OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUINZIEME CONFERENCE DONNEE LE 23 NOVEMBRE 1870.
    AMOUR ENVERS NOTRE-SEIGNEUR. JESUS AU JARDIN DES OLIVES.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 119, janvier 1929, p. 17-20.
  • DA 44; CN 2; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ABAISSEMENT
    1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 ABJECTION
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION
    1 AGONIE DE JESUS-CHRIST
    1 AME EPOUSE DE JESUS CHRIST
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 ANEANTISSEMENT
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 APOTRES
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 BATEAU
    1 BETISE
    1 CALVAIRE DE L'AME
    1 CAPRICE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 CONFESSEUR
    1 CONTRARIETES
    1 CRITERES D'ADMISSION AU NOVICIAT
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DEGOUTS
    1 DENUEMENT
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DESESPOIR
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOTION A JESUS CRUCIFIE
    1 DIEU
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 DOULEUR
    1 DOUTE
    1 EGOISME
    1 ELEVES
    1 ENFANCE SPIRITUELLE
    1 EPREUVES
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FEMMES
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FLATTERIE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HOMME DE PRIERE
    1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
    1 ILLUSIONS
    1 IMAGINATION
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMPRESSION
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INGRATITUDE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 INSENSIBILITE
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LEGERETE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE LE MAL
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAITRESSES
    1 MARIAGE
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 MORT MYSTIQUE DE L'AME
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OBLATES
    1 ORAISON
    1 PECHE
    1 PERFECTION
    1 PEUR
    1 POIDS DE DIEU
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PURIFICATION
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 QUATRIEME VOEU DES OBLATES
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 REFORME DU COEUR
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUX
    1 RENOUVELLEMENT
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTE VIERGE
    1 SAINTETE
    1 SAINTS
    1 SATAN
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 SPIRITUALITE
    1 SUPERIEUR
    1 TENTATION
    1 TIEDEUR
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 TRAHISON
    1 TRISTESSE
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE RELIGIEUSE CONTEMPLATIVE
    2 ANANIE
    2 JACQUES, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JUDAS
    2 LUC, SAINT
    2 MARC, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 THERESE, SAINTE
    3 JERUSALEM
    3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS
    3 NIMES
    3 ROME
    3 ROME, COUVENT SAINT-EUSEBE
    3 VIGAN, LE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 23 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. -Dans cette agonie, il est le modèle de notre conduite:

1° Dans nos délaissements de la part des hommes;

2° Dans nos tentations de la part de Satan;

3° Dans nos épreuves de la part de Dieu.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Nous parlerons aujourd’hui de l’agonie de Notre-Seigneur au Jardin des Oliviers, puis des souffrances de la vie religieuse.

Permettez-moi, tout d’abord, de vous faire remarquer que la souffrance peut être considérée de différentes façons. Il y a les souffrances fausses, imaginaires, méritées. De celles-là, je ne veux pas parler. Hier, une bonne personne se présente pour entrer chez les Soeurs Oblates et commence par me déclarer qu’il lui sera impossible de quitter Nîmes et de faire son noviciat au Vigan. Vous comprenez alors la possibilité d’appartenir à une Congrégation qui fait voeu d’aller aux Missions étrangères, et comme on pourra partir pour l’Australie, quand on ne peut pas s’écarter de quatre-vingts kilomètres de la Maison-Mère! Voilà un exemple de souffrance qu’on se crée à plaisir. Donc, il y a des souffrances imaginaires, absurdes.

Un religieux a une tête faite d’une certaine façon, à ce qu’il paraît. Un Jésuite m’adressait ce compliment pendant une retraite que je faisais à Saint-Eusèbe, à Rome; « Vous avez une tête de religieux, » me disait-il. Il y a donc des souffrances d’imagination. On souffre, parce qu’on s’est figuré que… Après ce que, tout ce qui vient est quelque chose de si étonnant, de si prodigieux, de si phénoménal, qu’on ne peut pas l’expliquer. Mais qu’importe! On souffre, on est la religieuse la plus malheureuse du monde. N’y aurait-il pas de remède, mes Soeurs, à ce genre de douleurs? Oh! oui, un peu de bon sens la guérirait bien vite. Quand je pense aux femmes mariées, ployées sous le poids de certaines épreuves, et que je les compare aux religieuses, je me dis que la plus grande part de souffrances n’est pas pour ces dernières. Quand je vois, d’un côté, les tristesses d’une religieuse, parce que sa Supérieure ne la comprend pas, et d’autre part, celles de la femme qui souffre parce que son mari est insupportable, je me dis que la plus malheureuse n’est pas celle qui a choisi le voile.

