OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGT-QUATRIEME CONFERENCE DONNEE LE 5 DECEMBRE 1870.
    COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 128, octobre 1929, p. 302-306.
  • DA 44; CN 4; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
    1 CRECHE DE JESUS-CHRIST
    1 DETACHEMENT
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 LACHETE
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 NATIVITE
    1 NOBLESSE
    1 PAUVRETE SPIRITUELLE
    1 PERFECTIONS DE MARIE
    1 PURETE DE MARIE
    1 SAINTE FAMILLE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIE PUBLIQUE DE JESUS-CHRIST
    2 ABRAHAM
    2 BOSSUET
    2 DANTON
    2 JOSEPH, SAINT
    2 PIE, LOUIS
    3 AMAZONIE
    3 BETHLEEM
    3 EGYPTE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 LYON
    3 NIMES
    3 REIMS
    3 SAINT-DIZIER
  • Religieuses de l'Assomption
  • 5 décembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Canevas de l’auteur. I. –Sainteté du sacrifice-. 1° Aucune tache. Et macula non est in te. Jamais l’ombre d’une souillure. 2° Toute belle. Toutes les perfections. Rien qui dans son âme ne soit pas parfait. Tota pulchra es. 3° Elle est par excellence la possession de Dieu. Dominus possedit me ab initio viarum suarum. 4° Elle-même y donne son concours. Ecce ancilla Domini. Comparez cela avec vos péchés, avec votre privation de vertus, votre indépendance de Dieu, votre résistance à ses ordres ou à ses invitations. Dans cette disposition, Marie se dévoue. Quel esprit de sacrifice chez vous?

II. Perfection du sacrifice. -Le sacrifice est parfait selon la personne qui l’offre. -Perfection de Marie; selon les dispositions avec lesquelles on l’offre; selon la perfection de la victime offerte; selon la perfection de celui à qui le sacrifice est offert.

1° La perfection de la personne qui offre. -Ne revenons pas sur ce qui a été dit hier.

2° Les dispositions de foi, d’adoration, de donation sont absolues.

3° Quoi de plus parfait que Jésus et Marie? Union de ces deux coeurs. Mettez-y aussi le votre.

4° Celui à qui le sacrifice est offert. -Sacrifiez-vous à la famille, à la patrie. Qu’est-ce que c’est auprès de Dieu?

III. La crèche de Bethléem. -Quand la plénitude des temps fut venue, la plénitude des créatures n’eut à offrir à celui par qui tout a été fait qu’une étable. Les maîtres du monde déposaient leurs fils nouveau-nés dans des berceaux d’ivoire et d’or. Marie déposa le sien dans une crèche. Souffrances de Marie, souffrances de l’indigence. Monde nouveau qui apparaît. L’Eglise fondée sur les moyens surnaturels. L’Eglise prêchant le dépouillement.

IV. Fuite en Egypte. -Où va-t-elle? Ce fut le sacrifice d’Abraham. Egredere de terra tua. Egredere, c’est le religieux dit Bossuet, c’est le missionnaire; mais c’est aussi le soldat qui part. Marie partait avec son Fils. C’était déjà une préparation à la mort.

V. Séparation. -Vient le temps de la vie apostolique du Sauveur, Marie voit son Fils s’éloigner d’elle. Mystère. Marie n’avait qu’un Fils, elle commence à le donner. Séparation d’avec les vôtres. Séparations, si Dieu vous les demande. Il faut examiner, sans doute, mais pas toujours trop. Autrefois, on consacrait son Fils à Dieu, on n’avait pas peur de voir les familles se multiplier. Quand on n’avait pas l’idolâtrie des enfants, on les donnait. L’ancienne noblesse donnait toujours la première en sang. Et cette habitude de voir des familles dévouées à verser leur sang sur le champ de bataille relevait le niveau de la nation… On savait se séparer. Une jeune personne savait qu’elle devait s’attendre à être veuve de bonne heure. Aujourd’hui, ce n’est plus cela, on veut ses enfants pour soi. Danton disait que les enfants appartiennent à l’Etat avant d’appartenir à leurs parents.

