OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGT-DEUXIEME CONFERENCE DONNEE LE 1 DECEMBRE 1870.
    LA RESURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR. LES APPARITIONS A SES DISCIPLES.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 126, août 1929, p. 234-239.
  • DA 44; CN 3; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ANIMATION PAR LE SUPERIEUR
    1 APOTRES
    1 ASCENSION
    1 CONGREGATIONS A SUPERIEURE GENERALE
    1 FOI
    1 MANQUE DE FOI
    1 NOVICIAT
    1 RELIGIEUSES
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 ANANIE
    2 BARNABE, SAINT
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JUDAS
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 MATHIAS, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 SAPHIRE
    2 THOMAS APOTRE, SAINT
    3 AUTEUIL
    3 EMMAUS
    3 INDE
    3 JERUSALEM
    3 ROME
    3 SAMARIE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 1 décembre 1870.
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. -La Résurrection, base de notre foi, gage de notre espérance, preuve d’amour de la part de Notre-Seigneur.

Les disciples de Jésus-Christ, depuis Pâques jusqu’à la Pentecôte. Ils sont appelés par Notre-Seigneur; donc leur vocation est bonne. Que de faiblesses, d’inconstances, pendant le cours de leur vie apostolique! Patience de Notre-Seigneur. Premier travail de formation des apôtres. Après la Résurrection, second noviciat. Notre-Seigneur apparaît à Pierre, le disciple qui l’avait trahi, puis aux disciples d’Emmaüs. O stulti et tardi corde. Bonté de Notre-Seigneur à côté du reproche. Supérieures. -Les apôtres sont chancelants dans la foi, ils ne veulent pas croire à la Résurrection.

Nécessité pour les religieuses d’avoir l’esprit de foi. Esprit surnaturel, source du développement d’une communauté. Saint Thomas. Les esprits incrédules, raisonneurs, prudents. Notre-Seigneur préfère la simplicité amoureuse de Madeleine, Rabboni, mon Maître. Les saintes femmes avaient enseveli leur foi dans leur amour: faites de même.

Ce temps entre Pâques et la Pentecôte, temps de formation pour les apôtres. Que de défaillances encore! Saint Pierre va de ses filets à Notre-Seigneur. Manifestation de Notre-Seigneur à saint Pierre, il lui confie son Eglise. Triple protestation de Pierre. Domine, tu scis quia amo te. Ouverture avec ses Supérieures. -Ascension de Notre-Seigneur. –Viri Galilei, quid hic statis… Le détachement. La religieuse apostolique. La dispersion des apôtres après la Pentecôte.

Texte sténographié de la Conférence

Notre-Seigneur n’a pas voulu rester dans le sépulcre, il ne devait pas souffrir la corruption du tombeau. Non dabis Sanctum tuum videre corruptionem. (Act. II, 27.) Notre-Seigneur est donc ressuscité. Il serait naturel de fixer tout particulièrement votre attention sur ce mystère de la Résurrection; je me contenterai pourtant de vous indiquer trois pensées:

1° La Résurrection est, pour une religieuse comme pour les chrétiens, la preuve la plus grande de la vérité de la religion. Tout l’enseignement catholique repose sur cette base, sur ce fait: Notre-Seigneur ressuscité. En passant, je vous dirai que si la philosophie est une bonne chose, puisqu’à Rome on exige trois années d’études philosophiques et que je tâche de la développer dans l’enseignement de l’Assomption, elle n’est point cependant la base de la religion. Le christianisme repose sur un seul fait populaire, la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. A proprement parler, les apôtres ne sont que les témoins de ce fait: Et eritis mihi testes in Jerusalem, et in omni Judaea et Samaria, et usque ad ultimum terrae. (Act. I, 8.)

Pendant les trois premiers siècles, les martyrs ont été des témoins de la foi, parce qu’ils scellaient de leur sang le témoignage de la vérité de la Résurrection. Aujourd’hui, s’il y a des martyrs parmi les missionnaires, ils ne sont plus les témoins directs de la foi, mais les témoins de la charité; 2° la Résurrection est le fondement de notre espérance. Notre espérance est vaine si le Christ n’est pas ressuscité(1); 3° enfin, la Résurrection de Notre-Seigneur est la plus grande marque de charité qu’il pouvait nous donner, puisqu’elle nous donne la certitude que nous ressusciterons un jour.