Ne vous illusionnez pas, mes Soeurs; il y a très certainement dans la vie religieuse des souffrances absurdes, absurdes, absurdes. Je ne veux pas m’appesantir ici sur les souffrances de la religieuse nerveuse, capricieuse, imaginative, indépendante, relâchée: celle-là mériterait des coups de bâton. J’arrive à ce fait, qu’il y a dans la vie religieuse des souffrances très graves, très réelles, très voulues de Dieu, et j’ajoute: « Malheur à la religieuse qui ne souffre pas et qui ne comprend pas le prix de la souffrance! » Répétons ici les paroles du Seigneur parlant à Ananie lors de la conversion de saint Paul: Je lui montrerai tout ce qu’il doit souffrir pour mon nom. (Act. IX, 16.)

S’attacher tout particulièrement au service de Notre-Seigneur implique l’obligation de souffrir et de souffrir beaucoup. Je vais plus loin, Dans certaines circonstances, les souffrances imaginaires dont j’ai parlé plus haut peuvent devenir méritoires. Une religieuse souffrira nerveusement, imaginairement, de son mauvais caractère, de ses difficultés personnelles. Si elle sait tourner ses peines à bien, elle leur donne un certain mérite, à la condition pourtant de ne pas les imposer à ses Soeurs. Cette réserve faite, je ne crains pas d’établir qu’en usant bien de ces souffrances, elles les rend bonnes: « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. » (Rom. VIII, 28.)

Revenons aux souffrances réelles, car il y en a. Où faudra-t-il aller pour les guérir et les transfigurer? Je ne crains pas de vous le dire? Au Jardin des Olives. Quelle est la religieuse qui n’a pas souffert? Le Saint-Esprit lui-même a soin de dire: L’homme qui n’a pas été tenté, que sait-il? (Eccl. XXXIV, 10.) La science de la sainteté va donc avec la science de l’épreuve et de la souffrance. Nous distinguerons trois espèces de souffrances de Notre-Seigneur agonisant au Jardin des Olives, et nous la verrons là notre modèle comme toujours.

I. Délaissement de la part des apôtres.

Notre-Seigneur souffre du délaissement de ses apôtres. Il l’avait prévu. Qu’une religieuse ait compté trouver dans la vie du cloître un appui sur son coeur, elle n’a pas eu tort, et il arrive aussi qu’il y ait des circonstances providentielles dans lesquelles la solitude se fait autour d’elle. Nous connaissons de grandes servantes de Dieu qui ont souffert de l’isolement; le vide s’est fait autour d’elles, et c’était voulu de Dieu. C’est incontestable. Il y a donc des délaissements dans la vie religieuse, et de diverses espèces.

Une religieuse quitte sa famille pour entrer au couvent, et sa famille la quitte. Elle est tout étonnée que son départ ne laisse pas derrière elle plus de larmes et de désolations. Après ceci, vous comprenez qu’il arrive également qu’une religieuse soit tout étonnée de ce que, dans le monde, on ne la regrette pas davantage. J’ai connu une maîtresse qui se croyait adorée par ses élèves. « Oui, me dit-on, mais c’est l’adoration de la croix. » Une autre dit: « Mes élèves ne pourront jamais se passer de moi. » Ouf! Peut-être que si elle lisait au fond des coeurs, elle verrait que le sacrifice n’est pas héroïque. Et alors, que de gémissements, de souffrances de coeur! « Les ingrates! Les vilaines! Allez donc vous dévouer aux enfants! »

C’est très vrai, il y a des douleurs profondes et réelles, Notre-Seigneur les a connues. L’un le trahit, l’autre le renie. Il avait façonné ses apôtres; depuis trois ans, il s’était donné à eux dans un dévouement incessant, et lorsque, ne croyant pas devoir les prendre tous, il en choisit trois parmi les plus fidèles et les plus aimés, qu’arrive-t-il? Pierre renie son Maître; Jacques et Jean s’enfuient quand Judas vient pour le trahir. Voilà l’histoire du Jardin des Olives. Ne vous étonnez donc pas si, vous aussi, vous êtes condamnées à des délaissements, à des ingratitudes douloureuses de la part de vos élèves, si vous êtes maîtresses; de la part de vos Soeurs et même de vos filles, si vous avez le malheur d’être Supérieures.

