OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUARANTE DEUXIEME CONFERENCE DONNEE LE 9 FEVRIER 1871.
    DE L'EUCHARISTIE
  • L'Eucharistie, lumière de vie. Bar-le-Duc, Imprimerie Saint Paul, 1953, p. 13-30. (Cahiers d'Alzon, II.)
  • Canevas: CV 33; Texte: DA 46; CN 8.
Informations détaillées
  • 1 ADORATION
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ANNONCIATION
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 ASSOMPTION
    1 AUGUSTIN
    1 BUT DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 CORPS DE JESUS-CHRIST
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DONS DU SAINT-ESPRIT
    1 EGLISE
    1 ESPRIT APOSTOLIQUE DE L'ASSOMPTION
    1 EUCHARISTIE
    1 FIDELES
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GLORIFICATION DE JESUS-CHRIST
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST NOURRITURE DES AMES
    1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LITURGIE DE LA MESSE
    1 MARIE
    1 OEUVRE DE JESUS-CHRIST
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PAPE
    1 PECHE
    1 PRETRE OFFICIANT
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REDEMPTION
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SACRIFICE DE LA MESSE
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 TIEDEUR
    1 TRINITE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 UNITE DE L'EGLISE
    2 ADAM
    2 GABRIEL, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 THERESE, SAINTE
    3 BETHLEEM
  • Religieuses de l'Assomption
  • 9 février 1871
  • Nîmes
La lettre

[Plan de l’Auteur].

Création, transsubstantiation, transformation.

Trinité: Dieu le Père avec sa justice et sa puissance; Dieu le Fils, avec sa sagesse et l’ordre qu’il rétablit; Dieu le Saint-Esprit avec son action par l’amour.

Incarnation en Marie, à l’autel, dans l’Eglise, dans le fidèle.

Redemption. –Consecrantur et sanctificantur manus istae.

Par l’amour, par la communion.

Formation de l’unité de l’Eglise. Unum corpus multi sumus.

Culte. -Victime universelle. Voilà pourquoi il lui faut tant d’autels. Il lui faut un culte universel.

[Texte stenographié de la conférence].

Mes soeurs,

Il est certain qu’aujourd’hui le culte de Notre-Seigneur prend des proportions toutes spéciales et on est frappé de ceci: à mesure que le Vicaire de Jésus-Christ semble descendre de son trône temporel dans les humiliations de l’abaissement, Notre-Seigneur semble remonter avec plus de splendeur et de majesté sur son trône dans les temples du monde Chrétien. Jésus-Christ sort de son tabernacle; il n’est plus le Dieu caché, il paraît pour se manifester aux hommes dans l’éclat de sa puissance; lui, le véritable Roi, il semble dire: « Vous ne voulez pas de mon Vicaire, je viens à sa place accipere regnum et reverti: dans le dessein de recevoir la royauté. »(1)

Quand on étudie attentivement la question générale et sociale de l’Eglise, on voit que chaque jour l’Eucharistie prend une place plus importante. A ce point de vue, il est essentiel que les religieuses adoratrices, qui ont le bonheur, comme vous l’avez, de donner une large part de leur vie au culte de l’Eucharistie, se rendent parfaitement compte de ce qu’est l’Eucharistie. Je voudrais donc vous montrer tout ce que contient en lui-même ce mystère, et puis aussi tous les points mystérieux de la croyance catholique avec lesquels il nous met en rapport. C’est pourquoi j’ai pris pour texte ces paroles des Saintes Ecritures: « Memoriam fecit mirabilium suorum, misericors et miserator Dominus: escam dedit timentibus se: il a laissé un souvenir de ses merveilles; le Seigneur est miséricordieux et compatissant. Il a donné une nourriture à ceux qui le craignent. »(2) L’abrégé de toutes les merveilles de Dieu se trouve dans la nourriture qu’il donne à ceux qui le craignent: c’est l’Eucharistie. Examinons donc l’Eucharistie en elle-même et tirons de cette considération des points de vue pratiques.