La Résurrection est donc base de notre foi, gage d’espérance, preuve admirable d’amour de la part du Sauveur. Ceci dit, je ne m’étendrai pas davantage. J’ai un entretien très spécial à vous faire sur les exemples que nous pourrons puiser auprès des disciples de Notre-Seigneur pendant les quarante jours écoulés depuis la Résurrection du divin Maître jusqu’à la Pentecôte.

I. Incrédulité des apôtres

Les disciples étaient venus à la suite de Notre-Seigneur. Il y a des jeunes personnes qui entrent au couvent à la suite de leurs confesseurs. Pourquoi y vont-elles? Tout simplement parce qu’elles y sont poussées par leur directeur, comme saint Jean et saint Jacques sont poussés par Notre-Seigneur. De ce qu’on entre au couvent de cette manière, est-ce une preuve qu’on ait des dispositions surnaturelles? Non. Les apôtres appelés par Notre-Seigneur avaient-ils des dispositions surnaturelles? Certainement non. Ont-ils été de bons apôtres? Certainement oui, Judas excepté. Non vos me elegistis, sed ego elegi vos. (Joan. XV, 16.)

« Ce n’est pas vous qui avez choisi, c’est moi qui ai choisi pour vous. » M. le curé peut dire de même à cette jeune fille: « C’est moi qui vous ai donné la vocation, sans moi vous n’auriez pas si bien choisi. J’ai été l’instrument du bon Dieu pour cultiver cette petite graine, absolument comme Notre-Seigneur pour les apôtres. » Seulement, c’est Notre-Seigneur qui, en même temps, sème et cultive.

Pendant trois ans il y travailla, le pauvre bon Dieu, et quand il mourut, le résultat n’était pas encore très fameux.

Voilà donc notre bonne fille au couvent; elle passe son postulat d’une certaine façon, comme les apôtres; cela va, cela vient. Elle fait certaines choses extraordinaires, d’autres plus médiocres. Les disciples en faisaient autant. Vous vous rappelez, ils accomplissaient quelques miracles, ils chassaient quelques démons, pas tous les diables. Il y en avait, parmi eux, qu’on ne chasse que par la prière et la mortification, dont ils ne venaient pas à bout, parce qu’ils ne s’y prenaient pas comme il faut. Et quand ils revenaient avouer leurs mécomptes à Notre-Seigneur, en bon Maître des novices, il les excusait. De même, quand les pharisiens portaient plainte contre eux et lui disaient: « Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils et les vôtres ne jeûnent-ils pas? Notre-Seigneur avait toutes sortes d’explications mystiques à leur donner pour couvrir ses apôtres.

C’est la Maîtresse des novices au parloir, quand la mère de la postulante vient se plaindre de sa fille, dire qu’elle ne fait pas de progrès, qu’elle ne se corrige pas de ses défauts, qu’elle n’a pas l’allure de perfection qu’elle devrait avoir. La pauvre Maîtresse excuse, pallie, couvre le tout d’interprétations auxquelles la mère ne comprend rien, bien qu’elle s’en contente.

Ainsi fait Notre-Seigneur. Il a toutes sortes de prétextes. Il a l’histoire de l’époux et de l’épouse, et les pharisiens se retirent. Avouez que Notre-Seigneur est admirable de miséricorde pour des gens légèrement insupportables, comme l’étaient les apôtres, sans compter les soixante-douze disciples, et qu’il a pris la plus mauvaise part. Pendant trois ans il fait leur noviciat, et quel succès! Enfin, au bout de ces trois ans, voilà que tout le couvent est bouleversé. Jamais communauté ne fut bouleversée comme le collège apostolique le fut par la Passion de Notre-Seigneur. Ils fuient, ils sont endormis, ils trahissent, ils renient, ils s’en vont de tous les côtés.

Cependant, voilà Notre-Seigneur ressuscité, et un nouveau et sérieux travail de formation commence pour les apôtres. En qui va-t-il commencer? En Madeleine. Madeleine vient dire aux apôtres que le Seigneur est ressuscité. Ils n’en croient pas un mot, c’est une fable. Et illi, audientes quia viveret, et visus esset ab ea, non crediderunt. (Marc. XII, 11.) Puis, le soir de la Résurrection, il apparut à Simon. Voyez donc la bonté de Notre-Seigneur. Il est trahi par Judas, il l’abandonne; il est renié par Pierre lui-même. On peut donc faire des sottises au couvent et l’on peut espérer, pourvu qu’on soit fille de coeur comme le fut saint Pierre. Il ne s’agit que d’avoir le coeur bien placé.

