OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGT-SEPTIEME CONFERENCE DONNEE LE 12 DECEMBRE 1870.
    DE L'ESPRIT DE SACRIFICE
  • Prêtre et Apôtre, XII, N° 132, février 1930, p. 45-48.
  • DA 45; CN 4; CN 5.
Informations détaillées
  • 1 ANEANTISSEMENT
    1 CHATIMENT
    1 CREATION
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
    1 IMMOLATION DE LA CHAIR
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 MORTIFICATION CORPORELLE
    1 PAUVRETE SPIRITUELLE
    1 PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 REDEMPTION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VERBE INCARNE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOLONTE PROPRE
    2 ABRAHAM
    2 ADAM
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 GAY, CHARLES-LOUIS
    2 ORIGENE
    2 PILATE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 12 décembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur.

Cause du sacrifice, le péché. -Etude des attributs de Dieu. -Colère de Dieu. -Impossibilité d’apaiser la colère de Dieu. -Médiation: l’Homme-Dieu.

Sujet du sacrifice: Jésus-Christ. -Après Jésus-Christ, la création, les corps des saints, l’âme des saints.

Esprit du sacrifice, la volonté et l’amour. La volonté répare en offrant la création par la pauvreté, la séparation, le bon usage des créatures; en offrant le corps par le travail et la mortification: en offrant l’âme par la contrition et l’emploi de toutes les facultés. La volonté immole avec amour, mais, de plus,l’amour suppose qu’il n’a rien à donner pour lui et il s’immole pour les autres…

Jésus-Christ s’offre à Dieu. _Amour dans le sacrifice. -Amour envers la justice divine. -Amour envers la miséricorde. -Amour sans partage, d’où sacrifice sans réserve.

Texte sténographié de la conférence.

I. Cause du sacrifice.

Nous allons étudier aujourd’hui l’esprit de sacrifice qui fait le fond de toute vie religieuse. On peut considérer le sacrifice de différentes façons. Il est un acte suprême d’adoration, et, à ce point de vue, le sacrifice aurait existé alors même que l’homme n’eût point péché, et il serait alors l’acte suprême de l’adoration qui doit s’élever de toute créature pour rendre hommage à son auteur. Le sacrifice considéré ainsi serait l’annéantissement volontaire de certaines créatures devant le Créateur, une destruction de nous-même pour reconnaître celui de qui nous tenons l’être. Je laisse de côté ce point de vue et j’arrive au côté pratique, suivant l’école de saint Thomas qui part de ce principe; Qui propter nos homines, et propter nostram salutem descendit de coelis. Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine, et homo factus est. Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato, passus…

En effet, pour bien comprendre la cause du sacrifice, il faut envisager le mal apporté dans le monde par le péché, et pour bien comprendre quelle est la nature du péché, il faut étudier les attributs de Dieu. On arrive alors à cette conclusion, l’insulte que le péché fait aux attributs de Dieu est abominable. Le péché attaque la plénitude de l’être en Dieu: sa toute-puissance, il la nie; sa toute justice, il la bouleverse, en change l’ordre et l’harmonie; sa miséricorde, il l’outrage, et ainsi des autres attributs. Le péché étudié à ce point de vue, est quelque chose d’effrayant, il envahit le monde par la créature la plus intelligente dans l’ordre naturel.

Notre premier père, Adam, avait la nature la plus parfaite; son intelligence n’était pas obscurcie par l’ignorance; le mal n’avait pas perverti son coeur. Il y avait là des connaissances, des lumières spéciales, qui ont rendu son péché d’autant plus épouvantable qu’il savait le mal qu’il faisait, comme saint Paul l’a dit: « Adam non est seductus (I Tim. II, 14), Adam n’a pas été séduit ». Il y a donc eu une insulte abominable, à cause de la lumière qui a entouré le premier péché de l’homme. Dieu était atteint par cette créature qu’il venait de tirer du néant, et qui se servait insolemment de sa liberté pour outrager son Créateur. La colère de Dieu fut immense: « filii irae« . (Eph. II, 3.) Vous savez la suite: l’impuissance de l’homme dans sa nature finie à satisfaire aux droits de la justice infinie de la nature divine. Il y avait là tout un abîme. Méditez les attributs de Dieu: rien ne vous fera mieux comprendre l’étendue du péché et l’horreur que nous devons en avoir.

