OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • TRENTE-QUATRIEME CONFERENCE DONNEE LE 19 JANVIER 1871.
    DE LA CHARITE.
  • DA 45; CN 6; CV 33.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AUGUSTIN
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 CREATION
    1 DIEU
    1 EFFORT
    1 ESPERANCE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 GRACE
    1 LIBRE PENSEE
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PREDESTINATION
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 VERTUS
    1 VERTUS THEOLOGALES
    2 ATHANASE, SAINT
    2 BASILE, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JEREMIE
    2 PAUL, SAINT
    3 GENEVE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 19 janvier 1871.
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur.

La charité est une certaine amitié de l’homme par Dieu. Amour de bienveillance. Dieu nous communique sa béatitude; nous lui rendons toute la gloire dont nous sommes capables.

La charité est quelque chose de créé. Caritatem voco motum animi ad fruendum Deo propter ipsum. (S. Aug., De doctrina christiana, 3, 90). Le Saint-Esprit nous donne la charité; il nous la donne en respectant notre liberté.

L’acte de charité dépasse la puissance naturelle, mais n’est pas imposé par Dieu qui nous y pousse par sa grâce et avec douceur: disponit omnia suaviter.

La charité est une vertu qui atteint la règle des actes humains, laquelle est la droite raison, et Dieu. Caritas est virtus, quae, cum nostra affectio est rectissima, conjungit nos Deo, qua eum diligimus. S. Aug., De moribus Ecclesiae.

La charité, [la] plus parfaite des vertus, est une vertu spéciale. Toutes les vertus se rapportent à celle-là, parce qu’elle a Dieu lui-même pour but. La foi cherche en lui le vrai, l’espérance le bien, la charité Dieu même.

Et sans la charité pas de véritable vertu, et par la charité toutes les vertus sont disposées pour la fin dernière qui est Dieu.

Le sujet de la charité est la volonté intelligente. La charité nous est communiquée par infusion. La charité nous est donnée selon la volonté du Saint-Esprit: Haec omnia operatur unus et idem spiritus, dividens singulis prout vult. Unicuique nostrum data est gratia secondum mensuram donationis Christi.

La charité peut s’accroître sans cesse. Elle s’accroît, non par addition, mais par intensité. Nul ne peut dire jusqu’où elle peut croître. Quoiqu’elle ne soit pas parfaite en ce monde, on peut la dire parfaite en un sens. La charité est imparfaite du côté de Dieu aimé, parfaite si nous l’aimons autant que nous pouvons. Les commençants, les avançants, les parfaits. La charité peut aussi être diminuée. Le péché mortel tue la charité.

Texte stenographié de la conférence.

Mes chère filles, -Nous avons traité dans notre dernière Conférence de la vertu d’Espérance; auparavant nous avions étudié la Foi, aujourd’hui nous aborderons la question de la Charité. Je suivrai St Thomas et je vous en lirai même quelques pages. Ce sujet de la Charité nous apparaît comme la question capitale, parce que la Charité est le terme de toutes les vertus, l’union entre l’âme et Dieu; elle restera quand la Foi et l’Espérance auront disparu, elle règnera au Ciel dans la gloire de la béatitude. « Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec; major autem horum est Caritas » (Cor. XIII, 13).

La Charité est donc le point culminant de notre âme, le développement le plus parfait de l’être humain. Nous ne saurions donc trop insister sur cette notion de la Charité et nous allons examiner aujourd’hui et dans les Conférences suivantes ce que c’est que la Charité, quelle en est la nature, quel est l’objet de la Charité, quel en est le sujet, enfin nous déduirons les conséquences.

