OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • SEIZIEME CONFERENCE DONNEE LE 24 NOVEMBRE 1870.
    AMOUR ENVERS NOTRE-SEIGNEUR. TRAHISON DE JUDAS.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 120, février 1929, p. 38-42.
  • DA 44; CN 2; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU
    1 ACTION DE GRACES
    1 ADORATION
    1 AFFECTIONS DESORDONNEES
    1 AMBITION
    1 AME
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 APOSTASIE DU RELIGIEUX
    1 APOTRES
    1 ASSOMPTION
    1 AUGUSTIN
    1 AUTORITE DIVINE
    1 AUTORITE RELIGIEUSE
    1 AVARICE
    1 BAVARDAGES
    1 BON EXEMPLE
    1 BON PASTEUR
    1 BONTE
    1 CHARITE DE JESUS-CHRIST
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CONNAISSANCE
    1 CONTRITION
    1 CORPS DE JESUS-CHRIST
    1 CORRECTION FRATERNELLE
    1 CORRUPTION
    1 COUVENT
    1 CRAINTE
    1 CRITIQUES
    1 CURIOSITE MALSAINE
    1 DEFECTIONS DE RELIGIEUX
    1 DEGOUTS
    1 DEPARTS DE RELIGIEUX
    1 DESOBEISSANCE
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 DIEU
    1 DIEU LE FILS
    1 DIVIN MAITRE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 EGLISE
    1 EGLISE SOUFFRANTE
    1 EMPIRE DE SATAN
    1 ENFANTS
    1 ENNEMIS DE JESUS-CHRIST
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ENVIE
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 ERREUR
    1 ESPRIT DE PECHE
    1 ESPRIT DIABOLIQUE
    1 ESPRIT FAUX
    1 ESPRIT RELIGIEUX
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 EUCHARISTIE
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 FIDELITE
    1 FILLES DES ECOLES
    1 FLATTERIE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HABITUDE DU PECHE VENIEL
    1 HAINE
    1 HAINE CONTRE JESUS-CHRIST
    1 HAINE DE SATAN CONTRE JESUS-CHRIST
    1 HERESIE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 HYPOCRISIE
    1 IDEES DU MONDE
    1 IGNORANCE
    1 IMPRESSION
    1 INFIDELITE
    1 INGRATITUDE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DU PARDON
    1 JEUDI SAINT
    1 JOIE
    1 LAVEMENT DES PIEDS
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 MAITRESSES
    1 MARTYRS
    1 MENSONGE
    1 MESSIE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OEUVRE DE JESUS-CHRIST
    1 ORAISON
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
    1 PECHE
    1 PECHE INTERIEUR
    1 PECHE MORTEL
    1 PECHES CONTRE DIEU
    1 PECHEUR
    1 PENSEE
    1 PERSECUTIONS
    1 PLAN DE DIEU
    1 PREDICATION DE JESUS-CHRIST
    1 PRETRE
    1 RACE DE SATAN
    1 REFLEXION
    1 REGNE
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RELIGIEUX
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 RESPECT
    1 REVOLTE
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 ROUTINE
    1 RUSE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SACRILEGE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SAINTETE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SATAN
    1 SAUVEUR
    1 SCANDALE
    1 SCHISME
    1 SUFFISANCE
    1 SUPERIEUR
    1 SUPERIEURE
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 TENTATION
    1 THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN
    1 TIEDEUR
    1 TRAHISON
    1 TRAITRES
    1 TRIOMPHE
    1 TRISTESSE
    1 VANITE
    1 VENGEANCE
    1 VERITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIEILLESSE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 AMBROISE, SAINT
    2 CAIPHE
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JUDAS
    2 LUC, SAINT
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 MARTHE, SAINTE
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
  • Religieuses de l'Assomption
  • 24 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. –Ante diem festum Paschae… Au milieu de cette scène, réfléchissons sur l’horrible scélératesse qui répond à tant de bonté. Trois personnages: l’instigateur, le traître, la Victime.

