONNEE LE 19 NOVEMBRE 1870.
    APPEL DES APOTRES. VOCATION
  • Prêtre et Apôtre, X, N° 115, septembre 1928, p. 263-268.
  • DA 43; CN 2; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ACTION DE GRACES
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DES AISES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 AUSTERITE
    1 BAPTEME
    1 BESOINS DE L'EGLISE
    1 BONTE
    1 CHARITE APOSTOLIQUE
    1 CONFESSION DU NOM DE JESUS-CHRIST
    1 CONFIRMATION
    1 CONGREGATIONS A SUPERIEURE GENERALE
    1 CONSCIENCE PSYCHOLOGIQUE
    1 CONVERSIONS
    1 CRAINTE
    1 CRITERES D'ADMISSION AU POSTULAT
    1 DEFECTIONS DE RELIGIEUX
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 DEPARTS DE RELIGIEUX
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DETACHEMENT
    1 DIABLES ADVERSAIRES
    1 DOUTE
    1 ENERGIE
    1 ENNEMIS DE LA RELIGION
    1 ENNUI SPIRITUEL
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPREUVES
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ERECTION DE MAISON
    1 ESPRIT ETROIT
    1 EUCHARISTIE
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FAIBLESSES
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FIDELITE
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FIERTE
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 HABITUDE PSYCHOLOGIQUE
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 IDEES DU MONDE
    1 ILLUSIONS
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INCONSTANCE
    1 INFIDELITE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 INSTITUTS APOSTOLIQUES
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST NOURRITURE DES AMES
    1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
    1 JEUNESSE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 JUIFS
    1 LACHETE
    1 LIBERTE
    1 MANQUE DE FOI
    1 MIRACLE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OEUVRES DES VOCATIONS
    1 ORDRES CONTEMPLATIFS
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
    1 PEUR
    1 POSTULAT
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PREDICATION
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PURIFICATION
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 REFORME DU COEUR
    1 REGULARITE
    1 RELIGIEUSES
    1 RENONCEMENT
    1 RENOUVELLEMENT
    1 RESPONSABILITE
    1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SALUT DES AMES
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 TEMOIN
    1 TENTATION
    1 THEOLOGIE DE SAINT THOMAS D'AQUIN
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 TYPES DE VIE RELIGIEUSE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VANITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE PUBLIQUE DE JESUS-CHRIST
    1 VIGILANCE DE L'APOTRE
    1 VOCATION
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEUX DE RELIGION
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ABRAHAM
    2 ANTOINE, SAINT
    2 ARISTOTE
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JOB, BIBLE
    2 LUC, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PIE V, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 RAVIGNAN, GUSTAVE DE
    2 THERESE, SAINTE
    3 AMAZONIE
    3 BORDEAUX
    3 EQUATEUR
    3 MALAGA
    3 ROME
    3 SAINT-DIZIER
  • Religieuses de l'Assomption
  • 19 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. –Venite post me, faciam vos fieri piscatores hominum. Fidélité à sa vocation. Zèle pour susciter des vocations.

I. Fidélité à sa vocation

a) L’Evangile nous montre plusieurs vocations des apôtres. Ils vont, ils viennent, puis s’attachent à Notre-Seigneur. Peut-être en a-t-il été de même avant votre entrée au couvent. Peut-être en est-il de même depuis. Précieux encouragements après certaines défaillances.

b) Toutefois, quand Jésus appelle, obéissance soutenue.

c) Ils quittent tout, relictis retibus: désintéressement. [Ils quittent] les liens de la famille, les personnes aimées.

d) Ils vont partout où va Jésus, partout [où] il les enverra.

II. Zèle à susciter des vocations

Nécessité non seulement de sauver des âmes, mais de les sanctifier, de les pousser à la perfection. Ne dites pas: « Il n’y a pas de vocations. » Quand on s’en occupe, on les trouve. Où étaient les vocations quand Jésus vint chercher les douze apôtres? Qui se doutait alors de ce que c’est qu’une vocation? Le monde n’y comprenait pas plus qu’aujourd’hui.