Texte sténographié de la Conférence

Mes Soeurs,

Je veux aujourd’hui, dans un résumé rapide, vous parler de la compassion de la Sainte Vierge et en examiner successivement les divers caractères.

I. Sainteté du sacrifice de la Sainte Vierge

Cette sainteté vient de la pureté immaculée de Marie. C’est de cette créature bénie entre toutes que I’Eglise chante: Tota pulchra es… et macula non est in te. (Cant. IV, 7.) Jamais l’ombre d’une souillure ne l’a atteinte. Elle est toute belle; rien dans son âme qui ne soit parfait. La perfection du sacrifice de la Sainte Vierge réside donc d’abord dans cette sainteté incomparable. Elle est digne d’être offerte à Dieu, elle est toute pure. Dans l’ancienne Loi, image de la Nouvelle Alliance, les victimes souillées étaient écartées du sacrifice; il ne fallait pas la moindre tache, l’atteinte du moindre mal dans les animaux destinés à être immolés sur l’autel du Seigneur. L’agneau pascal devait être intact. C’est de lui qu’il était écrit? Vous ne briserez aucun de ses os. (Ex. XII, 46.)

Voici venir sur le seuil de la Nouvelle Alliance une victime bien autrement pure, bien plus digne d’être immolée au Seigneur, la plus digne après Jésus-Christ lui-même. Si cette pureté ne lui avait pas été acquise par l’effusion du sang du Rédempteur, on aurait pu dire que cette seule créature était en état d’offrir à Dieu un agréable sacrifice.

Toutes les perfections sont renfermées dans son âme; elle est unique entre toutes les créatures, et cette beauté incomparable vient des prévenances de Dieu à son égard; il l’a comblée de privilèges en vue de sa maternité divine et en lui appliquant par anticipation la Rédemption de son Fils. En considérant Marie au pied de la croix, il ne faut pas perdre de vue ce double caractère de son âme, afin de comprendre toute l’étendue de son sacrifice.

Marie est encore celle qui eût pu se dire la possession de Dieu par excellence. L’Eglise lui applique ces paroles du livre des Proverbes (VIII, 22): « Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies, avant ses oeuvres les plus anciennes. » Dans son Traité de l’amour de Dieu, saint François de Sales, développant le plan de la Providence dans la création montre comment, au premier moment, Dieu conçoit l’humanité de son Fils, à laquelle il destine l’honneur incomparable de l’union personnelle à sa divine Majesté; puis, dans leur ordre respectif viennent toutes les créatures selon qu’elles se rapportent plus ou moins au Sauveur. Ici, Marie occupe le premier rang, comme réservée au Sauveur, comme chef-d’oeuvre de la Rédemption, toute parfaite entre les créatures. Après la Reine des reines viennent les élus et tout l’ensemble de la création.

Ainsi donc, en voyant passer devant lui, dans un acte pur et simple, tout l’ordre de la création, Dieu disposait les choses pour sa gloire infinie, se donnant un Fils revêtu de la nature humaine, la Sainte Vierge, Mère de ce Fils, l’assemblée des saints, c’est-à-dire l’Eglise, puis toutes les créatures inférieures. Or, dans cette hiérarchie, la Sainte Vierge est placée immédiatement après Jésus-Christ et avant tous les saints; elle est la propriété la plus excellente, la plus exclusive de Dieu; nulle créature ne la précède; elle seule peut dire en vérité: « Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies. »

En même temps, elle est l’instrument de Dieu au suprême degré, elle donne à Dieu tout son concours dans l’oeuvre de la Rédemption du genre humain, elle peut être appelée par les Pères la corédemptrice du monde. Et ces privilèges lui proviennent de ce qu’elle a donné son consentement à l’incarnation du Verbe, et, par suite, à la rédemption du monde.