1° -Qu’est ce que la charité? St Thomas établit que la Charité est une certaine amitié que l’homme a pour Dieu. C’est une disposition par laquelle on a de l’amour de bienveillance pour la personne qu’on aime. La Charité implique donc une réciprocité de bienveillance, une mutualité d’affection; et ici nous trouvons le magnifique principe posé dans St Jean: « In hoc est caritas: non quasi nos dilexerimus Deum, sed quoniam ipse prior dilexit nos » (I Joan IV/10). Dieu nous a aimé dès le commencement d’un amour de bienveillance selon cette parole: « In caritate perpetua dilexi te » (Jérémie). Comment cela se fait-il? Comment Dieu peut-il aimer des êtres qui ne sont pas encore sortis du néant? Ici, il faut examiner la réalité des êtres en Dieu et l’expliquer par un raisonnement philosophique. Les êtres existent quand ils sont produits au dehors, ils ont une existence réelle en Dieu de toute éternité. Dieu est essentiellement simple; s’il était double il serait décomposable; s’il était décomposable, il serait susceptible de mutation; s’il était susceptible de changement, il ne serait pas parfait, donc il ne serait pas Dieu. Dieu étant infiniment simple, tout ce qui est en Dieu est éternel; si tout en Dieu est éternel et que la connaissance de notre être soit en Dieu, elle est éternelle aussi; et si la connaissance de notre être est éternelle, notre connaissance est la substance de Dieu sont une même chose. « Et propter erant et creata sunt », elles avaient déjà une existence; vous toutes mes Soeurs, de toute éternité vous avez existé en Dieu et fait partie de la substance de Dieu, comme étant connues de lui. Il ne faut pas ici tomber dans la panthéisme; je n’entends pas dire que les hommes existaient en Dieu selon leur nature créée, mais que la notion de votre être est éternelle. Vous voyez donc dans quelle mesure Dieu vous aime et c’est le point sur lequel je veux insister. « In caritate perpetus dilexi te ». De toute éternité, Dieu avait conçu le type de votre être; il connaissait les imperfections de votre être, la tâche de votre origine et de toute éternité il vous attire à lui par la grâce du Baptême. Je t’ai vue avec ton péché et j’ai eu pitié de toi, je t’ai attiré vers moi « attrasi te, miserams tui ». Cela est de foi,la connaissance de vous était en Dieu; cette connaissance est l’essence, la substance de Dieu, ou bien il faut dire que Dieu n’est pas simple. Donc tout être existe en Dieu préamblement à sa production extérieure. Dieu a la connaissance de tous les êtres qu’il crées dans le temps et Dieu les aime, il a même aimé les damnés; et cette connaissance et d’amour, c’est son essence même. Vous pouvez donc juger par là quel est la nature de l’amour que Dieu vous porte. C’est avec son essence très simple qu’il vous aime, c’est dans sa connaissance très simple qu’il vous connaît et c’est avec sa bonté qu’il vous veut du bien, qu’il vous souhaite le bonheur le plus parfait que vous puissiez atteindre. Quelle ardeur doit avoir la créature pour rendre à Dieu cette immensité d’amour qu’il lui porte. (Nous verrons plus tard que cet amour de Dieu pour sa créature ne peut pas être infini, il est immense, c’est un amour dans l(infinité de Dieu). Ainsi donc la charité est une amitié pour Dieu par laquelle nous voulons du bien à Dieu comme lui-même nous veut du bien. Cette bienveillance réciproque suppose une communication quelconque; elle existe entre l’homme et Dieu en ce qu’il nous rend participants de sa béatitude. Cette communication implique une amitié. Or l’amitié qui est fondée sur cette communication c’est la charité.

Dieu nous offre la béatitude; la créature répond par les souhaits de gloire éternelle « sanctificetur nomen tuum« . Que votre règne arrive, que votre nom soit connu, glorifié par tout l’univers, qu’un auréole de gloire plus resplandissante encore entoure la majesté du Seigneur; tel est le cri de la nature aimante répondant au premier mouvement d’amour de la part de Dieu. Si nous comprenons ces choses, si nous sommes pénétrées de la grandeur de l’amour de Dieu pour nous, voyez, mes Soeurs, comme notre seule et unique préoccupation devra être de rendre à Dieu honneur, louange, gloire, sanctification, autant que nous en sommes capables. Vous ne vous doutiez pas que de cette simplicité de Dieu découlait la notion de l’amour que Dieu nous porte, et que cet amour n’était pas autre chose que son essence même.