La vocation est une des preuves les plus divines de la vérité, le sentiment de la perfection au fond des âmes. Mais les natures sont trop grossières? Pas plus que celles des apôtres. Amen dico vobis,quia potens est Deus de lapidus istis suscitare filios Abrahae.

Patience de Jésus pour former des vocations. Préparation des vocations, moyen de sanctification pour soi-même. Vous aurez le sentiment de la grandeur de votre état quand vous y pousserez certaines âmes.

Préparation des vocations. moyen de préparation, pour quelques religieuses peut-être peu édifiantes. Ce qu’elles n’ont pas offert à Dieu, elles veulent le faire offrir par d’autres.

Action de grâces à Notre-Seigneur qui nous a appelés. Diligamus ergo Deum quoniam ipse prior dilexit nos.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Je supprime quelques détails, pour arriver au commencement de la vie apostolique de Notre-Seigneur. Je suis étonné de ce j’y trouve d’enseignements par rapport à la vie religieuse. Il est dit dans l’Evangile que Notre-Seigneur, après avoir passé la nuit en prière sur la montagne, revint et choisit ses douze apôtres: Exiit in monte orare…et elegit duodecim. (Luc VI, 12, 13.) L’appel des apôtres sera donc le sujet de cette conférence. Nous y verrons deux choses: 1° Votre vocation d’abord; 2° le zèle que vous devez avoir pour susciter des vocations.

I. Fidélité à sa vocation

Vous voudriez peut-être considérer votre vocation religieuse au point de vue de sa noblesse, de sa grandeur, de l’élévation que votre état vous donne au-dessus des autres âmes. J’y trouve deux inconvénients, mes Soeurs. Malheureusement, avec la faiblesse de notre nature, une telle vue des choses entraîne l’amour-propre; il y a péril à trop regarder l’honneur que Dieu nous fait, les privilèges qui nous mettent à part dans l’Eglise de Jésus-Christ comme un corps d’élite. Puis, mes Soeurs, si d’un côté le démon nous tente -et il nous tentera toujours- par l’admiration que nous ferons rejaillir de notre état sur nous-mêmes, il ne faut pas se faire illusion, le monde nous hait, non pas personnellement, mais parce que nous représentons la doctrine de Jésus-Christ. Nous sommes un objet d’exécration spéciale pour tous ceux qui veulent détruire le catholicisme.

J’arrive donc tout droit à la question de l’appel de votre vocation. L’Evangile nous montre plusieurs vocations des apôtres. Notre-Seigneur les appelle à plusieurs reprises; ils vont, ils viennent, puis s’attachent à leur divin Maître, et ce qu’il y a d’effroyable, mes Soeurs, c’est que, lorsque viendra le moment suprême, ils abandonneront Notre-Seigneur. Le Sauveur sera seul devant ses ennemis, livré à la cruauté de ses bourreaux, à la rage des princes des prêtres; les apôtres ont fui, ils n’ont pas pu veiller une heure à Gethsémani, ils auront peur d’accompagner leur Maître au Calvaire.

Et ceci nous mène à deux considérations. Si vous jetez un regard sur votre passé, mes Soeurs, peut-être trouverez-vous quelque chose d’analogue à la conduite des apôtres. Vous avez voulu et pas voulu, vous vous êtes offertes et puis vous avez hésité, et combien de fois vous êtes-vous retirées, avant de consentir au don total de vous-mêmes?

Mais je laisse ce côté-là de votre vie. Après tout, il est passé; voyons le présent. Depuis votre profession, qu’avez-vous fait? Ah! que de retours sur vous-mêmes, découragés et malheureux. Je ne m’attendais pas à cela. Je suis désenchantée! Comme je me faisais illusion! On exige trop de moi. Il suffit d’être religieuse pour avoir mauvais caractère; je ne veux pas rester au couvent, parce que je veux garder mon bon caractère. » Mes Soeurs, je me permets de vous le demander, cela n’a-t-il pas été dit? Pas par vous, peut- être, mais par d’autres, je puis vous l’affirmer.