I. L’instigateur

Pourquoi Satan pousse-t-il Judas? Il craint la fin de son règne et que Jésus ne soit Dieu. Il vous hait, parce qu’il craint que vous ne soyez des saintes. Jésus lui a enlevé sa proie, il veut la reprendre. Vous êtes religieuses, comme Judas était apôtre. Il vous suggérera des idées fausses, des révoltes, des passions. En s’emparant de Judas, Satan le perd, et perd aussi Jésus. En s’emparant de vous, Satan vous perd et espère perdre l’Eglise qui continue Jésus.

Et coena facta… Votre couvent. Heureuses celles qui comprennent le mystère du festin nuptial! Mais on s’en dégoûte [par suite de] la tiédeur; la routine, le péché véniel d’habitude, le péché mortel.

II. Le traître

Saint Augustin donne à Judas trois caractères: Jam talis venerat ad convivium, explorator Pastoris, insidiator Salvatoris, venditor Redemptoris. (In Joan. tr. LV, 4.)

Exploratur Pastoris. La religieuse mécontente de ses Supérieures.

Insidiator Salvatoris. On a des habiletés. Tous les moyens sont bons, même les flatteries. Juda, osculo Filium hominis tradis. Et si l’on vous demande ce que vous faites, vous êtes tout étonnée: Amice, ad quid venisti?

Venditor Redemptoris. C’est le commerce diabolique par excellence. Saint Jean Chrysostome dit que Jésus lave les pieds à Judas et que Judas n’en rougit pas. Non, reprend saint Augustin (eodem loco): Jam talis venerat, et videbatur, et tolerabatur, et se ignorari arbitrabatur. « Je ferai comme tant d’autres, » dit cette religieuse. Prenez garde à ce que vous livrez. C’est votre âme, l’âme de vos Soeurs, l’Eglise, Jésus-Christ. Or, voici ce que vous rendra la victime.

III. La Victime

Sciens quia omnia dedit ei Pater in manus… Ergo et ipsum traditorem, s’écrie saint Augustin. Majesté de Jésus-Christ considérant le plan de ses ennemis du haut de sa divinité… Ergo et ipsum traditorem. Nam si eum in manibus non haberet, non utique illo uteretur ut vellet. Proinde jam traditor traditus erat ei quem tradere cupiebat. (Op. cit., 5.)

Dieu fera servir la trahison de Judas à ses fins divines. Sciebat enim Dominus quid faceret pro amicis, qui patienter utebatur inimicis. (S. Augustin, eodem loco.) Ecoutez et tremblez, si ces pensées de trahison vous sont jamais venues.

Le crime de Judas est de tous le plus épouvantable, alors qu’il est le salut du genre humain. Mais quelle consolation! Sciebat enim Dominus. Etes-vous épouse infidèle, traîtresse, adultère; êtes-vous épouse fidèle? Grave question.

Saint Augustin fait observer (In Joan. tr. LXIII) que la séparation de Judas doit nous consoler de la séparation des hérétiques, des schismatiques; j’ajoute et de la séparation de certains membres de la Congrégation.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Je serai court, ce matin, parce que le sujet que je vais aborder est très triste. Et cependant, je ne puis le laisser de côté, parce que c’est une des scènes qui préparent le dénouement fatal de la Passion. Nous prendrons saint Augustin comme guide, et je vous prierai d’étudier avec lui les trois personnages qui sont en scène dans ce terrible drame: 1° l’instigateur, 2° le traître, 3° la Victime.

I. L’instigateur

L’instigateur, c’est Satan. Pourquoi pousse-t-il Judas à commettre le crime le plus épouvantable de tous? Il sent qu’il se passe quelque chose dans le monde. Lorsque Jésus était au désert, il lui avait dit: Si Filius Dei es. (Matth. IV, 6.) Il l’avait senti alors, parce qu’il ne savait pas si Jésus était vraiment le Messie, le Fils de Dieu. Aujourd’hui, il sent que le moment approche où son règne va être renversé; il comprend qu’une fondation nouvelle va s’élever, un royaume en face de son royaume à lui; que le prince du monde va en être chassé. Satan sent tout cela de son instinct jaloux, il craint que cet adversaire, qui vient supplanter sa puissance, ne soit Dieu. Par conséquent, il y a sujet pour lui de tramer ses infernales machinations et de chercher un satellite sur terre pour accomplir l’oeuvre de Dieu.

