OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGTIEME CONFERENCE DONNEE LE 29 NOVEMBRE 1870.
    LE BON LARRON. LA SOIF DE NOTRE-SEIGNEUR. SA PRIERE SUR LA CROIX.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 125, juillet 1929, p. 199-203.
  • DA 44; CN 3; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 ADVENIAT REGNUM TUUM
    1 AGONIE DE JESUS-CHRIST
    1 AME EPOUSE DE JESUS CHRIST
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ANGOISSE
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 ATHEISME
    1 ATTENTION
    1 AUGUSTIN
    1 CHARITE DE JESUS-CHRIST
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CHOIX
    1 CONTRITION
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DENUEMENT
    1 DESESPOIR
    1 DIEU LE PERE
    1 DIVIN MAITRE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 DOUTE
    1 EGLISE
    1 EGOISME
    1 EMPIRE DE SATAN
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 ESPERANCE
    1 ESPRIT ETROIT
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FAIBLESSES
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FOI
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GENEROSITE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 GUERISON
    1 GUERRE
    1 HABITUDE PSYCHOLOGIQUE
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HAINE ENVERS LA VERITE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA FOI
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DU PARDON
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST EPOUX DE L'AME
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LACHETE
    1 LIBERTE
    1 MALADIES MENTALES
    1 MANQUE DE FOI
    1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
    1 MARIE
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 MEDECIN
    1 MERE DE DIEU
    1 MERE DE L'EGLISE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 MORT MYSTIQUE DE L'AME
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 OBSESSION
    1 ORAISON
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARDON
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PECHE
    1 PECHEUR
    1 PERE SOURCE DE LA FOI
    1 PERSECUTIONS
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 REDEMPTION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUX
    1 REVOLTE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SACRILEGE
    1 SAINTS
    1 SALUT DES AMES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SATAN
    1 SAUVEUR
    1 SCANDALE
    1 SCRUPULE
    1 SIMPLICITE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 TEMPERAMENT
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 TRISTESSE
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VENDREDI SAINT
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIE DE JESUS-CHRIST
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 BON LARRON
    2 BOSSUET
    2 CLEMENT, SAINT
    2 DISCIPLES D'EMMAUS
    2 FLAVIUS JOSEPHE
    2 JEAN, SAINT
    2 LIN, SAINT
    2 LUC, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 TALLAT, DOCTEUR
    3 EMMAUS
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 JERUSALEM
    3 JERUSALEM, GOLGOTHA
    3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS
    3 PARIS
    3 ROME
  • Religieuses de l'Assomption
  • 29 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. -1° Ce bon larron, patron des Soeurs scrupuleuses. Hodie mecum eris in paradiso. Miséricorde de Notre-Seigneur envers les pécheurs

2° La soif de Notre-Seigneur. Désir ardent du salut des âmes. Quelle est notre soif? Esprit de réparation. -La soif de Satan, la haine, les efforts de l’impiété. -La soif des religieuses, zèle brûlant des âmes.

3° Prière de Jésus-Christ. Deus, Deus meus ut quid me dereliquisti? Le délaissement, l’oraison douloureuse. C’est pourtant la consommation de la prière parfaite de Notre-Seigneur. Il souffre de son abandon de la part de son Père, et de l’inutilité de son sacrifice. Et nous aussi, souvent nous disons: Sperabamus… Délaissement des créatures. Voulez-vous tout cela? Voulez-vous suivre Notre-Seigneur dans la voie douloureuse, acheter l’oraison parfaite a ce prix? Il faut s’oublier, faire bon marché de soi… Fécondité dans la croix pour enfanter les âmes, pour sanctifier la nôtre.

Texte sténographié de la Conférence

Mes chères filles,

Nous passerons encore aujourd’hui quelques détails de la Passion, nous laisserons la scène où il nous est donné de contempler Marie, Mère de l’Eglise et Mère des chrétiens et nous nous arrêterons à trois principales circonstances: le bon larron, la soif de Notre-Seigneur, la prière sur la croix.