Vous avez fait comme les apôtres, vous êtes venues, puis vous êtes parties; et cela combien de fois? Je veux ici faire deux catégories: celles qui, ayant été appelées, se retirent pour toujours; celles qui, appelées, entendent la douloureuse parole de Notre-Seigneur. Vous savez que Notre-Seigneur après avoir expliqué aux Juifs le mystère de l’Eucharistie, lorsqu’il les vit se retirer, incrédules et en murmurant: « Ces paroles sont dures, qui peut les entendre? » (Joan. VI, 61), se retourna vers ses disciples et leur dit: Numquid et vos vultis abire? Notre-Seigneur peut vous dire cela, mes Soeurs, et à cette parole vous savez la réponse de saint Pierre: Domine, ad quem ibimus et il ajouta encore: Et nos credidimus quia tu es Christus Filius Dei. Il peut se trouver certains moments de tentation. Ici, j’écarte la petite religieuse faible, étroite d’esprit, qui s’étonne de tout et ne se serait jamais doutée, malgré la largeur de son intelligence, que les choses en religion se passaient ainsi; je prends la religieuse qui subit des combats permis, qui souffre dans les luttes de la vie. A celles-là, Notre-Seigneur adresse cette parole: « Vous aussi, vous voulez me quitter? Numquid et vos vultis abire? Il y aura à combattre, à souffrir; les choses pénibles surviendront; voulez-vous vous retirer, abandonner mon service et succomber à la tentation? » Et la religieuse fidèle répond: « Seigneur, à qui irais-je? J’ai tout quitté pour vous, je vous suivrai jusqu’à la mort, parce que vous êtes mon salut, ma lumière et ma vie. » Et quand la religieuse a dit ces paroles, ne croyez pas que le divin Maître va rester en arrière de générosité et d’amour, non; il lui répond: « Ma fille, parce que tu as été fidèle, que tu n’as pas voulu renoncer à mon service, écouter la tentation et m’abandonner, je te dis, à toi, qui t’es élevée par la grâce au-dessus de toutes les créatures, tu es bienheureuse; et comme j’ai dit à Pierre que je bâtirais sur ce roc mon Eglise très sainte et éternelle, je te dis à toi que je bâtirai dans ton âme un édifice immuable de perfection et de glorification. Tu as résisté à la tentation, tu as franchi tous les obstacles, tu as compris qu’il y avait au- dessus des choses de ce monde quelque chose de supérieur à quoi je t’invite, tu as foulé aux pieds la chair et le sang, c’est-à-dire les affections naturelles, les jouissances terrestres; tu sauras ce que c’est de m’être unie, de te nourrir de la chair et du sang divin; tu seras mon temple, et dans ce sanctuaire je viendrai me reposer et trouver en toi ma consolation. »

Voilà la réponse de Dieu, mes Soeurs. C’est magnifique, mais il faut souffrir. A quelque temps de là, Notre-Seigneur adressait à ces mêmes apôtres cette parole: « Vos autem qui permansistis mecum in tentationibus meis. (Luc. XXII, 28.) Il y a des appels pour des vocations religieuses de différentes espèces, il y a des épreuves d’un ordre différent, mais partout, pour suivre Jésus-Christ, il faut l’épreuve. D’abord les épreuves ordinaires, les efforts pour conserver la régularité, pour supporter les caractères qui ne nous vont pas toujours, les difficultés de la vie intérieure pour l’oraison, l’épreuve de l’obéissance, l’épreuve du brisement de sa volonté. Il y a une foule d’autres épreuves, mes Soeurs. Ce sont celles de Notre-Seigneur. « Je trouverai des souffrances, afin que tu saches ce que tu vaux. » Il en est d’autres encore dans le corps mystique de Notre-Seigneur, qui est l’Eglise. Dans le cours du temps, les moments les plus douloureux pour l’Eglise de Jésus-Christ sont les plus précieux pour ses épouses. On peut vraiment redire ce que Job disait des riches: Apprehendet eum quasi aqua inopia, nocte opprimet eum tempestas. (XXVII, 20.)

