OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGT-ET-UNIEME CONFERENCE DONNEE LE 30 NOVEMBRE 1870.
    LA MORT DE NOTRE-SEIGNEUR.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 124, juin 1929, p. 167-171.
  • DA 44; CN 3; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ABAISSEMENT
    1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTE DE PERFECTION
    1 ADORATION
    1 ADVENIAT REGNUM TUUM
    1 AME SUJET DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 ANEANTISSEMENT
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ANGES
    1 ANIMATION PAR LE SUPERIEUR
    1 APOSTOLAT
    1 ASSOMPTIONNISTES
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 CARDINAL
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 CIEL
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONGREGATIONS D'HOMMES
    1 CONGREGATIONS DE FEMMES
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORPS DE JESUS-CHRIST
    1 COUVENT
    1 CRAINTE
    1 CRITIQUES
    1 DELIBERATION
    1 DENUEMENT
    1 DEPARTS DE RELIGIEUX
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DEPOUILLE
    1 DESCENTE DE JESUS-CHRIST AUX ENFERS
    1 DEVOTION AU CRUCIFIX
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EFFORT
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ENTERREMENT
    1 ESPRIT D'INDIFFERENCE
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
    1 FATIGUE
    1 FIDELITE
    1 FINS DERNIERES
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 FORCES PHYSIQUES
    1 FORMATION A LA VIE RELIGIEUSE
    1 FORMATION DES JEUNES PROFES
    1 FRERES
    1 GENEROSITE
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GENESE DE LA FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GLORIFICATION DE JESUS-CHRIST
    1 GRANDS SEMINAIRES
    1 GRAVITE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JESUS
    1 JESUS-CHRIST
    1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
    1 LACHETE
    1 LAICS MEMBRES DE L'EGLISE
    1 LIBERTE
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MORT
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 ORAISON
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORDRES CONTEMPLATIFS
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAUVRETE SPIRITUELLE
    1 PERFECTION
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PREDICATION
    1 PREVOYANCE
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 PRIEURE DE NIMES
    1 PRIVILEGES CANONIQUES DES ASSOMPTIONNISTES
    1 PROFESSION PERPETUELLE
    1 PRUDENCE
    1 PURIFICATION
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REDEMPTION
    1 REFLEXION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 REGLES DES RELIGIEUX
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 RELATIONS ENTRE RELIGIEUX
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RELIGIEUX
    1 RENOUVELLEMENT
    1 RESPECT
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 REVOLTE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SAINT-SIEGE
    1 SAINTE VIERGE
    1 SAINTS
    1 SAINTS DESIRS
    1 SALUT DES AMES
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SAUVEUR
    1 SOINS AUX MALADES
    1 SOLITUDE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUPERIEUR
    1 SUPERIEURE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 SURVEILLANCE PAR LE SUPERIEUR
    1 TEMOIN
    1 THEOLOGIE MYSTIQUE
    1 TIEDEUR
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 TOMBEAU
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIGILANCE
    1 VISION BEATIFIQUE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    1 VOEU DE CHASTETE
    1 VOEU DE PAUVRETE
    1 VOLONTE PROPRE
    2 CANROBERT, FRANCOIS DE
    2 CAPALTI, ANNIBALE
    2 JOSEPH D'ARIMATHIE
    2 NICODEME
    2 PAUL, SAINT
    2 PELISSIER, AMABLE
    2 PILATE
    2 RANCE, ABBE DE
    3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS
    3 ROME
    3 SEBASTOPOL
  • Religieuses de l'Assomption
  • 30 novembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur.-1° La mort de Notre-Seigneur. -La profession est une mort. Consummatum est. La religieuse rentrant dans sa cellule après sa profession. Vie nouvelle. Tout est mort à la vie humaine. Mortui enim estis et vita vestra est abscondita eum Christo in Deo. (Coloss. III, 3.),

L’effusion du sang. -Unus militum lancea latu ejus aperuit. -Perfection jusqu’à la dernière goutte. -Effort jusqu’au dernier soupir.