Répétons d’abord la définition du catéchisme: « l’Eucharistie est un sacrement qui contient réellement et substantiellement le corps, le sang, l’âme et la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ sous les espèces ou apparences du pain et du vin. »

A la parole du prêtre il s’opère donc un changement: les apparences du pain et du vin seules subsistent, et là-dessous se trouve un corps très saint, très pur, la chair adorable du Sauveur. C’est donc une création nouvelle qui s’accomplit et par un acte tout-puissant qui rappelle dans l’ordre de la foi le mystère de la création première. Jésus-Christ est là, résultat immédiat d’une création nouvelle, comme Adam l’a été de l’acte de la toute-puissance créatrice; avec cette différence que Dieu une première fois, a exercé sa puissance sur le néant et que du néant il a fait le monde, tandis qu’ici Dieu ne tire pas sa création du néant, mais il transforme la substance et l’anéantit. Ce mystère de la transsubstantiation est un acte de toute-puissance infinie égale à celle qui a fait jaillir le monde du chaos. J’y vois un double acte: la destruction de la première nature créée, puis un retour de substance et comme une seconde création infiniment plus belle. Il y a là, sous les apparences eucharistiques, le corps, le sang, l’âme de Notre-Seigneur; il y a là un Dieu.

Et maintenant demandons-nous pourquoi Dieu a fait cette merveille de sa puissance, pourquoi l’Eucharistie? Escam dedit timentibus se. Il a voulu se donner en nourriture à ceux qui le craignent pour opérer en eux le même miracle qu’il accomplit dans l’Eucharistie elle-même sur la substance du pain et du vin. L’Eucharistie, le pain et le vin transformés au corps et au sang du Sauveur, c’est l’image, c’est le gage de toutes les destructions, de toutes les transformations qui peuvent se faire en nous par la vertu du sacrement. De même que la substance matérielle est détruite pour faire place à la chair du Christ; de même, moi, âme fidèle pour qui ce pain a été pétri, je puis me transformer, me transfigurer, et la manière dont Dieu a fait cette création nouvelle de l’Eucharistie est le modèle du travail transformateur qui peut s’opérer dans mon âme. Cet acte créateur, par lequel ces éléments grossiers sont détruits, me dit comment tout ce qui est corrompu dans mon humanité pécheresse peut être réformé, purifié, revêtu d’une beauté nouvelle. Et la nourriture céleste à laquelle je participe, chef-d’oeuvre de la toute-puissance divine, se présente à moi à la fois comme modèle de ma propre transfiguration et comme gage, car elle apporte avec elle la vertu du miracle et de son seul contact s’exhale la toute- puissance divine. Premier mystère, admirable effet de la communion qui doit me ravir d’étonnement et me transporter de reconnaissance.

Dieu touche au néant par la destruction des éléments premiers. Il dit au pain et au vin: « Retire-toi; me voilà avec mon humanité et ma divinité tout ensemble. Je viens prendre ta place. » Puis il descend vers l’âme fidèle et il tient un langage semblable; « Retire-toi avec ta corruption et tes faiblesses, et laisse ma sainteté, ma pureté resplendir à la place. Fais-moi un trône et je demeurerai en toi. De même que pour me faire ton aliment je viens de transformer ces substances grossières en mon propre corps, de même je veux te transformer en moi, te parer de ma beauté, t’enrichir de ma grâce. Je veux qu’il ne reste que les apparences de ta fragile humanité, je veux que ta vie passe dans la mienne et que tu puisses en toute vérité t’appliquer les paroles de mon Apôtre: « Vivo autem, jam non ego: vivit vero in me Christus: si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »(3)

Adorable mystère, vertu vraiment divine, création mystérieuse et ineffable! Livrons nos âmes à cette transformation céleste. Jésus-Christ veut l’accomplir à chaque visite qu’il daigne faire à sa créature.