J’ajoute que j’ai senti quelquefois une sorte d’isolement dans le monde. Cette épreuve peut se produire dans un couvent. Au milieu d’une réunion très nombreuse, on se sent seul. C’est une souffrance. Mais je maintiens que le moment est précieux pour une religieuse, car c’est alors que le coeur se sépare de tout ce qu’il aimait trop, que les racines de ses attaches sont violemment brisées, que l’âme délaissée s’éloigne du monde extérieur qui l’entraînait et se replie sur elle-même. Elle n’a qu’une consolation dans cette solitude douloureuse qui se fait de la part des hommes, c’est de se tourner vers son bon Maître trahi, abandonné de tous. Ses apôtres ont fui, ses amis se sont éloignés, la Sainte Vierge elle-même n’est pas là. Dieu a voulu le délaissement total.

Oui, dans cet état de profonde tristesse, il y a des mérites comme infinis à acquérir. Là on obtient la vraie liberté surnaturelle du coeur. Je ne serais pas étonné que, de la part de Notre-Seigneur, ce fût une divine jalousie et que le Saint-Esprit lui-même fît sentir l’agonie du délaissement à cette âme pour pouvoir lui dire: « Ma fille, je te veux toute pour moi. »

Heureuse l’âme qui éprouve cette tristesse! La voilà divinement forcée de se tourner vers son véritable Epoux. La voilà divinement forcée de mettre un mur entre elle et le monde de ses affections. « Il m’a entourée comme de pierres carrées: Conclusit vias meas in lapidibus quadris. » (Lam. III, 9.) Le Seigneur m’a entourée et je ne puis même y passer la main. On est amené dans une solitude immense, et c’est Dieu qui la fait. Une fille qui sent cette solitude et qui s’en sert pour augmenter l’esprit d’oraison ne manquerait pas de faire de grands progrès.

II. Tentation de la part de Satan

Notre-Seigneur est tenté horriblement dans ce moment de délaissement. Il est certain que Dieu permet dans certaines circonstances que le démon fonde en quelque sorte sur nous et nous livre le combat. C’est l’agonie, mot grec signifiant combat. Et factus in agonia prolixius orabat. (Luc. XXII, 43.) Les hommes nous ont quitté, nous ne pouvons plus compter sur leur appui, nous sommes dans les ténèbres, la nuit se fait; c’est maintenant l’heure, sed haec est hora vestra, et potestas tenebrarum. (Luc. XXII, 53,) et nous pouvons le dire au bourreau Satan, qui est là guettant sa victime, c’est le moment pour lui d’infliger ses coups. qu’une religieuse soit tentée, c’est dans l’ordre des choses. Mes Soeurs, malheur à vous si vous n’êtes pas tentées! Pauvres religieuses! Je ne crains pas de vous dire: Dieu trouve que vous n’en valez pas la peine. Sa tentation est la preuve de l’estime qu’il vous porte.

Il y a donc une tristesse qui n’est pas la mélancolie, cette mélancolie du tempérament que sainte Thérèse ne veut pas souffrir dans ses monastères. En dehors de cela, il est parfaitement évident que vous devez éprouver, à certains moments, de la tristesse. Tristesse d’abattement; il y a tant d’années que je suis au service de Dieu et j’ai si peu fait! Tristesse de découragement; voilà qu’on me donne des ordres et je fais tout de travers. Tristesse d’inintelligence; je fais tout ce que je peux pour comprendre et je ne comprendrai jamais rien. Tristesse enfin de peine, de désolation dans les rapports avec Dieu.

Vous êtes toutes des personnes formées à l’oraison, du moins j’aime à le croire. Cependant, il est très rare de trouver des filles d’oraison. Cela dit, j’ajoute qu’un des meilleurs moyens de faire des progrès dans l’oraison, c’est de subir les attaques de Dieu ou les attaques du diable, car le diable s’en prend surtout aux filles d’oraison. La rage de Satan contre les personnes qui prient est si grande, qu’il n’est pas étonnant qu’il s’attaque justement à celles-là.

Ainsi voilà la situation, la double raison pour laquelle une religieuse d’oraison peut s’attendre à être attaquée par le démon. Avez-vous été souvent attaquée par le démon? Vous n’en savez rien. Si vous êtes comme une girouette, vous n’avez pas senti la tentation, parce que vous n’avez pas résisté. Si, au contraire, vous avez été comme les voiles d’un navire qui se gonflent au souffle du vent, et, en opposant de la résistance, aident le vaisseau à marcher, vous avez compris ce que c’est que la tentation. Peut-être les voiles ont-elles été tellement gonflées par le souffle de la tentation, qu’il a fallu les plier. Rendez-vous compte de la raison pour laquelle vous n’avez pas résisté aux assauts du démon, et rappelez-vous qu’un habile pilote sait quelquefois se servir du vent contraire pour arriver plus sûrement au port.