Le tombeau. -Vita vestra est abscondita cum Christo in Deo. -Pour Jésus, c’est le passage de sa vie humaine à la vie glorifiée. Pour nous, dans l’obscurité de la mort à nous-mêmes se fera le travail de notre transformation.

Texte sténographié de la Conférence.

Mes chères Filles,

Avant de commencer cet entretien, laissez-moi vous dire la manière dont je voudrais que vous preniez ces conférences, à mesure que nous avançons dans l’étude des vertus et des devoirs de la vie religieuse. Il y a là, évidemment, une époque pour l’Assomption. Si peu que vous soyez à m’écouter, il y aura quelque chose qui restera de ma parole. Ce sera pour plusieurs un souvenir, une halte qui se fait dans leur vie. Celles qui sont ici pourront dire plus tard: « J’étais là quand l’esprit de l’Assomption a été développé, non plus comme à des novices, mais à des religieuses professes, avec la sanction de la Supérieure générale, qui pouvait commenter et contrôler cet enseignement. J’étais donc là à cette formation de l’esprit de l’Assomption.

Pour mieux dire, mes Soeurs, ce n’est pas une formation, car si cet esprit n’existait déjà, nous ne pourrions pas en parler. Mais le moment est venu où il était nécessaire de le fixer par la parole et par la plume, afin de le transmettre aux générations futures.

Il y a un moyen plus fécond de perpétuer cet esprit, c’est de le graver dans votre coeur. Je ne veux pas mettre de distinction entre vous et vos Soeurs absentes; il y a pourtant sous mes yeux un petit groupe de filles qui, en présence et sous la bénédiction de votre Mère générale, auront entendu parler de l’esprit de leur Congrégation et pourront faire commenter, expliquer, redresser même mes paroles par votre Mère, s’il en était besoin.

Elles doivent voir au travers de ces deux personnes qui, rapprochées par la permission de Dieu, ont tellement mis leurs idées en commun, qu’il y a là une contre-épreuve et une corroboration leur assurant qu’elles agissent selon Dieu; elles doivent voir, dis-je, dans cette union de deux âmes, un certain esprit de Dieu.

Lorsque je dis un certain esprit de Dieu, c’est avec intention. Car, en effet, ni votre Mère ni moi n’avons la prétention de soutenir que là seulement se trouve l’esprit de Notre-Seigneur. Il y a des nuances diverses, des applications variées, et je ne fais que poser les principes à l’aide desquels vous pourrez arriver à la perfection de votre vocation.

Ce que je vous dis, je pourrais le prêcher à mes religieux. Remarquez ce fait. Tout en établissant la distinction voulue entre les religieux et les religieuses, il y a entre vous et les religieux de l’Assomption une association d’idées communes, et, quoique la séparation des Congrégations d’hommes et de femmes soit désirée par l’Eglise, il y a cependant, dans cette certitude de trouver chez des religieux les mêmes idées que les vôtres, un véritable avantage. Dans les moments où le besoin s’en fera sentir, vous saurez qu’il y a une famille religieuse d’hommes sur laquelle vous pourrez toujours vous appuyer. Je ne dis pas qu’il soit toujours bon de le faire, cela dépend des circonstances, des époques.

Ce que j’ai pu observer à Rome me ferait croire que, tout en conservant la loi de la haute-dépendance des évêques et les règles de la convenance et de la prudence, on inclinerait à laisser les religieuses s’appuyer un peu plus sur les Ordres religieux, et je ne serais pas étonné que la force des choses, la nature des événements actuels amènent ce résultat.

Je vais vous parler comme à des filles graves. Il est évident aujourd’hui que Rome se tient sur une certaine réserve vis-à-vis des évêques; elle comprend que la force de l’Eglise vient des communautés religieuses. Très certainement, Rome sent cela. [Ici le P. d’Alzon parle des événements et du rôle des différents pays, et ses paroles ne furent pas relevées.]