Vous me permettrez de vous dire qu’il y a pour votre Congrégation une sorte de tentation de cette espèce. Remarquez que non seulement le diable tente avec la fureur la plus épouvantable le Saint des saints, mais encore qu’il dresse contre lui les embûches les plus affreuses, le crime de Judas. De même, quand une oeuvre est excellente, elle doit souffrir l’attaque de la tentation et de la persécution. Plus vous serez destinées à faire un bien analogue à celui de Notre-Seigneur, plus il faut vous attendre au scandale chez vous. C’est affreux à dire [et c’est ainsi]. Seulement, considérez comme Notre-Seigneur est bon d’avoir voulu être l’objet d’un crime épouvantable afin de consoler les Supérieures des scandales qui peuvent se glisser dans les Congrégations. C’est leur cachet: il faut qu’il y ait des scandales dans le monde. Notre-Seigneur l’a dit.

Le démon s’acharnera contre votre oeuvre en proportion qu’elle sera plus parfaite, comme il déchaîne sa fureur contre la sainte Eglise de Dieu. Mais voyez en même temps le secours et cette autre parole du divin Maître: Confidite, ego vici mundum. (Joan. XVI, 33.) Cela s’applique à Satan aussi bien qu’au monde. Il l’a vaincu. Par quel moyen? Par le crime de Satan même. Ainsi, si votre Congrégation est exposée à un malheur de cette espèce, si le démon y souffle le scandale, elle vaincra en tournant la tentation en bien, elle vaincra si les personnes qui la composent sont des saintes.

Je me représente une Supérieure de communauté, une maîtresse de classe. Elle fait du bien, le démon va l’attaquer; c’est inévitable. Il la hait, parce qu’il craint qu’elle ne soit une sainte, comme il a haï Notre-Seigneur, parce qu’il craignait de lui voir arracher sa proie. Il suscitera donc parmi les Soeurs ou parmi les enfants quelque mauvais esprit qui jouera le rôle de Judas. C’est triste pour celle qui le fait, mais cela arrive. Elle murmure, elle trouve à dire à ce qui se fait et elle croit avoir raison de blâmer.

N’allez pas dire: « Cela ne se peut pas. Je ne puis pas être le traître, je suis religieuse. » Vous êtes religieuses, c’est vrai, et Judas était apôtre. Ne croyez donc pas que la sainteté de votre état vous garde de ces terribles fautes. Seulement, examinons comment elles arrivent. D’abord, par certaines idées fausses. On en a et on y reste. La fausseté du jugement est un terrible mal, dont l’obéissance seule peut guérir; elle met comme un collier de force qui arrête à temps ces pauvres esprits sur le bord de l’abîme où ils se perdraient.

Mais si on a le malheur de ne pas laisser guider son jugement, après les idées fausses viennent les révoltes intérieures. Quand une fois on a l’âme soulevée, les petites communications ne sont pas loin. C’est comme un abcès qui veut crever. On cherche un confident, les conversations irrégulières se forment; on se monte la tête, on se monte le coeur, les passions s’excitent. C’est là le commencement de l’histoire. Où cela mène-t-il? Je ne veux pas l’examiner.

Ainsi Judas a commencé par être tenté d’avarice; il a vu d’un mauvais oeil le parfum que Madeleine répandait sur les pieds du Sauveur. Ici saint Ambroise dit: « Pauvre Judas qui estime 300 deniers le parfum du vase que l’on versait sur les pieds de son Maître et qui vend son Maître pour 30 deniers. » (De Spiritu Sancto, I. III, c. XVIII.) On commence par un peu d’avarice, un peu de mauvaise humeur, une petite jalousie, une petite susceptibilité. Judas souffrait de ce que Notre-Seigneur ne le considérait pas assez, de ce qu’il ne tenait pas assez compte de ses observations; il murmurait. C’était par zèle, croyait-il. Puis le mal grandit, Satan soufflait le feu des passions, il s’emparait insensiblement de sa proie. Et remarquez le secret de sa haine, c’est qu’en s’emparant de Judas, le diable compte perdre Judas et Jésus tout à la fois.

C’est là votre histoire, mes Soeurs. Le démon en vous tentant, dit: « Je perdrai cette fille, et, en la perdant, j’espère perdre aussi sa communauté, peut-être sa Congrégation. J’ai tout à gagner, rien à perdre. »

Regardez donc encore comment Judas s’est laissé entraîner sur la pente de la tentation. Le commencement de sa perte est un faux zèle. « A quoi bon cette perte? On aurait pu vendre ce parfum très cher et en donner le prix aux pauvres. » (Matth. XXVI, 8.) A quoi pense donc le Maître? Le prix de ce parfum serait plus utilement employé. J’en ferais un meilleur usage. De même, une religieuse mécontente dit: « On dépense d’une façon qui n’a pas le sens commun; mettons un peu d’ordre dans les affaires. Voilà comment sont toutes les Supérieures. Elles sont absurdes, elles n’ont pas le sens commun, elles écoutent Marie au lieu de Marthe. » Oh! si je dirigeais les choses, elles iraient bien mieux. » C’est l’histoire de Judas, mes Soeurs.

Et coena facta… Sur cette parole, saint Augustin établit de la façon la plus catégorique que Judas avait reçu le Corps de Notre-Seigneur, contre certains commentateurs qui disaient que l’Eucharistie n’avait été donnée aux apôtres qu’après la trahison de Judas. Le même Docteur, commentant l’épisode du morceau de pain trempé que Notre-Seigneur donna à son disciple infidèle, dit qu’en lui montrant ce pain, trempé qui avait perdu sa couleur, Notre-Seigneur semblait vouloir lui offrir l’image de la dissimulation de son coeur.

Heureuse la religieuse qui comprend le mystère du festin nuptial! La Communion était faite, et c’est pendant l’action de grâces que Judas trame son épouvantable crime. C’est ainsi que souvent, même dans l’adoration, même dans l’action de grâces, même dans la méditation, on se laisse aller, et alors on est emporté, entraîné, on tombe sous le coup de la puissance du diable. Et comment cela vient-il? Au lieu de s’entretenir dans de bonnes dispositions pour la Communion, on s’en dégoûte. « C’est ennuyeux, dit-on, de communier trois et quatre fois par semaine. » Après le dégoût, vient la tiédeur, après la tiédeur, la routine; après la routine, le péché véniel et puis l’habitude du péché véniel. Il ne reste plus que le péché mortel, dans lequel on tombe. Si on ne rentre pas en soi-même, si le repentir ne vient pas, on reste dans le péché mortel.

Judas poussant son oeuvre infernale, sa haine continue. Cum diabolus jam misisset in cor, ut traderet eum Judas. (Joan. XIII, 2.) Rappelons-nous, en opposition à cette parole, le verset sublime de l’Evangile qui la précède: Cum dilexisset suos, qui erant in mundo, in finem dilexit eos. L’amour de Jésus ne s’arrête pas devant la trahison et l’ingratitude, il ne retient pas ses dons; et pourtant il voyait très bien l’état de Judas et il continue d’aimer: Quod facis fac citius.

II. Le traître

Saint Augustin donne à Judas trois caractères. En effet, il l’appelle: Explorator Pastoris, insidiator Salvatoris, venditor Redemptoris. Voilà l’état de Judas. Explorator, l’espion du Pasteur; insidiator, celui qui tend des embûches à son Sauveur; venditor, celui qui livre pour de l’argent le sang de son Rédempteur. Examinez ces trois caractères pour prendre la résolution de ne jamais les trouver en vous.

Explorator Pastoris. C’est la religieuse mécontente, mes Soeurs, cela n’a pas lieu à l’Assomption, mais cela s’est vu dans d’autres couvents, l’espion du Pasteur, des Supérieurs. Notre-Seigneur était le Supérieur du collège des apôtres, et voilà Judas explorant sa conduite. Il examine, il étudie. « Comment cela va-t-il se faire: quelles sont ses intentions? Il nous a fait souper ici, il ira là; je le prendrai là. » Jam talis venerat ad convivium. C’est la fille qui marche les mains dans ses manches, les yeux baissés, et qui les lève de temps à autre pour explorer la manière de faire de ses Supérieures. Elle regarde furtivement, elle tâche de pénétrer. C’est si agréable de se dire qu’on a découvert le fond de la pensée, qu’on a comme percé à jour les intentions de ses Supérieures. « Elle fait comme ceci, comme cela, et j’ai découvert le pourquoi. Je suis une si habile personne! » Je n’insiste pas davantage, c’est assez parler de ces choses-là.

Insidiator Salvatoris. Oh! mes filles, je vous demande-pardon. Ceci n’est pas pour vous, et si je vous le dis, c’est afin que cela ne devienne jamais pour vous. Judas a été appelé par Notre-Seigneur lui-même. Donc l’appel est vrai, la vocation est bonne. Peut-on en douter? Alors c’est une vocation perdue. Cette fille qui est appelée, elle aussi, que Notre-Seigneur veut à son service, se dégoûte de sa vocation, comme Judas, et il faut qu’elle sorte de son couvent. Il y a différents moyens d’en sortir. On peut en sortir par la porte ou par la fenêtre; on peut en sortir en renversant la maison pour passer sur ses ruines, oui, pour que la vue de cette maison de Dieu où l’on a vécu, à laquelle on se sent lié par des engagements solennels, ne demeure pas le témoin de notre chute et comme un perpétuel reproche qui entretienne le remords dans le coeur.

Pauvre religieuse qui va quitter son couvent et qui tend des pièges à sa Congrégation! Et dire, mes Soeurs, qu’on a vu de tristes histoires qui nous révèlent que les pièges peuvent être tendus même avec des flatteries! C’est triste, c’est navrant, mais c’est arrivé. Insidiator Salvatoris. Il trahit son Sauveur. Le moyen de salut pour cette religieuse, c’était son couvent; aussi cherche-t-elle, en se perdant elle-même, à perdre sa communauté par toutes les embûches dont elle l’enlace. Ainsi fait Judas. Du même coup, il veut perdre Notre-Seigneur et le collège apostolique, qui est l’Eglise. Que Judas ait eu de la mauvaise humeur contre Pierre, le chef des apôtres; qu’il fût jaloux de Jean, le disciple bien-aimé, cela s’explique encore. Mais c’est toute l’Eglise qu’il veut renverser en la personne du Maître. Pour arriver à ce résultat, tous les moyens sont bons. On a des habiletés, des flatteries même, et saint Augustin, pour expliquer le terrible caractère dont il frappe Judas, s’appuie sur le texte suivant de l’Evangile: Juda, osculo Filium hominis tradis? (Luc, XXII, 48.) Et vous, religieuses, vous trahissez vos Supérieures par vos caresses. Cela s’est vu, je le répète (pas ici, et, grâce à Dieu, ce ne sera jamais votre histoire.) On pourra lui demander pourquoi elle fait cela, pourquoi elle livra sa Mère par un baiser, elle sera tout étonnée, comme la plus innocente des créatures. C’est pour elle que Notre-Seigneur dit: « Amice, ad quid venisti? Pourquoi êtes-vous au Jardin des Olives? Que me voulez-vous? Pourquoi le baiser? »

Venditor Redemptoris. Judas vend le Rédempteur. C’est le commerce diabolique par excellence. Mes Soeurs, on ne toucherait pas à ces tristes questions si l’on n’avait pu voir, à la Révolution française, sur 300,000 prêtres, environ 100,000 prêter le serment constitutionnel. Comment dire que de telles défections ne sont pas possibles, quand quatre-vingts ans à peine nous en séparent? Et sans parler des prêtres, que de religieux et de religieuses qui, à cette époque, ont tristement failli! C’est épouvantable de lire les relations de ce qui s’est passé alors.

Venditor Redemptoris. A ce propos, saint Jean Chrysostome dit que Jésus lave les pieds de Judas et que Judas ne rougit pas de le trahir. « Non, reprend saint Augustin, qui ajoute: Jam talis, venerat, et videbatur, et tolerabatur, et se ignorari arbitrabatur. » Le traître était vu, il était toléré par Jésus, et il croyait qu’on ne le découvrirait pas: se ignorari arbitrabatur. Il croyait qu’on ne faisait pas attention à lui, et, dans cette espèce d’ignorance dont il pensait environner ses actes odieux, il allait accomplir en paix le plus horrible des crimes, celui du déicide.