II. Sujet du sacrifice.

C’est alors que le Fils de Dieu s’est fait homme, le Médiateur est venu, « Unus enim Deus, unus et mediator Dei et hominum homo Christus Jesus » (I Tim. II, 5), souffrant comme homme, et comme Dieu donnant un mérite infini aux souffrances de son humanité. Quel est donc le sujet du sacrifice? Ce sera Jésus-Christ. La rédemption est opérée par lui, parce que c’est dans son humanité qu’il offre au nom des hommes la réparation du péché, et que c’est des hommes divine qui mérite. Et pourtant saint Paul a dit: Homo Christus Jesus. Cela veut-il dire que dans Jésus-Christ l’homme soit la personne? Non, mais c’est au point de vue de l’humanité que l’Apôtre pose Jésus-Christ. Il est encore dit: « Tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech. » (Ps. CIX, 4.) Le prêtre éternel c’est l’humanité de Jésus-Christ, et saint Jean voit Notre- Seigneur dès l’origine du monde agneau immolé: « Et adoraverunt eam omnes qui inhabitant terram: quorum non sunt scripta nomina in libro vitae Agni. qui occisus est ab origine mundi. » (Apoc. XIII, 8.)

Le péché était prévu, ainsi que l’expiation offerte par Notre- Seigneur en vue de son état d’agneau, c’est-à-dire de la nature humaine et passible dont il devait se revêtir, et ainsi depuis le commencement du monde. Dieu projetait de faire miséricorde au premier homme. Notre-Seigneur. Dieu et homme, a voulu restaurer toutes choses: « Instaurare omnia in Christo » (Eph. 1, 10); ce que saint Jérôme a traduit par le mot recapitulare, que je préfère. Je pourrais dire que Jésus-Christ résume la création; il ne la restaure pas.

Une fois que nous avons considéré Notre-Seigneur Jésus-Christ offrant un sacrifice pour le péché, nous avons un sacrifice d’un deuxième ordre, dans lequel nous sommes obligés de voir la création, le corps de l’homme et son âme. Pour cela il faut d’abord envisager Notre-Seigneur, en qui habite la plénitude de la divinité, corporaliter (Col. II, 9), puis examiner le plan de la création. Ce plan peut être considéré à deux points de vue, en remontant l’échelle des êtres ou en la redescendant. Commençons par le pus bas dans l’ordre de la création.

Du néant Dieu tire le chaos, du chaos la matière inorganique; sur la matière inorganique il superpose la matière organique, la vie végétale, l’âme végétale, comme les théologiens du moyen âge l’appelaient. A ce règne végétal vient se joindre l’âme animale, immatérielle, pas immortelle: ce sont les animaux; puis vient l’âme intelligente de l’homme unie à un corps. Dans un monde plus haut, les anges, les archanges et toutes les hiérarchies célestes jusqu’à l’ange qui s’approche le plus près du trône de Dieu. Qu’à présent nous prenions la progression descendante, en commençant par l’ange le plus parfait et en revenant par degrés au néant, peu importe! Toujours au milieu de ce plan divin de la création terrestre, au-dessous de la nature angélique, âme intelligente unie à un corps: « Minuisti eum paulo minus ab angelis. » (Ps. VIII, 6.) Voilà la situation de l’homme placé au-dessus de toutes les oeuvres visibles de Dieu et roi de la création; au-dessus de lui seuls sont les anges.

Pourquoi Jésus-Christ est-il venu se faire homme? Pour réparer les fautes de l’homme, sans doute, mais il est dit aussi: « Pacificans per sanguinem crucis eius, sive quae in terris, sive quae in coelis sunt. (Col. I, 20.) Il a voulu réconcilier par lui toutes choses avec lui-même, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » Il y a donc quelque chose à pacifier dans le ciel? Ici saint Thomas conclut que bien que Notre-Seigneur ne se soit pas incarné pour les anges, pourtant les grâces accordées aux anges l’ont été en vue de la rédemption future de Jésus-Christ. En ce sens-là, Dieu, qui tire le bien du mal, se serait servi, dans son admirable miséricorde, du péché originel, pour en faire sortir la rédemption des hommes et la sanctification des anges. (Opinion de Mgr Gay: Jésus-Christ se serait incarné quand même l’homme n’aurait pas péché, afin de sanctifier la nature humaine et la nature angélique.)