Ceci posé, mes Soeurs, je reviens à vous et je vous demande:

1° Dans quel état avez-vous conservé l’innocence baptismale?

2° La Sainte Vierge, Mère de Dieu, a toutes les perfections; vous, quelles perfections cherchez-vous à acquérir en qualité d’épouses de Jésus-Christ?

3° La Sainte Vierge est par excellence la possession de Dieu. Vous, religieuses, qu’avez-vous fait pour pouvoir établir que vous ne vous appartenez plus, et comment avez-vous compris votre voeu d’obéissance?

Je ne parle pas seulement ici de l’obéissance que vous devez rendre à vos Supérieures et à votre Règle, mais de votre indépendance intérieure à l’égard de Dieu. N’avez-vous pas résisté à ses ordres intimes, à ses sollicitations? Où en est votre âme? Rappelez-vous que si Dieu n’a pas dit de vous, comme de la Sainte Vierge, qu’il vous a possédée dès le commencement de ses voies, il a pourtant eu pour votre âme le dessein d’une vocation spéciale et très haute.

Voilà la question posée, répondez-y: « Suis-je la propriété de Dieu ou suis-je ma propriété? Si je descends au fond de mon âme, je vois que je m’appartiens dans la mesure où je suis personnelle. Si je veux ressembler à la Sainte Vierge, je dois détruire toute ma personnalité dans la mesure où Notre-Seigneur veut la détruire, et, respectant sans doute ma liberté, ma puissance d’aimer, ma vie intime, je dois anéantir le côté humain, de sorte que Notre-Seigneur puisse dire qu’il possède vraiment mon âme. » Enfin, la Sainte Vierge donne à Dieu, pour accomplir son sacrifice, le concours le plus absolu de sa volonté. Quel concours ma volonté donne-t-elle à Dieu, soit dans le travail de ma sanctification, soit pour les oeuvres qui me sont confiées?

II. Perfection du sacrifice

Le sacrifice est parfait:

1° Selon la personne qui l’offre;

2° Selon les dispositions avec lesquelles on l’offre;

3° Selon la perfection de la victime offerte;

4° Selon la perfection de celui qui le reçoit.

La Sainte Vierge avance vers le sacrifice de la croix. C’est la perfection du sacrifice, parce qu’elle dépend de la perfection de la personne qui l’offre. Y eut-il jamais créature plus parfaite que Marie? Aussi, lorsque nous la voyons au pied de la croix, Reine du ciel et des saints, offrir son sacrifice, elle nous apparaît comme la Reine des sacrificateurs.

A ce point de vue, vous aussi, vous appartenez, comme dit saint Pierre (I Petr. II, 9,) à un sacrifice royal, qui consiste dans la perfection de votre personne. A l’adoration, à la sainte Communion, une religieuse s’offre en sacrifice; elle s’immole sur l’autel de son coeur, comme le prêtre immole la victime trois fois sainte sur l’autel du temple. Si c’est une pécheresse pleine de tiédeur, de lâcheté, de mauvaise volonté, aux résolutions sans cesse prises et sans cesse violées, qui se présente devant le Seigneur, que peut-il y avoir d’agréable à Dieu dans sa prière? Au pied de la croix, Marie offrait un sacrifice très excellent, parce qu’elle était très sainte; prenez la résolution de suivre de loin cette incomparable sacrificatrice.