Je vous prie de consigner une conversation que j’ai eue à Rome avec le cardinal Annibal Copalti, ancien secrétaire de la propagande, le cinquième président du Concile du Vatican, le cinquième de droit, le premier de fait.

Un jour, nous causions ensemble des Congrégations religieuses et de certaines misères que les évêques leur faisaient subir. « Quant à moi, Eminence, lui dis-je, comme pauvre petit religieux, il faut que je vous dise que c’est tout mon avantage de vous voir dans ces embarras avec les évêques. Rome comprendra que sa force, jusqu’aux extrémités du monde, gît dans les Ordres religieux, et les privilèges que nous vous demandons aujourd’hui, vous serez les premiers à nous les offrir pour nous rendre plus forts. » Le cardinal ne répondit pas, il sourit. Je vis qu’il avait compris.

Evidemment, il y a dans ces rapports des Congrégations d’hommes avec les Congrégations de femmes des règles à garder et des modifications à apporter à l’esprit commun qui les anime. Sans une grande prudence, il y aurait des inconvénients sérieux. Mais quelle est l’oeuvre humaine qui né présente pas ses inconvénients? Je maintiens qu’ils seront moins graves que dans la séparation absolue des Congrégations de religieux d’avec les Congrégations de religieuses.

En tout cas, mes Soeurs, dans ce moment Dieu nous permet ces relations pour que, dans un travail commun, nous puissions nous aider mutuellement, et vous savez trop le dévouement qui m’anime, moi et mes Pères, pour qu’il soit besoin de vous redire l’intérêt que je porte à la sanctification des religieuses de l’Assomption.

Je reviens maintenant au sujet de notre conférence: Amour envers Notre- Seigneur. Sa mort, l’effusion de son sang, sa sépulture.

I. La mort de Notre-Seigneur

A ce sujet, laissant les points de vue divers qu’on pourrait examiner, je n’en prends qu’un seul. Représentez-vous la religieuse qui a fait sa profession. La cérémonie terminée, elle se retire dans sa cellule. La voilà professe. Je suppose la profession définitive, perpétuelle. Qu’est-elle à présent cette religieuse? Elle est morte, et si elle ne l’est pas entièrement, sa profession n’a pas été complète. Le temps qui lui a été accordé depuis ses premiers voeux a été comme un deuxième noviciat prolongé, un temps d’une certaine Passion, non pas au point de vue des souffrances, mais sous la forme d’un exercice de sacrifices et d’immolation. D’où il résulte pour elle l’obligation de comprendre que sa profession est la perfection du sacrifice, et que tout ce qu’elle a fait jusqu’à ce moment a été dans le but de ce sacrifice.

Quand Notre-Seigneur a-t-il réalisé la perfection du sacrifice? Lorsqu’il a poussé ce grand cri: Consummatum est. Et pour une religieuse, ce sera lorsqu’elle pourra dire aussi: « Tout est consommé par la perpétuité des voeux que je viens de prononcer; je suis morte à moi-même. » A partir de ce moment, il faut qu’elle réalise la parole de saint Paul: Mortui enim estis et vita vestra est abscondita cum Christo in Deo. (Coloss. III, 3.)

Remarquez que quatre considérations découlent de ces quatre divisions du texte. « Vous êtes mortes, votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. »