Ce qui est assuré, c’est que par le fait de l’Incarnation Notre-Seigneur prend place parmi l’humanité. Il n’est pas entré dans la race des anges, mais dans la race humaine: « Nusquam enim angelos apprehendit, sed semen Abrahae apprehendit. » (Hebr. II, 16.) Il est de race humaine, il s’empare de la race humaine; il a une âme comme nous, un corps, comme nous. Par son âme il tient à la nature angélique, par son corps à la nature matérielle. Toutes grâces sont accordées en vue de son Incarnation, le monde est racheté par l’effusion de son sang, les anges sont confirmés en grâce par l’application de cette rédemption future. C’est ainsi que s’accomplit la parole de l’Apôtre: Pacificans per sanguinem crucis eius, sive quae in terris, sive quae in coelis sant. La paix s’est faite dans le ciel comme sur la terre, avant la création du monde, par l’agneau immolé dès l’origine de l’univers.

Notre-Seigneur sanctifie toute la création, puisqu’il la résume en lui; il sanctifie notre nature corporelle, il sanctifie aussi par son sacrifice la nature intellectuelle de l’homme. Origène a dit que le sang de Jésus-Christ baignait jusqu’aux sphères les plus éloignées de l’espace. Oui, mais à une condition, c’est que ces sphères auront une intelligence, et c’est l’homme qui la leur prête. C’est ce que vous faites, quand vous invitez la création à se joindre à vous pour louer le Seigneur: par vos lèvres vous la faites bénir Dieu, vous l’élevez vers lui et vous la sanctifiez.

Voyez comme Notre-Seigneur sanctifie la création, lorsque du haut de la croix le sang du Rédempteur tombe sur la terre qui le boit c’est la bénédiction du second Adam qui descend sur cette terre maudite par le péché de l’homme. La terre sera maudite dans ton travail, avait dit Dieu à Adam (Gen. III, 17); la voilà régénérée dans le divin travail de la croix. Ce sang rédempteur n’a pas seulement été répandu sur la terre; Notre-Seigneur est suspendu entre le ciel et la terre, purifiant l’atmosphère. Il n’a pas été immolé seulement pour l’humanité; ce n’est pas pour l’habitant des villes seul, mais pour tous les objets en dehors des villes qu’il a souffert: « Extra portam passus est. » (Hebr, XIII, 12.)

III. Esprit du sacrifice.

Comment Notre-Seigneur a-t-il encore sanctifié la création? En y renonçant. « Vulpes foveas habent, et volucres caeli nidos: Filius autem hominis non habet ubi capui reclinet. » (Matth. VIII, 20.) Il l’a sanctifiée par la pauvreté, le sacrifice de toutes les choses créées. La sanctification des choses créées n’arrive que par la séparation. Jésus les bénit par la surabondance de son sang, et il donne à l’Eglise la puissance de les bénir. De là les bénédictions de l’eau, de l’air, des animaux, des fruits de la terre. C’est par la séparation que Notre-Seigneur a acquis le droit de reprendre son empire sur la nature créée. Vous verrez aussi les Soeurs les plus pauvres, les plus détachées des biens de la terre, faire le plus de prodiges dans leur puissance sur la nature. Saint François d’Assise, par exemple, séparé de la terre par un suprême effort de sacrifice, reprend un empire surnaturel sur la création, et les animaux lui sont soumis. Si donc vous voulez sanctifier les choses de la terre, commencez par vous en séparer. Dans la séparation en union avec Jésus-Christ, il y a le sacrifice. Voyez donc l’ordre de sacrifice que vous devez offrir à Dieu au point de vue de cette création matérielle.

J’arrive à quelque chose de plus cuisant, c’est le sacrifice du corps: « Virum dolorum, et scientem infirmitatem. » (Is. LIII, 3.) Voilà la situation de Notre-Seigneur, l’homme de douleurs. C’est son corps qui n’est plus qu’une plaie. Et, mes Soeurs, quels sont les ossements que Dieu aime le plus? Les ossements des saints « Custodit Dominus omnia ossa eorum, unum ex his non conteretur. » (Ps. XXXIII, 21.) Oui, les ossements des saints et même la poussière de leurs tombeaux. Voyez le respect, le culte dont il veut qu’on entoure les reliques des saints. Comme il les aime! Comme l’Eglise les aime aussi! Qu’est-ce que cela veut dire, sinon que la vénération, l’admiration est donnée à ce qui a été broyé, meurtri, à ce qui a souffert pour Dieu? Que ce soient les ossements des martyrs broyés sous le fer ou sous la dent des bêtes fauves; que ce soient les ossements des martyrs de la pénitence religieuse: anachorètes, vierges, confesseurs, peu importe! Dieu les aime. Et pourquoi? Parce que ces corps sont devenus de véritables victimes par la souffrance, qu’ils ont été vraiment immolés dans les exercices de la pénitence pratiqués sur eux, que la sanctification est venue en eux, que la victime a été consumée. De même que le Saint-Esprit a été la flamme qui a consumé Notre-Seigneur sur le Calvaire, de même l’amour divin a été le feu dévorant qui a consumé les saints et purifié leurs ossements, ne laissant d’eux que ces restes précieux que l’Eglise aime et vénère.

Les saints ont sacrifié leurs corps; ils ont aimé la douleur, ils ont livré leurs membres à la souffrance, soit en se l’imposant volontairement, soit en acceptant celle que Dieu leur envoyait. Dieu voyait cette soif de sacrifice; il répandait des trésors de douleur dans ces corps altérés de souffrances, et quand il croyait avoir trop fait et que les forces humaines paraissaient dépassées, ces admirables martyrs s’écriaient: « Encore plus, Seigneur », ou bien ils se roulaient sur les charbons ardents comme sur un lit de roses. Dieu se complaisait dans ces sacrifices. Dieu aime ceux qui méprisent leur corps et qui le livrent aux supplices. Mais quoi! Dieu est donc cruel? Il se plaît comme un tyran à torturer sa créature? Ici le monde se scandalise, comme le corps divin du Sauveur, meurtri de plaies, suspendu à la croix, était un objet de scandale pour les Juifs, une folie pour les Gentils. « Nos autem praedicamus Christum crucifixaum: Iudaeis quidem scandalum, gentibus autem stultitiam. » (I Cor. I, 23.) Le monde a commencé à protester sur le Calvaire, devant le divin Crucifié, et il continue toujours. Pour lui, rien de plus absurde que la mortification, les austérités corporelles. Qu’une religieuse se dévoue à la pénitence, qu’elle jeûne, qu’elle déchire son corps, le monde n’y comprendra rien; il tournera en ridicule, il se moquera. Voyez le mépris dont les libres penseurs, les philosophes matérialistes, les protestants entourent la vie pénitente du cloître. Et pourtant si, de l’oeil de la foi, nous contemplons Jésus victime dans son corps, il est évident que nous aussi nous devons passer par là. « In hoc enim vocati estis: quia et Christus passus est pro nobis, vobis relinquens exemplum ut sequemini vestigia elus. » (I Petr. II, 21.)

Si cela est, quelle sera la mesure de l’esprit de sacrifice dans le corps? Je n’en connais pas, d’autre que celle apportée par la prudence et l’obéissance. Cependant, il faut le dire, il y a une distinction à faire entre les religieux dévoués à la vie exclusivement contemplative et pénitente comme les Trappistes et les Chartreux, et les religieux qui se consacrent à des oeuvres apostoliques ou de charité. Ceux ci ont besoin de leurs forces pour travailler, et quoique pour eux aussi la pénitence demeure chose indispensable, ils n’ont pas à faire le sacrifice de leur santé par la mortification, mais d’une autre manière. Leurs corps sont immolés par le travail et le dévouement. Vous voyez comme une religieuse doit sans cesse se sacrifier avec intelligence, puisqu’elle doit son corps au travail de l’apostolat, mais dans un dévouement total. Et si elle tombe malade, quel meilleur moyen de se crucifier avec Jésus-Christ? Elle peut alors se livrer tout entière aux desseins de Dieu sur la destruction de son corps et se plonger dans le sacrifice.

Que dirais-je maintenant du sacrifice de l’esprit, du sacrifice de l’âme? Non seulement c’est le corps qui a péché et qui doit être immolé par la pénitence, mais c’est l’âme, et il lui faut un châtiment. Ici, il faut établir une distinction entre une épreuve et un sacrifice. Une épreuve, c’est quelque chose qui nous est imposé; bon gré, mal gré, il faut la prendre. Un sacrifice implique quelque chose de volontaire, et l’épreuve ne devient sacrifice que quand elle est voulue. J’ai mal à la tête, j’ai mal à la gorge, j’ai une souffrance quelconque et je dis: « Eh bien, mon Dieu, si vous le voulez absolument, il faut bien que je prenne ce mal, mais c’est bien ennuyeux. » Mes Soeurs, c’est une épreuve acceptée, rien de plus. Au contraire si vous dites comme la Psalmiste… Deus meus volui, et legem tuam in medio cordis mei. (Ps. XXXIX, 9.) Mon Dieu, je veux cette humiliation, cette épreuve, cette souffrance; je la veux de tout mon coeur », ceci prend le caractère du sacrifice, parce que le sacrifice pour l’âme réside dans la volonté.

Nous voici au noeud de la question. Qu’est-ce qu’une fille qui ne se sacrifie pas? C’est une fille qui garde sa volonté. Savez-vous ce que c’est que garder sa volonté? Voilà une fille: elle obéit, et pourtant sa volonté échappe à l’obéissance. Elle est insaisissable. Nul, pas même la supérieure, ne peut mettre la main dessus. Elle se cache, elle se renferme, elle se dérobe, elle a toutes sortes de petits coins à elle; on la cherche en vain, on ne l’aura que le jour ou elle voudra bien se rendre. Il faut quelle sorte de sa forteresse et vienne se livrer, se dénoncer, se déposer entre les mains de ses supérieures. Jusque-là cette fille ne se sacrifiera pas. Elle pourra bien faire plus de travail qu’une autre, avoir les apparences du dévouement, oui; mais elle se dit: « On me fait obéir, parce que je le veux bien; cela me plaît et je le fais. » Ce n’est pas une vraie religieuse.

Au contraire, celle qui obéit parce qu’elle entend se sacrifier, s’immoler, faire les choses qui lui sont commandées avec une volonté pleine et entière, parce qu’elle y voit un ordre de Dieu, celle-là connaît la pratique de l’obéissance. Voyez ces deux Soeurs toujours, ensemble et pourtant si différentes; elles se touche à tous les exercices de règle, elles marchent ensemble aux processions, elles se côtoient à l’office. Leur vie paraît la même, le principe de leur vie est aux antipodes. L’une donne sa volonté, l’autre la garde. Vous comprenez suffisamment, j’espère, que ce que vous devez sacrifier, c’est votre volonté; et dans quelque coin qu’elle soit, il faut l’aller chercher, l’enfermer, lui mettre le couteau sur la gorge. Tout autel est bon pour l’immoler, serait-ce au plus intime de l’âme, Ne l’épargnez pas.

Pouvez-nous voir sur la croix quelque chose dans l’âme de Notre-Seigneur qui défaille à ce sacrifice complet? Il y a eu combat, oui. Dieu l’a permis par pitié pour notre faiblesse. Pater mi, si possibile est, transeat a me calix inste, mais immédiatement le Sauveur ajoute: « Que votre volonté soit faite, non la mienne (Matth. XXVI, 3g.) Cette Soeur reçoit un ordre pénible; elle a une lourde épreuve à porter; la nature se révolte, se soulève. Elle dit: « Mon Dieu, s’il est possible que ce calice… « ; mais, par l’énergie de sa volonté, elle subjugue ce mouvement: Si non potesi hic calix transire nisi bibam illum, fiat voluntas tua; et encore: « Deus meus volui, et legem tuam in medio cordis mei. (Ps. XXXIX, 9.) Votre loi, votre commandement, cette souffrance est posée dans mon coeur comme sur un trône. » Et alors tout en elle devient un agréable, un précieux sacrifice; tout en elle se dépouille, et voilà une fille entièrement détachée par l’énergie de sa volonté et s’offrant à Dieu comme une victime. Car cette volonté de sacrifice remplit toutes les facultés de l’âme pour les immoler. Il n’est rien qui ne serve à l’holocauste. Mémoire, imagination, talents intellectuels, esprit, tout peut être sacrifié, à condition qu’on le veuille.

Il y a encore quelque chose que la volonté doit surtout immoler; c’est ce qu’il y a de plus cher, de plus précieux en nous, c’est notre coeur. Sacrifice terrible, mes Soeurs, mais nécessaire. La volonté prend une faux et elle abat toutes les affections humaines, toute l’affection que nous avons pour nous-même. Et lorsque quelque chose de ces affections repousse, si la volonté est un vrai sacrificateur, elle fauche de nouveau; sans cesse elle revient et recommence son travail de destruction, la faux passe et repasse toujours. Les passions, les affections, les imaginations renaissent du terrain de notre coeur; ce sont des herbes mauvaises, il faut les couper et la faux est toujours à l’oeuvre. Douloureux sacrifice, mes Soeurs. Il y a dans votre coeur tout un ensemble de sentiments, d’imagination, de tendresse, de soulèvements, de sympathie, d’antipathie; il faut que tout cela y passe. Je ne suis pas religieux, si je ne le fais pas tomber, si je ne dépouille pas mon coeur. Et après. qu’est-ce qui restera de ces choses dans le coeur? Tout bonnement, rien; excepté la racine du péché que nous garderons jusqu’à notre dernier soupir.

Nous touchons ici, mes Soeurs, au point où la volonté dans sa soif d’immolation se transforme en amour. La volonté aime Dieu, elle veut aller à lui, elle ne connaît pas d’autre moyen que celui donné par Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire la croix. Donc, plus je m’étendrai sur la croix, plus je m’immolerai avec amour, plus la croix sera l’élément principal de ma vie, plus je donnerai du pur sang de mon âme, plus aussi je serai une victime agréable à Dieu. Que faire donc? Se donner dans un immense amour. Comment y arriver? Le même feu du Saint-Esprit qui a consumé Notre-Seigneur sur le Calvaire embrassera le coeur de la religieuse; elle se consumera, elle s’anéantira, elle s’immolera, elle deviendra la victime d’agréable odeur, la victime sainte et parfaite dont les parfums délicieux monteront vers Dieu, à mesure qu’elle s’immolera avec plus d’amour. Toute sa vie sera donnée dans l’ensemble et dans les détails, elle mettra une goutte du sang de Jésus-Christ dans chacune de ses actions.

Nous avons examiné, mes Soeurs, comment Dieu se rend justice à lui-même par le sacrifice de son Fils et par le châtiment du péché. Arrivée au degré d’amour dont nous parlons, c’est l’âme qui rend justice à Dieu. Tous ses péchés avec leurs détails lui revenant à l’esprit, elle se sent animée d’un besoin d’expiation; mais parce qu’elle aime, elle est poussée a souffrir non seulement pour elle-même, mais pour les péchés des autres. Son sacrifice d’expiation prend un caractère nouveau, celui de l’amour. Ainsi la justice est apaisée, et aussi la miséricorde. « Sic enim Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret. » (Joan. III, 16.) Jésus-Christ satisfait aux deux attributs de Dieu offensés et lésés par l’insulte du péché. Et nous, comment satisferons-nous aux droits que réclament les attributs de Dieu?

« Seigneur, par votre infinie miséricorde, ce que vous avez fait a suffi pour me faire par donner mon péché, mais je veux concourir à votre oeuvre, je veux accomplir dans mon corps ce qui manque à la Passion de votre Fils. (Coloss. I, 24.) Dans un effort d’amour, je suppose qu’il manque quelque chose à votre sacrifice, afin de pouvoir l’ajouter aux mérites de votre Rédemption. Pourvu que je m’unisse à vous et que je souffre pour les pécheurs, j’entre dans les pensées de votre justice en même temps que votre miséricorde. Je me livre donc à votre divine vengeance et à votre divin amour, et je comprends que la mesure de mon sacrifice est celle d’un sacrifice sans réserve. »

Entrez dans ces pensées avec force et avec amour, mes Soeurs, et prenez la résolution d’être des chrétiennes de sacrifice. Vous comprendrez alors comment vous devenez semblables à Notre-Seigneur, qui s’est fait homme pour se sacrifier, et comment vous devez être des filles de sacrifice pour être de vraies épouses de Jésus crucifié. Dans la croix vous trouverez l’union la plus vraie, la plus parfaite sur la terre; vous y partagerez déjà la vie souffrante de Jésus-Christ, afin de vous unir à lui un jour au ciel, dans la joie sans partage et dans le torrent des voluptés célestes. Ainsi soit-il!

Notes et post-scriptum