Le sacrifice est parfait selon les dispositions de Marie. Elle entre dans toutes les intentions de son Fis, leurs volontés sont unies, l’âme de la Sainte Vierge a comme passé dans l’âme de Notre-Seigneur. Pas un battement de son coeur qui ne réponde à ceux du Sauveur. Et vous, comment entrez-vous dans les intentions de Notre-Seigneur? Vous qui communiez si souvent, presque chaque jour, pourquoi ne faites-vous pas davantage un avec le divin Sauveur? Pourquoi vos sentiments ne sont-ils pas ceux de Marie? Pourquoi ne dites-vous pas, prosternée dans l’adoration des volontés divines: « Seigneur, par les mérites de votre Fils réduit à l’état de victime, pardonnez-nous; pardonnez à la France, à l’Eglise; pardonnez aux pécheurs et sanctifiez davantage les âmes des justes. »

En disant cela, jamais vous n’approcherez de la perfection absolue des dispositions de la Sainte Vierge, mais comme votre vie se trouvera transformée, quelles adorations devant le Saint Sacrement, quelles actions de grâces après la Communion, quelle oraison perpétuelle! Ce n’est pas vous qui prierez, c’est la Sainte Vierge unie à Notre-Seigneur, ne faisant qu’un avec lui, s’immolant à toutes ses intentions et vous servant de modèle à cet égard.

Quelle sera la perfection de la victime offerte? Je vois deux victimes sur le Calvaire: Jésus, suspendu à la croix; Marie, debout au pied de la croix. Pourquoi n’y ajouteriez-vous pas une troisième victime, qui est vous-même? Pourquoi, en allant à l’adoration, à la Communion, ne diriez-vous pas: « Je veux aller entre Notre-Seigneur et la Sainte Vierge sur le Calvaire? » Quelle perfection dans les victimes! Marie offrant Jésus, la Mère immolant son Fils!

Et vous, mes Soeurs, qui êtes-vous vis-à-vis de Notre-Seigneur? Avez-vous la foi, oui ou non? Si vous ne l’avez pas, vous êtes folles d’avoir revêtu ce voile et cet habit; si vous l’avez vous savez, à ne pas en douter, que Notre-Seigneur est votre Epoux. Et si cela est vrai, avec quels sentiments vous devez offrir votre Epoux mourant sur le Calvaire: sentiments d’amour sacré, sentiments de douleur profonde, compassion d’épouse égale à celle de Marie, qui est mère. Voyez-vous ce qui vous manque, c’est l’esprit de foi, l’esprit de charité surnaturelle; sinon, quelles seraient vos adorations?

Ah! pourquoi ne prendriez-vous pas la résolution de tendre à cette perfection de victime, comme la Sainte Vierge l’a été sur le Calvaire? C’est une simple créature et non un Dieu; c’est votre Reine, votre Mère et votre Modèle. « Ensuite Jésus dit au disciple: Voilà votre Mère. Et, depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui. » (Joan. XIX, 27.) Voyez alors comme la vie se transforme et comment une religieuse, pénétrée de ces idées, doit prendre la souffrance et toutes les peines de sa vocation. Quel droit a-t-elle à se plaindre? Je ne crains pas de dire que c’est un crime, et je voudrais vous le prouver.

A mesure que nous avançons dans la perfection, nous approchons de l’Etre de Dieu dans une réalité de plus en plus complète; au contraire, nous tendons vers le néant, le non être, à mesure que nous tombons dans la vulgarité, dans l’imperfection C’est la réalité, ce ne sont pas des phrases, Dieu agit sur nous; il nous touche et nous touchons Dieu, suivant le modèle de Marie au Calvaire.

Si c’est la réalité, l’absolue vérité, la vérité vraie, comme on dit, tout ce que nous mettrons en dehors de cela dans notre vie est un mensonge. Voilà bien le monde réel, nous avançons vers l’être par la perfection. La réalité est la plénitude de l’être, c’est Dieu. Plus nous approchons de Dieu, plus nous approchons de la plénitude de l’être.

Enfin, la Sainte Vierge se met en relation avec Dieu même par la médiation de son Fils. Vous aussi êtes appelées à entrer en relation avec Dieu, car le terme de la perfection, c’est l’union avec Dieu. La Sainte Vierge était arrivée au degré le plus élevé de cette union. Il n’y avait que l’union hypostatique de Jésus-Christ qui lui fût supérieure par sa nature même.