On peut revenir, quand on aime Notre-Seigneur qui pardonne, lorsque derrière une faute, même grave, il découvre un grand amour. La faute est à la surface, le fond est bon, il y a de l’espoir.

Après son apparition à Pierre, Notre-Seigneur laisse ses apôtres de côté et va trouver les disciples d’Emmaüs. Ceux-ci, ce sont les Soeurs converses. Ils sont là deux bons disciples allant et venant, faisant peut-être les commissions. Eh bien! Notre-Seigneur aura ses faveurs pour eux; il va les trouver. Ils marchaient tristement, ils avaient perdu l’espérance et, pour se consoler, ils causaient. Frères de choeur ou Frères convers, on n’en cause pas moins. Voici que Notre-Seigneur arrive près d’eux et leur dit: O stulti, et tardi corde ad credendum in omnibus quae locuti sunt prophaetae! (Luc. XXIV, 25,) et puis il se met à leur expliquer les Ecritures. Le premier commentaire des Ecritures fait par Notre-Seigneur ne l’a pas été pour les apôtres, mais pour ces deux bons disciples. Quand on est arrivé à Emmaüs, Notre-Seigneur fait semblant de s’en aller. Et coegerunt illum, dicentes: Mane nobiscum quoniam advesperascit et inclinata est jam dies. Et intravit cum illis. (Luc. XXIV, 29.) « Je ressusciterai. » Voyez la bonté de Notre-Seigneur. Comme il se laisse prendre, mener en quelque sorte. Il s’assied à table, rompt le pain et, à ce signe, les disciples le reconnaissent. Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, dum loqueretur in via, et aperiret nobis Scripturas? (Luc. XXIV, 32.) Le coeur de ces bons disciples n’était-il pas plein d’ardeur? Je le crois bien, Jésus leur avait parlé, Jésus les avait réchauffés.

Il est des cas où il faudra aussi que les Supérieures réchauffent le coeur de leurs pauvres religieuses, qu’elles les suivent le long du chemin et leur expliquent la parole de Dieu. Jusqu’où la tête d’une religieuse ne pourra-t- elle pas aller en certaines circonstances si sa Supérieure n’est pas là pour la rencontrer sur la voie qu’elle parcourt.

J’en dis autant de la maîtresse de classe à l’égard de ses enfants. Il pourra donc être nécessaire qu’une Supérieure ait quelquefois des petites conversations intimes avec une de ses religieuses. On lui parle, on lui explique certains détails, on entre dans le fond des choses, et cela est plus profitable que les grandes instructions de retraite. Mais je vous engagerais, quand vous voudrez avoir ces petites conférences intimes avec votre Mère, à invoquer Notre-Seigneur conversant avec les disciples d’Emmaüs. Que ce soit là ce type de la conversation que vous voulez avoir, et alors vous ne trouverez pas très étonnant qu’on vous bourre un peu. O stulti et tardi corde ad credendum. Notre-Seigneur n’est pas content de ces deux disciples, et leur dit leur fait: « Vous êtes insensés et lents à croire… » Mais, après les avoir un peu grondés, il embrase leur coeur, leur explique les Ecritures, rompt le pain, et, cela fait, il disparaît.

Il y a dans l’Evangile une foule d’épisodes de ce genre. Notre-Seigneur apparaît plusieurs fois aux apôtres pour leur reprocher leur incrédulité, et exprobravit incredulitatem eorum (Marc. XVI, 14.) Je dis ceci pour la consolation des Supérieures. Qu’elles imitent la patience du divin Maître lorsqu’il voit chanceler dans leur foi les douze colonnes de l’Eglise. Et cependant, ce sont ces apôtres qui doivent porter l’Evangile jusqu’aux extrémités du monde: In omnem terram exivit sonus eorum, et in fines orbis terrae verba eorum. (Ps. XVIII, 5.) Du temps de saint Paul, c’était déjà fait.

