OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • DIX-NEUVIEME CONFERENCE DONNEE LE 28 NOVEMBRE 1870.
    AMOUR ENVERS NOTRE-SEIGNEUR. LA CROIX. LA MONTEE AU CALVAIRE. LE CRUCUFIEMENT.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 123, mai 1929, p. 134-138.
  • DA 44; CN 2; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 ABUS DES GRACES
    1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION
    1 AMBITION
    1 AME SUJET DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANEANTISSEMENT
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 AVERSION
    1 BONTE
    1 CALVAIRE DE L'AME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CHATIMENT
    1 CHOIX
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE
    1 COUVENT
    1 CRITIQUES
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 CROIX DU CHRETIEN
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DECADENCE
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 DEVOTION AU CRUCIFIX
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 DOUCEUR DE JESUS-CHRIST
    1 DOULEUR
    1 EFFORT
    1 EGLISE
    1 ENERGIE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPREUVES
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ESCLAVAGE
    1 ESPRIT D'INDIFFERENCE
    1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FAIBLESSES
    1 FATIGUE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 FOLIE DE LA CROIX
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 HONTE
    1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
    1 HYPOCRISIE
    1 INCONSTANCE
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA FOI
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 LACHETE
    1 LIBERTE
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 MISERICORDE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 NOBLESSE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 ORAISON
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORGUEIL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PAUVRETE
    1 PECHE
    1 PERFECTIONS HUMAINES DE JESUS-CHRIST
    1 PIETE
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 PRETRE SECULIER
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PURIFICATION
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RECHERCHE INTERIEURE
    1 REDEMPTION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RENONCEMENT
    1 RENOUVELLEMENT
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SAINTETE
    1 SALUT DES AMES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SAUVEUR
    1 SENSATION DE DOULEUR
    1 SENSIBILITE
    1 SIGNE DE LA CROIX
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VANITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VERTUS DE JESUS-CHRIST
    1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEUX DE RELIGION
    1 VOIE UNITIVE
    2 ANDRE, SAINT
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JUDAS
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 SIMON DE CYRENE
    3 JERUSALEM
    3 JERUSALEM, GOLGOTHA
  • Religieuses de l'Assomption
  • 28 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. -1° La croix de Jésus. Symbole Condamnation du monde actuel. Force, Sagesse.

Montée du Calvaire. La vie tout entière est un effort dans les chutes. -Les insultes. -La compassion de Simon de Cyrène et des filles de Jérusalem.

Le crucifiement. Assujettissement, honte, souffrance.

Texte sténographié de la Conférence

I. La croix de Jésus

Mes Soeurs,

Nous allons aujourd’hui parler de la croix, monter au Calvaire, assister au crucifiement du divin Sauveur. Cette question de la croix peut être envisagée sous différents aspects, je la prendrai du côté le plus intime; j’aurai assez à dire. Non enim judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum-Christum, et hunc crucifixum.

(I Cor. II, 2,) avait dit saint Paul. Je laisserai de côté ce point de vue, pour considérer la croix d’une autre façon, et j’arrive à cette question.

Voilà Notre-Seigneur chargé du poids de sa croix; il va gravir le Calvaire; il s’avance vers le lieu du supplice. Que fait-il dans ce moment? Il est le modèle suprême de toute créature. Omnis creatura ingemiscit, et parturit usque adhuc. (Rom. VIII, 22.) Il y a du gémissement au fond du coeur de toute créature, et on peut vraiment dire que la créature qui ne gémit pas est folle. On peut avoir une certaine joie, la joie de donner à Dieu, mais au fond du coeur de tout homme, certainement, il y a de la souffrance. C’est la loi, la loi du péché, la loi de l’expiation.

Je voudrais donc que vous descendiez au fond de votre âme et que vous vous demandiez à quelle croix vous êtes condamnée. Oserai-je le dire? C’est à la croix de votre état, à la croix de votre vocation religieuse. Oui, lors même que votre vocation est un grand bonheur, elle l’est dans le sens de Notre-Seigneur embrassant sa croix: Proposito sibi gaudio, sustinuit crucem. (Hebr. XII, 2.) Par conséquent, vous êtes condamnée à la croix, vous devez porter votre croix, et il peut y avoir là-dedans une grande joie. En effet, une religieuse qui viendrait chercher au couvent le plaisir et la jouissance finirait par être très malheureuse; elle ne serait pas dans l’ordre. Cette joie-là doit se chercher ailleurs; dans la vie religieuse, il y a la joie du sacrifice, la joie de l’immolation.