Et vous, quand vous allez au sacrifice, ne faisant qu’un avec le divin Sauveur, vous êtes également unies à Dieu. Comment la Sainte Vierge était-elle unie à Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le sacrifice? Certes, ce n’était pas pour expier ses imperfections, puisqu’elle n’en avait pas; elle souffrait pour les péchés des autres. Vous avez ces deux missions à remplir et, à ce double titre, vous avez des résolutions à prendre de vous dépouiller, de vous immoler à cause de Celui à qui vous offrez le sacrifice. Vous avez une perfection relative à acquérir et, dans une certaine mesure, vous devez mériter la parole adressée à Marie: Tota pulchra es… et macula non est in te. Car ce n’est pas tout de faire un sacrifice, il faut savoir le rendre agréable à Dieu.

C’est devant Dieu que je me présente: Introïbo ad altare Dei. (Ps. XLII, 4.) C’est sur l’autel de Dieu que je veux m’immoler avec Jésus-Christ et la Sainte Vierge. Jamais je n’en serai digne, dira-t-on. Raison de plus pour que je fasse tout ce que je puis. Dieu plane sur le Calvaire. La vapeur du sang de Jésus-Christ monte vers le ciel avec les larmes de Marie, et dans l’union de ce sang et de ces larmes se trouve le plus admirable sacrifice qui ait jamais été offert.

Vous êtes invitées à faire monter vos prières en union au sang et aux larmes de ces deux victimes, et vous ne comprendriez pas qu’il faut devenir parfaites à cause de la perfection même de Dieu, à qui vous offrez votre immolation?

III. La crèche et Bethléem

Nous considérerons les détails de la vie de la Sainte Vierge au point de vue du sacrifice. Quand la plénitude des temps fut venue, la Sainte Vierge enfanta Jésus-Christ. Le premier autel sur lequel Notre-Seigneur est déposé, c’est une crèche. Jésus est tout petit enfant encore, et le sacrifice commence. Pauvre Mère! Les maîtres du monde ont des palais somptueux, des berceaux d’or pour y déposer leur fils nouveau-né; la Reine du ciel est obligée de le coucher sur la paille de l’étable, « parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie » (Luc. II, 7.) Voilà la première église, mes Soeurs, l’étable de Bethléem; elle n’a pas été consacrée par le baume et le chrême, mais par les larmes de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge. Celle-ci a bien pu enfanter son Fils sans douleur, mais qui dira les larmes de compassion, d’amour, d’adoration avec lesquelles elle reçut le Seigneur des seigneurs naissant dans l’indigence la plus complète? Quelle leçon pour nous et en même temps quelle miséricorde! La meilleure disposition pour recevoir Notre-Seigneur sera la pauvreté du coeur, le dépouillement total.

Jésus-Christ choisit une crèche pour autel; il éloigne tout ornement, tout honneur de son berceau; il ne permet à sa divine Mère de lui offrir, à lui son Fils, son Roi et son Dieu, rien qui soit digne de sa majesté. N’est-ce pas une preuve de bonté infinie envers nous, pauvres pécheurs? Si Notre-Seigneur veut que la Sainte Vierge n’ait pas autre chose à lui offrir, c’est pour que nous ne soyons point découragés quand nous nous présenterons devant lui dans notre extrême indigence. Il ne demande qu’une chose pour que nous arrivions à la perfection de notre sacrifice, le dépouillement des idées humaines. Oui, nous pouvons aller à lui, pauvres, dénués de tout ornement, pourvu que nous soyons revêtus d’esprit surnaturel. Alors seulement nous pourrons prétendre à la pureté des relations de l’Enfant Jésus avec sa Mère.

La première cour du divin Enfant, c’est la troupe des bergers qui accourent à Bethléem. Dieu aime les pauvres, il les a voulus pour visiteurs auprès de sa crèche, lui, le Roi des pauvres, dans l’étable. La Sainte Vierge s’en contente aussi. Comme elle a offert à Notre-Seigneur l’indigence de la crèche, elle lui offre l’indigence des pauvres bergers. Comprenez-vous cette souffrance maternelle, très vive, de ne pouvoir donner autre chose à son divin Fils? Cette souffrance correspond à celle que vous ressentez lorsque, vous présentant à l’adoration, à la Communion, vous n’avez à offrir à Dieu que la pauvreté de vos vertus. Consolez-vous à la pensée que la Sainte Vierge avait éprouvé cette douleur avant vous et dites: « Seigneur, je vous adore comme Marie dans votre pauvreté, et je vous supplie d’avoir pitié de la mienne. »

Je comprends que vous soyez tristes, que vous versiez des larmes. Depuis si longtemps que vous êtes religieuses, qu’avez-vous acquis pour offrir, à Notre-Seigneur? Qu’avez-vous fait pour orner la nudité de votre coeur? Jésus voulait vous enrichir, et vous êtes demeurées pauvres parce que vous l’avez voulu.

Ce n’était pas la situation de la Sainte Vierge. Si, au dehors, tout était pauvre pour recevoir l’Enfant Jésus, au dedans de son coeur brûlant d’amour, il y avait des trésors d’affection. Vous n’avez ni l’un ni l’autre, pauvres religieuses. Votre âme est la plus indigente de toutes les crèches; aussi je comprends votre souffrance, car les trésors dont Notre-Seigneur est seul jaloux, ce sont les trésors de votre coeur.

En même temps, voici un nouveau monde qui apparaît, le monde de la pauvreté, le sacrifice des idées humaines, et cela dès l’entrée de Notre-Seigneur dans le monde. Vous, religieuse, dans votre couvent vous tenez à être respectée, et respectable, vous tenez à une certaine considération. Je vous le demande, quelle considération y avait-il pour Notre-Seigneur, placé entre le boeuf et l’âne dans l’étable? Comment fut accueilli ce pauvre petit Enfant, ainsi que sa Mère? Il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie; il n’y avait pas un endroit pour recevoir le Roi du monde, celui par qui tout a été fait. Quand donc vous voudrez des égards et des honneurs, allez à l’étable, vous y apprendrez à être heureuse de n’avoir rien et à rougir d’avoir quelque chose.

Dans cette pauvreté, dans ce dénuement absolu de Bethléem, l’Eglise se fondait. Ne craignons donc pas si des temps mauvais passent sur le clergé, si nos biens sont confisqués, nos traitements supprimés par un gouvernement impie. C’est à Bethléem que l’Eglise a eu son berceau; elle saura se fortifier dans le dépouillement et avec les seuls secours surnaturels.

IV La fuite en Egypte

A peine la Sainte Vierge a-t-elle mis au monde l’Enfant Jésus, qu’elle doit prendre la fuite; il faut qu’elle s’éloigne. Autrefois, Dieu avait apparu à Abraham et lui avait dit: « Prends ton fils et va me l’immoler sur la montagne que je te montrerai. » De même, l’ange appelle Joseph de la part du Seigneur, et lui dit: « Lève-toi, prends l’Enfant et sa Mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse. » (Matth. II, 13.) La fuite en Egypte, c’est le commencement de l’immolation. L’egredere, pour le religieux, c’est la séparation, l’éloignement du berceau de la famille: on quitte le pays où l’on est né, on s’achemine vers la terre étrangère. La religieuse dit également adieu à tout ce qu’elle a aimé, elle entre au couvent sans savoir où elle va.

L’ange ne s’est pas adressé à Marie, mais à saint Joseph, le moindre de la sainte Famille. Et vous, religieuse, êtes-vous prête à recevoir dos ordres quelles que soient les lèvres qui vous les transmettent? Obéirez-vous sur-le-champ et sans hésitation, comme Marie, ou bien direz-vous en murmurant: « Si au moins notre Mère me l’avait annoncé elle-même, ou bien si elle me l’avait écrit! Mais me le faire dire par cette Soeur, ou bien par n’importe quelle Soeur! Mon Dieu, que c’est ennuyeux d’avoir affaire à des Supérieures qui n’ont pas le temps de vous parler! » Toutefois, Dieu n’a pas parlé à Marie, et la voilà prenant le chemin de l’exil.

Il lui reste pourtant une consolation, elle emporte Jésus dans ses bras. C’est aussi la vôtre, mes Soeurs. Etant unie à Jésus et épouse de Jésus, la religieuse l’emporte toujours avec elle. Peu importe l’endroit où elle est, puisque partout elle trouve Celui à qui elle s’est donnée.

Comme la simplicité se ferait dans la vie et la paix dans le coeur, si l’on marchait dans cette obéissance droite et surnaturelle! A-t-on demandé à l’Enfant Jésus s’il voulait se mettre en route? A-t-on consulté Marie? L’Evangile rapporte-t-il les réflexions de Marie sur l’âge de l’Enfant, la difficulté du voyage, l’étrangeté de ce commandement? « Mais comment, divin Enfant, vous êtes venu pour sauver votre peuple et vous le fuyez pour aller chez les païens? Sont-ce là les desseins de Dieu? N’êtes-vous donc plus le Messie promis et attendu? » Non, Marie ne dit pas cela. Dans l’obscurité de la nuit et sans autre lueur que l’obéissance, elle prend l’Enfant Jésus et part pour l’Egypte.

V. La séparation

Il y a dans la vie des moments cruels. Le coeur de l’homme est ainsi fait, qu’il tend toujours à pousser certaines racines. La séparation est douloureuse. On est à Auteuil? On a eu tout d’abord un peu de peine à s’y habituer, la vie des maisons particulières paraissait plus douce. Puis, peu à peu on s’y accoutume: la chapelle est si recueillie, les enfants si charmantes, le jardin si beau,les Mères si bonnes! On s’y est déjà un peu attaché, et voilà qu’on vous dit: « Ma chère fille, il faut partir. -Est-il possible? Ah! mon Dieu, comment peut-on me demander un pareil sacrifice! Comment pourrai-je vivre ailleurs, me séparer de ma Mère, de mes Soeurs que j’aime! » Mes Soeurs, quels coeurs plus parfaits que ceux de Jésus et de Marie, et cependant le moment de la séparation viendra.

Hier, je vous faisais remarquer, dans l’éloignement du Sauveur de Marie pendant sa vie apostolique, le côté des humiliations. Pour le coeur d’une mère, c’est peu de chose. Aujourd’hui, je veux considérer le point de vue de l’amour. Mystère sacré! Marie n’a qu’un Fils, et elle le voit s’éloigner de la maison maternelle. Trois années s’écouleront, et elle ne le rencontrera que quelques rares fois sur le chemin de la vie. Puis viendront les longs vingt-cinq ans; Notre-Seigneur ne sera plus là ni de près ni de loin. Il y a entre ces deux coeurs l’abîme qui sépare le ciel de la terre.

Il faudra également que la petite religieuse sache prendre son coeur à deux mains pour l’arracher violemment, si c’est nécessaire. Mieux encore, il faudra qu’elle veille pour l’empêcher de s’attacher à quoi que ce soit et que, dans le dégagement de tout son être, elle s’étudie à conserver les libres allures d’un coeur qui passe par-dessus les créatures pour se reposer en Dieu. Elle ira à droite, à gauche, au Nord ou au Midi; son pied sera toujours léger comme son coeur! elle obéira à toutes les créatures, les aimant en Dieu, aimant Notre-Seigneur plus encore et toujours prête à recevoir ses ordres.

Mes Soeurs, c’est une disposition nécessaire dans votre vie apostolique. Je vous le répète, il faut être prête à se séparer et même à partir, s’il en est besoin, pour les Amazones. Si c’est pénible à la pauvre nature, à un coeur sensible et aimant, pensez qu’il y avait quelque chose de plus pénible encore pour la Sainte Vierge et que son coeur était mille fois plus ardent que le vôtre. « Vous avez de saintes maîtresses, de saintes Supérieures. Notre-Seigneur n’était-il pas encore plus parfait? Si vous examinez la légitimité de la tendresse, où en trouverez-vous une plus grande? C’était son Dieu que la Sainte-Vierge adorait et aimait dans son Fils.

Examinez les différentes séparations que Dieu vous demande. Je vous laisse la réponse à faire. Qu’est-ce que votre vie, sinon une série de séparations et de brisements? Mais si vous avez le courage de toujours couper la racine de vos attachements, il restera au fond de votre coeur une liberté joyeuse et forte pour accomplir tout ce que Notre-Seigneur vous demandera. Vous êtes aujourd’hui à Nîmes, où serez-vous dans quelques jours? Examinez si votre coeur est prêt.

Je prends maintenant la question à un autre point de vue. Une des causes de l’avachissement* de la France, selon l’expression de Mgr Pie, c’est qu’on ne sait pas se séparer. Dans les temps d’autrefois, les moeurs de l’ancienne noblesse avaient une tout autre virilité. Quand on voulait consacrer un enfant au Seigneur, on le portait à l’abbaye et on l’enveloppait dans les plis de la longue nappe d’autel. On n’attendait pas que l’enfant eût l’âge de raison, ni qu’il pût donner son consentement et faire le don de lui-même; non, les parents disposaient de leur enfant et le consacraient à Dieu. Ils ne montraient pas moins de courage pour se séparer de leurs enfants. Cela ne ressemblait guère à ce qui se passe de nos jours, où les parents n’envoient pas leurs enfants au collège de l’Assomption, parce qu’on se bat à cent cinquante lieues d’ici.

Chaque printemps, il était d’usage en Europe d’aller à la guerre; le chevalier quittait sa femme. Le veuvage pouvait bientôt suivre les joies du mariage, peu importe! L’honneur appelait à la guerre, on y allait. Dans le sens chrétien, c’était très beau. C’était la séparation acceptée dans le temps en vue de la réunion éternelle. Quelle attitude différente ont les mobiles de Nîmes!

A côté de ces lâchetés, il y a la science de la séparation divine et des séparations chrétiennes. Nous ne retremperons nos âmes que lorsque nous saurons nous séparer des créatures pour nous unir à Dieu. Il faut donc prendre une résolution sérieuse, aller du grand au petit, entrer dans tous les détails, de façon que rien n’empêche la sainte liberté du coeur à l’aide de laquelle le monde a été sauvé. Notre-Seigneur aime sa Mère et ils se séparent. Pourquoi? Lui pour aller évangéliser le monde, Marie pour laisser convertir le monde. Il se retrouveront, il est vrai, au pied de la croix, mais ce sera pour souffrir encore davantage et se séparer encore. Après la Résurrection, Marie verra son Fils; puis Jésus montera au ciel et Marie attendra, pour se joindre à lui, le repos de l’éternité.

Voyez donc comment vous devez vous séparer en toute liberté de coeur pour aller au-devant des oeuvres apostoliques la où l’on vous enverra (Reims, Lyon, Saint-Dizier, n’importe!) Il faut être prêtes à tout et mettre de la rondeur, de la franchise, un entrain vigoureux que Notre-Seigneur a le droit d’exiger de ses épouses quand il leur montre sa Mère. Jamais vous n’aurez autant à souffrir que Jésus et Marie, et ils ont souffert avec joie. Il y avait là un principe de régénération, une puissance pour l’évangélisation du monde. Enfin, si vous voulez glorifier Dieu, sachez vous séparer; allez de plus en plus avant dans le sacrifice et, quand vous souffrirez beaucoup, pensez à la séparation de Marie, et rappelez-vous que la séparation porte un double caractère, le plus douloureux sans doute, mais aussi le plus fécond.

Notes et post-scriptum