Mais ce n’est pas tout, je découvre quelque chose de plus dans l’Eucharistie; j’y vois le travail de Dieu le Père, de Dieu le Fils, de Dieu le Saint-Esprit. Dieu le Père, avec sa toute-puissance, reproduit l’acte créateur; avec sa justice il poursuit le péché jusque dans les dernières gouttes du sang de son Fils.(4) Le sacrifice de Jésus, c’est le seul hommage digne du Père et le seul acte d’adoration convenable rendu à la majesté de Dieu. Les droits de Dieu, mes Soeurs, ils s’exercent sur le Verbe fait chair. Après le Calvaire, vous ne les trouverez pas plus satisfaits que dans le mystère de l’Eucharistie. Au Calvaire, la justice de Dieu s’assouvit, avec cette différence que les flèches de la colère de Dieu ont bu le sang de Jésus-Christ qui découlait de son corps sacré sur la croix et que, dans l’Eucharistie, les flèches de la colère de Dieu vont chercher le sang de Jésus-Christ dans l’âme du fidèle. Il coule comme un torrent purificateur dans l’âme déjà lavée par le baptême et la pénitence, et chaque fidèle qui possède Jésus-Christ par la communion, qui laisse entrer dans son coeur les flots de ce sang sauveur et purificateur, peut dire à Dieu: « J’ai la victime expiatrice en moi, je porte les fruits de son sacrifice, je le place entre mon péché et la justice de Dieu le Père. Elle s’apaise, elle s’assouvit sur la victime, et la paix qui a été une fois faite sur le Calvaire se renouvelle dans mon âme. L’Eucharistie renouvelle l’oblation de la croix, elle en applique tous les fruits à mon âme.

Le Fils est la Sagesse infinie. Le désordre a été apporté dans le monde par le péché; l’ordre, par le mystère de la Rédemption. Cette restauration de l’ordre que Notre- Seigneur accomplit d’une manière générale au Calvaire, il la fait aussi dans chaque âme en particulier par l’Eucharistie; il apaise, il règle, il coordonne.

Je ne sais si vous vous rendez compte, dans vos actions de grâces, de la manière dont Jésus-Christ doit rétablir l’ordre en vous. Le désordre est le fils du péché, l’ordre au contraire est la condition de toute âme qui est en paix avec Dieu et pour vous qui tendez à la perfection, il est nécessaire d’établir l’ordre dans votre âme. C’est Jésus- Christ qui vient l’apporter et vous le trouvez dans l’Eucharistie. Ne vous contentez donc pas d’adorer Jésus-Christ dans votre action de grâces, demandez-lui aussi de rétablir l’ordre en vous. L’excès de vos défauts, les préoccupations terrestres, les penchants au mal sont venus porter le trouble dans votre âme. Quand je reçois le corps du Fils de Dieu, Sagesse éternelle, je porte en moi la source de l’ordre; je n’ai qu’à puiser en lui pour rétablir en moi un ordre admirable. Si je le veux, mon âme peut se transformer.

Ce n’est pas tout. Jésus-Christ par l’Eucharistie porte aussi la lumière. « Erat lux vera, quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum: La vraie lumière était celle qui éclaire tout homme venant en ce monde. »(5) Celui qui vient rétablir l’ordre dans mon âme va aussi l’illuminer de ses divines clartés, et c’est une conséquence évidente. Le péché, avec le désordre, a rempli mon âme de ténèbres et ces ténèbres sont l’obstacle au rétablissement de l’ordre. Il faut que j’y voie pour régler, coordonner toutes choses. Lorsque Jésus-Christ apporte la lumière par l’Eucharistie, lorsque, dans la lumière eucharistique, un rayon de la splendeur de la foi vient illuminer mes ténèbres, je me rends compte du désordre qui a crû à la faveur de ces ténèbres; les profondeurs secrètes de ma misère et de ma corruption sont mises au grand jour; mon âme entière est comme baignée des flots de lumière et de pureté céleste qui repoussent la corruption, dissipent l’obscurité. Je sais où est mon mal, je sais où trouver le remède; je possède en moi le principe d’un ordre merveilleux, je puis rendre à mon âme transfigurée la beauté d’une innocence reconquise.