A l’heure qu’il est, Rome surabonde de demandes de sécularisation. J’ai vu quantité de très saints prêtres, religieux dans différents Ordres, qui demandent d’être dégagés de leurs liens monastiques. Je ne dis pas même que si notre Mère générale me consultait, je ne donnerais pas le conseil de saisir l’occasion pour secouer les vocations chancelantes. Il faut que je parle loyalement ici, mes Soeurs; ce sont des petits fruits gâtés qui peuvent corrompre les autres; le vent de la révolution passe et les fait tomber. Croyez-moi, l’arbre ne s’en portera pas plus mal. Après avoir dit cela, j’ajoute que celles qui resteront, qui n’auront pas été ébranlées par les chocs des événements, par le souffle des tentations, pourront vraiment entendre Notre-Seigneur leur dire dans la sainte Communion: « Ma fille, toi qui es restée fidèle, je serai avec toi et je t’aimerai d’un amour tout spécial. »

C’est là, mes Soeurs, le point de fermeté, de sainteté, de vie admirable dans la lutte et le combat que Notre-Seigneur vous propose aujourd’hui. Voilà la situation. Ne m’accusez pas d’avoir exagéré, je n’ai fait que raconter l’histoire, soulever le voile qui recouvrait les secrets des coeurs. Vous direz: « Je ne suis pas de celles-là. » Je l’accorde; aussi je ne parle pas pour vous, mais pour d’autres. Et à vous qui demeurez fidèles, j’annonce les meilleures et les plus saintes consolations, parce que vous avez voulu rester avec Notre-Seigneur dans la tentation.

Les apôtres donc, vont et viennent. Ils se donnent à Notre-Seigneur, puis reprennent leurs filets. Saint Pierre, le chef futur de l’Eglise, acclame un jour la divinité de Jésus-Christ, et un autre jour il renie son Maître. Voilà votre histoire, mes Soeurs, un état d’agitation, d’inquiétude, d’hésitation, car il se peut que vous ayez des doutes sur votre vocation. Consolez-vous, les apôtres ont passé par là, et voyez la persévérance de Notre-Seigneur. Qu’est-ce qui en résulte? Ces mêmes apôtres qui délaissent leur Maître à tout moment, ce sont pourtant eux qui prêchent l’Evangile et qui fondent l’Eglise. Prenez là votre exemple. Si la tentation vient, laissez-la passer et soyez fidèles à revenir à Notre-Seigneur, qui demande de vous la perfection.

Ici, je veux m’adresser surtout aux anciennes pour leur faire remarquer une chose: la nécessité de l’obéissance. Quand Jésus-Christ appelle ses apôtres, il leur dit: Venite, post me et faciam vos fieri piscatores hominum. (Matth. IV, 19.) Et ceux-ci, aussitôt, partent; ils quittent tout et le suivent. Il n’y a pas un instant de réflexion, pas une hésitation. Voilà la promptitude d’obéissance que vous devez avoir, mes Soeurs, quand Jésus-Christ fait entendre sa voix.

Ceci me porte à vous parler de la manière dont on doit répondre à l’appel de la vie religieuse. J’ai étudié la question dans saint Thomas, ce sont ses avis que je vais vous donner. Il ne faut pas beaucoup de temps pour se décider à être religieuse, et c’est une grande erreur de croire qu’il faille être majeure ou avoir ses vingt-cinq ans pour entrer au couvent. Le grand Docteur que je vous cite note cette erreur. Voyez-vous, on ne saurait se donner de trop bonne heure au service de Dieu. Vous m’objecterez peut-être qu’il faut se donner le temps de la réflexion, que telle jeune fille n’a pas le jugement assez mur pour décider une question si grave, fixer irrévocablement son sort et son état de vie. Mais je vous réponds: « L’Eglise, pour donner le Baptême, attend-elle que l’enfant ait la connaissance des grâces qu’il reçoit plus tard, attend-elle que son jugement soit formé, que l’enfant soit devenu homme fait pour l’admettre à la première Communion et au sacrement de Confirmation? » Non, mes Soeurs, et vous non plus, n’attendez pas d’être blanchies par l’âge pour vous donner à Jésus-Christ dans la vie religieuse.