Vous êtes mortes, vous ne vous appartenez plus. Vous n’avez plus la propriété de votre corps par le voeu de chasteté; vous n’avez plus la propriété des biens de la terre par le voeu de pauvreté; vous n’avez plus la propriété de votre volonté par le voeu d’obéissance. Vous êtes donc mortes aux biens de la terre, mortes aux sentiments de la terre, mortes aux impressions de la terre, à la volonté humaine. Et la religieuse qui semble émue de ses obligations, qui trouve que ses engagements sont lourds, n’a pas de meilleure ressource que de se mettre aux pieds de Jésus expirant et de dire: Consummatum est. Seigneur, mon sacrifice est fait; il est consommé, je n’ai plus à y revenir. Il y a dix ans, vingt ans que je me suis donnée, je ne me reprendrai pas. Consummatum est. Savez-vous que si toutes les professes partaient de ce principe, qu’elles sont mortes avec Jésus-Christ, et si elles gardaient leur Crucifix comme mémorial de leur mort, bien des racines qui les attachent à la terre seraient coupées et ne repousseraient plus? « Je m’engage à réfléchir à cela: Je suis morte. Depuis combien d’années et de mois? Comment ai-je commencé à vivre d’une vie nouvelle? »

II. L’effusion du Sang de Jésus-Christ

Notre-Seigneur a répandu son sang au Calvaire; il l’a répandu au Jardin des Olives, à la flagellation, au couronnement d’épines; enfin, il l’a répandu surtout sur la croix. Il manque encore quelque chose à cette effusion du sang divin. Jésus a rendu le dernier soupir; un soldat s’approche et lui perce le côté de sa lance. C’est jusqu’à la dernière goutte que le sang du Sauveur doit être répandu.

Dans l’effusion du sang de Notre-Seigneur, je puise deux leçons très importantes: Tout d’abord, c’est qu’il ne reste pas l’ombre de vie humaine en lui. De son côté ouvert par la lance, il sort du sang et de l’eau, pour bien nous montrer que tout le sang a été versé. Première leçon, mes Soeurs. Il faut donner, s’il est possible, et comme Notre-Seigneur, au delà de la dernière goutte de son sang.

J’ai connu un Séminaire où l’on professait la maxime qu’il faut conserver ses forces afin de pouvoir bien prêcher la pénitence aux autres. Ceux-là ne donnaient pas la dernière goutte de leur sang et au delà, comme le fit Notre-Seigneur.

La religieuse qui s’écoute pour son lever et pour son coucher, qui se hâte de réciter l’Office, qui marchande ses forces au service des enfants, qui passe sa vie à mettre en balance ses forces et ses fatigues, qui ne se lance jamais dans l’action avant de s’être assurée qu’elle ne succombera pas sous le poids du jour et de la chaleur, celle-là ne donne pas la dernière goutte de son sang. Donne-t-elle même une goutte de ses sueurs? Prenez ainsi tous les détails de votre vie et voyez ce que vous donnez de votre être, de votre substance.

L’effusion du sang de Jésus-Christ nous donne un deuxième enseignement. Dans quel but est-il répandu? Pour la gloire de Dieu d’abord, par la satisfaction de sa justice et pour le salut des âmes.

Des religieuses dont la devise est: Adveniat regnum tuum, ne doivent-elles pas comprendre combien elles sont obligées de se donner, de se dévouer? C’est le mot de saint Paul: Volontiers, je me dépenserai. Ego autem libentissime impendam, et superimpendar ipse pro animabus vestris, licet plus vos diligens, minus diligar. (II Cor. XII, 15.) La religieuse préoccupée du salut des âmes de ses Soeurs, qui sait toutefois qu’elle n’a pas mission d’être leur prédicateur, qu’a-t-elle de mieux à faire que de se dépenser pour elles et de leur être ainsi une prédication vivante? Si elle est employée aux enfants, aux classes, aux catéchismes des pauvres, aux orphelinats, elle sentira qu’elle doit abréger sa vie. Qu’importe! Je vivrai dix ans de moins et je ferai plus de bien. » Il y a là une grave question, qui ne peut être nettement tranchée pour vous que par l’obéissance.

Mais une responsabilité effroyable pèse ici sur les Supérieures. Voilà une religieuse qui se donne généreusement, les Supérieures doivent-elles l’arrêter dans son élan? Voilà une religieuse convaincue de son mérite qui se ménage, afin de pouvoir accomplir plus longtemps le bien qu’elle se sent appelée à faire, les Supérieures doivent-elles la stimuler? C’est ce qui devient grave, une fois que les Supérieures et les inférieures l’ont médité au pied de la croix, devant ce Sang de Jésus répandu jusqu’à la dernière goutte.