I. Le bon larron

Quant au bon larron, je voudrais le donner comme patron aux Soeurs scrupuleuses. La manière dont le Maître lui pardonne montre combien Dieu aime à le faire. Ce grand coupable, après une seule parole de repentir, voit tous ses crimes lavés par le rejaillissement du sang de Jésus-Christ Hodie mecum eris in paradiso. (Luc. XXIII, 43)

Il y a eu un temps ou je me suis moqué des scrupuleux, j’ai eu tort. Il y a dans les scrupules une faiblesse de tempérament. On veut chercher leur cause dans les régions supérieures de l’âme, il faudrait souvent n’y voir qu’un effet physique. Molière parle des humeurs peccantes. C’est vrai. Dans certaines circonstances, une tisane ou un médecin serait le meilleur moyen de guérir les scrupules. J’ai eu de longues conversations sur les scrupules avec un des grands médecins de France, et je suis convaincu que la guérison de cette maladie est plus du ressort de la Faculté que du confessionnal. (Récit.) Il y a donc dans les scrupules des faits physiques; il y a aussi des faits moraux qui viennent de la faiblesse de la volonté.

Le Dr Tallat me disait à Rome: « Je m’aperçois que je deviens fou, parce que je n’ai pas assez résisté. » Si en ne résistant pas aux écarts de son imagination, on court risque de devenir fou, j’en dis autant pour les scrupuleux. Il y a un moment où l’on pouvait résister. Le scrupule peut tomber [sur quelqu’un comme une ivresse dans laquelle il n’est plus possible de réagir. Oui, mais on pouvait ne pas s’enivrer, ne pas laisser la place au scrupule. Tenez pour certain qu’il y a des moments où la volonté d’un scrupuleux n’est pas maîtresse d’elle-même; il ne lui est pas possible de se maîtriser J’en ai vu de ces états-là, et même sur le lit de mort. C’est affreux. On ne sait où l’on va, le désespoir s’empare de l’âme. C’est pour cela que je vous engage, si vos scrupules tiennent à une disposition morale, à réagir fortement, et cela dès le commencement. J’ajoute que le seul remède sera l’obéissance. C’est clair. Votre mal venant de la faiblesse de votre organisation morale, vous fortifiez votre volonté par celle de vos Supérieurs.

Un second remède aux scrupules, c’est la confiance. Si le bon larron a été pardonné après ses crimes, comment pourriez-vous croire que Dieu ne veut pas vous pardonner? Je pense qu’aucune de vous n’a commis de péché mortel, du moins depuis son entrée en religion. Qu’auriez-vous donc à craindre? Allez dans la confiance, et une très vive confiance. Ceci n’empêche pas d’avoir une conscience délicate; mais ne vous montez pas la tête, je vous en prie, vous feriez les affaires du diable

Une des habiletés du diable est précisément de grossir à nos yeux certains de nos péchés, afin de nous empêcher de nous occuper des vertus que nous ferions mieux de pratiquer. On reste sur le négatif, on ne s’inquiète pas des vertus positives qu’on devrait observer comme religieuse, et cela parce que l’âme est rongée par le scrupule. Quel exemple dans ce bon larron qui avoue ses fautes, reconnaît la justice de ses châtiments: Et nos quidemi… digna factis recipimus. (Luc. XXIII, 41), et qui, au lieu de scrupules, a la contrition véritable!

Car je vous fais observer que les trois quarts des scrupuleux n’ont pas la contrition. Ils savent très bien, comme l’enseigne saint Augustin, que l’eau bénite, un Pater, un acte d’amour de Dieu effaceraient leurs péchés véniels; mais ils n’en usent pas, ils préfèrent se renfermer dans la tristesse de leurs imaginations.

Il n’y a peut-être pas de scrupuleuses parmi vous, mais il pourra y en avoir un jour. Alors je parle pour les générations futures. Scribentur haec in generatione altera. (Ps. CI, 19.)

Je me résume. Le scrupuleux perd la tête, il perd la santé, l’intelligence; il incline vers les Petites-Maisons; il manque d’obéissance, de contrition, d’esprit surnaturel; il laisse la pratique des vertus pour se repaître d’imaginations que le démon lui suggère; il ne donne pas à Notre-Seigneur ce dont celui-ci est le plus jaloux, une immense confiance en son infinie bonté. Laissez-vous toucher par l’exemple du bon larron.