Mais je n’ai pas seulement une intelligence qui a besoin de lumière, j’ai un coeur qui a soif d’amour. Et ici va se faire sentir l’action du Saint-Esprit. Oui, le Saint-Esprit, Dieu d’amour, est le grand opérateur dans ce mystère suprême de l’Amour. Il travaille sans cesse dans l’Eucharistie, il répand les divines ardeurs, il prépare l’union mystérieuse et intime. Mais, de mon côté, il faut que je corresponde à cet amour, que je m’y livre entièrement, et alors une autre transformation s’opère. Ma froideur, ma tiédeur, mes affections déréglées, tout enfin se renouvelle, se perfectionne et devient sous l’action de Dieu esprit de charité, le pur amour divin. Dans le sacrement de Confirmation, je l’ai déjà reçu, « pignus Spiritus: le gage de l’Esprit- Saint ».(6) Mais je puis dire que dans l’Eucharistie j’ai le gage d’amour par excellence et je dois y corresponde par l’amour.

Voyez donc les magnifiques effets de l’Eucharistie. Me voilà, moi pécheur, me relevant de l’abîme de mes hontes, plein d’espérance dans la justice satisfaite, la paix faite, l’ordre rétabli à la clarté d’une lumière nouvelle qui resplendit dans mon âme, et dans laquelle, par un transport d’amour, je m’unis à Dieu. C’est l’oeuvre de la Trinité tout entière. Si je le veux, si je me livre, je suis appelée à vivre en union permanente avec l’adorable Trinité.

Que dirai-je du mystère de l’Incarnation? Jésus-Christ ne s’est incarné qu’une fois et, à proprement parler, il n’y a qu’une seule Incarnation, celle du Fils de Dieu dans les chastes flancs de la Vierge Marie. Mais d’une façon mystique nous pouvons en considérer plusieurs. Jésus-Christ s’incarne sans cesse dans son Eglise: « Et erunt duo in carne una: les deux deviendront une seule chair. »(7) Il y a une Eglise et un Jésus-Christ. Il s’incarne sur l’autel entre les mains du prêtre, il s’incarne dans l’âme des fidèles. Oui, quand nous mangeons la chair du Sauveur, notre propre chair se transforme en celle de Jésus-Christ, par un mystère que nous ne comprendrons qu’au ciel. Voilà donc l’Incarnation de Jésus-Christ en nous. Par l’Eucharistie je deviens un autre Jésus-Christ. Toutes les fois que je communie, Dieu prend mon coeur pour une crèche et il s’y met, après être descendu de l’autel. N’envions pas Marie qui a reçu la visite de l’ange pour lui porter l’annonce du mystère de l’Incarnation: nous avons le même honneur quand le prêtre s’approche de nous pour nous porter Jésus-Christ. C’est plus encore, car Gabriel venait seulement donner la nouvelle de l’Incarnation qui s’accomplirait; le prêtre, lui, après avoir accompli le mystère, nous y rend participants par la communion.

Avec quel respect dois-je donc entendre la sainte messe! Avec quel respect dois-je participer au mystère de l’Incarnation par la communion! Si nous étions pénétrés des pensées de la foi, nous verrions que nos relations avec Jésus-Christ ne doivent pas être autres que celles de Marie avec son Fils, quand elle le portait dans ses chastes entrailles. Ayez la dévotion d’assister à la messe comme à une incarnation de Jésus-Christ.

Mais si j’ai la foi à tout ce que je viens d’entendre, combien peu je dois tenir à la terre et aux choses de la terre, quand j’ai les trésors du ciel! Combien mes oreilles doivent être fermées aux bruits de ce monde! « Audiam quid loquatur in me Dominus: Je veux écouter ce que dit Dieu en moi. »(8) Combien mon unique préoccupation doit être cette vie repliée au-dedans de moi- même, par laquelle je me transforme en Dieu! Voilà la vérité. Et si nous nous livrons après cela à la paresse, à la lâcheté, à l’indépendance, sans comprendre la grandeur du don que Dieu nous fait, c’est un crime, c’est le comble de l’ingratitude. Laissons donc tomber toutes les petites misères de ce monde, redoublons d’ardeur et d’effort pour nous unir au Saint des saints. Quand il se donne à nous, il semble nous dire: « Me voilà avec ma puissance, ma sagesse, mes perfections, mon amour; je me livre à toi, puise dans mon âme divine et prends de moi tout ce que tu voudras.: Une seule communion devrait suffire pour faire une sainte, disait sainte Thérèse. Comment se fait-il que communiant si souvent, tous les jours peut-être nous restions avec nos imperfections et nos misères? C’est inexplicable; c’est un prodige d’ingratitude de la part de l’âme qui reste volontairement dans les sombres ténèbres du péché, quand une fois la lumière éclatante de la grâce lui a été apportée par Jésus-Christ.