L’impression que j’aie eue hier devant la tombe ouverte où l’on descendait le cercueil de notre pauvre Frère, pour l’y laisser jusqu’au jour de la résurrection dernière, cette impression, dis-je, de la solennité de la vie et de la mort, ne s’effacera pas de longtemps. Il y a huit jours à peine, ce religieux enseignait, et il était tout entier à son devoir. N’ai-je pas assez surveillé ses fatigues? Aurais-je dû l’arrêter plus tôt? Je ne sais; toujours est-il que c’est une responsabilité affreuse. Si l’on ne ménage pas assez les santés, on perd les religieux; si on les ménage trop, on fait un régiment de gens à dorloter. C’est très embarrassant.

Ceci dit pour les Supérieurs, il n’en demeure pas moins que vous, religieuses, vous devez faire bon marché de votre personne, et si, à un certain point de vue, cette question pèse d’un poids terrible sur les personnes chargées de vous commander, il est certain que le meilleur parti, le seul à prendre par vous, c’est de vous donner généreusement, courageusement, sans arrière-pensée. Vous n’êtes pas entrées pour autre chose dans la vie religieuse, et si vous êtes mortes le jour de votre profession, le moment où l’on vous enterrera n’est plus qu’une question de détail.

Je vous parle très sérieusement, mes Soeurs. Le lendemain de l’enterrement d’un de mes religieux, tandis que je suis encore sous le coup de ces pénibles impressions, vous pensez si je pèse mes paroles, et pourtant je ne trouve pas autre chose à vous dire.

Tenez, au siège de Sébastopol, le général Canrobert, tout brave qu’il fût de sa personne, perdit plus d’hommes par ses ménagements que Pélissier, qui eut le courage de commander une boucherie. Quand il s’agit de la vie religieuse, il vaut mieux, je crois, aller un peu plus rondement. En face de l’impression atroce que je ressentais devant le cercueil de ce Frère attendant dans la tombe le réveil éternel, je me suis dit que c’était dur, mais que c’était le meilleur moyen d’imiter Notre-Seigneur et d’aller au ciel.

Dans quelle mesure faut-il alors se donner? A cette question, M. de Rancé répond: « Mes Frères, il faut vous rappeler que vous n’êtes pas venus ici pour vivre, mais pour mourir. » Je ne veux pas aller si loin. C’est bon pour des Trappistes, mais une religieuse de l’Assomption qui se consacre au salut des âmes doit vivre pour le procurer, et c’est un malheur si ses Supérieures lui laissent trop vite dépenser ses forces. Les Supérieures doivent respecter la vie de leurs sujets, c’est leur devoir. Mais les religieuses ont le droit aussi de demander à aller un peu rondement et à faire le sacrifice de leur vie, s’il est nécessaire. Mon opinion est qu’elles doivent conserver la liberté de se donner dans toute la mesure que Dieu leur inspirera.

Voilà ce que j’avais à vous dire au sujet de l’effusion du sang de notre divin Maître. J’ai voulu prendre le côté le plus pratique; j’ai été un peu dur peut-être.

III. La sépulture de Notre-Seigneur

Je termine par un conseil sur la sépulture de Notre-Seigneur. Nous ne devons pas seulement être morts, mais encore ensevelis. Mortui enim estis et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo. (Coloss. III, 3.) Vous représentez- vous la religieuse prenant Notre-Seigneur pour son suaire? Induimini Dominum Jesum Christum. (Rom. XIII, 14.) Vous la représentez-vous disparaissant si bien dans ce suaire qu’on ne l’aperçoit plus elle-même et qu’on aperçoit seulement un sépulcre vivant, qui n’est autre que Jésus-Christ? La personnalité, c’est la grande plaie des couvents. D’où viennent les murmures et les révoltes, sinon des filles personnelles? Qu’est-ce qui provoque les départs du couvent? Toujours la personnalité. Une fille qui se sera rendue aussi impersonnelle que possible, afin de cacher sa vie en Jésus-Christ, n’aura jamais la triste idée de s’en aller; ces deux idées sont absolument contradictoires.