S’il y a parmi vous une Soeur qui soit entrée à l’Assomption à quarante ans, je maintiens quand même que c’est là une heureuse exception, et qu’il est très important d’entrer en religion de bonne heure. Plus tard les habitudes sont prises, il est difficile de se plier à un genre de vie différent de celui qu’on a mené. Pourquoi, mes Soeurs, a-t-on tant de peine à réussir dans un Ordre quand on a déjà fait l’essai d’un noviciat dans une autre Congrégation? Précisément parce qu’il y a une grande différence d’un Ordre à l’autre, et que dans l’apprentissage qu’on a fait, certaines habitudes, un genre d’esprit particulier, ont été pris. Que voulez-vous? L’esprit de Dieu souffle où il veut; mais il prend les gens comme ils sont. Tout ce qui est reçu en vous y est reçu selon la capacité de celui qui le reçoit (Aristote commenté par Mgr Gerbet,) et non seulement selon la capacité, mais selon la forme, comme un liquide qu’on verse dans un vase. Eh bien! vous qui êtes un vase hexagone, comment pourrez-vous entrer dans une association de vases triangulaires? Cela n’ira jamais, à moins que vous puissiez perdre votre forme.

C’est l’oeuvre du Saint-Esprit en vous, et si de bonne heure vous le laissez travailler en votre âme, le vase s’assouplira, et, en recevant la liqueur surnaturelle, il prendra sa forme tout naturellement.

Je me permets de dire que les gens qui ne réfléchissent pas à cela n’ont pas le sens commun, et que l’exemple des apôtres est décisif. Continuo relictis retibus. Saint Thomas s’y entendait aussi, lui, religieux, prince des théologiens, docteur profond, qui disait qu’une fois son parti pris d’entrer au couvent, il faut se dépêcher dans l’exécution et suivre sans retard l’attrait qui pousse. C’est, de plus, un fait d’expérience. Tous les grands saints l’ont fait. Sainte Thérèse s’est donnée de bonne heure, Pie V à quinze ans, saint Antoine à quatorze. Il ne faut donc pas s’étonner si le diable fait tout ce qu’il peut pour empêcher les vocations jeunes.

Donc les apôtres quittent promptement, et quoi? Relictis retibus, tout ce qu’ils ont, mes Soeurs. Eh bien! je trouve qu’un des grands obstacles à la vocation consiste souvent dans l’amour de la propriété. Quand, je descends dans le coeur humain, je vois de petites choses auxquelles on tient beaucoup; ce sont des riens, il ne paraît même pas y avoir matière à sacrifice. Retibus: c’était bien peu de chose. C’était tout leur avoir, et ils le laissent là. Pauvre fille qui ne peut pas se séparer des niaiseries de la propriété, des petites jouissances de la vanité! Comme je crains pour sa vocation! Elle ne sera jamais religieuse. J’en ai souvent fait l’expérience, cette attache du coeur se témoigne par des riens, et ces riens dont on ne sait pas se débarrasser généreusement perdent à tout jamais une vocation. Croyez-moi, laissez-là les petites recherches; chacune, selon votre position, entrez dans la vie simple, dépouillée, un peu austère même, vous verrez si vous n’aurez pas plus de facilité pour tout quitter.

Relictis retibus et patre. Oui, mes Soeurs, encore un sacrifice à faire, parce que le démon se sert de tout pour vous enchaîner. Ce n’est pas que je veuille exclure les sentiments de famille, mais il ne faut pas aimer avec excès. Il y a de ces petits riens au fond du coeur qui arrêtent, qui entravent; il faut avoir le courage de s’en détacher. Non vos me elegistis: sed ego elegi vos et posui vos ut eatis. (Joan. XV, 16.)