II. La soif de Notre-Seigneur Jesus-Christ

Cette soif de notre divin Maître attaché à la croix, tous les commentateurs le disent, c’est le désir du salut des âmes. Que Notre-Seigneur, dans ses souffrances incomparables, dans l’agonie du dernier moment, ait ressenti une soif physique, c’est compréhensible. Mais la théologie, en étudiant la valeur des actes de Notre-Seigneur, les considère toujours dans l’ordre surnaturel, et quand Jésus-Christ disait: « J’ai soif, » il voulait dire: « J’ai soif du salut des hommes, » et tout se passait dans l’ordre de la volonté divine. Il n’était livré à la soif que parce qu’il le voulait bien ainsi.

Vous aussi, mes Soeurs, devez avoir cette soif des âmes. Votre devise est un immense soupir Adveniat regnum tuum. Et le règne de Notre-Seigneur n’est pas encore arrivé. Hélas! non. Et n’entendez-vous pas dire ce qui se passe de nos jours à Paris, les profanations des saintes Hosties qui viennent d’avoir lieu? S’il en est ainsi, si Notre-Seigneur est insulté d’une si épouvantable façon, il y a des réparations à lui faire. Si de tels excès se passent sous nos yeux, s’il y a des misérables pour de tels sacrilèges, combien faut-il que nous priions Notre-Seigneur de pardonner à ces grands pécheurs, et combien devons-nous être préoccupés de les convertir!

Mgr. Lavigerie le disait l’autre jour, il y a deux France aujourd’hui, comme il y a deux Europe: l’Europe croyante et la France croyante, l’Europe incrédule et la France incrédule, et nous marchons vers le moment des efforts suprêmes des méchants pour abolir l’Eglise catholique. Rome est prise, le Saint-Père est prisonnier. Ce n’est pas assez encore; on veut aller jusqu’au bout jusqu’au fond des choses: Exinanite, exinanite usque ad fundamentum in ea. (Ps CXXXVI, 7.) On veut renverser le souverain pontificat, on veut renverser l’épiscopat et les prêtres.

A l’instant, dans une réunion démocratique tenue à Paris, on a acclamé par des applaudissements frénétiques la proposition d’envoyer les prêtres aux remparts, dépouillés de leurs habits, chassés à coups de fouet.

Voilà ce qui se dit dans les clubs de Paris Ils ne réussiront pas, parce qu’ils sont les moins nombreux, mais voilà ce qu’on laisse faire publiquement. Voilà la plaie de l’impiété haineuse qui s’étend comme une affreuse lèpre, comme un chancre hideux sur la terre de France.

En face de cette soif de Satan, il y a celle des religieuses pour le salut des âmes. Elle s’assouvit dans le sang de Jésus-Christ lorsque vous allez l’adorer. Mais cette soif doit toujours aller en augmentant, en s’excitant davantage.

Croyez-vous que lorsque le Sauveur eut reçu son breuvage de vinaigre mêlé de myrrhe, sa soif fut apaisée? Non, il resta consumé de ses ardeurs toujours croissantes. Ainsi l’adoratrice se place au pied du Saint Sacrement comme sous la croix du Sauveur; elle prie pour le salut des pécheurs et participe à la soif brûlante du Rédempteur.

Je ne m’étends pas davantage, parce que la soif du divin Maître nous conduit à ses dernières paroles, et c’est ma troisième considération.

III. La prière de Notre-Seigneur

Nous voici au moment suprême où Jésus-Christ va séparer son âme de son corps. Il est là, suspendu entre le ciel et la terre, victime d’expiation, et il va consommer la rédemption du genre humain. La justice de son Père est satisfaite. Je vous le demande, à un tel moment, quelle sera sa prière, quel sera l’état de son âme? Entendez donc vous-mêmes les paroles par lesquelles il révèle l’état épouvantable dans lequel il est plongé: Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me? (Matth. XXVII, 46.)

Je vous prie de vous demander à quel état d’oraison vous êtes appelées. S’il y a un moment suprême dans la vie de Notre-Seigneur, c’est celui-ci, où il fait comme le résumé de toutes les prières qu’il a offertes à son Père depuis qu’il est sorti du chaste sein de Marie. Ce grand et puissant cri qui s’échappa de ses lèvres mourantes: Clamavit Jesus voce magna, c’est la consommation de l’expiation et de la rédemption du monde.