Je me trompe en vous disant que votre sépulcre sera Jésus-Christ. Non, Jesus-Christ sera votre suaire. Prenez Jésus-Christ pour suaire et Dieu pour tombeau: cum Christo in Deo. Voyez le renversement des idées humaines. Vous êtes ensevelies dans le sanctuaire, mortes à vous-mêmes, disparues, anéanties. Votre personnalité est effacée dans celle de Jésus-Christ, c’est l’esprit surnaturel qui anime tous vos actes, c’est l’esprit surnaturel qui vous unit à Jésus-Christ. Vivo autem, non jam ego; vivit vero in me Christus. (Gal. II, 20.) Il est votre vêtement intérieur et extérieur. Induimini Dominum Jesum Christum. Il est en vous pour vous inspirer; il est hors de vous pour se manifester par les battements de votre coeur, par vos paroles, par votre tenue, par tous les enseignements de votre vie religieuse, et tout cela est enveloppé de la substance divine. Vita vestra est abscondita cum Christo in Deo.

Saint Paul adressait ce souhait à tous les fidèles. S’il est difficile que les simples fidèles puissent arriver à le réaliser, c’est du moins aux religieux qu’en est réservé l’honneur. S’il en est ainsi, voyez à quoi vous devez vous porter désormais pour vous cacher avec Jésus-Christ dans le sein de Dieu, et comment il faut mourir à vous-mêmes. Jésus est dans le tombeau, et ce temps d’arrêt de sa vie humaine va être le passage à la vie glorifiée. Le travail de votre transformation se fera aussi dans l’obscurité de la mort à vous-mêmes, pourvu que, selon le conseil de l’Apôtre, vous vous soyez ensevelies en Dieu.

Prenons maintenant votre couvent comme le tombeau de Notre-Seigneur. On vous fait changer de lieu, on vous transporte d’une maison à une autre, qu’avez-vous à dire? C’est une ressemblance de plus avec Notre-Seigneur. Le corps de Notre-Seigneur ne lui appartient plus. Joseph d’Arimathie et Nicodème arrivent et prennent le corps que Pilate leur avait donné; ils ne demandent même pas la permission à la Sainte Vierge. Ils l’enveloppent, l’ensevelissent et le déposent dans le sépulcre. Voilà l’obéissance, mes Soeurs, et remarquez que si la théologie enseigne que l’âme de Notre-Seigneur a été réellement séparée de son corps au moment de sa mort, elle dit aussi que la divinité y est attachée, de sorte que c’est la divinité qui obéissait à Joseph d’Arimathie et qui acceptait d’être la propriété de Pilate.

J’ai voulu descendre dans cette vie de dépendance absolue de Notre-Seigneur qui doit être la vôtre, la mienne, celle de votre Supérieure générale, et qui se place entre la mise au sépulcre et le jour de la Résurrection, représentant l’intervalle compris depuis votre profession perpétuelle jusqu’à votre glorification dans le ciel.

Ah! mes Soeurs, il est bien absurde de se plaindre des difficultés de la vie religieuse, de perdre son temps à se lamenter sur ses épreuves. Tempus breve est (I Cor. VII, 29,) le temps est court », Notre-Seigneur n’est resté que trois jours au tombeau. Il faut se dépêcher, il faut se hâter d’accomplir sa transformation, le jour de la résurrection va se lever sur nous.

Mais avant d’ être transformé, Notre-Seigneur est embaumé de parfums, garrotté de bandelettes, retenu par la pierre scellée du sépulcre. Ce n’est qu’après que les anges accourent pour soulever la lourde pierre, déchirer les entraves que l’amour même avait apportées à la transfiguration du Sauveur et permettre à Jésus de s’élancer du tombeau, victorieux de la mort, revêtu de son humanité, à jamais incorruptible et glorieux, Ubi est, mors victoria tua? (I Cor. XV, 55.)

Dans ce travail de transformation, Notre-Seigneur avait eu affaire à deux sortes de personnes, les saintes femmes et les anges. Vous aussi, mes Soeurs, vous recevez les soins de personnes qui, comme les saintes femmes, vous embaument dès le début de votre vocation et vous entourent d’un suaire, vous oignant avec tendresse. Il y a les Supérieures dorlotantes, si je puis parler ainsi, et il en faut. Mais il y a également les Supérieures dépouillantes, qui viennent, comme les anges, délivrer des bandelettes et aider notre corps à se transformer.

Ces deux conditions d’embaumement et de dépouillement sont nécessaires. Ce sont les fonctions de toute Supérieure, et toutes deux supposent l’amour, le respect, la tendresse. Direz-vous que les saintes femmes n’étaient pas pénétrées de respect en oignant le corps saint du Sauveur? Direz-vous que la Sainte Vierge n’était pas abîmée dans l’adoration la plus profonde lorsqu’elle appuyait sur ses genoux la tête sacrée de son Fils? Pourrez-vous dire aussi que les anges n’étaient pas comme anéantis de vénération devant ce corps étendu qu’ils dépouillaient de son linceul?

Ah! mes Soeurs, heureuse la religieuse dont la Supérieure sait ôter la pierre du sépulcre! Elle s’était enfermée dans le couvent, elle s’y était ensevelie pour y vivre et mourir, et l’ange vient enlever la pierre.

A proprement parler, il y a des moments ou la Supérieure doit poser la pierre sur l’âme qui va passer sa vie dans la retraite. C’est le moment de la séparation du monde extérieur, il faut l’ensevelissement complet, et elle appose les sceaux sur le tombeau. Mais, quand le moment de la transformation est venu et que l’âme s’est dépouillée de ce qu’elle avait d’humain, l’ange enlève la pierre et s’assied dessus, et la religieuse s’élance vers le ciel. C’est la situation d’une Supérieure qui aide une de ses filles à bien mourir. Jésus-Christ s’envole vers le ciel, et l’ange reste seul, assis sur la pierre du sépulcre vide.

Il y a quelque chose de très beau dans ce mystère. La religieuse arrive au dernier moment de sa vie, elle est sur son lit de mort; c’est Jésus au tombeau. La Mère vient vers elle, et, au nom de Dieu, elle lui dit: « Ma fille, je vais vous débarrasser de vos langes, de vos bandelettes, je vais vous aider à reconquérir votre liberté. » Et l’âme, délivrée des liens du corps, prend son vol vers les cieux, et la pauvre Supérieure, qui a beaucoup aimé son enfant, s’assied seule sur la pierre, ainsi que le faisait l’ange. Fonctions magnifiques, mes Soeurs! Au milieu de ses douleurs, immense joie! C’est l’épouse du Seigneur qui va se reposer dans le sein de Dieu, dégagée des liens qui la retenaient sur la terre.

Méditez la mort du Sauveur, l’effusion de son sang. J’ai été à cent et cent mille lieues au-dessous de ce que j’aurais voulu vous dire. Mais il me semble qu’il y a là des profondeurs de perfection que vous sentirez dans l’intime de vos âmes.

Si, à votre dernier soupir, vous savez aller à Notre-Seigneur et vous couvrir de la dernière goutte du sang de son Coeur, si vous savez vous tenir enfermées dans votre couvent comme dans un sépulcre, votre Mère pourra plus facilement accomplir la mission de l’ange, soulever la pierre, rompre vos liens et rendre la liberté à votre âme transfigurée qui s’élancera vers Dieu dans la gloire éternelle. Amen.

Notes et post-scriptum