Vous avez donc à porter votre croix, mes Soeurs. Elle est dans votre caractère, dans les relations avec le dehors, dans ce fond de votre nature souffrant, inquiet, susceptible. La souffrance sera plus vive ou moins amère, selon les circonstances et les moments; néanmoins, il y aura toujours de la souffrance au fond de votre coeur. Mais connaissez-vous la croix que vous aurez à porter? Singulière question! Il se pourrait pourtant que vous ne connaissiez pas votre croix, ou, du moins, que vous ne sachiez pas ce qui rend votre souffrance une croix, ce qui la ferait méritoire.

Notre-Seigneur, lui, la connaissait bien, et quand il la contemplait, il voyait bien qu’allait se réaliser la parole du prophète: Virum dolorum et scientem infirmitatem (Is. LIII, 3;) il avait alors le sentiment de toutes les horreurs de la croix. Pour lui, la croix est un symbole. Elle est en même temps ce qu’il y a de plus dur, de plus épouvantable; elle est le supplice de l’esclave, l’ignominie réservée à la classe la plus vile des criminels, la douleur la plus vive tant en soi que par suite de l’exquise délicatesse de sa nature humaine. La croix est tout cela, et c’est bien tout cela qu’il accepte. Et dans quels sentiments? Ah! mes Soeurs, si saint André, l’imitateur fidèle du Maître, va au-devant de l’instrument de son supplice et le reçoit avec joie, que dire de Notre-Seigneur? Avec quel amour n’a-t-il pas embrassé sa croix Celui qui avait appris à ses disciples comment ils devaient chérir la leur!

Si Notre-Seigneur prend ainsi la croix pour consommer la rédemption du monde et la sanctification des élus, une religieuse qui veut l’être dans le fond du coeur ne doit-elle pas accepter sa croix d’une manière absolue? Jésus a-t-il repoussé la croix? Condamné à la croix, Jésus n’a-t-il pas voulu la porter? « Je dépose mon âme pour la reprendre à nouveau, » dit-il dans l’Evangile: Ego pono animam meam, ut iterum sumam eam. (Joan. X, 17.) Par conséquent, la croix qui devait lui ôter la vie a été acceptée en même temps que la mort; elle venait à lui parce qu’il l’avait voulue dans toute la plénitude de sa volonté humaine, dans toute la plénitude de sa volonté divine. IL l’a acceptée avec toutes ses douleurs, ses amertumes, ses hontes, ses souffrances.

Vous voilà au couvent et devant cette vie religieuse qui se présente avec ses sacrifices. Voulez-vous votre croix? L’acceptez-vous ou reculez-vous devant elle? Comprenez-vous que toute la vie religieuse est là? Voulez-vous vous mettre sur la croix, la porter ou bien la traîner? Voulez-vous vous laisser attacher à elle, vivre et mourir sur elle?

Voyez-vous ce que la croix peut signifier, après avoir médité tout ce que signifie celle de Notre-Seigneur? Mes Soeurs, d’abord la croix est le salut, et le salut, nous l’avons vu hier, consiste dans l’anéantissement. Il faut donc que toute ma vie je porte ma croix et je m’anéantisse, comme Jésus- Christ, mon modèle. La vie de Jésus-Christ, à partir du moment solennel de sa condamnation à mort, représente la vôtre, depuis la solennité de votre profession jusqu’au jour où vous rendrez le dernier soupir. Vous êtes donc au moment où vous devez embrasser la croix; examinez-vous et posez-vous ces questions: « Est-ce que j’accepte ma condamnation à mort? Quelle est-elle? Si la condamnation de ma vie humaine est le bois du sacrifice la victime y est- elle bien attachée? La croix m’a été imposée avec mes voeux de religion; je ne puis m’en séparer jusqu’au dernier de mes jours, pas plus que Jésus-Christ ne s’est séparé de la sienne. » Si votre part vous semble dure, rappelez-vous que ce qui s’est passé pendant les vingt-quatre heures que Notre-Seigneur a été sur la croix de la Passion a été mille fois plus terrible que tout ce que vous pourrez ressentir durant votre vie entière.