Et vous, épouses du Christ, vous dont la vie doit être calquée sur les moments les plus solennels de la vie du divin Maître, je vous le demande encore, quelle doit être votre oraison? Non pour vous, assurément, mais pour les autres, pour le salut du genre humain.

Lorsque vous étudiez ce que Notre-Seigneur a fait pour sauver le monde, voyez ses épouvantables angoisses. Ses souffrances, ses humiliations, ses mérites, ses efforts, tout semble perdu. Comme Dieu, Jésus sait ce qui se passe, il sait que son sang lave et rachète l’univers; mais comme homme, il veut pour ainsi dire ne pas savoir cela, afin de pouvoir, au nom de son Eglise et de tous ses saints, pousser ce cri effroyable: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? »

Mes Soeurs, je ne veux pas faire constamment des applications, mais ne sommes-nous pas aujourd’hui arrivés à un moment d’angoisse inexprimable? Dans cette terrible guerre qui semble anéantir notre France, ne se demande-t-on pas: « Que se passe-t-il? Qu’arrivera-t-il? » N’y a-t-il pas plusieurs qui disent: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi délaissez-vous la France, autrefois votre bouclier et votre épée? » Je cite cet exemple en passant, et j’arrive à l’intime de vos coeurs.

Vous priez pour une âme, pour une oeuvre, et les choses vont contre vos désirs. Vous aviez espéré, sperabamus (Luc. XXIV, 21,) comme dit Bossuet, et c’est profondément douloureux; dans ce mot sperabamus, il n’y a plus d’espérance. Autrefois, j’espérais; aujourd hui, c’est fini, l’espérance s’en est allée. Très souvent, comme les disciples d’Emmaüs, vous dites: « J’avais espéré faire du bien à cette enfant, j’y renonce, j’avais espéré encourager cette pauvre Soeur, la porter généreusement à Dieu, c’est du temps perdu; j’avais espéré convertir tel membre de ma famille, je n’obtiens rien, moi qui ai tant prié Seigneur, voilà comment vous écoutez la prière de vos épouses! » Deus meus, Deus meus, c’est la réponse du Seigneur, mes chères filles.

Tous les hommes auraient pu être sauvés par la prière de Notre-Seigneur, et ils ne l’ont pas été. Il y a eu des damnés après le sacrifice de la croix.

Dans les desseins impénétrables de Dieu, il y a des âmes à jamais rebelles. Ce sont les situations affreuses de certains coeurs endurcis par l’ingratitude, par l’incrédulité, par des vices qu’on ne nomme pas dans l’assemblée des saints. Il n’est pas possible de les reprendre, de les ressaisir. C’est la Jérusalem coupable, condamnée à cette fin dont l’historien Josèphe a conservé la mémoire. Pourtant, pour elle, on a répandu ses larmes et ses prières, on a espère et supplié: Deus meus, Deus meus.

Comprenez-vous, mes Soeurs, ce qui se passe d’affreux dans l’âme de Notre- Seigneur? Comme Dieu, il venait sauver le monde; comme homme, il considérait d’une vue prophétique l’inutilité de son oeuvre C’était désespérant. Deus meus, Deus meus. Et, en effet, il faut que nous acceptions dans l’intime de notre coeur qu’après avoir prié avec une ardeur incomparable, qu’après avoir beaucoup souffert pour certaines âmes, nous ne soyons pas exaucés. Il faut que nous acceptions que l’Eglise marche à travers des ennemis baptisés, revêtus du sceau de Dieu, et qui l’insultent plus que des païens. Il faut que nous acceptions cette multitude de sacrilèges qui se commettent dans le sacerdoce de Dieu. Il faut que nous contemplions dans la suite de l’histoire les démoralisations parmi les religieux et les religieuses. Il faut enfin, que nous voyions les petitesses du monde pieux et dévot. Il faut tout cela: évêques tombés dans l’hérésie, prêtres dans le désordre, religieux et religieuses arrivés à un tel état de dépérissement et de scandale, tous ces membres de l’Eglise de Dieu devenus une pierre d’achoppement pour plusieurs. Oui, il le faut. Deus meus, Deus meus.