On fait ainsi, à l’imitation de Judas. Ce sera une causerie cachée au fond du jardin; personne ne l’aura entendue, vous vous croyez ignorée. Ce que vous avez dit est peu de chose peut-être. C’est si facile de faire comme d’autres! Il y en a tant qui l’ont fait, pourquoi ne le ferais-je pas? Vous voulez donc continuer la race de Judas! Prenez garde à ce que vous allez faire. Vous livrez votre âme, vous livrez au diable l’âme de vos Soeurs. Comme Judas a livré le collège apostolique, vous livrez votre communauté et peut-être toute votre Congrégation. Comme Judas a livré l’Eglise, vous la livrez aussi, et Jésus-Christ avec elle.

C’est trop dur pour que j’insiste davantage, et j’en ai dit assez pour vous fournir le sujet d’une sérieuse méditation. En suivant la route que Judas a tracée je me livre, moi tout d’abord, puis l’âme de mes Soeurs, ma communauté, ma Congrégation, l’Eglise et Jésus-Christ. Certes, quand vous avez murmuré et parlé, vous n’aviez pas l’intention d’en arriver là, non. Mais croyez-vous que lorsque Judas commençait à se plaindre, à sortir de la voie de l’obéissance, il avait les intentions qu’il manifesta en dernier lieu? Pensait-il alors qu’un jour il trahirait son Maître? Comme vous, il murmurait sous un faux prétexte: Quare hoc unguentumm non vendit trecentis denariis, et datum est egenis? (Joan. XII, 5.)

III. La Victime

Comment agit-elle? Revenons sur le texte: « Jésus sachant que son Père avait remis toutes choses entre ses mains. » Il y a dans saint Augustin un mot magnifique et effrayant à la fois. Après avoir cité ce texte, le saint Docteur s’arrête et s’écrie: Ergo et ipsum traditorem. Son Père a tout remis entre ses mains et jusqu’au traître lui-même. En effet, ajoute le saint Docteur: Nam si eum in manibus non haberet, non utique illo uteretur ut vellet. Proinde jam traditor traditus erat ei quem tradere cupiebat.

Voyez, le crime le plus épouvantable des hommes, c’est celui de Judas; il a été l’occasion, le moyen du plus grand des bienfaits, le salut du genre humain. Dieu fait servir la trahison à ses fins divines. C’est là le talent d’une Supérieure, d’une maîtresse de classe: se servir du mal sous l’action de Dieu pour faire le bien. Et cela se peut toujours, pourvu qu’elles exercent leur pouvoir en vue de Dieu, comme venant de Dieu et pour ses fins. Tout tourne au plus grand bien de ceux qui aiment, même la trahison. Je ne crois pas que vous ayez à craindre beaucoup des traîtres à l’Assomption. Mais dans une classe, le démon peut susciter une mauvaise petite élève, dont la méchante conduite engagera peut-être ses compagnes à s’éloigner du mal. Ce sera là un moyen de fortifier l’état moral des autres enfants, comme l’Eglise fut fondée dans le sang de Jésus-Christ par la trahison de Judas. Il est vrai que Judas était entre les mains de Jésus. Mais il suffit qu’une Supérieure soit sainte pour que, entre ses mains, le mal tourne à sa sanctification et à celle des autres.

En effet, le Dieu qui fait servir à ses fins même la trahison de Judas et qui use d’une telle patience envers ceux qui le trahissent, que ne fera-t-il pas pour ceux qui l’aiment? C’est saint Augustin qui parle: Sciebat enim Dominus quid faceret pro amicis, qui patienter utebatur inimicis.

Vous êtes peut-être surprises de la manière dont je rapproche la conduite de Judas de celle d’une religieuse. Vous auriez pensé que, dans cette trahison, j’aurai seulement considéré l’image de la Communion sacrilège. J’ai préféré entrer dans les détails qui amènent cet état épouvantable et dont, bien certainement, la Communion sacrilège est la source ou bien la consommation d’iniquité.

Examinez donc, mes Soeurs, si jamais des pensées de trahison, telles que je vous les présente, ne sont pas venues dans votre esprit. Une certaine indignation contre vos enfants ou contre vos Soeurs a pu les provoquer. Votre Supérieure, telle Soeur, s’occupe des enfants, et vous y trouvez à redire. C’est comme Notre-Seigneur s’occupant de Madeleine, en dehors du collège apostolique, Judas ne le veut pas. C’est du temps et de l’argent perdus. A quoi pense donc le Maître? Et à quoi pense la Supérieure? Elle n’a pas le sens commun. Avec tout ce beau zèle, nous avons vu, hélas! où l’on arrive. Examinez-vous et tremblez si ces pensées de trahison vous sont jamais venues.

Voyez aussi où vous en êtes relativement aux qualités d’une épouse fidèle. Etes-vous cela, ou êtes-vous une épouse infidèle, traîtresse, adultère? Je me tais et je préfère vous adresser cette question: Avez-vous toujours été épouse fidèle? Pouvez-vous dire comme saint Pierre, malgré ses étourderies et son reniement même: Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te. (Joan. XXI, 17.) Cette faute de Pierre, Dieu la pardonne à cause de son amour; il donnera le gouvernement de son Eglise à celui qui l’a renoncé. Notre-Seigneur est plein de miséricorde.

Si des pensées analogues à celles que je viens de vous décrire ont travaillé votre esprit, si vous aussi vous êtes tombées dans le péché d’infidélité, pensez à saint Pierre et dites au Seigneur: « Mon Dieu, je puis avoir été sur le chemin de Judas, comme saint Pierre l’était quand il vous reniait devant la servante de Caïphe, mais pardonnez-moi comme vous avez pardonné à saint Pierre. Vous savez, Seigneur, que je vous aime. »

Une dernière considération. Saint Augustin fait observer que la séparation de Judas doit nous consoler de la séparation des hérétiques et des schismatiques d’avec l’Eglise. Je vous dis aussi, nous devons nous consoler quand nous voyons certaines religieuses quitter la Congrégation. Cela ne vous arrivera pas. Mais enfin, qui sait? Du reste, je fais ici une remarque générale. Une fois que Judas s’est exclu de la communauté des apôtres, que dit Notre-Seigneur? « Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. » (Joan. XIII, 31.)

Il paraît étrange ce texte, et pourtant c’est très simple. D’abord la trahison de Judas donne occasion à l’Eglise naissante de passer par les épreuves et les souffrances, elle sera fondée dans le sang de Jésus-Christ et dans celui des martyrs. Comme Notre-Seigneur a trouvé sa gloire dans les humiliations de sa passion, l’Eglise trouvera sa gloire dans ses souffrances, elle sera fécondée par le sang de ses enfants, elle sera même glorifiée par la séparation de certains membres qui ne sont plus dignes de lui appartenir.

Ce ne sont pas là des idées humaines, ce sont des idées divines, de sorte que, dans le cri de Notre-Seigneur, il y a un principe de joie. Il est étrange, sans doute, qu’on se réjouisse de la séparation de certains membres, et, je le répète, ce n’est pas la manière humaine d’envisager les choses.

Mes Soeurs, j’ai soixante ans, et il y a longtemps que je m’occupe de couvents. Je suis religieux, et j’ai l’expérience de la vie religieuse. Eh bien! savez-vous ce que je trouve dans le cri de Notre-Seigneur? La nécessité, pour les Supérieurs, de ne pas retenir les gens qui veulent s’en aller. C’est excessivement grave ce que je dis là, et ce n’est pas sans y avoir mûrement réfléchi. Une Soeur veut partir, laissez-la aller. La gloire de Dieu en résultera. Si jamais une mauvaise tête s’en allait de la Congrégation, dites-lui adieu de bon coeur. Le bien de la Congrégation en sortira, son affermissement s’y trouvera et Jésus sera glorifié.

Je vous souhaite de n’être pas de celles-là, ou, pour mieux dire, le souhait est inutile, je suis sûr que je n’ai pas parlé pour vous. Si vous voulez bien, quelquefois, méditer sur le sujet que je vous ai indiqué, beaucoup de tentations naissantes s’écarteront de votre esprit; quant aux personnes chargées de vous conduire, elles y puiseront peut-être des lumières pour acquérir l’énergie nécessaire et, en même temps, la très grande charité avec laquelle Notre-Seigneur traita Judas.

Notes et post-scriptum