En effet, la condition la plus difficile pour une bonne religieuse, c’est d’avoir la foi; pour une jeune novice, d’avoir l’esprit de foi. Les apôtres avaient été témoins des miracles de Notre-Seigneur; ils avaient vu la Résurrection même de Jésus-Christ; malgré tout cela, ils doutent et Notre-Seigneur est obligé de se manifester à eux pour leur reprocher leur incrédulité. Donc, la première condition pour une jeune religieuse, nouvelle épouse de Jésus-Christ comme les apôtres étaient de nouveaux convertis, c’est d’avoir l’esprit de foi; elle doit constamment s’efforcer de sortir de l’ordre naturel pour entrer dans les vues surnaturelles.

Le silence qu’on garde, la Règle qu’on observe, l’Office que l’on récite, les pénitences que l’on fait, toutes les observances de la vie religieuse, enfin, ne sont rien, si elles ne sont animées par l’esprit de foi. Lorsqu’une communauté va se développant, c’est que l’esprit surnaturel grandit en elle; lorsqu’elle décline, c’est que les jeunes religieuses laissent décroître leur esprit de foi.

Voyez ce que vous avez à faire de ce côté-là et remarquez que le manque de foi chez les apôtres les incline à manquer aussi de confiance. Ils finissent par croire cependant; saint Thomas seul résiste.

Ainsi trouve-t-on dans les communautés des esprits aigre-doux, raisonneurs, prudents, qui ne veulent jamais croire, qui rient de ces bonnes filles crédules et simples allant tout droit leur chemin et croyant tout ce qu’on leur dit. Eux se renferment dans leur sagesse et leur prudence, comme saint Thomas. Croyez-vous qu’il fut le plus agréable des apôtres avec sa persistance à dire que le Christ n’était pas ressuscité? Il a pourtant fini par aller porter l’Evangile au fond des Indes et s’y faire tuer pour son Maître.

Au moment où les disciples doutaient à qui mieux mieux, Notre-Seigneur va apparaître, et à qui donnera-t-il la préférence? A la bonne Madeleine qui dans la simplicité de son amour est là, parcourant le jardin et disant: « On m’a pris mon Jésus, rendez-le moi. » Et quand le Maître lui dit: « Marie! » Elle n’a qu’un mot à répondre: « Rabboni, mon Maître. » C’est la foi dans toute sa simplicité, dans toute sa vigueur, et Notre-Seigneur néglige ses apôtres pour consoler sa fidèle servante.

Laissez-moi vous le dire, j’ai une grande dévotion aux saintes femmes, à cause de la manière dont leur coeur a gardé la foi. Elles ont en quelque sorte enseveli leur foi dans leur amour; je vous en prie, gardez-la de même. Il faut bien le reconnaître, si les hommes vous sont supérieurs par certains côtés, vous leur êtes aussi supérieures par les qualités du coeur, la fidélité, l’attachement inviolable. C’est votre gloire, gloire obscure si vous voulez, mais non moins réelle.

L’Evangile ne fait que laisser soupçonner cette mission des saintes femmes. Le récit est sobre. A peine les distingue-t-on sur la scène, parce que Notre- Seigneur a voulu tout le parfum de cette gloire pour lui, et c’est lui-même qui les récompense en se manifestant à elles. Il leur apparaît donc, parce qu’elles croient. Pourtant, il y avait un certain mélange humain dans leur amour: leur foi était imparfaite. Cela veut dire que Notre-Seigneur sait accepter quelques imperfections dans nos âmes, à condition qu’elles s’effaceront plus tard. Il est admirable de patience, de support, je dirais de tolérance, si ce mot n’avait été défiguré dans la bouche des libéraux; il saura attendre, il ne se fâchera pas si, du premier coup, vous n’êtes pas parfaites. Plus tard, votre foi augmentera, votre amour se perfectionnera.

II. Confession de saint Pierre

Je voudrais que vous étudiiez souvent, vous surtout jeunes religieuses, l’époque de la vie de Notre-Seigneur comprise entre Pâques et la Pentecôte, afin que vous puissiez voir tous les admirables mystères et les enseignements pratiques qu’elle renferme. Vous y verriez le travail de formation d’une âme qui, n’ayant pas bien profité, à cause de sa grossièreté, des leçons du Maître, se sent saisie, attirée par la grâce, malgré de nombreux moments de défaillance. Voyez saint Pierre, il veut partir pour aller pêcher. « Le Maître n’apparaît pas, nous ne le voyons plus, retournons à nos filets. » La religieuse dit aussi parfois: « On ne peut pas toujours faire oraison, allons dire quelques petites choses avec mes Soeurs, on ne nous entendra pas. » Dans toutes les circonstances, Dieu est bon; il pardonne à la faiblesse humaine.