Nous poserons encore avec St Thomas cette question: La Charité est elle quelque chose de créé? Pierre Lonmbard dans son livre des Sentences avait enseigné que la charité n’est pas une chose créée dans l’âme mais qu’elle est l’Esprit Saint lui-même habitant en elle. L’homme étant incapable d’aimer Dieu, Dieu aurait donné le Saint Esprit pour aimer dans l’homme d’une manière digne de Dieu. C’est une doctrine inexacte et il est important d’établir cette question de l’amour de Dieu sur des principes très théologiques, car on peut facilement s’égarer; les discussions de Fénelon et de Bossuet sont là pour nous en donner la preuve. Ainsi donc il faut répondre avec St Thomas que l’amour que nous portons à Dieu est quelque chose de créé. St Paul nous dit: « Caritas Dei diffusa est in cordibus nos tris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis« .

De même que les docteurs de l’Eglise, St Athanase, St Basile disent que Dieu a créé le monde par son Fils dans le St Esprit et que dans cette oeuvre ils n’ont fait que quelque chose de fini, de créé, de même il faut dire que Dieu ne peut produire l’infini en dehors de lui-même, car par là il serait détruit; donc il ne peut pas mettre l’infini qui est lui-même dans notre âme. Le St Esprit forme la Charité dans l’âme, il ne s’y forme pas lui-même. Si nous disons le contraire, nous tombons dans le panthéisme. Donc la Charité est quelque chose d’essentiellement créé, elle est infuse, le St Esprit la répand dans notre coeur; et de même que Dieu dans sa toute puissance n’a pu faire que des créatures, de même l’amour qu’il leur porte est quelque chose de limité. La créature finie ne peut contenir l’infini. Ce qui reste en Dieu seul est infini, et tout acte qu’il produit au-dehors, infini dans son principe, est fini quant à son objet. Qu’est ce donc que la Charité? St Augustin la définit ainsi: « Caritatem voco motum animi ad fruendum Deo propter ipsum ». Et mes Soeurs cette définition va tout de suite nous faire établir la différence entre la charité, la foi et l’espérance et nous montrer comment la charité les domine. La vertu de foi considère Dieu comme Vérité infinie, l’espérance comme Dieu suprême. Par la foi, mon intelligence cherche Dieu pour se plonger dans la lumière éternelle, par l’espérance, j’aspire à Dieu en un de ses trésors, de ses biens, des qu’il m’a promis; par la charité je cherche Dieu uniquement pour lui-même. L’âme trouve son compte en tant qu’intelligence par la foi, en tant que volonté par l’espérance. Ici elle ne cherche Dieu que par un amour de bienveillance, par la charité; ce n’est plus par l’amour d’un bien quelconque.

Vous voyez au fond la différence substantielle entre ces trois vertus et comment la charité est plus parfaite que la foi qui considère Dieu au point de vue de la vérité, que l’espérance qui le considère au point de vue du bonheur; la perfection est dans ceci: chercher Dieu à cause de lui-même. Dieu veut cela, il demande à sa créature de l’aimer non pas en tant qu’il est la beauté infinie comme Vérité, non pas en tant qu’il est la bonté suprême et la source de tout bonheur, mais pour lui-même. « Mon Dieu, je vous aime par dessus toutes choses parce que vous êtes souverainement aimable ». Remarquez, mes Soeurs, que de sentiment de vouloir être aimé pour soi n’est légitime qu’en Dieu et disons en passant que lorsque la créature veut se l’attribuer, c’est un acte d’injustice et de folie. Répétons que la Charité est un amour de bienveillance; et de même que vous êtes plus reconnaissantes envers les personnes qui vous aiment pour vous même qu’envers celles qui vous rendent leur affection en vue de tel intérêt personnel, de telle petite satisfaction que vous leur procurez, de même Dieu veut avant tout être aimé pour lui-même et non en vue de ses dons, et c’est en cela que la charité est la plus parfaite de toutes les vertus.