Eh bien! mes chères filles, si nous aimions un peu plus Notre-Seigneur, nous serions aussi plus pénétrés de toutes ces trahisons, de tous ces crimes, de tous ces sacrilèges qui s’accomplissent aujourd’hui. On peut bien le dire, Jésus-Christ est méconnu, trahi; l’Eglise de Dieu persécutée et paraissant abandonnée comme Jésus sur le Calvaire. Ne dirait-on pas que Dieu délaisse son Vicaire à Rome? Ce n’est pas vrai, pas plus qu’il n’a délaissé saint Pierre, saint Lin, saint Clément et les quarante Papes qui ont souffert le martyre. Non, mais le triomphe des méchants en donne les apparences.

Je voudrais que dans votre oraison aux pieds du Saint Sacrement vous appreniez, si vous avez le malheur d’être personnelles, à vous oublier totalement, pour vous abandonner à la douleur qu’éprouvait Notre-Seigneur à la vue du délaissement de la part de son Père et du délaissement de la part des créatures. Je voudrais qu’en contemplant Jésus livré à ce double abandon, vous vous rendiez compte de ce que vous devez accepter de la part de Notre-Seigneur et que vous voyiez si votre oraison doit être autre chose qu’une immense angoisse, une très profonde douleur dans laquelle, néanmoins, vous trouverez la paix, mais une paix amère. In pace amaritudo mea amarissima. (Is. XXXVIII, 17.) On a la paix parce qu’on est uni à Notre-Seigneur, mais l’on est en même temps abreuvé d’amertume. Pourquoi? Parce qu’on a travaillé et qu’on n’a abouti à rien. Per totam noctem laborantes, nihil cepimus. (Luc. V, 5.)

N’était-ce pas ce qu’aurait pu dire Notre-Seigneur lorsque, mourant sur la croix, il regardait autour de lui, et dans cette foule impie et déicide, il n’apercevait que quelques âmes fidèles: sa Mère, saint Jean et le bon larron?

A quoi bon travailler, prier sans relâche, avoir du zèle, faire pénitence? Oui, à quoi bon? Il y a là une tristesse profonde qui peut partir d’un principe faux -ce que je ne veux pas examiner,- mais qui peut également avoir un principe vrai et surnaturel.

Je crois qu’une religieuse qui a le bonheur de vivre comme vous dans une maison d’adoration ou dans des couvents où les adorations sont fréquentes, et qui prendrait la résolution de s’unir aux profondes douleurs morales de Notre-Seigneur, y puiserait un merveilleux courage pour se porter à toute humiliation et à tout sacrifice. Que pourrait-elle refuser à Notre-Seigneur quand elle le voit dans un pareil état de délaissement et de souffrance? Ne semble-t-il pas qu’il lui dise: « Ma fille, veux-tu entrer avec moi dans la vérité de la prière? C’est dans la douleur que commence et se consomme la vérité de la prière d’une vraie épouse de Jésus crucifié. »

Je crois qu’il faut, pour en arriver là, un certain courage, le courage de Notre-Seigneur se laissant mettre en croix, se laissant flageller, acceptant tout, ne marchandant jamais. Oh! malheur à la religieuse qui veut entrer dans la vie d’oraison et qui marchande! Quand une âme sent que Notre-Seigneur veut s’emparer d’elle pour en faire la compagne de ses délaissements, elle doit se laisser enlever de dessus sa chair les vêtements teints du sang de la flagellation. Oui, c’est quelque chose d’affreux que ce dépouillement sanglant qu’il faut accorder aux divines exigences de Jésus. Je m’adresse surtout à celles d’entre vous qui, réunies ici par les événements, ont peu d’occupation et de travail.

Si vous voulez profiter de ce temps pour avancer dans l’oraison, les exigences que Notre-Seigneur aura pour vous seront quelque chose d’épouvantable. A moins que déjà vous n’ayez beaucoup souffert, beaucoup lutté, beaucoup triomphé, vous n’aurez pas le don de cette prière douloureuse.

Il faut être logique, mes Soeurs. Cette dernière parole d’angoisse du Sauveur est le couronnement de ses prières et s’accomplit sur la croix. Mais il y a eu une première préparation dans les tortures subies au Jardin des Olives, dans les humiliations des tribunaux, dans les supplices, dans la montée au Calvaire, dans toutes les souffrances morales et physiques de la Passion. Jésus a accepté tout pour arriver à la consommation de l’oraison parfaite, Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me?