Voyons maintenant le mystère de la rédemption. Au moment de la consécration des prêtres, l’évêque récite une prière. En traçant le signe de la croix sur les mains du nouveau ministre du Seigneur, il dit: « Consecrentur et sanctificentur manus istae: Daignez, Seigneur, consacrer et sanctifier ces mains. » Par ces paroles le prêtre reçoit le pouvoir de commander à Jésus- Christ; il a droit sur le corps et le sang de Notre-Seigneur. Il pourra dire à Notre-Seigneur de descendre du ciel sur l’autel et à partir de ce moment Notre-Seigneur obéira toujours. Tous les jours de sa vie, le prêtre pourra monter à l’autel et commander à Dieu. Par là le mystère de la Rédemption s’accomplit. Parce qu’une créature commande, le monde est renversé. Elle accomplit un prodige plus grand que celui de la création. Mais ce pouvoir est accordé au prêtre, non pas pour lui- même, mais pour le peuple fidèle. C’est là le spectacle dont vous êtes témoins chaque jour: vous assistez à la reproduction du mystère de la croix. Que nous soyons, aussi lâches, aussi tièdes après une messe qu’avant, c’est incompréhensible. Et nous allons, hélas! accumulant nos communions, nos assistances à la sainte messe avec une négligence, une fatigue, une paresse inconvenable, et, au sortir de là, on nous trouve avec nos défauts, notre légèreté, notre indépendance, comme si nous ne venions pas de voir l’acte le plus étonnant de l’obéissance d’un Dieu.

A tous les instants, sur tous les points du globe, à la voix de tout homme revêtu du caractère sacerdotal, Jésus-Christ descend du ciel, s’anéantit, s’incarne sous les espèces eucharistiques. Il passe par toutes ces preuves d’amour dont vous êtes les témoins et dont vous tenez si peu compte. Rentrez en vous-mêmes, voyez si dans telle circonstance, la tiédeur, la négligence ne prennent pas pour une épouse la proportion d’un crime. Je m’adresse à votre coeur pour vous demander quand vous voudrez prendre cette vie que Notre-Seigneur vient vous offrir dans cette incarnation sans cesse renouvelée. Ah! vous auriez peut-être voulu être à Bethléem avec les bergers qui entouraient le divin Enfant. Mais, je vous le déclare, vous êtes plus heureuses. Jésus n’était là que pour Marie; sur l’autel il est pour vous toutes, chacune vous l’avez et tout entier pour vous. Vous auriez peut-être aussi désiré être sur le Calvaire, quand le mystère de la Rédemption s’est accompli. Mes Soeurs, à la messe, vous assistez au sacrifice non sanglant de la croix.

Mais nous trouverons encore quelque chose dans l’Eucharistie par rapport à l’Eglise. Il y a deux principes d’unité dans l’Eglise: Jésus-Christ dans la personne du Souverain Pontife, centre d’autorité; Jésus-Christ centre d’amour dans l’Eucharistie. De même, dit saint Augustin, que plusieurs grains de froment forment un épi et plusieurs grains de raisin une grappe, de même nous ne formons qu’un en Jésus- Christ. Et pourquoi? Saint Paul va nous l’expliquer: « Unum corpus multi sumus: Nous formons un seul corps, tout en étant plusieurs. »(9) Le principe de l’unité, c’est ce pain qui va se répandant dans le coeur des fidèles, c’est Jésus- Christ, qui, se donnant à tous, prend les âmes et ne fait de tous qu’un seul corps. Vous voyez donc ce travail d’unité. Dieu va dans chaque âme individuellement, et par une sorte d’aspiration il les consomme dans l’unité. « Ut sint consummati in unum: Afin que leur unité soit parfaite. »(10) C’est une des missions de l’Assomption de travailler à procurer l’unité de l’Eglise, unité d’amour, de sentiment, de foi, d’aspirations, de désirs de faire triompher l’Eglise. Pour cela il faut un coeur très large, il faut aimer tout ce que Notre-Seigneur a aimé, il faut aimer les âmes des pécheurs que Jésus-Christ a rachetées sur le Calvaire, les âmes des saints qu’il a sanctifiées par son Eucharistie. Je crois que vous devez inculquer ces sentiments à vos enfants pour remplir votre devoir d’épouses en procurant le triomphe de l’Eglise.

Considérons l’Eucharistie au point de vue du culte. Je vous disais que le voeu est un acte du culte le plus excellent, et que le fond du culte c’est le sacrifice. Or plus la victime est parfaite, plus le sacrifice sera excellent. Quelle est la victime ici? C’est une victime divine et ses mérites sont infinis par l’oblation qui est faite d’elle. Quand le prêtre offre l’hostie, il est par son caractère un être à part. Il parle au nom du peuple: offerimus: nous offrons, dit-il, et non pas offero: j’offre. C’est au nom de l’Eglise tout entière qu’il offre le sacrifice. Vous qui y assistez, vous y avez donc part. Représentez-vous donc quels doivent être les sentiments d’une religieuse au moment de l’offertoire et de la consécration. Sans doute elle n’a pas le pouvoir d’offrir et de consacrer la victime sainte, mais elle a la puissance d’unir son oblation à celle du prêtre et de hâter par l’ardeur de son amour la descente de Jésus-Christ sur l’autel, comme les désirs embrassés des prophètes et des patriarches appelaient la venue du Messie. Voyez donc comment vous pouvez vous unir à l’acte consécrateur du prêtre, et par l’aspiration de vos désirs faire descendre Jésus-Christ sur l’autel. Voyez aussi que de grâces vous pouvez demander à ce moment pour vous, pour l’Eglise, pour les pécheurs, pour les saints.

Nous sommes des misérables de ne pas penser à la toute- puissance que nous avons sur Dieu à un pareil moment. « Mon Dieu, je ne puis pas vous adorer comme vous le méritez, mais je vous offre votre Fils. C’est tout ce que vous aimez le mieux, et je fais ainsi un acte de culte suprême. Avec lui, par lui, je vous prie pour les péchés des méchants, les faiblesses des saints, les infidélités des tièdes, le zèle des apôtres, la pureté des âmes virginales. Je m’unis à toutes vos intentions, et dans cette impétration, dans cette action de grâces mon âme n’est rien, c’est Jésus-Christ qui parle, qui aime. J’ai une puissance d’amour immense, Dieu lui-même dans mon coeur, mais à la condition que je me sacrifie, que je m’immole. Par là j’étends mon amour, je l’embrase, je puis me transformer en séraphin. »

Concluons. Quel doit être le coeur d’une religieuse assomptiade, quelles doivent être ses dispositions? Mais demandons plutôt qui est la victime de l’Eucharistie. Elle est universelle…L’Eucharistie est universelle; ses effets doivent êtres universels. Alors il faut aussi à la religieuse un coeur universel pour aimer comme Jésus-Christ. « Vivo autem, jam non ego: vivo vero in me Christus: Si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »(11)

Qu’il en soit ainsi et vous vivrez comme d’une vie divine, prenant de Jésus- Christ tout ce que vous pouvez en prendre et vous aurez le plus parfait moyen de vous unir à Dieu et de ne faire qu’un avec Jésus-Christ.

Notes et post-scriptum
4. Le Père d'Alzon insiste à plusieurs reprises, en parlant du sacrifice, sur la justice de Dieu; il ne faudrait pas l'entendre d'une justice vindicative s'exerçant sur son divin Fils et sur les membres de son Christ, mais d'une justice d'amour où la rançon du péché est exigée pour l'honneur de l'homme et la gloire de Dieu, comme une preuve, sur le plan humain, d'un absolu regret du péché inspiré par le plus pur amour de Dieu.1. Luc, XIX, 12.
2. Ps. CX, 4 et 5.
3. Gal., II, 20.
5. Jean, I, 9.
6. Ephes., I, 14.
7. Genèse, II, 24.
8. Ps. LXXXIV, 9.
9. I Cor., X, 17.
10. Jean, XVII, 23.
11. Galat., II, 20.