Voilà, mes Soeurs, la condition des religieuses d’une Congrégation générale qui n’est pas contemplative; elles sont posées, afin d’aller et de porter du fruit. Je réfléchis souvent à ceci: les Congrégations à Supérieure générale ont leurs avantages, elles ont aussi leurs douleurs. Les Carmels, les Trappes ont leurs sévérités, ils ont aussi leurs douceurs. Dans ces Ordres, une religieuse ne peut pas être transférée d’un monastère à l’autre sans son consentement; elle ne se donne pas en dehors du couvent qu’elle s’est choisi, elle est prêtée. Croyez bien qu’il y a là une condition très douce pour les coeurs de femmes qui s’attachent facilement, qui souffrent de se séparer de ce qu’elles aiment, et qu’en revanche votre Congrégation vous impose un sacrifice très douloureux qu’il faut faire généreusement. « Ce cher Noviciat, il faut donc que je le quitte. Cette chère Maison-Mère, il faut donc que je lui dise adieu, moi qui l’aime tant. » Aimez-la, oui, c’est très bien; mais, je vous en prie, ne l’aimez pas trop. Posui vos ut eatis, il faut que vous alliez. Regardez donc les apôtres, mes Soeurs. « Moi, on me place à Saint-Dizier, à Bordeaux, à Malaga. » Oui, mes Soeurs, où l’on voudra, et tout de suite. Vous êtes posées pour cela.

Tenez, à l’instant même, un saint évêque m’écrit et me demande des Religieuses de l’Assomption pour le pays des Amazones. La lettre est entre les mains de votre Mère générale. Je ne dis pas que vous allez partir pour cette fondation; cependant, il est très certain que Notre-Seigneur vous a posées pour partir. Une religieuse apostolique doit toujours avoir le pied levé pour aller en Mission.

Dans le pays où l’on vous invite à aller, il y a 200,000 idolâtres. Vous seriez juste sous la ligne de l’Equateur, vous n’auriez pas froid. Le diocèse comprend 600 lieues de terrain. Ce pauvre évêque n’a que douze ou quatorze prêtres pour évangéliser ce pays. Il demande des religieuses. Il faut donc être prêtes, mes Soeurs. Posui vos ut eatis. Comprenez bien que cette disposition apostolique demande une grande liberté de coeur. Nous avons déjà parlé de cette condition essentielle de toute perfection, je passe donc à la seconde partie.

II. Zèle à susciter des vocations

Je distinguerai trois sortes de religieuses: la religieuse fâchée de l’être et qui ne persévère pas; la religieuse qui reste, mais qui a des déceptions, des regrets; enfin, la religieuse qui est dans la joie de son coeur d’appartenir au Seigneur. Je ne m’occuperai que de cette dernière. Il ne suffit pas à une vraie religieuse d’être heureuse de sa vocation, il faut qu’elle soit aussi heureuse de susciter d’autres vocations et qu’elle en demande toujours à Notre-Seigneur. Il y a à cela un motif humain que je n’aborderai même pas, parce que j’ai trop de respect pour vous; je vous parlerai du motif surnaturel. En effet, quoi de plus juste que vous vous disiez: j’ai la plus belle part qu’il soit donné sur terre à une créature, je souhaite que d’autres l’aient aussi. J’ai trouvé un trésor, et il est si merveilleux que je ne le partage pas en le distribuant, je le donne à d’autres et je le garde dans toute son intégrité.

Comme la lumière que Dieu envoie se distribue à tous tout en éclairant chacun de nous et de même que mon oeil n’en reçoit pas moins, parce que l’univers entier est baigné de ses flots, ainsi une âme heureuse désire faire part de son bonheur. Elle aime Notre-Seigneur, elle est brûlante d’amour et de ferveur; elle estime à un haut prix la grâce de sa vocation et elle voudrait avoir beaucoup d’épouses à amener au Roi. Adducentur regi virgines post eam, (Ps. XLIV, 15.) Alors, sans être imprudente, elle cherchera à attirer les âmes, elle fera naître de saints désirs. Proximae ejus afferentur tibi. Sans doute, ce sera une question de tact autant que de zèle; mais, cette réserve une fois faite, j’affirme qu’une religieuse fervente ne peut pas s’empêcher de susciter des vocations.

A un autre point de vue, je dirai encore qu’une âme qui aime Notre-Seigneur doit ressentir des sentiments analogues à ceux de Notre-Seigneur. Hoc enim sentite in vobis quod et in Christo Jesu. (Phil. II, 5.) Or, Notre-Seigneur est venu pour sauver les âmes, c’est évident, et aussi pour appeler les âmes à la perfection. Le nier serait tomber dans l’hérésie. Donc, vous aussi devez avoir le zèle de la sanctification des âmes, et voilà un apostolat.