Vous le voyez, cela ne peut s’appliquer à une religieuse molle, lâche, qui se tâte, qui se flatte, qui trouve toujours un prétexte ou dans son corps ou dans son âme pour ne pas suivre généreusement le Maître dans cette voie. Mais si le doigt de Notre-Seigneur vous a touchée, si son divin et douloureux regard a pénétré dans le plus intime de votre âme, si enfin vous avez choisi d’être sa consolatrice ici-bas, vous devez prendre sa croix, sa couronne d’épines, les fouets, tous les instruments de la Passion, franchement, rondement, généreusement. Il y a entre la vie souffrante et la pureté de l’oraison des relations trop grandes pour qu’on puisse espérer les séparer jamais. Donnez-moi une religieuse qui se consultera chaque jour et sera à elle-même son médecin, elle ne trouvera pas un mot pour elle dans ce que je viens de dire, c’est évident. Au contraire, donnez-moi une âme qui fait bon marché d’elle-même, qui a constamment besoin d’être retenue par ses Supérieures dans les élans de sa généreuse ardeur, celle-là pourra aller très loin.

Au moment de son adoration, elle se plongera dans des douleurs très grandes, dans les humiliations, les anéantissements du divin Maître; elle entrera en participation des douleurs incomparables de Notre-Seigneur, parce que, comme lui, elle ne se sera comptée pour rien. Je vous donne là une des deux ou trois raisons principales pour lesquelles tant de religieuses font si peu de progrès dans l’oraison. Elles comptent trop avec elles-mêmes; elles oublient que l’oraison la plus parfaite s’est accomplie au Calvaire, sur la croix, après six heures de la suspension la plus atroce et les souffrances préliminaires de la Passion.

Voulez-vous avoir la soif des âmes, réaliser parfaitement votre devise: Adveniat regnum tuum, entrez dans cette voie, et vous entendrez. Jésus vous dire: « Oui, ma fille, tu es digne de moi; tu sais souffrir, te sacrifier, t’immoler; viens que je te conduise dans une oraison très pure, très pénible, très douloureuse. Il ne s’agit plus de ces charmes, de ces consolations, de ces délices que je donne aux commençants; je te réserve quelque chose de meilleur, ce qui s’est passé en moi dans ma vie humaine, avant que je sois transformé dans la gloire. Viens dans la souffrance. » Mes Soeurs, répondez à l’appel du divin Maître. Il n’y a pas d’imitation plus pure de sa vie, pas de grâce plus parfaite.

Notre-Seigneur est mort dans la tristesse, dans la souffrance, dans l’angoisse. Vous ne le trouverez nulle part aussi bien que sur la croix. Quand tout a été fini, il a dit: Consummatum est. (Joan. XIX, 30.); Pater, in manus tuas commendo spiritum meum. (Luc. XXIII, 46.) Avec une incomparable résignation il a remis toutes choses entre les mains de son Père. Il n’en est pas moins vrai qu’il a voulu résumer dans cet état de délaissement toutes les souffrances des oraisons douloureuses des saints, et que cette terrible prière de la croix était l’enfantement de l’Eglise. Il l’a voulu pour nous apprendre que tous nos efforts doivent tendre à cette oraison qui amènera l’enfantement des âmes.

Quand donc vous voudrez glorifier Jésus-Christ, sauver les âmes, étendre le règne de l’Eglise, allez à cette oraison de douleur, demandez-en l’intelligence à Notre-Seigneur; il vous la donnera, car aucune langue humaine n’est capable de l’enseigner.

Si vous ne comprenez rien à ce que je viens de dire, je n’ai pas parlé pour vous. Si vous y comprenez quelque chose, si vous dites: « Oui, c’est bien là l’état où Notre-Seigneur m’appelle et j’ai déjà goûté des divines amertumes du Calvaire, » je vous dis de continuer d’avancer dans cette voie, sans retour sur vous-mêmes, sans consolation, ne comptant plus sur les créatures et ne vous appuyant plus sur Dieu que par la cime de votre être. Ce sera l’état de Jésus en croix, la plus sublime imitation de la vie de votre Epoux.

Si vous êtes constantes, un jour viendra où, après avoir été purifiées dans les souffrances, vous serez glorifiées dans une éternité de bonheur. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum