OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGT-HUITIEME CONFERENCE DONNEE LE 14 DECEMBRE 1870.
    SUR LA VOCATION
  • Prêtre et Apôtre, XII, N° 133, mars 1930, p. 74-77.
  • DA 45; CN 5.
Informations détaillées
  • 1 AUGUSTIN
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    2 ARSENE, SAINT
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    3 EGYPTE
    3 LIBAN
  • Religieuses de l'Assomption
  • 14 décembre 1870
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur.

Concluons notre première partie. Une fois que l’on vous a fait connaître dans son ensemble l’esprit religieux et l’esprit de l’Assomption, êtes-vous appelées? C’est un peu tard, direz-vous. Non, car si vous n’êtes pas appelées, faites qu’on vous appelle.

1° Qu’est-ce que la vocation? Appel de Dieu. {Vocation d’} imagination, de dépit, de paresse, de dégoût. {Vocation} divine.

2° Faut-il étudier sa vocation? Faut-il étudier les moyens d’y correspondre?

3° Quels [sont les] moyens pour connaître sa vocation? La prière, l’obéissance, le courage.

4° Marques de la vraie vocation. Elles sont diverses: l’attrait, le désir de la perfection, la générosité.

5° Comment avez-vous répondu? Etes-vous mal appelée? Il faut rectifier ces engagements. Etes-vous bien appelée? Il faut vous en faire tous les jours une plus haute idée, tous les jours supprimer les affaissements, lutter contre la décadence et la routine, tous les jours monter plus haut.

Texte sténographié de la conférence.

Mes chères filles, je crois devoir clore la première partie de nos entretiens par une conférence sur la vocation religieuse. Après avoir essayé de vous exposer dans son ensemble l’esprit religieux et l’esprit de l’Assomption, ainsi que les vertus qui lui sont particulières, il me semble bon que l’on se pose cette question: Ai-je l’esprit de l’Assomption? Suis-je appelée à être religieuse, et religieuse de l’Assomption? Vous direz peut-être qu’il est un peu tard pour se le demander quand on n’est plus novice et qu’on s’est liée par des engagements irrévocables. A un certain point de vue, je maintiens la nécessité d’examiner la chose dans l’ordre des quatre our cinq questions que je vais mettre sous vos yeux.

I. Qu’est-ce que la vocation?

En elle-même, c’est un appel de Dieu. Dieu appelle l’âme: « Non vos me elegistis, sed ego elegi vos » (Ioan. XV, 16); et Notre-Seigneur a dit encore: « Multi enim sunt vocati, pauci vero electi. » (Matth. XXII, 14.) Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus; ce qui ne doit pas seulement s’entendre du salut, de la vocation au ciel, mais aussi de la vocation religieuse. Beaucoup de gens ont la vocation et ils n’y correspondent pas.

Mon effroi n’est pas de savoir si l’on est appelé, mais d’en voir si peu qui répondent à l’appel. J’ai la conviction profonde que bien des personnes ont la vocation et qu’elles en font ce que Notre-Seigneur raconte dans la parabole du semeur. De même que la semence qui ne remontre pas la bonne terre meurt, de même les vocations se perdent dans ces âmes. Notre-Seigneur sème les germes à pleines mains, il jette une semence abondante; mais le grain du divin Semeur se dessèche, il ne porte pas de fruit. Cela arrive dans les postulats, les noviciats, les couvents; à plus forte raison arrive-t-il que ces vocations à l’état de germe se dessèchent dans le monde. Aussi, je dis: Heureuse la religieuse qui, de bonne heure, quitte le monde pour entrer au couvent! C’est un triste et épouvantable piège que celui qui retient les âmes qui doivent se donner à Dieu. Vous objecterez qu’on quitte alors le monde sans l’avoir connu. Mais moi je réponds que le diable a ses finesses et qu’il sait bien tendre ses filets pur retenir et détruire une vocation.

La vocation est un appel de Dieu, avons-nous dit. Mais il y a des vocations de différentes espèces. Quelquefois on croit avoir entendu la voix de Dieu avec son imagination. Les vocations d’imagination sont-elles toutes mauvaises? Non, parce que Dieu prend les gens tels qu’ils sont. Si vous êtes une fille d’imagination, Dieu s’en sert pour vous faire venir à son service; il n’y a rien de mal. Mais si étant fille d’imagination vous ne vous dépouillez pas en entrant en religion des imperfections de votre imagination, votre vocation tombera vite. J’ai connu quelqu’un qui était toujours sur le point de…, il y a aussi des filles qui s’étaient figuré que…, et tout ce qui suit cette fugue de leur imagination, nul ne pourra le dire.

Il y a les vocations de dépit. J’ai entendu dire: « Je me fais religieuse, parce qu’on ne me laisse pas épouser telle personne. » Ces vocations-là ne durent pas longtemps.

Il y a les vocations de paresse. Ce n’est guère le propre des Françaises ou des Anglaises, à qui je m’adresse ici, et pourtant j’en ai connu. Les demandes que saint Arsène adressait à certains moines de la Haute-Egypte indiquent bien qu’il se glissait là, parfois, un peu de paresse. On se dit: la vie religieuse est un port à l’abri des tempêtes du monde, de mille inconvénients de la vie; c’est une petite existence bien douce, bien commode. A part quelques petites choses désagréables quelquefois, on y est fort bien; on y mange son pain tout coupé, et quand même la paillasse serait un peu dure, on sait qu’on la trouvera toujours sans se donner de peine. C’est là une disposition déplorable. Je ne crois pas qu’elle se trouve à l’Assomption; mais s’il y avait des postulantes de ce genre-là, j’engagerais votre Mère générale à les faire travailler beaucoup.

Parlons enfin des vocations de dégoût. Il y a des créatures ainsi faites, très bonnes, très pieuses, mais qui se trouvent mal partout et se figurent qu’elles se trouveront bien au couvent. Hélas! elles sont mal dans le monde, elles sont mal au couvent. Si les supérieures n’y prêtent pas une grande attention, ce sujet dégoûté peut porter sa maladie au noviciat, dans la communauté même. C’est une vocation déplorable. -Je suis dégoutée du monde. -C’est excellent, mais au bout de six mois vous serez dégoûtée de votre communauté. Tenons-nous bien en garde contre les gens qui ne sont bien que là où ils ne sont pas. Cette inquiétude dans le tempérament peut se trouver chez les femmes comme chez les hommes.

II. Etude de sa vocation.

De là je conclus qu’il faut étudier sa vocation. D’abord, parce que je crois qu’il y a des vocations qui s’ignorent. Puis, lors même que vous seriez déjà religieuse, je crois qu’il est bon de faire un retour sur vous-même, non plus pour savoir si vous devez vous faire religieuse, mais pour examiner si les motifs qui vous ont déterminée à le devenir n’avaient pas quelque chose d’humain, et, s’il en était ainsi, pour l’ôter et mettre quelque chose de surnaturel à la place. En avez-vous le pouvoir? Oui, certainement. Saint Augustin n’a-t-il pas dit: « Si tu n’es pas appelé, appelle-toi. » Vous froyez ne pas avoir la vocation, demandez-la, elle vous sera accordée. De même que les chrétiens, une fois baptisés, ont encore besoin de demander la grâce qu’ils ont reçue dans son principe pour accomplir leur salut, de même vous, religieuse, qui avez prononcé vos voeux et qui craignez des défaillances, appelez-vous, priez Notre-Seigneur qu’il vous appelle, et ne vous inquiétez plus de rien, vous persévérerez. Autant les supérieures doivent examiner les vocation pour écarter les mauvaises, autant une religieuse, après ses voeux, doit rester tranquille. Comptez sur la miséricorde de Dieu, sur la grâce de votre appel. Si l’on partait de ce principe, il n’y aurait pas toutes ces demandes d’exemption de voeux qu’on voit dans d’autres Congrégations que la vôtre.

J’insiste là-dessus à cause de la situation où nous sommes. Autrefois, quand une religieuse se conduisait mal, il y avait le vade in pace. Une mauvaise religieuse allait en prison, un mauvais prêtre aussi. Dans les évêchés, il y avait la prison de l’officialité. Aujourd-hui, il n’y a plus que la porte, et cela n’est pas un mal. On vous dit: « Allez-vous-en »; on se débarrasse des membres gâtés, gangrenés, qui corrompaient tout le corps. Cela dit, il faut distinguer deux espèces de membres: les incorrigibles, dont il faut se débarrasser, et les corrigibles, petites natures un peu faibles qui se laissent entraîner, qui tombent souvent, mais qui ont du bon. Faut-il les renvoyer? Dans l’état où sont ces âmes, à l’heure présente, la Congrégation gagnerait à ce renvoi, mais attendez un peu qu’elles se calment, et dans un an ou deux elles seront peut-être d’excellentes religieuses.

Je vais plus loin. Devez-vous, vous professes, étudier les moyens de correspondre à votre vocation? Je dis que la religieuse qui ne se préoccupe pas de cette pensée est menacée de perdre sa vocation; du moins, elle s’y expose. « In omnibus gratias agite. » (I Thes. v, 18.) Je crois vous avoir déjà dit que la meilleur action de grâces d’une religieuse, c’est de remercier Dieu de sa vocation. Dans cette reconnaissance se trouve le principe de grâces nouvelles que Dieu ne manque pas d’accorder. Votre vocation se fortifie, se consolide dans l’action de grâces. Il faut donc étudier sans cesse les moyens de correspondre à sa vocation. « Da mihi intellectum, et scrutabor legemtuam: et custodiam illam in toto corde meo. » (Ps. CXVIII, 34.) Il y a une certaine intelligence de vos devoirs qu’il faut demander. Vous êtes religieuse, vous avez la loi de Dieu, mais aussi la loi des conseils qui est devenue votre loi à vous. Quand vous récitez, aux Petites Heures, le verset cité ci-dessus, demandez l’intelligence que vous devez avoir du bienfait que Dieu vous a accordé en vous appelant à la vie religieuse. Demandez-lui de vous mettre chaque jour devant les yeux les moyens de devenir une religieuse plus sainte, plus fervente. Méditez sans cesse vos obligations et remarquez le verset qui suit: Deduc me in semitam mandatorum tuorum: quia ipsam volui. Vous avez choisi cette voie, il y a quelque chose de vôtre. Ce sont des commandements, il est vrai, mais l’âme les a choisis; elle n’y était pas obligée, comme les chrétiens le sont à la loi de Dieu. Seigneur, je les ai choisis. Faites que j’y marche et que je progresse sans cesse.

III. Etude des moyens de correspondre à sa vocation.

Il faut donc étudier les moyens de correspondre à sa vocation. Quels sont-ils? Je dirai à une religieuse professe que pour se plonger dans sa vocation il lui faut trois grands moyens: la prière, l’obéissance et le courage.

La prière pour être en union avec Notre-Seigneur. Si vous n’êtes des filles d’oraison, vous serez de bien pauvres religieuses. Qu’est-ce que la prière pour une fille appelée? C’est sa réponse à Dieu. Notre-Seigneur dit: Veni, par la bouche de ses évêques, dans les prières du pontifical pour la consécration des vierges, et à cette demande qui est l’appel, la vocation, la religieuse fait sa réponse qui est la prière. A l’oraison, elle dit: « Seigneur, je viens vous répondre que je suis à vous, que je vous appartiens. » Prenez deux religieuses dont la vocation est ébranlée: l’une s’en va, parce qu’elle écoute sans répondre; l’autre veut persévérer, parce qu’elle écoute et qu’elle répond: « Oui, mon Dieu, j’ai entendu votre invitation et je viens à votre appel; je quitte tout pour vous suivre. »

2° L’obéissance. Vous devez rendre deux espèces d’obéissance: à Dieu qui vous appelle et à vos supérieures. Tenez pour certain qu’une religieuse qui, doutant de sa vocation, laisserait de côté ses doutes pour se livrer à une obéissance entière vis-à-vis de ses supérieures et de sa règle, aurait bien vite triomphé de la tentation. En peu de temps la vocation serait revenue si elle avait le courage de pratiquer cette obéissance aussi parfaitement que possible.

Le courage. Oui, il en faut. Il y aura toujours un moment où le diable se glissera près de nous sous une forme ou sous une autre pour nous dire; « Pourquoi es-tu venu ici? Saint Bernard s’adressait cette question dans un autre sens. Il faut tâcher de transformer la question du diable en la réponse de Saint Bernard: « Tu es venue ici parce que Dieu t’appelait, parce que ton coeur cherchait un abri contre le monde; tu es venue, parce que tu avais besoin de la perfection et pour une foule d’autres motifs qui t’avaient poussée à cette vocation admirable et qui sont tombés de la mémoire de ton coeur. » Alors, cela demande un certain courage pour se dire: « Est-ce que je fais ce pour quoi je suis venue? Et si je ne le fais pas, est-il étonnant que ma vocation se perde, parce que je ne corresponds pas à sa grâce particulière? »

Mettez du courage à le faire et je vous assure que votre vocation reviendra. L’effort que vous ferez en sentant votre vocation décliner sera son affranchissement. Il faut donc s’y mettre avec courage. Vous faiblissez, cela prouve que vous commencez à sortir de votre vocation et qu’il faut y rentrer avec persévérance et énergie. En dehors de l’appel de Dieu, il y a le fait de la volonté. Si vous n’en avez pas, je n’ai rien à vous dire. Vous êtes une lâche et n’avez rien de mieux à faire qu’à vous en aller. Ce que je dis l’à n’a d’application actuelle pour aucune d’entre vous, mais il y a dans la vie des moments de crise où cela peut être utile.

IV. Marques de la vraie vocation.

Vous les connaissez. D’abord, un certain attrait, mais cet attrait se traduit de différentes façons. A côté de l’attrait, il peut y avoir la peur. Avant de me faire prêtre ou religieux, j’ai eu les deux sentiments, et la peur a été pour moi une preuve aussi positive de ma vocation que l’attrait. Il ne faut pas se troubler si l’on ressent de l’effroi, c’est une marque qu’on comprend la grandeur de l’acte qu’on va accomplir et qu’on fait les choses sérieusement.

Puis, le désir de la perfection. Si une fille vient en religion pour mettre les mains dans ses manches et en rester là, elle ferait aussi bien de demeurer chez elle. Non, vous vous êtes faites religieuses pour chercher la perfection; vous voulez faire toutes choses aussi bien que vous en êtes vraiment capables avec la grâce de Dieu. Il peut y avoir dans ce désir de l’orgueil et de l’amour-propre, ce n’est alors qu’une vocation fausse. Je parle ici du véritable désir de perfection d’une religieuse qui, dans l’humilité et la conscience de son néant, mais avec un ardent désir d’imiter Jésus-Christ, veut y tendre sérieusement. Ce désir, vous l’avez eu quand vous êtes entrée au couvent, ou au moment de votre profession, ou après une retraite; peut- être s’est-il affaibli, peut-être même l’avez-vous perdu tout à fait. Il faut y revenir, il faut vous retremper dans l’esprit de votre vocation pour la conserver, il faut vous demander quels progrès vous avez faits depuis que vous êtes en religion, sans découragement, sans tristesse, mais avec un désir persévérant d’aller toujours plus avant; sans quoi, vous serez de petites personnes pleines d’avenir, pleines de talent, promettant beaucoup au début et donnant peu dans la suite. Si vous en restiez là, croyez-moi, cela se gâterait tout à fait. Oui, il faut toujours marcher, toujours faire effort, toujours tendre en haut. « Amice, ascende superius » (Luc. XIV, 10), dit Notre-seigneur à l’invitér au festin des noces. Vous êtes plus qu’une invitée, vous êtes l’épouse, et Jésus vous dit: « Vous, épouse, montez plus haut, rapprochez-vous de moi; les dernières places à mon banquet ne sont pas pour vous. »

Voilà, mes Soeurs, ce que je voulais vous dire sur le désir de la perfection comme moyen de connaître si vous avez conservé votre vocation. Parlerai-je à présent de la générosité? Il faut que vous soyez généreuses. Du moment où une religieuse ne fait plus d’efforts pour se renoncer, elle commence à tomber. (Comparaison de l’obus: on le tire, il monte, s’arrête un instant, et, prononçant une courbe, va atteindre l’ennemi caché derrière une colline.) Je dis que la religieuse, à la différence de l’obus, doit toujours monter vers le ciel. Il y a un moment où l’obus semble planer au-dessus de la terre avant de retomber pour éclater sans les rangs de l’ennemi. Vous n’avez pas besoin de vous arrêter, montez toujours. Quelquefois, au cours de l’ascension, il y a comme un instant d’incertitude; les forces sont épuisées, on regarde en bas, on voudrait redescendre dans le monde. C’est dangereux, mes Soeurs. Ne regardez pas tant, le diable est là pour vous attirer, pour vous entraîner vers la terre. Vous ne seriez alors qu’un obus qui éclate en tombant. Non, soyez plutôt une flèche rapide qui prend son vol et ne s’arrête pas avant d’avoir atteint son but.

Votre but, c’est la sainteté, c’est Dieu. Pour y arriver, ce ne sera pas trop de toute votre vie, de tous vos efforts. Ne prenez donc pas de relâche, et pour cela, soyez généreuse. Notre-Seigneur dira de temps en temps: Venite seorsum (Marc. VI, 31). Il y a des moments dans la vie où le repos semblera forcé, mais encore ce repos devra être une occasion d’aller plus avant.

V. Comment avez-vous été appelées?

Je termine par la cinquième question. Comment vous, qui avez prononcé des voeux, avez-vous été appelées? Si c’est mal, ne vous découragez pas, appelez-vous bien par la prière, l’obéissance confiante, la pratique de la règle, un certain courage, et mettez-vous à l’oeuvre généreusement. Remettez-vous en marche du côté du ciel, du côté de la perfection: avec les moyens que je vous indique, la grâce sollicitée par la prière et un fonds de volonté énergique, vous retiendrez la vocation.

Si, au contraire, vous avez été bien appelées, là, le danger est plus grand. Vous aviez une bonne vocation et vous l’avez rendue mauvaise, vous êtes sur le chemin de la perdre. Prenez garde, mais sans perdre courage, fortifiez votre vocation, rappelez votre ferveur première, non seulement de novice, mais de bonne et jeune religieuse. Il faut que ces jours de grâce et de fidélité reviennent, il faut rectifier vos engagements, les rendre droits, et si quelque chose vient fausser votre vocation, il faut la remettre chaque jour dans la voie droite. Puis, chaque jour aussi, ayez une plus haute idée de votre vocation, méprisez les jugements du monde, estimez grandement une vocation qui est un état de perfection. Je puis vous avouer que j’en sais bien long sur les religieux et les religieuses, plus que le monde peut en savoir; eh bien! malgré tous les abus, toutes les abominations mêmes qui peuvent se glisser dans le cloître, je remercie Dieu de m’avoir appelé à la vie religieuse et je vous félicite, mes Soeurs, d’en avoir reçu la grâce. Estimez donc d’un prix incomparable le bienfait de votre vocation.

Il faudra aussi tous les jours supprimer quelques affaissements. Il est dans l’ordre de la nature que tout se gâte et se corrompe. La religieuse qui peu à peu devient naturelle se gâte aussi, elle s’attiédit, elle tombe en décadence. Comme une maison qui a constamment besoin de réparations pour ne pas se détériorer, il faut sans cesse réparer le sanctuaire de votre âme où Notre-Seigneur veut résider par sa grâce. Il faut examiner les grains de poussière, les fissures, les petites dégradations qui menacent d’augmenter et de faire tomber en ruines; cela fait, votre vocation vous sera d’autant plus précieuse qu’elle vous aura donné plus de peine.

Mes Soeurs, si vous êtes de bonnes religieuse, comme je le pense, vous ne ferez pas une seule communion, une seule visite au Saint Sacrement, sans entendre une voix qui vous dise: « Mon épouse, encore un peu plus haut! » Si vous ne l’entendez pas, c’est que l’oreille de votre coeur est distraite. Si donc Notre-Seigneur dit: Ascende superius (Luc. XIV, 10), c’est qu’après vous avoir appelée d’une manière générale au début de votre vocation, il vous appelle encore dans les détails de votre vie les plus minutieux et les plus intimes. Vous vous croyiez au bout de votre tâche après tel acte solennel, après telle bonne retraite; pas du tout, il faut toujours répéter: Nunc coepi (Ps., L. XXVI, 11). Votre noviciat a été un commencement, votre profession un recommencement; au bout de dix ans, de vingt ans, vous n’êtes qu’au début de votre course, car chaque jour il faut recommencer. Chaque jour Notre-Seigneur adressera un appel nouveau: « Ma fille, encore un peu plus haut! Il y a une foule de petits détails qui me sont chers et auxquels tu n’es pas arrivée encore. » -Peut-être, mes Soeurs, derrière ces détails se trouve un énorme défaut à corriger. -Ainsi votre vocation ira se développant toujours.

Vous trouvez que vous avez fait beaucoup de choses, et le Maître insatiable vous dira toujours d’avancer. Il marchera devant vous comme votre modèle, modèle infiniment parfait, et quand vous croirez voir parcouru beaucoup de chemin, vous demeurerez toujours très loin de lui. Par un divin stratagème d’amour, à mesure que vous vous rapprocherez, il semblera s’éloigner, l’oeil purifié de votre âme mesurant plus clairement l’espace infranchissable qui sépare votre perfection de la sienne. Allez donc toujours dans cette voie royale à la suite d’un tel chef, marchez-y jusqu’à votre dernier soupir.

Oui, Notre-Seigneur est admirable dans le premier appel et dans cette série d’appels nouveaux et toujours plus intimes. Voilà une vocation qui se conserve par un commerce intime avec Dieu. Plaignez-vous donc! Vous voilà entraînée irrésistiblement vers les plus sublimes hauteurs du ciel. Une première fois Notre-Seigneur a dit: Veni, et votre âme a entendu sa voix. Ce n’est pas tout. Chaque jour vous serez appelée, chaque jour une voix retentira au plus profond du sanctuaire de votre âme: « Veni de Libano sponsa mea, veni de Libano, veni: coronaberis de capite Amana, de vertice Sanir et Hermon, de cubilibus leonum, de montibus pardorum. » (Cant. IV, 8.) Viens toujours, marche sans relâche jusqu’au jour où je poserai sur la tête la couronne des vierges, parce que tu as combattu un long et glorieux combat.

Mes Soeurs, le jour arrivera où vous entendrez le dernier appel de Notre-Seigneur. Ce jour sera celui de la mort. Ah! comme il sera précieux ce dernier appel si je puis dire alors que pendant toute ma vie j’ai écouté la voix de Dieu et je n’ai jamais résisté à ses sollicitations! A ce moment suprême de la mort on voit entre les mains de Notre-Seigneur cette belle couronne qu’il veut déposer sur la tête de son épouse, on entend sa voix qui est devenue familière, qui a retenti dans l’âme pendant toute la vie et qui dit encore: « Viens! Viens, non plus pour aller au combat, au travail, car le temps de tes fatigues, de tes douleurs est passé; viens dans la victoire, dans le triomphe de l’éternel bonheur, et je serai à toi pendant les siècles des siècles. » Amen.

Notes et post-scriptum