Je vois encore, dans cet état du Sauveur sur la croix, la plus parfaite adoration de Jésus envers son Père. Au moment où il y est attaché, où il oppose son corps à la justice divine, jamais adoration aussi admirable, aussi terrible, aussi effroyable n’était montée vers Dieu. Et vous, comment acceptez-vous ce côté de l’adoration douloureuse, cet aspect d’une certaine oraison, à supposer que quelques-unes parmi vous y soient appelées? L’adoration de la croix est l’explication de votre état. Représentez-vous Jésus mourant sur la croix qui lui est imposée jusqu’à son dernier soupir, et sa sainte Humanité ne cessant d’adorer Dieu le Père en accomplissant son sacrifice.

Et vous, religieuse professe, destinée par vos voeux à porter jusqu’à la mort la croix de Jésus-Christ, en quelle mesure la voulez-vous? En quelle union avec le divin Sauveur voulez-vous être pour offrir une adoration satisfactoire, une prière d’adoration à Dieu le Père jusqu’à votre dernier soupir? De quoi avez-vous le droit de vous plaindre? Pourquoi vous permettre ces murmures qui sont la ruine de votre âme et le signal de la décadence des couvents? Vous n’en avez plus le droit depuis que vous vous êtes abandonnée à Dieu. Livrez-vous à lui; laissez-vous garrotter, traîner, crucifier.

Et si vous prenez la croix par le côté de l’amour, où trouverez-vous un plus grand témoignage d’amour pour les pécheurs que celui-là? Le poids de l’amour de Jésus est dans le poids de la croix. Et nous, que donnerons-nous à notre divin Sauveur? Nous aimerons aussi sous le poids de la croix, et plus nous voudrons la souffrance, plus nous saurons que nous aimons Dieu. Notre vie sera transformée en un amour douloureux, et plus la croix sera pesante, plus nous aimerons Jésus-Christ. Quelle relation y a-t-il entre le bois de la croix et un Dieu? Pourtant, c’est par ce bois, tout vil qu’il est, que Notre-Seigneur donne la plus grande marque de son amour aux hommes. De même, quelle relation y a-t-il entre tel acte indifférent et votre sanctification? C’est l’amour qui unit, l’amour qui relie le bois de la croix au salut de l’homme, qui élève nos actions à la hauteur d’un sacrifice fécond pour le salut des âmes. Ce livre qu’on vous donne et qu’on vous ôte, cette pénitence imposée, l’acte le plus indifférent enfin, devient votre sanctification. Si vous êtes retirée dans la vie la plus vulgaire, la plus commune, la plus opposée à ce qu’il y a d’élevé, d’élancé dans vos aspirations, tout cela contribuera à votre sanctification. La vulgarité du bois de la croix montre que rien n’est petit si vous y mettez un grand amour. Votre vie devient admirable dans les actions les plus humbles, si vous les acceptez en adoration et en amour.

II. La montée du Calvaire

Je n’examinerai ni la force qui est dans la croix ni la sagesse qu’on y puise, je passe à la seconde considération.

Notre-Seigneur est chargé du bois de la croix, il gravit la montagne, et cette montée du Calvaire est semée de beaucoup de chutes: trois, disent quelques commentateurs; sept, pensent les autres. Peu importe; il est certain qu’il y en eut plusieurs. On a vu des condamnés à mort, de noble race, se faire un point d’honneur de marcher au supplice d’un pas ferme et de paraître invulnérables à la douleur. Notre-Seigneur, descendant de rois, rempli d’une force surhumaine, aurait pu le faire également, et cela semblerait convenable à sa dignité. Il ne l’a pas voulu. Il a succombé à la fatigue, il est tombé sous le fardeau de la croix, il a eu des chutes, et beaucoup de chutes. Il n’y a pas d’imperfection dans ces chutes, c’est la faiblesse humaine qui succombe.