Vous rencontrez un caractère raide, fier, volontaire, qui offre pourtant de la ressource. On ne l’appuie, en effet, que sur ce qui résiste; derrière ce coeur revêche se cache parfois une bonne vocation. Cela arrive, mes Soeurs, comme sous l’écorce se trouve un fruit excellent. Pourquoi n’essayeriez-vous pas? Notre-Seigneur ne s’est pas rebuté de l’incrédulité de saint Thomas, de la grossièreté de saint Pierre; il en a fait des apôtres. Pourquoi n’auriez-vous pas sa patience? Notre-Seigneur a pris certains apôtres, parce qu’il a reconnu un bon coeur sous la rude enveloppe de saint Pierre, et chez saint Jean une certaine pureté d’âme. Puis Jésus-Christ les forme, les pétrit, les instruit; quelquefois, il se fâche. Generatio infidelis et perversa usquequo ero apud vos et patiar vos? (Luc. IX, 41.)

Etudiez l’Evangile au point de vue de la patience de Notre-Seigneur pour former les Douze à l’apostolat, vous verrez comment il faut vous y prendre pour faire des religieuses de vos enfants. Puis-je vous donner un meilleur modèle?

Voilà encore une parole d’encouragement de Notre-Seigneur: Amen dico vobis quod vos qui seculi estis me, etc. (Matth. XIX, 28.) « Je vous placerai sur douze trônes et vous serez juges d’Israël. » Oui, voilà l’honneur qui vous est réservé, si vous êtes apôtres et si vous formez des apôtres. Je ne vous cache pas que la mission est très pénible, très désagréable même à certains moments; elle ne le sera jamais, croyez-le bien, autant que celle de Jésus-Christ envers les apôtres. Ne dites pas qu’il n’y a pas de vocations. Quand on s’en occupe, on les trouve. Il y en a qui viennent d’elles-mêmes; ce ne sont pas les plus nombreuses. Il faut donc chercher et ne pas se rebuter, car elles vont et viennent, et une vocation négligée est peut-être une vocation perdue. Mettons qu’elles soient difficiles à trouver. Où étaient les vocations quand Notre-Seigneur est venu dans ce monde? Et pourtant, en trois ans, il en a trouvé à peu près cent, y compris les douze apôtres, les soixante-douze disciples et d’autres. Si vous vous chargez tous les trois ans de fournir cent vocations à l’Eglise, ce sera bien beau, je vous assure. C’est un miracle, dites-vous. Oui, un miracle de la grâce, mais Notre-Seigneur a dit: Vous ferez de plus grands miracles que moi, (Joan. XIV, 12.) Soyez donc ses disciples, et vous ferez des miracles de vocation.

Prenons les objections que font les gens du monde. Quand Notre-Seigneur est venu, pas plus qu’aujourd’hui on ne comprenait rien à une vocation. Le monde traite d’exaltée et d’absurde la personne qui veut se faire religieuse; elle obéit, pense-t-il, à un moment d’enthousiasme religieux qui se refroidira bien vite. Comme l’a dit une femme poète: « Pourquoi chercher au fond d’un cloître le Dieu qui est partout? » Sans doute, il est partout, mais la possibilité de le trouver n’est pas partout. Il y a donc des gens qui n’y comprendront rien; ce sont peut-être ceux-là auprès de qui vous réussirez le mieux plus tard.

Ayez l’oeil fixé sur les âmes pour voir dans quelle nuance, dans quelle mesure vous pourrez les rendre plus parfaites, et, par suite, plus propres à la vie religieuse. A ce propos, j’aborde une autre question. De même que la fondation de l’Eglise est, par l’absurdité de ses moyens, une des preuves les plus frappantes de la divinité de l’Evangile, de même la vocation est naturellement partout une telle absurdité, qu’elle devient une preuve divine de la vérité.