Donc la tentation viendra, et ce que cette épreuve sera, nul ne pourra le dire. Je mettrai en première ligne la tristesse de Notre-Seigneur au Jardin des Olives. Tristis est anima mea usque ad mortem. (Matth. XXVI, 38.) Et puis: Et coepit pavere et taedere. (Marc. XIV, 33.) Et encore: Coepit contristari et maestus esse. (Matth. XXVI, 37.)

Vous voyez les différentes espèces de tentations. Voilà une pauvre fille qui ne peut plus se supporter nulle part. Pourquoi est-elle triste? Je n’en sais rien. Le démon souffle la, tentation; ou bien c’est la terreur, c’est l’ennui, le dégoût, l’imagination. On a peur de tout: Terrores tui conturbaverunt me. (Ps. LXXXVII, 17.) Et quand on se présente devant Dieu, c’est là surtout qu’on a peur. C’est la grande souffrance, et ces terreurs à la face de Dieu conduisent à une sorte de désespoir. « Je perds mon temps. Dans le monde, je faisais bien. -Ma Supérieure ne me comprend pas. -mon confesseur est trop long. » Ou bien: « Il ne me parle pas assez. -Il est trop interrogateur. » Ou bien: « Il ne s’occupe pas de mes peines. » Que sais-je? On est surexcitée, ennuyée, désespérée: Qu’est-ce qui fait tout cela? L’imagination souvent, quelquefois le diable. Et si Notre-Seigneur a voulu passer par des états analogues dans sa divine agonie, s’il a permis à ses saints de souffrir ainsi, c’est vous dire combien ces moments de douloureuses tentations sont précieux et utiles.

Et factus in agonia, prolixius orabat. En général, les religieuses qui sont dans cet état s’ennuient avant tout à la chapelle, dans leur cellule et au temps de la prière. Notre-Seigneur au contraire, priait plus instamment. Le grand remède est donc la prière prolongée. Si l’Eglise, au commencement de toutes les Heures canoniales, met sur nos lèvres l’invocation: Deus, in adjutorium meum intende, c’est qu’elle sent le grand besoin du secours d’en haut contre les attaques du démon.

Je ne descends pas dans le détail des tentations, ce n’est pas nécessaire. Toutes vous avez dû être tentées. Je vous estime assez pour le croire. A quoi bon les peintures? Chacune vous avez votre propre histoire, et vous la reconnaîtrez dans ce que j’ai déjà dit. N’allez pas vous croire pourtant filles très intérieures, qui passent par des états extraordinaires et qui, lorsque le diable leur joue ses tours, se figurent qu’elles sont transportées au troisième ciel. En résumé, vous prierez beaucoup, vous rappelant que la meilleure arme contre les attaques de Satan, c’est l’oraison.

III. Epreuves de la part de Dieu

Quand je veux aborder cette troisième considération, je me reconnais indigne de parler des épreuves que Dieu fait subir à certaines âmes qu’il se réserve. Il se réserve de les tourner et retourner dans les épreuves, de les faire souffrir, de les torturer. Ce n’est plus ici l’ouvrage des hommes, ce ne sont plus les tentations de l’enfer, ce sont les épreuves divines. Y a-t-il quelque chose de plus grand que cette souffrance, de plus profond, de plus intime? Etre abandonné des hommes, c’est déjà douloureux. Etre abandonné de Dieu, qui le dira jamais? On est tellement seul qu’on n’est même pas avec Dieu. Mystère! Abîme de douleur! C’est la situation de Notre-Seigneur au Jardin. des Olives, sous le poids des iniquités des hommes.

Il y a des âmes généreuses qui demandent à Dieu de les charger des péchés de leurs frères. Dieu les met sous le pressoir de sa justice et les fait passer par des états analogues à ceux du Sauveur. Ce qu’il y a là de douleurs inénarrables, je renonce à le décrire. De grands saints ont passé par de pareilles peines. Il n’y a pas de consolation à cette douleur, parce que, lorsque Dieu veut délaisser, il ôte à toute parole humaine sa puissance, son énergie, son baume. Si vous passez par là, vous demanderez donc à Notre- Seigneur de donner à votre Mère ou à votre confesseur les grâces nécessaires pour soutenir votre âme, car la consolation, vous ne la trouverez pas.

Numquid resida non est in Galaad? (Jer. VIII, 22.) Pourquoi ne peut-on pas guérir la plaie? Parce que Dieu ne le veut pas. Il livre l’âme au feu qui la purifie, il la délaisse dans une captivité qui prépare la liberté véritable. Puis vient le doute déchirant, l’incertitude cruelle: « Dieu ne m’aime pas. » C’est affreux. L’âme, dont la délicatesse est rendue exquise par son amour ardent pour Dieu, est torturée parce qu’elle doute. Elle est dans la nuit, et dans une nuit si obscure que je renonce à vous en montrer les ténèbres. Heureuses les âmes qui s’en rendent compte! Heureuses celles qui, ne s’en rendant pas compte, trouvent une Supérieure ou un confesseur qui les aide sans les éclairer! C’est l’ange qui vient soutenir Notre-Seigneur au Jardin des Olives. Quelquefois il arrive qu’on rencontre un appui, un guide qui vient de la part de Dieu et soutient avec une force divine. Quelquefois aussi l’envoyé céleste n’arrive pas, l’âme reste seule dans son délaissement. Alors quel est le remède? Il faut dire les paroles de Jésus-Christ à l’agonie: Pater mi, si possibile est, transeat a me calix iste; verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu. (Matth. XXVI, 39.) Mon Père, que votre volonté se fasse! »

Qui pourra dire le caractère de cette parole, sa grossièreté sur certaines lèvres, sa perfection dans quelques âmes? Qui pourra dire l’insulte qu’elle peut contenir pour Dieu, et sa pureté, sa délicatesse dans une âme qui cherche à se rapprocher de Notre-Seigneur; à la prononcer comme le divin Maître l’a dite? Il y a des nuances infinies.

Où en êtes-vous, mes Soeurs? Je ne connais pas d’autres remèdes à vous proposer. Si vous êtes arrivées à la hauteur de cette acceptation, dites avec Jésus: Pater mi, si possibile est, transeat a me calix iste; verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu. Sinon, préparez-vous à cette grâce par une disposition constante d’adoration des volontés divines.

Vous aurez de petites tentations, de petites douleurs. Que toutes les circonstances de votre vie vous ramènent à une soumission, immense à la volonté de Dieu. La disposition absolue de faire constamment le sacrifice de votre volonté à celle de Dieu vous amènera plus tard, si Dieu vous juge dignes de l’agonie de Notre-Seigneur, à l’honneur de dire dans toute la perfection divine: Non sicut ego volo, sed sicut tu.

On est dans un tel endroit, on voudrait son changement. On a telle difficulté et on ne trouve d’appui nulle part. La maladie vient quand on voudrait travailler au service de Dieu et des âmes. Petites tentations, petites épreuves de la vie. Sanctifiez-les en répétant les paroles du Sauveur. Dieu ne vous les envoie que pour cela.

La pauvre âme dont nous parlons a des moments terribles dans son profond délaissement; elle est au fond de cet abîme dont parlait le Prophète: De profundis ad te clamavi. Elle crie vers Dieu, et l’abîme de la désolation l’environne, le ciel se fait d’airain. Dieu paraît insensible; il est sourd aux supplications de cette pauvre créature. Notre-Seigneur en était là, et pourtant il priait et il prolongeait sa prière.

Je termine en vous disant que nous devons avoir une grande dévotion à Notre-Seigneur au Jardin des Oliviers, afin d’y apprendre à faire des oraisons d’autant plus utiles qu’elles seront plus souffrantes. Non que vous deviez provoquer la souffrance, il faut l’accepter de la main de Dieu.

Nous voyons dans l’Evangile que Notre-Seigneur priait très souvent; nous ne le voyons qu’une fois, au Jardin de Gethsémani, dans cette oraison douloureuse. C’est pour nous dire que nous devons prier constamment, et nous contenter de la prière douloureuse quand c’est Dieu qui nous l’envoie, ou bien le diable, par la permission de Dieu.

Voilà ce que j’avais à vous dire sur le mystère du délaissement de Notre-Seigneur. Voyez comme nous devons aimer un Dieu qui a voulu passer par tout ce qu’il y avait de plus affreux dans ces épreuves mystérieuses, afin de nous servir de modèle dans tous nos états de souffrance et de nous apprendre à vivre dans la douleur et à prier dans les larmes.

Quelle sera notre part? Je ne sais. Toujours est-il que nous aurons à souffrir, à beaucoup souffrir. Ne demandons pas une souffrance peut-être au-dessus de nos forces; mais quand elle viendra, plaçons-nous sous les yeux de Notre-Seigneur, ou mieux à côté de lui, dans le Jardin des Oliviers imbibé de son sang; demandons-lui la grâce de triompher de la tentation, qu’elle vienne de la part des créatures, ou de l’enfer, ou de Dieu lui-même, de façon que nous arrivions à acquérir la plus grande perfection possible et à procurer à Dieu sa plus grande gloire.

Notes et post-scriptum