Ici il convient de faire une distinction, établie du reste par saint Grégoire, entre les choses permises et celles qui ne le sont pas. Saint Matthieu ne retourne pas à son comptoir, saint Pierre va à ses filets. Ce n’était pas un mal, puisqu’il était pauvre et qu’il pêchait le poisson pour avoir de quoi vivre. Ce travail était nécessaire et ne pouvait déplaire à Notre-Seigneur. Cela nous montre aussi la pratique de la pauvreté et qu’il faut travailler pour gagner son pain. Saint Pierre, qui n’avait rien à faire, dit: « Je vais travailler. » C’est l’histoire de la Soeur qui s’occupe de travaux intellectuels, de sciences, d’études, et qui doit de temps à autre revenir aux travaux manuels, absolument comme Pierre, le chef de l’Eglise. Saint Paul disait aussi:Ad ea quae mihi opus erant, et his qui mecum sunt, ministraverunt manus istae. (Act. XX, 34.)

Les apôtres étaient pauvres. Qu’est-ce que Notre-Seigneur leur avait laissé en héritage? Absolument rien; ce qui peut consoler certaines petites religieuses très préoccupées de ne pouvoir rien donner à leur communauté. Notre-Seigneur ne demande rien. Les premiers apôtres n’avaient rien. Plus tard, saint Barnabé viendra bien déposer sa dot aux pieds de saint Paul, qui n’en voudra pas. Les chrétiens porteront aussi leurs richesses à l’Eglise naissante, mais en toute liberté, comme saint Pierre le dit à Saphire et à Ananie: Nonne manens tibi manebat, et venumdatum in tua era potestate? Quare posuisti in corde tuo hanc rem? Non es mentitus hominibus, sed Deo. (Act. V, 4.)

Notre-Seigneur n’a rien non plus. Le seul héritage qu’il laissera sera la divine charge de sa Mère, léguée à saint Jean sans aucun moyen de subsistance. C’est pour nous apprendre qu’il faut porter un certain sentiment surnaturel dans ces choses-là et que nous devons laisser tomber les petites préoccupations humaines.

« Simon-Pierre leur dit: Je vais pêcher. Ils lui dirent: Nous y allons nous aussi avec toi. Ils sortirent donc et montèrent dans la barque, mais ils ne prirent rien cette nuit-là. » Saint Pierre va donc pêcher avec saint Jean, et, remarquez-le, c’est à saint Jean, l’apôtre de la pureté, qu’il est donné de reconnaître son divin Maître sur le rivage. « Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre: C’est le Seigneur. Simon-Pierre, ayant entendu que c’était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu, et se jeta dans la mer. » C’est le Seigneur, avait-il dit à Pierre, et celui-ci se précipite; il prend à peine le temps de passer ses vêtements, se jette à l’eau et tombe ensuite aux pieds de Notre-Seigneur. Celui-ci est content; il aime cet empressement-là. Etudiez les récits de l’Evangile; dans ces détails insignifiants, ces riens médités sérieusement, vous trouverez des trésors de consolation. (Joan. XXI.)

Nous pouvons y voir aussi que Notre-Seigneur accepte tous les genres de caractère. Voilà saint Jean qui ne veut pas se mouiller, saint Pierre qui s’élance dans le lac pour arriver plus vite; malgré cela, ils s’entendent dans leur amour pour Jésus-Christ. Ils monteront ensemble au Temple pour prier; ils prêcheront ensemble, ils seront battus de verges ensemble. Pourtant, c’étaient des caractères bien différents. Il faut en tirer la conclusion que, en dépit de caractères divers, on peut s’adonner aux mêmes oeuvres, à la condition de s’assouplir, par la même règle, par la vie commune. On fait alors bon ménage ensemble, comme le firent saint Pierre et saint Jean.

Voyez encore une chose. Notre-Seigneur aime saint Jean, le disciple vierge, le mystique, le contemplatif; cependant, ce n’est pas à lui qu’il confiera son Eglise; c’est saint Pierre qui en sera le chef. Il faut pour cette grande mission un caractère fort, énergique, plein d’expansion et de cet amour qui vient à bout des choses. Certainement, la grande puissance est dans la prière, c’est par elle qu’on accomplit les oeuvres de Dieu; mais à certains moments il faut l’action, le dévouement extérieur, l’ardeur, l’énergie dans la confession de la foi.

Si Notre-Seigneur aimait saint Jean, il aimait aussi saint Pierre et savait que son apôtre le lui rendait. Eh bien! il n’épargne pas saint Pierre, il lui fait subir une petite humiliation. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci? » Par trois fois il l’interroge, comme s’il doutait de son amour, et pourtant chaque fois Pierre lui répond: « Oui, Seigneur, vous savez bien que je vous aime. »

Votre Supérieure, qui sait que vous avez fait une sottise, se dit: « Il faut que je le lui fasse sentir. » Vous voilà toute désolée: « Mère, vous savez que je vous aime tant. » Oui, mais il faut que vous sentiez un peu ce que vous avez fait. Par trois fois Notre-Seigneur paraît douter de l’amour de Pierre. Pierre fut contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois: « M’aimes-tu? » Pierre se met à pleurer de chagrin, comme la religieuse qui ne veut pas que sa Supérieure doute de son dévouement. Il prend son coeur, il l’ouvre tout entier: « Lisez-y, Seigneur, vous qui savez tout, qui pénétrez les plus secrètes pensées, vous savez bien que je vous aime. »

Il faut être à l’aise avec vos Supérieures et votre Maîtresse des novices, ne pas craindre de montrer le fond de votre coeur. Quand une fille se vante qu’on ne la connaît pas, qu’il y a un fond qu’elle se réserve, elle le cache parce qu’il y a quelque chose qui ne serait pas bon à faire paraître au grand jour. N’abusez pas pourtant de mes paroles, car il y a des filles qui veulent trop montrer leur coeur et qui, à force de vouloir tout dire, n’en ont jamais fini.

J’ai connu un couvent, fort bien gouverné, où l’on avait fixé une heure le matin, de 6 à 7, pour les audiences à donner à ces filles-là. Il paraît que, le matin, on dit en cinq minutes ce qui demanderait une heure le soir.

A l’aube du jour, les langues sont condensées, mais à la nuit l’expansion est telle, que les pauvres Supérieures sont exposées à de véritables fatigues en les écoutant.

S’il faut l’ouverture de coeur avec ses Supérieures, il faut aussi montrer tous ses sentiments à Notre-Seigneur. Son regard pénètre jusqu’au fond de l’âme.

Quelquefois on voudrait y échapper, voiler certaines choses, couvrir certains sentiments. On n’aime pas tout découvrir à cet oeil perçant, on n’ose pas tout avouer, on cherche à expliquer, on voudrait en faire accroire à Notre-Seigneur; on fait comme Ananie et Saphire, on ne va pas droit. Ce ne sont pas des mensonges, si vous voulez -on ne se les permettrait pas-; ce sont des quarts, des cinquièmes, des dixièmes de vérité qu’on dit à Notre-Seigneur dans son oraison. Méfiez-vous des communautés où l’habitude est prise de dire la vérité de cette manière-là. Prenez plutôt la disposition franche, loyale de saint Pierre: « Seigneur, vous connaissez tout, vous savez bien que je vous aime. »

III. L’Ascension de Notre-Seigneur

Nous voici à nouveau au mont des Oliviers. Notre-Seigneur conduit ses apôtres sur le sommet de la montagne, « et une nuée le dérobe à leurs yeux. » (Act. I, 9.) Il disparaît et monte au ciel. Les apôtres restent là. Ils regardent leur divin Maître s’élever dans les airs, ils sont attristés, ils ne comprennent rien à ce mystère. « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder le ciel? » Savez-vous, mes Soeurs, que c’était là une préparation à la joie de la Pentecôte?

Que peut nous enseigner le mystère de l’Ascension, sinon qu’il faut apprendre à se sevrer des consolations qu’on trouve dans les appuis humains, dans les directeurs. Le nuage se fait autour de Notre-Seigneur, sa sainte humanité disparaît aux regards; elle n’apparaîtra plus pour consoler, fortifier, instruire.

Les apôtres restent seuls sur la montagne, la dispersion va commencer. Voilà une pauvre Soeur qui a passé plusieurs années dans son couvent; elle y a eu du bon temps. Il faut partir, quitter Auteuil, la Mère générale; on ne pourra plus lui parler; il faudra se passer de ce secours, comme les apôtres de la direction divine du Sauveur. Il le faut, mes Soeurs, il est nécessaire de s’accoutumer à ces séparations.

Il n’y avait pas de correspondant entre le ciel et la terre, après l’Ascension; il n’y aura plus pour vous de ces communications intimes et journalières et, pour apprendre à s’en passer, il faut commencer à les supprimer.

Et dire que ce mystère de l’Ascension est utile pour enseigner aux religieuses qu’elles n’auront pas toujours leurs petites Mères! Avouez que les anges furent terriblement impertinents lorsqu’ils vinrent dire aux apôtres qui restaient immobiles dans leur douleur: « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? » C’est votre directeur en surplus -les anges étaient vêtus de blanc, quand ils leur adressèrent les paroles citées plus haut- donc c’est votre directeur qui vous dit: « Pourquoi restez-vous là? Pourquoi regardez-vous après ce qui n’est plus pour vous? Votre noviciat est fini; il faut imiter les apôtres. » Ceux-ci retournèrent à Jérusalem pour y faire une retraite de dix jours, -c’est la vôtre avant votre profession.

Remarquez pourtant que Notre-Seigneur n’est plus avec ses apôtres. Vous êtes traitées avec plus de douceur qu’eux, car on vous laisse encore votre Maîtresse des novices. Enfin, préparez-vous dans cette retraite à vous séparer des appuis humains que vous avez encore, de façon à être prêtes à aller là où l’obéissance vous enverra.

La disposition de sacrifier tous les secours humains est un point important dans une Congrégation à Supérieure générale. Il faut avoir pris votre parti de vivre comme les apôtres après l’Ascension, si vous êtes une religieuse apostolique. Pendant dix jours ils prièrent, ils firent leurs élections, se donnèrent un collègue de plus, Mathias, et quand le Saint-Esprit fut descendu sur eux, ils se séparèrent.

La tradition dit bien qu’ils se rencontrèrent auprès du tombeau de la Sainte Vierge, mais après ils se quittèrent de nouveau et ne se retrouvèrent plus. Les voilà dispersés, restant toutefois dans la plus belle unité possible, allant mourir chacun de leur côté pour la même foi. Vous n’aurez pas de séparation plus cruelle que celle-là. Ces premiers apôtres s’aimaient malgré leurs petites divisions, et leurs coeurs restaient unis.

Il faut, vous aussi, vous attendre à des séparations pénibles et vous y préparer par l’oraison. Vous trouverez dans la prière la vraie liberté du coeur. Et puis, il faut que vous alliez être témoins de Jésus-Christ. Et comme, par la permission de Dieu, les événements du temps présent nous transportent à une époque analogue à celle où Jésus donna aux apôtres leur mission, il faut que vous ayez le courage d’aller confesser Jésus-Christ partout où il voudra vous envoyer.

En terminant ces considérations sur la vie de Notre-Seigneur, je dois vous faire souvenir que je n’ai pas eu la prétention de tout vous dire, mais seulement de vous apprendre à faire de votre côté un travail analogue à celui que nous avons fait ensemble. Et celui-là sera peut-être plus fructueux, parce que c’est vous-mêmes qui le ferez. J’ai saisi avec bonheur les points de vue qui s’appliquent à toute vie religieuse, et plus particulièrement à la vie religieuse de l’Assomption. Je n’ai pas épuisé le sujet, je n’ai posé que des jalons.

A vous de relire l’Evangile, avec les pensées que je vous ai suggérées. Quand vous trouverez que je me suis trompé dans mes applications, vous chercherez celles qui vont le mieux à votre âme et dans lesquelles vous pourrez trouver des communications plus directes avec Notre-Seigneur, un esprit de foi plus ardent, un désir plus grand de votre perfection, afin d’arriver là où votre Epoux vous attend, qui est l’union la plus intime sur la terre, en attendant l’union éternelle dans le ciel. Amen.*

Notes et post-scriptum
1. Le texte de saint Paul auquel on renvoie (I Cor. XV, 17,) ne porte pas notre espérance, mais notre foi. *Si Christus non resurrexit, vana est fides vestra*.