Dans cette absence de force se trouve la grandeur du sacrifice, la grandeur de l’humiliation que Notre-Seigneur a voulu accepter pour encourager cette pauvre religieuse qui prend tant et de si bonnes résolutions, et qui y manque si souvent. A l’oraison, elle est saisie d’une sainte ardeur de perfection, elle promet à Dieu tous les sacrifices; puis, au sortir de la chapelle, il lui échappera un petit acte de paresse, d’impatience, d’amour-propre, d’indépendance, de gourmandise; puis, le découragement s’en mêlera: « Je ne suis bonne à rien; ma Mère ne m’écoute pas, mes Soeurs se moquent de moi; je suis la plus malheureuse créature du monde. »

Notre-Seigneur dit alors à cette religieuse: « Pourquoi te décourager? Regarde combien de fois je suis tombé en montant au Calvaire. et comment j’ai accepté l’humiliation de toutes ces chutes devant mes ennemis. De même que j’ai continué mon ascension sur le Calvaire, de même relève-toi et continue à prendre des résolutions pour qu’au milieu de tous tes manquements il puisse t’arriver de tenir quelquefois ta parole. » Quelle miséricorde, mes Soeurs, envers la masse des religieuses qui, comblées de faveurs, n’en restent pas moins des êtres faibles, inconstants, et qui, faisant à Dieu les plus magnifiques promesses, ne savent pas les tenir! C’est pour celles-là que Notre-Seigneur tombe sur le Calvaire.

Qu’est-ce, après tout, que la montée du Calvaire? C’est un effort. Dans la plaine, dans la vie unie et ordinaire, on marche aisément. Quand il faut gravir la montagne, la poitrine est haletante, il faut un effort. Notre-Seigneur, affaibli d’une manière si déplorable par les tourments qu’il a endurés depuis la trahison de Judas, a besoin de faire un suprême effort pour gravir la pente du Calvaire. La perfection, mes Soeurs, c’est une montée. Saint Jean de la Croix dit: du Carmel. Moi, je dis: du Calvaire. Nous nous rencontrons tous au pied de la montagne, et nous nous demandons: Monterai-je? Quelques-unes peut-être ont franchi les premières rampes, d’autres ont eu le courage d’arriver au sommet. C’est possible. Tout cela a demandé un effort, une lutte; on n’arrive pas à la vertu sans se faire violence: Regnum coelorum vim patitur, et violenti rapiunt illud. (Matth. XI, 12.) Il faut se renoncer, il faut souffrir, il faut ne pas craindre les labeurs du chemin et la raideur des pentes, il faut combattre, il faut aller au-devant d’une foule d’obstacles et ne jamais s’arrêter, ne jamais s’accorder un instant de repos. C’est la condition de la perfection de la croix.

Dans cette ascension du Sauveur sur le Calvaire se produisent deux rencontres, celle de Simon de Cyrène et celle des filles de Jérusalem.

Saint François de Sales dit qu’il faut choisir un directeur entre mille et dix mille. » Je n’en conteste pas l’utilité, mais quelque liberté que votre Mère générale veuille vous laisser pour vos consciences, je ne pense pas que chacune de vous puisse faire un choix en de telles proportions. Notre-Seigneur n’a pas choisi son guide il a pris celui que ses bourreaux lui ont donné, et angariaverunt praetereuntem quempiam. (Marc. XV, 21.) C’est le fait, mes Soeurs. Simon ne désirait pas porter la croix du Sauveur, et celui-ci ne lui demandait pas son secours. Simon se laisse faire, et Notre-Seigneur accepte l’aide qui lui est offerte. Voyons dans cet exemple la grande loi de l’obéissance.

Je ne veux pas exagérer les choses, et je plains certaines âmes conduites par certains directeurs; il se passe là souvent de tristes choses. Je veux examiner comment, avec un esprit de foi, on peut tirer un merveilleux parti des plus tristes directeurs. Ce principe peut être poussé si loin, qu’on a vu, pendant la grande Révolution, des prêtres aller, en esprit de foi et d’humilité, se confesser à des prêtres assermentés plutôt que de se passer de confession, et en retirer un vrai profit pour leurs âmes.

Si donc vous êtes condamnées à un confesseur insupportable, faites comme Jésus-Christ, qui prit ce que les bourreaux lui donnaient. Après tout, quelque abominables que vous supposiez vos Supérieures lorsqu’elles vous imposent un tel directeur, elles ne le seront jamais autant que les bourreaux de Notre-Seigneur. Prenez donc votre confesseur avec les sentiments de Jésus acceptant le secours de Simon de Cyrène, et tout tournera à bien dans l’esprit de foi et d’obéissance.

Je ne veux pas donner ce conseil d’une manière trop absolue, j’admets les inconvénients qui résultent de certaines directions; Il n’en est pas moins profondément vrai que, pour les âmes qui tendent sincèrement à la perfection, les confesseurs sont ce que les âmes les font. Avec des sentiments surnaturels, bien des choses s’arrangent, et les trois quarts et demi du temps, les confesseurs ne conviennent pas parce qu’on ne sait pas les rendre convenables.

Sur la voie douloureuse du Calvaire, à côté de Simon de Cyrène, il y avait un autre groupe, celui des filles de Jérusalem. On ne peut pas en douter, c’étaient des âmes bonnes et pieuses. Elles aimaient Notre-Seigneur, et tandis qu’un homme, appelé à l’aider à porter sa croix, le fait comme malgré lui, voilà les filles de Jérusalem, pleines de compassion et de tendresse, qui pleurent et qui veulent verser un peu de baume dans le coeur du divin Maître. Notre-Seigneur n’en veut pas, il repousse durement même cette consolation. Examinons attentivement sa conduite.

Je crois, mes Soeurs, que l’Assomption n’a jamais été par ce côté-là fille de Jérusalem. Mais s’il y avait parmi vous une de ces petites natures bien tendres, bien sentimentales qui débordent en pleurs, je vous déclare que je prendrais volontiers deux bâtons de bois vert dans le jardin pour les mettre entre les mains de vos deux Mères, en les priant de lui faire cesser ces manières-là.

Oh! non, ne soyez pas filles de Jérusalem. Si vous saviez le mal qu’elles ont fait à l’Eglise, et comme vous êtes obligées, pour réparer ce mal, d’accepter une mission d’énergie et de vigueur! L’Assomption doit être forte, virile; elle doit lutter contre le sentimentalisme des coeurs affadis. Soyez donc de vigoureuses filles de Jérusalem et non pas filles de Jérusalem; autrement, vous entendrez le reproche de Notre-Seigneur: Filiae Jerusalem, nolite flere super me, sed super vos ipsas flete, et super filios vestros. (Luc. XXIII, 28.)

Gardez donc ces deux enseignements précieux que le divin Maître a voulu nous laisser pour les deux genres différents de la vie intérieure: la dureté de l’appui qu’il accepte quand on le lui donne; la trop grande tendresse dans l’appui qu’il repousse.

C’est très grave, croyez-le bien. Si quelqu’une parmi vous se sentait un coeur comme de la cire fondue, qu’elle sache qu’il vaut mieux un coeur incomplet qu’un coeur trop ramolli.

III. Le crucifiement

A propos du crucifiement, je ne livrerai que trois considérations à vos sérieuses réflexions: l’assujettissement de Notre-Seigneur, la honte et l’humiliation; enfin, la souffrance.

L’assujettissement, ce sont les clous, et les clous, ce sont les saints voeux. Les clous attachent Notre-Seigneur à la croix; vos saints voeux vous clouent à la vie religieuse, à l’instrument de votre supplice, et cela jusqu’à votre dernier soupir. Dans l’assujettissement de Notre-Seigneur est le salut du monde et la sanctification des élus; dans le vôtre se trouve votre salut comme chrétiennes, votre sanctification comme épouses de Notre-Seigneur. Plus l’assujettissement sera parfait, plus votre salut sera assuré et votre sanctification complète. Au contraire, plus vous secouerez cet assujettissement et vous vous affranchirez de ces clous, plus votre salut sera compromis et votre sanctification douteuse.

La honte, l’humiliation. Il faut que vous preniez votre parti d’accepter toutes les hontes divines auxquelles une épouse de Jésus-Christ est exposée en tout temps, et plus particulièrement dans le moment présent. Tel a été le partage de Jésus au Calvaire, et il en sera toujours ainsi. Comment ces humiliations se produiront-elles? Je ne sais. Mais quelle est celle d’entre vous qui n’a déjà subi une confusion, et comment l’a-t-elle acceptée? Est-ce avec son orgueil? Mes Soeurs, une chose m’étonne toujours, je le dis pour moi comme pour vous, c’est que nous ayons le courage de considérer une croix et d’avoir de l’orgueil, de l’amour-propre, de la vanité.