Madame une telle quitte le monde, les jouissances du salon, les succès que lui assurait sa position. Elle qui pouvait commander, s’en va obéir; elle pouvait rêver, elle travaille; jouir de sa fortune, elle dort sur une paillasse; elle se rend à l’Office au lieu de courir aux fêtes du monde. Franchement, cela n’a pas le sens commun. Je vous l’accorde, et vous allez maintenant m’avouer une chose. Sous les défauts et les faiblesses des religieux, inséparables de la nature humaine, un fait reste évident, l’homme n’a pas pu inventer la vie religieuse, elle est d’institution divine. Par le sentiment de perfection qu’elle suppose dans le coeur si corrompu de l’homme, elle est une preuve de la vérité de la religion, une preuve aussi de la mission de Notre-Seigneur et des apôtres.

On fera encore cette objection: les natures sont trop grossières aujourd’hui, on ne comprend plus rien aux choses de Dieu. D’abord, mes Soeurs, le travail de la grâce, c’est de transformer la nature, et les résultats en sont admirables. On se dompte, on fait un peu souffrir les autres; comme le P. de Ravignan l’a fait, ce qui ne l’a pas empêché d’être un des plus saints religieux de notre temps. Un caractère difficile, une certaine rudesse ne sont pas un empêchement à la vocation. Les pharisiens allèrent trouver saint Jean- Baptiste, et il les appela race de vipères! Les publicains et les soldats furent mieux accueillis. Notre-Seigneur a dit (Matth. III, 9): Potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahae. Et moi je vous dis que de cette petite sotte, de cette petite vilaine vous pouvez faire une sainte religieuse, si vous le voulez. Il y faut de la patience, il faut étudier le terrain des âmes, voir ce qu’il faut à chacune et savoir, s’il est besoin, reconnaître qu’on s’est trompé.

Que de moyens de sanctification, mes Soeurs, dans ce travail! J’évite complètement ici le motif d’amitié particulière. Mais supposez une petite personne un peu difficile et que vous voulez amener à Dieu. Si vous avez pour son âme l’amour surnaturel que vous devez avoir pour l’engager à se débarrasser de ses défauts, vous serez obligée de vous corriger des vôtres. Comment lui direz-vous qu’il ne faut pas être jalouse, qu’il faut étudier, qu’il ne faut pas être susceptible, si elle vous voit paresseuse, sensible à l’excès, pleine des défauts enfin, que vous lui reprochez? Vous ne pourrez réussir dans vos efforts de sanctification auprès des enfants qu’en vous sanctifiant vous-même la première.

Laissez-moi encore vous dire une chose très grave. Quelle est celle d’entre vous qui n’a pas scandalisé quelques âmes? Eh bien! dans la préparation des vocations, il y a un moyen de réparation. Peut-être quelque jeune religieuse regrette-t-elle certaine conversation qui a pu faire du mal, tel exemple qui a eu une fatale influence. Telle Soeur ancienne peut se dire qu’une de ses compagnes ne serait pas dans le monde si elle n’avait pas contribué à lui faire perdre la vocation. Quel remède à ces scandales passés? Prier beaucoup et vous efforcer, en consolidant votre vocation, d’en amener d’autres à Dieu.

Il y a responsabilité; vous avez communiqué l’ébranlement. Si, par une miséricorde infinie, vous êtes restée, il n’y a pas moins une solidarité pour votre âme. Réparez donc le mal que vous avez fait à Notre-Seigneur, aux âmes, à votre Congrégation; procurez des vocations ferventes pour compenser vos manquements.

Après vous avoir ainsi parlé, mes Soeurs, je crois que le sentiment avec lequel je dois vous laisser est celui d’une grande reconnaissance. C’est le cas de dire avec saint Jean: Nos ergo diligamus Deum, quoniam Deus prior dilexit nos, (I Joan. IV, 19.) C’est à quoi je vous invite, car l’amour est la meilleure action de grâces.

En avançant chaque jour dans la charité, vous donnerez dans votre coeur et dans celui des enfants qui vous sont confiées un rendez-vous à Notre-Seigneur, et ainsi vous entrerez dans la plénitude de votre vocation, qui est de sanctifier votre âme et de sanctifier les autres. Je ne connais pas pour cela de moyen plus grand et plus parfait que celui de faire des saints et des saintes dans la vie religieuse.

Notes et post-scriptum