Remarquez encore qu’il y a deux choses dans la Charité. Il y a un don de Dieu et notre concours. Le don de Dieu est exprimé par ces paroles: « Caritas Dei diffusa est« ; et encore dit: dans notre âme comme une rosée, une douce pluie envoyée de la part de Dieu. Mais cette infusion d’amour dans notre âme, est-elle quelque chose de fatal, d’inévitable? Non; l’Esprit Saint la reprend mais il ne l’impose pas; il respecte notre liberté, il faut le concours de notre volonté. Voilà le mystère de la charité, mes Soeurs, des rapports de l’être infini avec sa créature et ceci ne vous sentez vous pas couvertes de confusion devant ces merveilles de l’amour de Dieu. Voyez ces relations de toute âme avec son Créateur. De toute éternité il vous aime, vous existez dans sa pensée, et il vous prévient de ses grâces, il vous crée, il vous prédistine, puis il vous produit dans le temps et il vous envoie les grâces qu’il vous a destinées. Le voilà qui vous attire, qui vous fait comme des avances, qui se présente à vous dans la splendeur de ses éternelles perfections et puis vous dit: Je suis l’infini, me trouves-tu assez grand? Je suis la beauté suprême, me trouves-tu assez beau? Je suis le tout puissant, me trouves-tu assez riche? Qu’est ce qui t’empêche de t’attacher à moi de toute la puissance de ton être? Je t’aime, pourquoi toutes les forces de ton coeur ne seraient-elles pas employées à m’aimer aussi? Tel est le langage que Dieu tient à ses créatures, voilà ce que J. C. répète sans cesse du fond de son tabernacle. Mais ira-t-il plus loin, contraindra-t-il ce coeur ingrat et rebelle à s’ouvrir aux effusions de l’amour divin? Oh non, Dieu respecte notre libre arbitre. Je t’offre mon amour et tu n’en veux pas, qu’il en soit comme tu l’a voulu. Ce serait un jeu de ma puissance de te l’imposer d’une manière fatale mais je t’ai donné la liberté et je te la laisses, même si tu veux en user contre moi. Je veux bien te prévenir, mais si les merveilles de ma tendresse n’attirent pas ton coeur, garde le pour toi, je ne te forcerai pas à m’aimer, je respecte ta volonté. De façon, mes Soeurs, que dans ce mystère de la Charité, il y a union de l’amour de Dieu et de l’amour de la créature dans sa liberté. Mais comment aimera-t-elle cette créature livrée à elle même dans l’exercice de sa liberté? Elle est incapable de produire un acte de charité parfaite; le coeur humain ne peut pas aimer Dieu comme il lui convient d’être aimé. « Spiritus autem adjuvat infirmitatem nostram« . L’esprit de Dieu vient à notre aide et il faut entendre dans notre âme ses gémissements. Ce que sont ces gémissements divins, nous ne pouvons le comprendre, ils sont inénarrables, au-dessus de nos forces; de nous-mêmes nous ne les connaîtrons jamais. Voyez encore les prévenances adorables de Dieu. Je ne puis m’élever jusqu’à Dieu et voilà qu’il me prend, qu’il me soulève, me transporte, me donne des ailes pour que je prenne mon vole vers Lui. C’est là le travail perpétuel de Dieu; le St Esprit, se tournant vers les créatures, est en quelques sorte là les attirant sans cesse par une aspiration vers Dieu. Comprenez-vous alors le péché de la créature lorsqu’elle n’aime pas son Dieu? Comprenez-vous l’indignation de Dieu quand l’âme résiste à tant de prévenances d’amour et qu’elle repousse l’Esprit qui lui est envoyé: Dieu est là avec les trésors de sa puissance et de son amour; il les offre et on n’en veut pas. Ah! Sa colère s’allume quand il dit à sa créature: Quoi, je t’ai appelée à entrer en participation de ma béatitude, je veux être ton Maître, ton ami, ton bonheur, moi le Bien suprême, et tu ne veux pas que je te porte ma Charité! Comment, de toute éternité je t’aime et tu ne veux pas m’aimer l’espace de ta vie! Dans cette infusion de son amour, Dieu agit quelquefois avec une certaine force comme pour St Paul renversé sur le chemin de Damas, mais toujours avec une grande douceur. « Attingit de fine usque ad finem fortiter et disponit suaviter omnia » (Sap). St Paul fut terrassé, mais il s’est rendu dans la plénitude de sa liberté; la grâce est forte, mais elle ne violente pas. « Fortiter et suaviter« . C’est l’histoire de toute âme qui se livre à la grâce; elle trouvera toujours une suavité immense dans l’amour de Dieu quand elle voudra s’y abandonner. Parfois, l’âme parait délaissée, J.C. l’a été; et elle répète avec lui les paroles du calvaire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonnée? Mais au fond de ses angoisses inexprimables, l’âme est paisible, mes Soeurs, heureuse même; elle trouve qu’il est bon de souffrir parce que la souffrance purifie, et elle aime le moyen que Dieu lui offre pour qu’elle se rapproche de Lui; elle voit le terme qui est l’union avec J.C. et cette âme qui se croit abandonnée, flagellée par la justice, elle sait que toutes les fois qu’il y a l’amour on ne l’est que par la miséricorde et le fruit de cette épreuve que sera-t-il sinon un amour plus grand! C’est pour cela que la Charité est une vertu, car qui dit effort dit vertu, et plus la Charité est un acte parfait, plus elle prend le caractère de la vertu. Rien ne peut être plus une vertu que l’acte par lequel j’arrive au terme de mon être. J’atteins ce terme quand j’arrive à l’union avec Dieu, et cela se fait par l’amour. Vous voyez donc l’excellence de cette Charité qui est le terme de toutes les vertus et à laquelle toutes les autres se rapportent parce qu’elle a Dieu seul pour but. La foi la précède, j’ai besoin de connaître ici-bas; mais un jour viendra où la foi tombera et les voiles disparaîtront. Dieu est encore sur la terre le terme de mon espérance; j’ai besoin d’espérer; mais quand je serai en possession de souverain Bien, j’oublierai le bonheur promis pour le contempler et m’en rassasier. La Charité seule demeurera. « Caritas Dei manet in aeternum« . Comme St Thomas je m’écrierai: « Mon Seigneur et mon Dieu! » Mon incrédulité, mes espérances, tout sera comme absorbé dans la vision bëatifique. Au delà de la connaissance de Dieu par la foi, des trésors qu’il nous réserve, il y a plus et nous l’aurons atteint: Dieu Lui-même! Nous avons dit que toutes les vertus se rapportent à la Charité. Obéissance, zèle, mortification, prudence, force, justice, tout cela doit se produire sous l’action de la Charité et n’a d’autres mérites que ceux que la Charité leur donne. (Libres penseurs: devoir pour devoir, vertu pour vertu, absurdité de leur système. Qu’est ce qui en résulte: on veut oter Dieu et l’homme se suffit à lui-même. Le devoir fatal, comme l’enseignent les protestants de Genève. Dans la pratique, on voit les personnes scrupuleuses se heurter la tête contre le péché lui-même, la violation du devoir pour le devoir. Ce n’est pas cela, il faut détester le péché parce que Dieu le défend et que la violation de la loi de Dieu est une désobéissance, une offense envers Dieu. Piété roi de sans la vie de l’amour). Je revins à ce que nous disions: la Charité est une vertu spéciale, elle donne la forme aux vertus. C’est là l’abîme qui nous sépare de la libre pensée et de la libre morale. Il n’y a pas de vertu sans amour de Dieu; et pour ces gens-là la vertu consiste dans l’accomplissement d’une certaine loi pour la loi; la vie ne saurait être où Dieu n’est pas, or il est absent de cette loi, donc elle est morte; la morale qu’elle produit est morte, et l’espèce de vie qui semble en découler n’est qu’une vie morte. On a dit des mathématiques qu’elles étaient de la Sagesse éternelle. Quoiqu’il en soit, les hommes a donnés à cette science reconnaissent qu’elle a quelque chose de mort, et celui qui veut toujours raisonner mathématiquement déraisonne souvent. Il en est de même de la morale des libres penseurs. Ainsi dans la morale catholique, ce qui est vivant, c’est Dieu. Lui seul met la vie, il donne la loi vivante. « In ipso vita erat et vita erat lux hominum. » C’est la vie de Dieu qui devient la règle des actes humains et qui fait la sainteté. La sainteté est quelque chose d’essentiellement vivant. La perfection de la Loi c’est l’Amour, c’est obéir à Dieu et accomplir ses préceptes dans la Charité, c’est aimer Dieu pour Lui-même. Nous atteignons ainsi dès ici-bas la fin pour laquelle nous avons été créés, nous trouvons en Dieu notre repos car la loi de notre être, c’est que notre coeur s’arrête en Dieu. Vous nous avez faits pour vous Seigneurs, et notre coeur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en vous. Mais la Charité est une vertu et qui dit vertu dit effort. Ce n’est en effet que par un effort réel et continuel que notre nature corrompue par le péché peut tendre à Dieu et le chercher; tant que nous serons sur la terre, nous n’aimerons Dieu qu’avec effort, au ciel seulement notre amour sera le repos. Voilà notre situation sur la terre, Dieu nous aime le premier et nous aimons Dieu. Il y a dans les rapports entre Dieu et sa créature comme un flux et un reflux, un va et vient. L’infusion de l’amour et de la vie de Dieu dans nos âmes et la réfusion de cet amour accepté par nos coeurs. C’est par ce retour que notre être tout entier revient à Dieu et se perd en Lui et c’est la vie catholique animée du souffle de Dieu, la vie vivante si je puis ainsi dire, tandis que la libre pensée n’a qu’un principe de mort. C’est la loi de toute âme chrétienne mais il y a de plus pour les Religieuses une obligation de donner à cet amour toute la perfection possible et c’est là la différence entre la vie des Religieux et des simples fidèles, quoique N.S. ait dit à tous: « Estote perfecti. » Examinons maintenant quel est le sujet de la Charité, c’est à dire le moyen avec lequel on atteint l’objet. Le sujet de la Charité est la volonté éclairée par l’intelligence, c’est à dire ici-bas par la Foi, au Ciel par la vision. Je dois aimer Dieu avec ma volonté intellective, pas avec mes sens, personne n’a jamais vu Dieu, à quoi me serviraient ici mes sens? Mais j’aime avec le plus pur de mon être, avec ma volonté. St Thomas se pose encore cette question: La Charité nous est-elle donnée d’après la capacité de nos facultés naturelles? Non, est c’est là une consolation pour celles qui auraient un moindre degré d’intelligence; en fait de sainteté, cela n’importe pas. « Haec autem omnis operatur unus atque idem Spiritus dividens singulis prout vult » (I Cor XII/11). et St Jean: « Spiritus ubi vult spiret » (III/8). La charité nous est donnée selon la volonté du St Esprit. Il souffle où il veut, il distribue ses dons comme il lui plait. Il donne le don d’oraison, l’obéissance, la mortification, le zèle, l’apostolat, à chacun sa part; non prout voluit, mais prout vult Chacun a son don qui se termine par la Charité; Dieu fait comme il l’entend; les dons de grâce qui précèdent ou accompagnent la Charité, tout cela vient gratuitement du St Esprit. C’est là le mystère. Cependant nous pouvons établir que le St Esprit ne se laisse jamais dépasser en générosité, et plus l’âme concourt à l’action de Dieu, plus le St Esprit multiplie ses grâces. Je répète ici ce que j’ai déjà dit: Nul ne peut savoir à quel degré de sainteté arrivera l’âme fidèle. Mais pour cela il faut la correspondance absolue de votre part. Arriverez-vous pour cela à la perfection de la Charité ici-bas? Il y a une distinction à faire. Si vous la considérez du côté de Dieu objet aimé, jamais vous n’atteindrez la perfection de la Charité ni sur la terre ni même au ciel. Mais la Charité peut être parfaite relativement à son sujet, c’est-à-dire que dès ici-bas nous pouvons avoir une certaine Charité parfaite, dit St Thomas, si selon nos dispositions, nous aimons Dieu autant que nous en sommes capables. Si donc selon les grâces que vous avez reçues et la nature que Dieu vous a donnée, vous produisez un acte de Charité avec tout l’amour dont vous êtes capables, vous pouvez faire un acte de Charité parfaite, relativement à ce que votre volonté donne. Mais votre Charité n’en restera pas là; elle est loin d’avoir atteint sa plénitude; l’acte de demain produit avec un redoublement de grâces devra être plus intense que celui d’aujourd’hui. De sorte que si vous êtes fidèles, votre Charité, pour être parfaite aujourd’hui selon vos dispositions, n’en devra pas moins croître incessamment à cause de son objet qui est Dieu. Le jour de votre profession en prononçant vos voeux perpétuels, vous avez sans doute fait un acte de charité parfaite, parce que malgré la suppression de voeux solennels, vous avez donné à Dieu tout ce que vous pouviez donner. -Mes Soeurs, chaque jour vous pouvez grandir en amour et faire des actes de charité parfaite; et voilà une fille qui ne ferait pas effort pour corresponde à la grâce, qui ne recevrait pas le pain quotidien que Dieu lui donne chaque jour pour s’en nourrir et avancer dans la sainteté? Faites-vous donc violence, donnez le plus que vous pouvez à chaque instant de votre vie, sauf à recommencer toujours, et croître en vertu, en amour, en sacrifice, ajoutant quelque chose de plus ardent à la ferveur de votre charité. « Cum consummaverit homo tunc incipiet* » (Eccl. XXXIV, 18). Nous venons d’établir que la Charité s’accroît. Mais il faut dire avec St Thomas toujours qu’elle ne s’accroît pas par addition mais par intensité. Ce ne sont pas de nouveaux sentiments qui s’ajoutent aux sentiments, c’est évident; mais le même sentiment qui réside au fond du coeur et auquel viennent s’ajouter de nouveaux degrés d’intensité. -Je terminerai en lisant deux passages de St Thomas sur la manière dont la Charité doit s’accroître dans l’âme -« 3 degrés dans la Charité: 1° celle des commençants; 2° des progressants; 3° des parfaits.

1° Quand la Charité est née, elle s’alimente; 2° quand elle a été alimentée elle se fortifie; 3° quand elle a été fortifiée, elle devient parfaite, dit St Augustin. Cette distinction repose sur ce que la Charité consiste principalement pour ceux qui commencent à s’éloigner du péché; pour ceux qui progressent, à s’exercer dans les vertus; et enfin pour ceux qui sont parfaits, à désirer s’unir à Dieu et le posséder. Le 1er degré consiste à s’éloigner du point de départ, le 2ème à se rapprocher du terme, le3ème à tendre à se reposer dans le terme lui-même. » -Je ne veux pas, mes Soeurs, parler du péché mortel qui, séparant l’âme de Dieu, détruit entièrement la Charité. Je vous engage seulement à prier J.C. de telle façon que jamais péché mortel ne vienne tuer la Charité dans votre âme; je vous engage aussi à voir comment le péché véniel peut amoindrir la Charité et comment vous pouvez réparer les effets du péché véniel; un rien diminue la Charité, un rien aussi la rétablit dans nos âmes. -Demandons-nous aussi ceci: Dieu m’a donné une volonté pour l’aimer. A quoi l’ai-je employée jusqu’ici, à quoi veux-je l’employer dans l’avenir? Je pense, mes Soeurs, quoi qu’il en soit du passé, que vous n’aurez qu’une réponse à donner à N.S. et que jetant votre regard sur l’éternité, vous voudrez à tout jamais fixer votre volonté en Dieu pour l’aimer dans le temps et dans les siècles éternels. Ainsi-soit-il.

Notes et post-scriptum