Nous faisons cent fois dans la journée le signe de la croix: à l’Office, à la Messe, avant nos actions; nous baisons souvent notre crucifix; on nous bénit en forme de croix. De tous les enseignements, des humiliations et des hontes du crucifix, que rapportons-nous, que gardons-nous? Notre superbe, notre dignité, notre vanité, notre susceptibilité et tous les autres sentiments d’orgueil. Qu’est-ce que notre vie, alors, sinon un grand mensonge? Méditez ceci, mes chères filles: Jésus nous montrant son amour par ses humiliations.

Je voudrais que vous appreniez à aller à l’humiliation par le coeur; que vous montriez à Jésus combien vous l’aimez par amour des humiliations. Un couvent habité par beaucoup de religieuses qui agiraient ainsi, ce serait un couvent de saintes; ce serait trop parfait. C’est pour cela qu’il n’y en a pas.

Les souffrances de Notre-Seigneur. Non seulement elles sont aussi horribles que l’imagination peut les supposer, elles vont au delà de toute imagination. Il faut avoir le coeur de Dieu pour comprendre tout ce qu’a souffert l’Homme-Dieu dans la délicatesse et la perfection de sa nature humaine.

Quand vous aurez contemplé votre divin Sauveur réduit à un tel état, vous direz: « Mon Dieu, après que je vous ai vu montrant votre amour aux hommes par votre amour de l’assujettissement, de la honte et de la douleur, comment, à mon tour, vous aimerai-je? En acceptant toutes les humiliations que vous voudrez m’imposer, toutes les souffrances que vous voudrez m’infliger. Je les trouve dans l’accomplissement de mes voeux, dans les obligations de la Règle, les humiliations de la vie commune, toutes les peines que ma vocation m’impose.

Est-ce que vous vous contenterez de vous tenir au pied de la croix? Non, vous irez plus haut. Et lorsque vous serez saisies par ce triple ordre d’épreuves, qu’elles viennent de Dieu, du prochain ou de vous-mêmes, que ferez-vous? Vous vous assujettirez à la croix par vos saints voeux, comme Jésus l’est à la sienne par les clous, et là, attachées à l’instrument de votre supplice, vous accepterez vos peines, vos douleurs, vos hontes, comme Notre-Seigneur a accepté les insultes des pharisiens, les cris de la populace, la haine de ses ennemis qui branlaient la tête devant lui. Placez-vous en face de Dieu le Père avec Jésus victime, sur qui Dieu décharge les trésors de sa colère et de ses vengeances; placez-vous là et voyez ce que vous pourrez ne pas porter.

En terminant, mes Soeurs, et après vous avoir montré ce que vous devez faire comme religieuses, à un point de vue personnel de sanctification, laissez-moi vous engager à faire abstraction de votre personnalité comme religieuses aussi. Notre-Seigneur s’est oublié, il ne s’est compté pour rien sur la croix. Ainsi devez-vous faire, n’être plus vous-mêmes pour vous-mêmes, mais devenir victimes et vous offrir pour le salut des âmes et pour l’Eglise. Vous êtes épouses de Jésus crucifié, mourant pour les hommes.

Ne pouvez-vous pas prendre la résolution de vous oublier vous-mêmes, de consacrer toute votre vie à porter la croix et à accepter la montée du crucifiement? Si Jésus-Christ a voulu faire tout seul l’oeuvre du salut du genre humain, ne vous a-t-il pas cependant demandé votre participation? Allez donc et dites:

« Prenez-moi, Seigneur, selon le peu que je vaux, selon la mesure de sacrifice qui m’a été mise au coeur et que vous augmenterez chaque jour, j’espère. Je veux marcher dans la simplicité de mon amour et dans les hontes de la croix, afin de pouvoir satisfaire à votre justice pour les péchés des hommes et les souffrances de l’Eglise, et ainsi, allant à vous dans l’humiliation de votre Passion, je serai de celles qui augmentent le trésor des richesses mystiques de votre Eglise, de telle sorte que je puisse accomplir la parole de votre apôtre: Adimpleo, ea quae desunt passionum Christi. (Col. I, 24.) C’est ainsi que, dans ce grand honneur que vous voulez bien me faire d’ajouter quelque chose à la rédemption du genre humain, je pourrai aussi ajouter quelque chose à l’étendue de mon amour et le rendre immense pour votre grâce. » Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum